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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/87/2017

ATA/1187/2018 du 06.11.2018 sur JTAPI/1001/2017 ( PE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/87/2017-PE ATA/1187/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 novembre 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Mme A______
représentée par Me Roxane Sheybani, avocate

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 septembre 2017 (JTAPI/1001/2017)


EN FAIT

1. En novembre 1986, Mme A______, née en mars 1959, a obtenu au Ghana, pays dont elle est ressortissante, le diplôme de bachelor en médecine, spécialisation chirurgie, puis, en décembre 1990, au Royaume-Uni, le diplôme de master en maladies tropicales de l’enfant.

2. En 1991, 1993 et 1997, elle a donné naissance à trois enfants, C______, D______ et E______.

3. Le 4 mai 2003, engagée en qualité de haut-fonctionnaire auprès de B______ (ci-après : B______), organisation internationale sise à Genève, Mme A______ est arrivée en Suisse et, avec ses trois enfants, a été mise au bénéfice d’une carte de légitimation délivrée par le département fédéral des affaires étrangères (ci-après : DFAE).

Mme A______ a été au bénéfice d’un contrat de travail avec ladite organisation internationale, d’une durée indéterminée et à plein temps, jusqu’au 30 avril 2016.

Depuis septembre 2004 à tout le moins, avec ses enfants jusqu’à leurs éventuels départs de Genève, elle est locataire d’une villa de cinq pièces à Versoix (GE).

4. Parallèlement, le 17 octobre 2012, son divorce d’avec l’homme qu’elle avait épousé en 1989 a été prononcé au Ghana. Par écrit du 1er avril 2004, celui-ci a consenti à ce que la garde de C______, D______ et E______, qui résidaient à Versoix, soit octroyée à Mme A______.

5. Le 28 avril 2016, Mme A______ a sollicité auprès de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) une autorisation de séjour pour ressortissant étranger sans activité lucrative, précisant toutefois « permis C », en sa faveur et en faveur de ses enfants, avec la précision que C______ avait déposé une demande de naturalisation suisse en janvier 2016.

6. En juin et juillet 2016, faisant suite à des demandes de renseignements, Mme A______ a transmis à l’OCPM diverses pièces et a fait valoir les éléments suivants :

Par écrit du 20 juillet 2016, Mme A______ a exposé que l’objectif principal de sa famille et d’elle-même était de devenir citoyens suisses. Ses enfants avaient grandi à Genève et ils s’étaient habitués à la vie suisse. La demande de permis C était un tremplin dans le processus de naturalisation. Elle n’était pas encore à la retraite et avait pour objectif de trouver un emploi auprès d’une organisation internationale à Genève ; elle avait d’ailleurs entrepris des démarches auprès de l’F______. Actuellement, elle travaillait en tant que consultante indépendante avec la Fondation G______.

À teneur des pièces produites, le contrat de travail de Mme A______ avec B______ avait pris fin d’un commun accord le 30 avril 2016 ; elle recevait un salaire annuel brut de CHF 318’240.- au moment de la fin des rapports de service ; les cartes de légitimation ont été restituées entre fin juin et début juillet 2016 ; les avoirs financiers de l’intéressée à la banque se montaient à CHF 662’190.- au 29 juillet 2016 ; elle travaillait pour le compte de la société H______ sise en Virginie, aux États-Unis d’Amérique (ci-après : USA), en faveur de la Fondation G______, pour une période de consulting valable du 6 juillet au 31 décembre 2016 moyennant un salaire mensuel de USD 26’400.- ; par écrit du 20 juillet 2016, un voisin attestait la bonne intégration de l’intéressée et de ses enfants dans la vie du quartier et de la commune ; par écrit du même jour, Mme A______ décrivait plusieurs activités de la commune auxquelles ses enfants et elle-même avaient participé.

7. Par pli du 3 août 2016, l’OCPM a informé Mme A______ de son intention de refuser de lui octroyer tant une autorisation d’établissement qu’une autorisation de séjour sans activité lucrative

À la lumière des circonstances du cas d’espèce, vu l’âge de l’intéressée et ses objectifs, sa demande formulée était motivée par des motifs de convenance personnelle et il n’existait aucune raison justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour ou d’établissement en sa faveur pour cas individuels d’une extrême gravité ou d’intérêts publics majeurs (art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 - LEtr - RS 142.20 ; art. 31 et 32 de l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 - OASA - RS 142.201), et, en l’absence de prise de la retraite, elle ne remplissait pas les conditions pour les fonctionnaires internationaux prenant leur retraite (ch. 7.2.5.1.1 et 7.2.5.1.2 des directives et commentaires – domaine des étrangers, édictées par le secrétariat d’État aux migrations (ci-après SEM) d’octobre 2013 et régulièrement actualisées (ci-après : directives LEtr).

8. Par écriture du 31 août 2016 sous la plume de son avocate, Mme A______ a répondu en faisant valoir divers arguments et en concluant qu’elle répondait à toutes les conditions pour l’octroi d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

Elle s’était créé son environnement affectif, social et professionnel en Suisse : elle était fortement impliquée dans la vie associative genevoise, notamment au sein de l’Église des Nations, comme confirmé par une lettre de soutien du 11 août 2016, et était également membre active de Daughters of Zion International Prayer Ministries (DOZIM), association à but non lucratif basée à Genève avec pour objectif de pourvoir aux besoins spirituels de ses membres à travers la prière et l’enseignement des textes bibliques, selon attestation du 9 août 2016 de la fondatrice et présidente de cette association. La recourante était aussi investie dans la vie de son quartier et participait régulièrement aux festivités qui y étaient organisées, telles que les pique-niques communautaires et les fêtes de Festichoc. Inversement, elle n’avait plus aucun lien avec son pays d’origine qu’elle avait quitté il y avait plus de treize ans.

9. Par courrier du 9 novembre 2016, faisant suite à une demande de renseignements de l’OCPM, B______ a indiqué que Mme A______ n’avait pas quitté ladite organisation en vertu d’une retraite anticipée et qu’il ne s’agissait pas d’une démission.

10. Par décision du 5 décembre 2016, l’OCPM a refusé d’accéder à la demande de Mme A______ tendant à l’octroi d’une autorisation de séjour et d’établissement en application des art. 30 al. 1 let. b LEtr ainsi que 31 et 32 OASA et, partant, de soumettre son dossier avec un préavis positif à l’autorité fédérale, conformément à l’art. 99 LEtr, a prononcé son renvoi et lui a imparti un délai au 5 mars 2017 pour quitter la Suisse, l’exécution de son renvoi étant possible, licite et raisonnablement exigible.

Ses trois enfants, tous ressortissants ghanéens, étaient majeurs. D______ suivait une formation de niveau master en santé publique depuis septembre 2012 à Montréal au Canada, E______ étudiait également depuis septembre 2012 à l’étranger, d’abord aux USA et actuellement au Canada, et C______ effectuait des études à l’Université de Genève.

Mme A______ ne pouvait pas invoquer les dispositions relatives aux fonctionnaires internationaux souhaitant rester en Suisse suite à leur retraite ou retraite anticipée, dans la mesure où elle n’avait pas quitté B______ en vertu d’une retraite anticipée et qu’elle souhaitait continuer à exercer une activité lucrative.

La durée de son séjour en Suisse, treize années, ne constituait pas un élément déterminant susceptible de justifier une suite favorable à sa requête. En effet, cette durée devait être relativisée par rapport aux nombreuses années passées au Ghana, où l’intéressée avait notamment obtenu un bachelor en médecine et chirurgie. Elle avait donc passé toute sa jeunesse et son adolescence à l’étranger, années qui apparaissaient comme essentielles pour la formation de la personnalité et, partant, pour l’intégration sociale et culturelle.

De plus, Mme A______ ne pouvait pas se prévaloir d’une intégration professionnelle ou sociale particulièrement marquée au point de devoir admettre qu’elle ne pouvait pas quitter la Suisse sans devoir être confrontée à des obstacles insurmontables. En effet, quand bien même elle avait occupé un poste relativement important au sein de B______, elle travaillait actuellement en qualité de consultante indépendante pour le compte d’une société de consulting basée aux USA, de sorte qu’il lui était loisible d’effectuer ce mandat depuis son pays d’origine. Elle n’avait pas non plus acquis des connaissances professionnelles ou des qualifications spécifiques telles qu’elle ne pourrait plus les mettre en pratique au Ghana, ce d’autant plus que son activité de consulting ne requérait pas sa présence obligatoire en Suisse.

La demande de régularisation des conditions de séjour était ainsi exclusivement motivée par des motifs de convenance personnelle. Mme A______ souhaitait en effet obtenir une autorisation d’établissement afin de rester en Suisse pour, notamment, attendre de futures opportunités professionnelles ou obtenir la nationalité suisse. Elle pouvait attendre la concrétisation de telles opportunités à l’étranger et il n’existait aucune raison majeure justifiant de lui octroyer une autorisation de séjour, ce d’autant moins que ses trois enfants étaient majeurs, que ses filles vivaient depuis plus de quatre ans à l’étranger et que la demande de régularisation des conditions de séjour de son fils C______ était en cours d’instruction par l’office. En outre, l’intéressée pouvait continuer à subvenir aux besoins de ses enfants en leur envoyant de l’argent depuis le Ghana, compte tenu des confortables moyens financiers dont elle disposait.

11. Par acte du 9 janvier 2017, Mme A______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) à l’encontre de cette décision, concluant à son annulation et à ce qu’une autorisation de séjour pour cas de rigueur lui soit délivrée, « avec suite de frais et dépens ».

Depuis son arrivée en Suisse le 4 mai 2003, la recourante avait toujours travaillé et assuré une complète indépendance financière à toute sa famille, permettant à ses enfants de suivre le parcours académique de leur choix.

Elle était ainsi domiciliée en Suisse depuis plus de treize ans, sans interruption, et vivait avec son fils aîné, qui poursuivait ses études universitaires en faculté des sciences (master en biologie), à Genève, où il avait suivi la
quasi-totalité de sa scolarité, à l’instar de ses sœurs. Ses deux filles étaient certes étudiantes à l’étranger, mais le centre de leur vie affective et familiale demeurait à Genève.

Elle parlait et écrivait couramment le français, qu’elle considérait comme sa langue de socialisation. Orpheline de père et de mère et sans plus aucun parent au Ghana, il lui était difficilement concevable de reconstruire sa vie à près de soixante ans dans un pays qu’elle ne connaissait plus et dans lequel elle n’avait plus aucun réseau ; pareil retour impliquerait un isolement fortement préjudiciable pour son équilibre. À cela devrait s’ajouter l’idée de quitter le lieu de vie qu’elle s’était créée en Suisse, avec ses enfants, ses amis et les associations au sein desquelles elle était active.

Bien que titulaire d’un diplôme de médecine, elle n’avait plus exercé depuis vingt-quatre ans et il lui était ainsi pratiquement impossible, et assurément dangereux pour autrui, de réintégrer le marché du travail ghanéen en qualité de médecin. Des postes de consultant en programmes de santé mondiaux n’existant pas au Ghana et toute possibilité de réorientation paraissant exclue compte tenu de son âge, le fait de quitter Genève impliquerait pour la recourante une cessation forcée de toute activité professionnelle. En effet, sa carrière dans le domaine de la prévention de la santé mondiale s’était entièrement déroulée en Suisse. Les connaissances scientifiques et professionnelles surspécialisées qu’elle avait acquises présentaient certes une claire plus-value lorsqu’elles pouvaient être exercées, mais constituaient un obstacle à l’accession au marché du travail ghanéen, celui-ci ne proposant aucun poste correspondant à ses compétences.

Par ailleurs, son activité professionnelle relevait de la passion. Dès la fin de son engagement auprès de B______, elle avait projeté de mettre à profit son expérience et sa spécialisation en matière de santé globale. Disposant d’un excellent réseau à Genève et d’une renommée internationale lui permettant de servir de lien entre les acteurs genevois et internationaux dans le domaine de la prévention des pandémies, elle avait pour intention d’exercer en tant que consultante indépendante, notamment pour les programmes de vaccination qui pourraient être promus depuis Genève, un « Business Plan for Independent Consultancy » établi le 26 août 2016 par elle-même étant produit à cette fin. À ce titre, elle avait été approchée par H______ qui lui proposait une rémunération mensuelle minimale de USD 26’400.-. Cela démontrait son vif désir de continuer à participer à la vie économique de la Suisse, étant relevé que son activité allait contribuer à la diversification de l’économie régionale dans le domaine de la santé globale. En outre, Mme A______ allait générer de nouveaux mandats pour l’économie helvétique en faisant le lien entre les pays dispensateurs de services et les pays bénéficiaires, par le biais de la plateforme genevoise qu’elle envisageait de créer ; l’avancement de son activité nécessiterait aussi la création de places de travail, voire la formation de collaborateurs. En fait, l’activité de la recourante répondait à toutes les conditions et exigences relatives à l’exercice d’une activité lucrative indépendante prévues à l’art. 19 let. b LEtr et précisée à l’art. 31 al. 4 let. a OASA.

Enfin, elle disposait d’une maison de cinq pièces, et elle n’avait jamais fait l’objet ni de poursuites pénales, en Suisse (extrait du casier judiciaire suisse du 9 août 2016) ou à l’étranger, ni de poursuites ou d’actes de défaut de bien (extrait du registre des poursuites du 9 août 2016). Ses trois enfants et elle-même, qui était en parfaite santé, étaient assurés auprès d’une caisse d’assurance-maladie obligatoire.

12. Dans ses observations du 13 mars 2017, l’OCPM a conclu au rejet du recours, les arguments avancés n’étant pas de nature à modifier sa position.

Selon la jurisprudence, la reconnaissance de l’existence d’un cas de rigueur impliquait que l’étranger concerné se trouvait dans une situation de détresse personnelle, ses conditions de vie et d’existence devant être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. Or, au regard des éléments au dossier, tel n’était manifestement pas le cas en l’espèce, étant rappelé que le fait que l’étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu’il y soit bien intégré, tant socialement que professionnellement, et que son comportement n’ait pas fait l’objet de plaintes ne suffisait pas, à lui seul, à constituer un cas d’extrême gravité.

En l’occurrence, la réintégration de la recourante dans son pays d’origine pouvait très bien être exigée, étant notamment donné qu’elle l’avait quitté à l’âge de quarante-quatre ans et qu’elle y avait gardé des attaches, ainsi que le démontrait en particulier le formulaire de demande de visa de retour daté du 30 juin 2016. Par ailleurs, même si elle n’arrivait pas à s’y réintégrer professionnellement, ce qui était peu probable, elle disposait de moyens financiers suffisants pour pouvoir vivre confortablement le reste de ses jours sans devoir exercer d’activité lucrative, sachant que le revenu mensuel brut moyen par habitant en 2012 pour le Ghana avait été estimé à USD 129.20.

Au demeurant, l’étranger au bénéfice d’une carte de légitimation savait pertinemment que son statut en Suisse était précaire et qu’il était susceptible de devoir retourner à moyen ou court terme dans son pays d’origine.

13. Le 11 juillet 2017, l’OCPM a produit une demande de visa signée le 6 juillet 2017 par Mme A______, pour un séjour d’un mois au Ghana.

14. Par jugement du 25 septembre 2017, le TAPI a rejeté le recours de Mme A______ et a mis à sa charge un émolument de CHF 500.-.

La recourante séjournait en Suisse depuis mai 2003, soit depuis quatorze ans. Ce séjour, qui pouvait être qualifié de long, devait cependant être relativisé, dès lors qu’il avait été effectué durant treize ans au bénéfice d’une carte de légitimation et, depuis la fin de cet emploi, au bénéfice d’une tolérance en raison de la procédure de demande de permis de séjour en cours. Ainsi, Mme A______ avait été autorisée à séjourner en Suisse uniquement en raison du poste de fonctionnaire qu’elle avait occupé auprès d’une organisation internationale. Par conséquent, elle ne pouvait pas ignorer le caractère temporaire de sa présence en Suisse. Elle ne se trouvait pas dans une des hypothèses visées par les directives de la LEtr, notamment la prise de la retraite (ch. 7.2.5).

À teneur du dossier, la recourante avait toujours respecté l’ordre juridique suisse, n’avait jamais émargé à l’aide sociale et ne faisait l’objet d’aucune poursuite ni acte de défaut de biens. Toutefois, il ne ressortait pas des pièces à la procédure qu’elle aurait acquis, durant son séjour en Suisse, des connaissances et des qualifications si spécifiques qu’elle ne pourrait les mettre à profit à l’étranger, que ce soit au Ghana ou dans l’un des autres pays où elle avait séjourné, tel par exemple le Royaume-Uni. Au contraire, elle exerçait une activité qu’elle pouvait mener depuis son pays d’origine. En outre, on ne saurait, dans le présent cas, considérer que les expériences sociales de la recourante en Suisse l’auraient conduite à se trouver dans une situation telle que le fait de devoir y renoncer aurait pour elle des conséquences particulièrement rigoureuses.

Actuellement âgée de cinquante-huit ans, Mme A______ était arrivée en Suisse à l’âge de quarante-quatre ans. Elle avait ainsi passé son enfance, son adolescence et le début de sa vie adulte, période décisive pour la formation de la personnalité, à l’étranger. Elle connaissait les us et coutumes ainsi que l’anglais, langue officielle du Ghana, et y possédait très vraisemblablement des attaches, étant rappelé qu’elle y était née et qu’elle y était retournée récemment à teneur du formulaire de demande de visa de retour du 30 juin 2016. Par conséquent, la recourante, dont la santé était, à teneur des éléments au dossier, sans particularité, devrait être à même de se réintégrer dans son pays natal, après une période nécessaire de réadaptation. Ses avoirs financiers actuels lui permettraient d’ailleurs d’envisager sans soucis d’affronter un retour au Ghana.

C’était donc à bon droit que l’autorité intimée avait retenu que la situation de Mme A______ ne constituait pas un cas d’extrême gravité.

Il ne ressortait pas du dossier que l’exécution de son renvoi ne serait pas possible, pas licite ou qu’elle ne pourrait être raisonnablement exigée au sens de l’art. 83 LEtr.

15. Par acte expédié le 17 octobre 2017 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), Mme A______ a formé recours contre ce jugement, reprenant les conclusions qu’elle avait formulées devant le TAPI et concluant subsidiairement au renvoi de la cause à celui-ci pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Elle a, pour l’essentiel, repris ses allégués et arguments de première instance.

Le 27 septembre 2017, le Conseil d’État avait accordé la citoyenneté genevoise pour la commune de Versoix à C______, ultime étape de sa procédure de naturalisation.

Ne pas lui accorder une autorisation de séjour fondée sur l’art. 30 al. 1 let. b LEtr sur la base de l’opération Papyrus, dont elle remplissait toutes les conditions d’application, contreviendrait au principe de l’égalité de traitement.

16. Par courrier du 20 octobre 2017, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative sans formuler d’observations.

17. Dans sa réponse du 14 novembre 2017, l’OCPM a conclu au rejet du recours.

La requête de Mme A______ en régularisation sous l’angle de l’art. 19 LEtr vu l’exercice d’une activité indépendante devrait être examinée par l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT). Dans la mesure où les allégations et les pièces déjà produites à cet égard visaient une activité qui s’était déroulée entre le 6 juillet et le 31 décembre 2016, qu’elles n’avaient depuis lors pas été actualisées et que la recourante maintenait ses précédentes conclusions au fond, il ne paraissait pas nécessaire de suspendre la procédure, étant précisé qu’une telle demande pourrait, le cas échéant, être renouvelée en empruntant une voie distincte.

Sous l’angle de l’art. 30 LEtr, en lien avec l’art. 31 OASA, il ne saurait être nié que le dossier présentait de nombreux éléments en faveur de la recourante. Elle avait un profil spécialisé, avait œuvré dans le domaine international de la santé, n’avait ni dettes ni actes de défaut de biens, avait toujours assuré son entière autonomie financière et n’avait aucune inscription à son casier judiciaire ; elle semblait de plus s’être intégrée au tissu genevois et disposer de bonnes relations avec des personnes vivant à Genève. Cependant, elle n’était en Suisse que depuis mai 2003, sous couvert d’une carte de légitimation, et des possibilités de réintégration au Ghana, pays dans lequel elle était retournée à teneur des visas de retour sollicités, existaient ; il n’avait pas été prouvé qu’il lui serait impossible de poursuivre son activité de consultante dans ce pays, ou ailleurs, ou d’y intégrer une organisation gouvernementale ou non gouvernementale ; d’ailleurs, selon le contrat de consulting avec H______, son activité « concernait des programmes en pays africains avec une forte composante US », ce qui tendait à démontrer que sa spécialité n’était pas exclusivement liée à la Suisse et à la place internationale de Genève.

18. Le 13 janvier 2018, l’OCPM a produit une demande de visa signée le 10 janvier précédent par Mme A______, en vue de se rendre au Nigéria pour un mois.

19. Dans sa réplique du 22 janvier 2018, Mme A______ a persisté dans ses griefs et conclusions.

20. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 9 février 2018.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Aux termes de l’art. 61 al.1 LPA, le recours peut être formé : pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a) ; pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). À teneur de l’al. 2, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi.

3. a. En vertu de l’art. 30 al. 1 let. b LEtr, il est possible de déroger aux conditions d’admission d’un étranger en Suisse pour tenir compte d’un cas individuel d’extrême gravité.

À teneur de l’art. 31 al. 1 OASA, dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’un cas individuel d’extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant (let. a), du respect de l'ordre juridique suisse par le requérant (let. b), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation (let. d), de la durée de la présence en Suisse (let. e), de l'état de santé (let. f) et des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g).

Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d’autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEtr, état au 1er juillet 2018, ch. 5.6.12).

b. La reconnaissance de l’existence d’un cas d’extrême gravité implique que l’étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Ses conditions de vie et d’existence doivent ainsi être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d’autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d’admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l’étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu’il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n’ait pas fait l’objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d’extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu’on ne puisse exiger qu’il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d’amitié ou de voisinage que l’intéressée a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu’ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3 ; 124 II 110 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A_718/2006 du 21 mars 2007 consid. 3 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-6956/2014 du 17 juillet 2015 consid. 6.1 ; C_5414/2013 du 30 juin 2015 consid. 5.1.3 ; C_6726/2013 du 24 juillet 2014 consid. 5.3).

Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d’un cas d’extrême gravité, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, la personne étrangère possédant des connaissances professionnelles si spécifiques qu’elle ne pourrait les mettre en œuvre dans son pays d’origine, une maladie grave ne pouvant être traitée qu’en Suisse, la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d’études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n’arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l’aide sociale ou des liens conservés avec le pays d’origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5414/2013 précité consid. 5.1.4 ; C-6379/2012 et C-6377/2012 du 17 novembre 2014 consid. 4.3).

4. a. Au début de l’année 2017, le canton de Genève a développé un projet appelé « Opération Papyrus » visant à régulariser la situation « des personnes non ressortissantes UE/AELE » bien intégrées. Selon la brochure officielle « Opération Papyrus – Conditions et procédure pour le dépôt d’une demande de normalisation » publiée en février 2017 par le département de la sécurité et de l’économie (ci-après : DSE), disponible en ligne (https://demain.ge.ch/document/ brochure-papyrus [consulté le 26 octobre 2018]), les critères pour pouvoir bénéficier de cette opération sont les suivants :

- séjour continu sans papier de cinq ans (pour les familles avec enfants scolarisés) ou de dix ans pour les autres catégories, à savoir les couples sans enfants et les célibataires ; le séjour doit être documenté ;

- intégration réussie (niveau A2 de français du cadre européen commun de référence pour les langues et scolarisation des enfants notamment) ;

- absence de condamnation pénale ;

- avoir un emploi ;

- indépendance financière complète.

b. Interpellé par une conseillère nationale à l’heure des questions le 27 février 2017, le Conseil fédéral a précisé le 6 mars 2017 que, dans le cadre du projet pilote « Papyrus », le SEM avait procédé à une concrétisation des critères légaux en vigueur pour l’examen des cas individuels d’extrême gravité dans le strict respect des dispositions légales et des directives internes du SEM. Il ne s’agissait donc pas d’un nouveau droit de séjour en Suisse ni d’une nouvelle pratique. Une personne sans droit de séjour ne se voyait pas délivrer une autorisation de séjour pour cas de rigueur parce qu’elle séjournait et travaillait illégalement en Suisse, mais bien parce que sa situation était constitutive d’un cas de rigueur en raison notamment de la durée conséquente de son séjour en Suisse, de son intégration professionnelle ou encore de l’âge de scolarisation des enfants (cf. https://www.parlament.ch/en/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId =20175000, consulté le 26 octobre 2018).

c. Ni le document officiel publié par le DSE, ni le message du conseiller d’État en charge du DSE figurant en tête dudit document n’indiquent que l’opération Papyrus ne s’adresserait qu’aux ressortissants étrangers ayant toujours été en situation irrégulière. Il est par contre indiqué sur le site officiel précité du canton de Genève que les étrangers qui ont séjourné en Suisse de manière légale et y sont demeurés ensuite de manière illégale ne peuvent pas bénéficier du projet Papyrus (ATA/208/2018 du 6 mars 2018 consid. 9c).

La chambre de céans a quant à elle jugé dans sa jurisprudence consécutive à l’opération Papyrus qu’il n’y a aucune raison que les personnes étrangères ayant été détentrices d’un permis ou d’une carte de légitimation pour une partie de leur séjour en Suisse soient prétéritées par rapport aux personnes ayant toujours été en situation illégale (ATA/208/2018 précité consid. 9c ; ATA/37/2018 du 16 janvier 2018 consid. 9).

5. En l’espèce, le dossier contient de nombreux éléments en faveur de la recourante, notamment sa bonne intégration, sa maîtrise du français, son indépendance financière, l’absence de poursuites et d’inscription au casier judiciaire ainsi qu’un séjour en Suisse ininterrompu depuis 2003 (dans ce sens ATA/208/2018 précité consid. 10 ; ATA/37/2018 précité consid. 9), comme l’admet du reste l’intimé.

Conformément à la jurisprudence précitée, le fait qu’elle ait été durant une certaine période, plus précisément ici la majeure partie de la durée de son séjour en Suisse, au bénéfice d’une carte de légitimation du DFAE n’est pas un obstacle à la régularisation de sa situation (dans ce sens ATA/208/2018 précité consid. 10).

Il sied au surplus de souligner que l’intéressée apparaît effectivement avoir noué des liens importants avec le canton de Genève et sa commune de domicile, notamment par des liens de voisinage et d’amitié ainsi que par la participation à plusieurs activités de la commune et du quartier. À cet égard, son fils a reçu la naturalisation suisse et genevoise ou est sur le point de la recevoir, ce qui constitue un point d’attache supplémentaire avec le canton de Genève et la Suisse. Rien ne permet de mettre en doute son allégation selon laquelle elle n’a plus de proches parents au Ghana. En outre, même si l’on ne peut pas exclure que la recourante puisse mettre en œuvre dans son pays d’origine ses compétences de haut niveau acquises dans le cadre de la santé mondiale, il n’en demeurerait pas moins que de telles démarches ne seraient pas aisées.

6. Les considérants qui précèdent conduisent à l’admission du recours. Le jugement du TAPI du 25 septembre 2017 sera en conséquence annulé, de même que la décision de l’OCPM du 5 décembre 2016. La cause sera renvoyée à l’OCPM pour nouvelle décision dans le sens des considérants, soit la délivrance du permis sollicité.

7. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner le grief de la recourante afférent à l’art. 19 LEtr (activité lucrative indépendante), si tant est qu’il soit recevable.

8. Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, valant pour les procédures de première instance et de seconde instance, sera allouée à la recourante, qui y a conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 17 octobre 2017 par Mme A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 septembre 2017 ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 septembre 2017 ;

annule la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 5 décembre 2016 ;

renvoie la cause à l'office cantonal de la population et des migrations pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Mme A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, valant pour les procédures de première instance et de seconde instance, à la charge de l’État de Genève ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Roxane Sheybani, avocate de la recourante, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 


 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.