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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2545/2018

ATA/1153/2018 du 30.10.2018 ( FORMA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2545/2018-FORMA ATA/1153/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 octobre 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES

 



EN FAIT

1. Madame A______, née le ______ 1992, a déposé, le 4 octobre 2017, une demande de bourse ou prêt d’études pour l’année scolaire 2017-2018 auprès du service des bourses et prêts d’études (ci-après : SBPE).

La demande concernait sa deuxième année du baccalauréat ès Lettres auprès de l’Université de Genève (ci-après : l’université). Elle vivait avec ses parents, respectivement conseiller indépendant et traductrice jurée, ainsi que ses frères et sœur, au B_____ au Grand-Saconnex, dans un logement de sept pièces.

Elle avait précédemment reçu une bourse en CHF 16'000.- pour sa première année (2016-2017).

2. Par décision du 9 mai 2018, le SPBE a réclamé la restitution de la bourse d’études versée à l’étudiante pour l’année 2016-2017 de CHF 16'000.-.

Son père avait prélevé sa prestation de libre-passage de CHF 110'135.- le 27 janvier 2017 ainsi que son troisième pilier auprès de C______ le 1er novembre 2016 pour un montant de CHF 56'092.-. Ces sommes devaient être prises en considération dans le calcul de l’aide financière.

Par ailleurs, la maison comportait cinq pièces, soit un salon, une cuisine et trois chambres à coucher. Le forfait de sept pièces ne serait plus accordé pour les demandes futures.

3. Par décision du même jour, le SBPE a octroyé une bourse de CHF 15'757.- pour l’année scolaire 2017-2018.

Le montant était diminué de la dette de l’étudiante, conformément à la demande de restitution du montant versé pour l’année scolaire 2016-2017 en CHF 16'000.-.

CHF 243.- restaient dus au SBPE.

4. Par courrier non daté, mais reçu le 28 mai 2018 au SBPE, Mme A______ a fait « opposition » à la décision de restitution de bourse.

La loi autorisait le versement des deuxième et troisième piliers pour les personnes qui devenaient indépendantes à condition d’investir ces sommes dans l’entreprise. Son père avait agi de la sorte. Il avait également payé les impôts pour les montants reçus et investis.

La maison comportait sept pièces et un bureau indépendant, selon un rapport d’expertise joint au courrier.

5. Par décision du 28 juin 2018, le SBPE a rejeté ce qu’il considérait comme une réclamation contre sa décision du 9 mai 2018.

Il a précisé que, s’agissant du calcul du nombre de pièces retenues, le service avait commis une erreur lors du traitement du dossier pour 2016-2017. Il n’avait pas été tenu compte de cette rectification pour l’année concernée, mais uniquement pour les années suivantes.

6. Par acte du 24 juillet 2018, Mme A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à la « révision » de la décision du SBPE et au versement de la bourse pour l’année 2017-2018.

Elle a persisté dans les arguments développés dans sa réclamation.

7. Le SBPE a conclu au rejet du recours.

La famille n’avait pas informé le SBPE de son changement de situation financière pour l’année scolaire 2016-2017.

Un nouveau calcul avait été effectué prenant en compte tant les montants prélevés que les impôts acquittés pour les prestations en capital.

8. Avec sa réplique, la recourante a produit deux rapports relatifs à la maison familiale.

Selon le document de « D______ » du 24 décembre 2012, la villa était à louer pour un loyer de CHF 5'500.- mensuels. Le bien était décrit comme comprenant 180 m2 de surface habitable, huit pièces, cinq chambres, plus une annexe de 20 m2 qui pouvait servir de bureau. Il se composait, au rez, d’un hall, une cuisine équipée, deux grands séjours, trois grandes chambres. Le premier étage abritait deux chambres mansardées. S’ajoutaient des combles aménagés. Un chalet en bois pouvait faire office de bureau.

E______ a, par courrier du 15 février 2013, fait une offre relative à la location du bien avec un contrat de mise en valeur. Le bien serait proposé au loyer mensuel brut de CHF 5'500.-. Aucune description du bien immobilier n’était faite.

La recourante a par ailleurs produit :

- la page 3 d’un « rapport de l’expert de la banque » du 17 novembre 2005. Le nom de l’établissement bancaire n’apparait pas sur le document. Selon l’estimation immobilière, la valeur intrinsèque du bien s’élevait à CHF 901'240.-. La valeur de rendement pour le sept pièces était de CHF 6'300.- mensuels ;

- deux plans relatifs à un projet d’agrandissement, visé ne varietur le 1er septembre 2004 dans le cadre d’une autorisation préalable de construire 
(ci-après : APA) ;

- les attestations de revenu déterminant unifié (ci-après : RDU) de ses parents indiquant un RDU total de CHF 62'161.- pour 2017 et de CHF 68'896.- pour 2018 ;

- les bilans de F______ respectivement pour 2016, comprenant un rachat de troisième pilier sous « actif disponible » de CHF 48'000.-, et 2017, comprenant un actif disponible intitulé « Postfinance, banque, deuxième pilier » de CHF 110'126.- ;

- les bordereaux d’impôts sur les prestations en capital, respectivement de 2016, sur un revenu imposable de CHF 50'092.- pour un impôt de CHF 692.05, et 2017, sur un revenu imposable de CHF 110'135.- pour un impôt de CHF 3'335.45 ;

- l’avis de taxation de l’impôt fédéral direct 2017.

9. Le SBPE ayant persisté dans ses conclusions après production des pièces, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

10. Par écriture spontanée du 23 octobre 2018, la recourante a produit une attestation de l’ambassadeur de la mission permanente de la République du Mali à Genève du 22 mars 2013, selon laquelle ladite mission s’engageait à régler les loyers du logement sis B______ au Grand-Saconnex, de huit pièces, « à bailler au nom de la mission ».

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige porte sur la décision sur réclamation confirmant tant la restitution de la bourse perçue en 2016-2017 en CHF 16'000.- que l’octroi d’une bourse pour 2017-2018 en CHF 15'757.-, impliquant un solde encore dû par la recourante au SBPE de CHF 243.-.

3. Dans un premier grief, la recourante conteste la prise en considération, dans les revenus, des rachats de prévoyance professionnelle effectués par son père en 2016 et 2017.

4. a. Selon l’art. 1 al. 2 de la loi sur les bourses et prêts d'études du 17 décembre 2009 (LBPE - C 1 20), le financement de la formation incombe aux parents et aux tiers qui y sont légalement tenus ainsi qu’à la personne en formation elle-même. L’aide financière est subsidiaire (art. 1 al. 3 LBPE).

b. Aux termes de l’art. 18 al. 1 LBPE, si les revenus de la personne en formation, de ses parents (père et mère), de son conjoint ou partenaire enregistré et des autres personnes qui sont tenues légalement au financement de la formation, ainsi que les prestations fournies par des tiers ne suffisent pas à couvrir les frais de formation, le canton finance, sur demande, les besoins reconnus par le biais de bourses ou de prêts.

c. Le RDU sert de base pour le calcul du droit à une bourse d’étude (art. 18 al. 2 LBPE).

Le socle du RDU comprend l’ensemble des revenus conformément à l’art. 4 de la loi sur le revenu déterminant unifié du 19 mai 2005 (LRDU - J 4 06), lequel fait une énumération exemplative de ceux-ci. Ces derniers comprennent notamment les prestations en capital versées par l'employeur ou par une institution de prévoyance professionnelle, sous réserve de situations non réalisées en l’espèce (art. 4 let. j LRDU). 

Du montant obtenu à l’art. 4 LRDU, sont imputées les déductions mentionnées à l’art. 5 LRDU. Selon la jurisprudence, cette disposition prévoit de manière exhaustive les déductions à prendre en compte pour fixer le revenu déterminant des personnes demandant des bourses d’études (ATA/586/2014 du 29 juillet 2014). Au montant obtenu, s’ajoute un quinzième de la fortune calculée selon l’art. 6 LRDU sous imputation des déductions prévues à l’art. 7 LRDU (art. 8 al. 2 LRDU).

Le résultat donne le socle RDU.

d. Lorsqu’une prestation catégorielle ou de comblement est octroyée en application de la hiérarchie des prestations sociales visée à l’art. 13 LRDU, son montant s’ajoute au socle RDU déterminé selon l’art. 8 al. 2 LRDU. Le nouveau montant sert de base de calcul pour la prestation suivante. Les prestations accordées aux personnes mineures sont reportées dans le revenu déterminant unifié du ou des parents concernés (art. 8 al. 3 LRDU).

e. Le socle du RDU est calculé automatiquement sur la base de la dernière taxation fiscale définitive. Il peut être actualisé (art. 9 al. 1 LRDU) à certaines conditions prévues par l’art. 10 LRDU.

5. En l’espèce, la recourante reproche à l’autorité d’avoir tenu compte des deux prestations en capital touchées par son père au titre de la prévoyance professionnelle.

Cependant, l’art. 4 let. j LRDU prévoit que la perception de telles sommes constitue un revenu, à moins que le bénéficiaire ne les réinvestisse dans un délai d'un an dans une institution de prévoyance au sens de l'art. 27 let. c de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08).

À teneur de l’art. 27 let. c LIPP, sont seuls exonérés de l'impôt les prestations en capital versées par l'employeur ou par une institution de prévoyance professionnelle lors d'un changement d'emploi, lorsque le bénéficiaire les réinvestit dans le délai d'un an dans une institution de prévoyance professionnelle ou les utilise pour acquérir une police de libre-passage.

En l’espèce, les montants de CHF 110'135.- et 56'092.- ont été retirés et investis dans l’entreprise privée du père de la recourante. Ils n’ont pas été réinvestis au sens de l’une des deux hypothèses précitées, à savoir dans une institution de prévoyance professionnelle ou une police de libre-passage.

Par conséquent, la décision de l’intimé de réclamer la restitution de la bourse en CHF 16'000.- pour l’année 2016-2017 est conforme à la loi sur ce point, si bien que ce grief sera écarté, conformément à la jurisprudence constante de la chambre de céans (ATA/380/2017 du 4 avril 2017 et ATA/864/2015 du 25 août 2015).

6. Dans un second grief, la recourante conteste le montant retenu au titre de charges de loyer.

a. Ainsi que l’indique l’autorité intimée, le nombre de pièces n’a pas été réduit pour l’année 2016-2017. Le grief est infondé pour cette période.

b. Le nombre de cinq pièces a été introduit dans les calculs pour l’année scolaire 2017-2018. Or, la recourante a obtenu une bourse de CHF 15'757.- pour l’année 2017-2018, le montant maximum étant de CHF 16'000.-.

Le litige ne porte en conséquence que sur la différence de CHF 243.-.

7. a. Selon l’art. 12 al. 2 du règlement d'application de la loi sur les bourses et prêts d'études du 2 mai 2012 (RBPE - C 1 20.01), les frais de logement pris en compte sont les frais effectifs dans la limite des forfaits établis sur la base des statistiques de l'office cantonal de la statistique en fonction du nombre de pièces. Il n'est pas fait de différence selon que les parents ou les personnes en formation sont locataires ou propriétaires.

b. En l’espèce, dans sa réponse au recours, le SBPE a indiqué qu’il reconnaissait « avoir omis de prendre en compte les frais effectifs du loyer. Dès lors et à défaut d’un bail à loyer, sur présentation du tableau d’amortissement des intérêts hypothécaires ainsi que du montant acquitté pour les charges de chauffage au 31 décembre 2016, [le SBPE était] prêt à réviser le montant pris en compte pour les frais de loyer ».

La recourante n’a pas produit ces pièces dans sa réplique. La question du bien-fondé de la prise en compte du forfait peut dès lors se poser, les intérêts hypothécaires ressortant de l’avis de taxation de l’impôt fédéral direct pour 2017 étant de CHF 4’312.- pour chacun des conjoints, soit CHF 8'624.- annuels et un montant de CHF 4'756.- ayant été retenu au titre de charges et frais d’entretien de l’immeuble.

c. En l’état, le SBPE a retenu un montant forfaitaire pour un cinq pièces de CHF 25'980.-. Cette somme correspond au montant du loyer mensuel moyen pour un cinq pièces (CHF 1'804.-) selon les statistiques cantonales des loyers de mai 2016, applicables à la période concernée, majoré de 20 % conformément à l’art. 20 al. 1 let. b LBPE.

Il apparaît en conséquence, en l’état des éléments versés à la procédure, que le montant forfaitaire pourrait être supérieur aux frais encourus par les propriétaires et donc favorable à la recourante.

d. De surcroît, le calcul des pièces effectué par le SBPE n’est pas motivé. Il n’explique notamment pas comment et sur quelle base le nombre de pièces est calculé ni pourquoi il ne retient pas deux pièces pour la cuisine et le salon attenant qui semble pouvoir se fermer. Il écarte les pièces du premier étage, sans motiver sa décision. Enfin, les pièces produites par la recourante sont incomplètes.

e. La cause n’est en conséquence pas en état d’être tranchée sur ce point, à savoir ni sur la problématique de la prise en charge des frais effectifs ou du forfait, ni sur la détermination du nombre de pièces à retenir pour le forfait.

Elle sera en conséquence renvoyée à l’autorité intimée pour complément d’instruction et nouvelle décision. Au vu de l’interdiction de la reformatio in pejus, seule la question de savoir si la bourse 2017-2018 doit s’élever à CHF 15'757.- ou un montant supérieur devra être tranchée.

8. En conséquence, la décision du SBPE est fondée en ce qu’elle réclame la restitution des CHF 16'000.- pour l’année 2016-2017 et doit être confirmée sur ce point.

L’octroi de la bourse d’études pour l’année 2017-2018 en CHF 15'757.- est acquis. Seule devra à nouveau être tranchée par le SBPE la question des frais de loyer à prendre en compte pour 2017-2018 et l’incidence de cette décision sur le montant de la bourse 2017/2018 et le solde de CHF 243.- encore dû par la recourante au SBPE.

9. La procédure étant gratuite, aucun émolument ne sera prélevé (art. 87
al. 1 LPA ; art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à la recourante, qui a agi en personne et qui n’a pas exposé de frais pour sa défense, qu'elle a assurée elle-même (art. 87 al. 2 LPA).

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 juillet 2018 par Madame A______ contre la décision sur réclamation du service des bourses et prêts d’études du 28 juin 2018 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision sur réclamation du service des bourses et prêts d’études du 28 juin 2018 en tant qu’il limite à CHF 15'757.- la bourse d’études pour 2017-2018 et réclame CHF 243.- à Madame A______ ;

la confirme pour le surplus ;

renvoie la cause au service des bourses et prêts d’études pour nouvelle décision pour 2017-2018 au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame A______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :