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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1382/2021

ATA/1151/2022 du 15.11.2022 sur JTAPI/1266/2021 ( PE ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1382/2021-PE ATA/1151/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 novembre 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Andrea Von Flüe, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ, DE LA POPULATION ET DE LA SANTÉ

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 décembre 2021 (JTAPI/1266/2021)


EN FAIT

1) Madame A______, née B______ le ______ 1983, est ressortissante de Thaïlande.

2) Le 6 mars 2007, elle a épousé, en Thaïlande, Monsieur C______ A______, ressortissant suisse né le 7 juin 1966.

3) Mme A______ est arrivée à Genève le 21 juin 2007 et a été mise au bénéfice d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial.

4) Le 21 juin 2007, elle a été engagée par le restaurant « ______ » en qualité de serveuse.

5) Les 30 décembre 2009 et 8 août 2010, elle a sollicité un visa de retour afin de se rendre en Thaïlande pour passer les fêtes de fin d’année et pour voir sa famille.

6) Le 24 mars 2010, un enquêteur de l’office cantonal de la population, devenu l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), s’est rendu au domicile des époux, situé au D______. L'inscription « ______ et S. A______ 2ème ét. » figurait sur la boîte aux lettres et la porte palière. Selon la personne en charge du service de l’immeuble, le couple faisait bien ménage commun et était vu régulièrement.

7) Le 24 septembre 2012, Mme A______ a été mise au bénéfice d’une autorisation d’établissement.

8) Le 28 juin 2017, elle a sollicité un visa de retour, afin de rendre visite à sa famille en Thaïlande.

9) Le 16 mai 2018, l’entreprise individuelle « E______, A______ », ayant pour but « centre de massage traditionnel thaï », a été inscrite au registre du commerce. Mme A______ en était la titulaire avec signature individuelle. L’inscription de son époux, qui détenait une procuration collective à deux, a été radiée le 7 janvier 2019.

10) Monsieur F______, né le ______ 1988, est ressortissant du Kosovo. Il est au bénéfice d’une autorisation d’établissement dans le canton de Genève.

Le 21 octobre 2018, il a été impliqué dans un accident de la circulation, alors qu’il se trouvait au volant d’une voiture appartenant à Mme A______, qui était passagère.

11) Le 20 décembre 2018, Mme A______ a été entendue par la brigade de lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution illicite de la police genevoise en qualité de personne appelée à donner des renseignements.

Lors de son audition, elle a déclaré qu’à son arrivée en Suisse, elle avait d’abord suivi un cours de français, puis travaillé durant six ans en qualité de serveuse dans un restaurant thaï. Elle était ensuite retournée pendant deux mois en Thaïlande, afin de s’occuper de son père malade. À son retour en Suisse, elle avait travaillé en tant que réceptionniste dans un salon de massages. Fin 2015 - début 2016, elle avait ouvert son propre salon de massages (« E______, A______ »). Elle en avait été la gérante. Elle recrutait les masseuses et « C______ » s’occupait des contrats. Elle ne connaissait rien « aux documents ». Elle y apposait sa signature, lorsqu’il le lui demandait. Elle lui faisait confiance. « C______ » avait ouvert un autre salon de massage (« G______ ») deux ou trois mois avant. Elle s’était également chargée du recrutement des masseuses. Elle avait précisé à « C______ » qu’elle ne voulait pas que les salons offrent des prestations sexuelles. « M. F______» était son compagnon. Ils étaient ensemble depuis trois ans et habitaient sous le même toit. Cela faisait dix ans qu’elle ne vivait plus avec « C______ ». Elle avait vécu avec lui durant seulement deux ans, mais son adresse avait toujours été enregistrée chez lui. Cela faisait dix ans qu’ils n’entretenaient plus de relation amoureuse et étaient amis. « C______ » s’occupait de la gestion administrative du salon et gérait également « tout l’argent ». Ils n’avaient jamais parlé de divorce. « Ce n’[était] pas qu’[elle] ne [voulait] pas divorcer, mais [ils] n’en av[aient] jamais parlé ». Elle ne connaissait pas la loi suisse à ce sujet. Elle ne percevait pas de salaire. En échange de son travail, elle avait demandé à « C______ » de lui donner un peu d’argent, de temps en temps, et de payer ses factures. Pour le surplus, elle a été questionnée sur le fonctionnement des salons, la nature des prestations offertes et les tarifs pratiqués ainsi que la répartition des tâches et les aspects financiers.

Il ressortait du procès-verbal d’audition que sa « langue maternelle parlée » était le thaï et qu’elle avait été assistée de son conseil et d’une traductrice, Madame  H______ (laquelle figure – en tant que traductrice et interprète en langue thaïe – au registre des interprètes et des traducteurs autorisés à fournir des prestations aux juridictions du Pouvoir judiciaire).

12) Le 11 janvier 2019, Mme A______ et M. F______ ont été entendus par la police suite à l’accident de circulation survenu le 21 octobre 2018.

Mme A______ a notamment déclaré qu’elle était arrivée en Suisse en 2007, soit l’année de son mariage avec son « ex-époux ». Elle avait encore des liens avec la famille de ce dernier, qu’elle voyait pour les fêtes de fin d’année et pour les anniversaires. Elle n’avait pas d’enfant. M. F______ était son compagnon.

Ce dernier a notamment confirmé que Mme A______ était sa « copine » et qu’ils vivaient ensemble.

À teneur des procès-verbaux d’audition, ils étaient domiciliés au I______. En outre, la langue maternelle de Mme A______ était le thaï ; elle parlait aussi anglais et avait donné son accord à ce que l'interprétation soit effectuée par un policier, en la personne de Monsieur J______.

13) Le 6 septembre 2019, l’entreprise individuelle « E______, A______ » a été radiée du registre du commerce, « par suite de remise de l’exploitation ».

En parallèle, le même jour, « E______ », ayant pour but l’« exploitation d’un centre de massage traditionnels thaïs », a été inscrite au registre du commerce. Elle a repris les affaires de ladite entreprise individuelle. M. et Mme A______ en sont, respectivement, les associé (sans signature) et associée gérante (avec signature individuelle).

14) Le 26 septembre 2019, M. A______ a sollicité le regroupement familial en faveur de L______, fils de son épouse, qui, âgé de 16 ans, était arrivé en Suisse le 3 juillet 2019 au bénéfice d’un visa valable trois mois.

15) Le 28 janvier 2020, l’OCPM a transmis cette demande au secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour en application des art. 43 et 47 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).

16) Par courrier du 13 février 2020, le SEM a indiqué à l’OCPM qu'il ne lui était pas possible de se prononcer en toute connaissance de cause et a sollicité diverses pièces justificatives et mesures d’instruction. Il ressortait en effet du rapport de renseignements du 11 janvier 2019 que Mme A______ était séparée de son époux, qu’elle ne résidait plus au domicile conjugal, qu’elle vivait avec son compagnon, M. F______, et qu’elle n’avait pas d’enfant. Il convenait ainsi de clarifier la situation matrimoniale des époux A______, qui étaient censés vivre ensemble au domicile conjugal.

17) Interpellée à cet égard par l’OCPM le 20 février 2020, Mme A______ a indiqué, par courrier du 16 mars 2020, qu’elle n’était « aucunement séparée de [s]on époux ». Elle s’était rendue à plusieurs reprises en Thaïlande pour de courts séjours et pour des raisons familiales liées à la situation de son fils, qui vivait avec sa
grand-mère, mais qui était « pratiquement » livré à lui-même. Il était retourné en Thaïlande à l’échéance de son visa. Elle-même avait séjourné en Thaïlande du 25 juin au 3 juillet 2019 et du 1er octobre 2019 au 13 janvier 2020. Quant à son époux, il s’y était rendu le 23 janvier 2020 et y avait séjourné jusqu’au 10 mars 2020. Ce dernier s’était alors chargé des démarches administratives concernant son fils, notamment auprès de l’ambassade de Suisse. Lors de leurs séjours, ils avaient remis de l’argent à L______.

18) Par courrier du 15 mai 2020, adressé à Mme A______ au I______, le SEM, rappelant la portée des art. 51 al. 2, 43, 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a LEI, l’a informée de son intention de refuser de donner son approbation à l’octroi d’une autorisation d’entrée et de séjour en faveur de son fils, considérant que « tout portait à croire » qu’elle était séparée de son époux depuis plusieurs années et qu’elle vivait avec son compagnon, M. F______. Cette séparation ressortait 1) des déclarations de son époux, qui avait été entendu le 13 décembre 2018 par les services genevois dans une affaire d’encouragement à la prostitution, d’usure et d’emploi d’étrangers sans autorisation ; 2) de ses propres déclarations des 20 décembre 2018 ; 3) de celles du 11 janvier 2019 lors de son audition suite à un accident de la circulation et de celles faites par M. F______ à cette même date. De plus, le 19 septembre 2019, L______ avait publié, sur sa page Facebook, une photographie prise depuis le logement qu’elle occupait avec M. F______ et ce dernier avait publié, le 9 octobre 2019, sur sa propre page Facebook, une nouvelle photographie de couverture manifestement prise en Thaïlande, sur laquelle il apparaissait aux côtés de l’intéressée. Or, lorsque l’OCPM l’avait interpellée, elle avait nié être séparée de son époux et ses déclarations étaient « fortement sujettes à caution ». Elle faisait manifestement défaut à son obligation de collaborer prévue à l’art. 90 LEI et avait également fait de fausses déclarations et dissimulé des faits essentiels à la procédure. Conformément à l’art. 51 al. 2 LEI, elle ne pouvait pas se prévaloir de l’art. 43 LEI pour solliciter le regroupement familial en faveur de son fils. Un délai au 26 juin 2020 lui était imparti pour exercer son droit d’être entendue.

19) Par courrier du 7 août 2020, l’OCPM a informé Mme A______ de son intention de proposer au département de la sécurité, de la population et de la santé (ci-après : DSPS) la révocation de son autorisation d’établissement et le prononcé de son renvoi de Suisse.

L'autorité reprenait, s’agissant de la réalité de la séparation de l'intéressée avec son époux, les déclarations de l'intéressée des 20 décembre 2018 et 11 janvier 2019, ainsi que celles de M. F______ à la même date, relevant également que, selon le registre cantonal « Calvin », ce dernier résidait chez elle au I______. Il apparaissait ainsi clairement que, lors de l’octroi de son autorisation d’établissement, le 24 septembre 2012, elle était séparée de son époux de « longue date », soit depuis 2008. Partant, si cette information avait été connue, l’autorisation d’établissement ne lui aurait pas été délivrée. Elle n’avait à aucun moment communiqué cette information et, lorsqu’elle avait été questionnée à ce sujet, elle avait affirmé, par courrier du 16 mars 2020, qu’elle n’était aucunement séparée. Elle avait fait de fausses déclarations, en totale contradiction avec celles enregistrées par la police genevoise. Elle remplissait ainsi les conditions objectives permettant la révocation de son autorisation d’établissement (art. 63 al. 1 let. a et 62 al. 1 let. a LEI). En outre, dans la mesure où la séparation du couple datait de 2008, l’union conjugale avait duré moins de trois ans. Partant, elle ne remplissait pas les conditions de l’art. 50 al. 1 let. a LEI et aucune raison personnelle majeure au sens de l’art. 50 al. 1 let. b LEI ne justifiait la poursuite de son séjour en Suisse. Enfin, âgée de 37 ans à l'époque, elle était en bonne santé et avait de la famille dans son pays d’origine, où vivait son fils mineur. Il lui serait ainsi facile de s’y réintégrer. Au surplus, l’exécution de son renvoi apparaissait a priori possible, licite et exigible. Un délai de trente jours lui était imparti pour exercer son droit d’être entendue.

20) Par courrier du 13 août 2020, le SEM a fait savoir à Mme A______ qu'il suspendait la procédure concernant son fils jusqu’au prononcé de la décision des autorités genevoises quant à ses conditions d’établissement en Suisse.

21) Le 7 septembre 2020, se référant au courrier précité, qui « se rapport[ait] notamment à une transcription par la police des déclarations qu’aurait faites [s]on épouse » lors de son audition par la police en 2018, M. A______ a communiqué divers renseignements à l’OCPM, dans la mesure où il n’avait pas été interrogé et que la police ne lui avait pas demandé de précisions s’agissant de son mariage.

Ainsi, de 2007 à 2015, il avait vécu avec son épouse au D______. Ils avaient tenté de fonder une famille, mais elle avait fait une fausse couche en 2011. Ce n'était qu’en 2017 qu’elle avait conclu un contrat de bail à son nom, portant sur un logement sis au I______. Contrairement à ce qui ressortait du rapport de police, ils n’étaient pas séparés depuis dix ans lorsqu’elle avait été entendue par la police en 2018 dans le cadre d’une affaire qui le concernait, lui, et non son épouse. Il avait d’ailleurs été totalement « disculpé » par le Ministère public des faits qui lui étaient reprochés. S’agissant de cette audition, son épouse lui avait fait part non seulement de ses propres problèmes de compréhension, mais également de celles auxquelles l’interprète avait été confrontée. À cet égard, « les modalités de transcription écrite des échanges verbaux se déroulant lors des auditions géné[raient], que cela soit intentionnel ou non, des biais de transcription imputables tant à l’acte de réécriture par les inspecteurs des énoncés produits dans une situation d’échange verbal, qu’à la fidélité et à la conformité discutable du travail de traduction réalisé par l’interprète qui ne sembl[ait] pas être au bénéfice d’un diplôme d’une Faculté universitaire de traduction et d’interprétation reconnue ». La police ne lui avait d’ailleurs pas demandé la date à laquelle son épouse avait quitté le domicile conjugal, ni celle depuis laquelle elle était domiciliée au I______. Entre 2007 et 2015, il avait soutenu financièrement Madame M______, mère de son épouse, par des virements quasi mensuels. Durant ces années, ils étaient également partis ensemble en vacances en Thaïlande, prenant les mêmes vols, notamment le 7 février 2013, soit postérieurement à l’obtention de son titre de séjour en 2012. Il avait demandé des justificatifs auprès des compagnies aériennes et les transmettait à l'autorité. Par ailleurs, son épouse vivait à Genève depuis treize ans. Elle était très bien intégrée et n’avait jamais eu de démêlés avec la justice. Elle avait créé une société, qui regroupait deux centres de massages. La révocation de son titre de séjour conduirait à la cessation des activités de la société et à la perte d’emploi d’une dizaine de personnes. Il sollicitait son audition et celle de son épouse, afin d’apporter des compléments d’information.

Il joignait un document intitulé « Biais d’une transcription d’une conversation entre une personne allophone (Mme A______) et une personne de langue maternelle française ».

22) Par courrier du 7 septembre 2020 à l’OCPM, Mme A______ a précisé que, lors de son audition par la police, le 20 décembre 2018, elle était assistée d’une interprète, qui n’était manifestement pas diplômée et qui avait rencontré des difficultés à traduire correctement ses propos, en raison d’un manque de compétence et d’une différence de dialecte thaï. Son conseil avait d’ailleurs dû intervenir à plusieurs reprises. De plus, dans la mesure où son audition n’avait pas de lien avec son statut légal en Suisse, elle n’avait pas « jugé utile » de se montrer plus précise au sujet du nombre d’années effectives de la vie conjugale avec son époux. Cela étant, il était exact qu’elle vivait séparée de son époux depuis plusieurs années, mais son union avait duré plus de deux ans. La vie conjugale avait pris fin en 2015. Ils étaient toutefois toujours mariés et restaient très proches, malgré l’absence de vie conjugale. Ils travaillaient ensemble. Elle exploitait un établissement, dont il gérait les aspects administratifs. Lorsqu’elle avait indiqué, dans son courrier du 16 mars 2020, qu’elle n’était « aucunement séparée de son époux », elle entendait, par cette affirmation, « être toujours mariée et ne pensait pas nécessaire de préciser quelle était la nature de leur relation, étant toujours mari et femme domiciliés à la même adresse ». Dans la mesure où son époux s’occupait de tous les aspects administratifs qui la concernaient, tant sur le plan privé que professionnel, ils n’avaient pas déclaré un domicile séparé, car le « centre de ses intérêts » demeurait au domicile conjugal pour tout ce qui touchait lesdits aspects.

Les photographies qu'elle produisait démontraient qu’ils étaient toujours en couple « au moins jusqu’en 2015 ». Son époux avait également effectué des virements bancaires réguliers en Thaïlande en faveur de sa mère, de 2008 à 2012. En outre, ils avaient consulté un gynécologue en 2011, soit quatre ans après leur mariage, car elle était enceinte, ce qui démontrait qu’ils étaient encore en couple à cette époque. Ils n’avaient toutefois pas pu fonder de famille, car elle avait fait deux fausses couches, lesquelles avaient conduit à leur séparation. Elle avait formé une communauté de toit, de lit et de table avec son époux jusqu’en 2015 « au moins », soit durant huit ans environ. Elle n’avait simplement pas procédé à une « actualisation de son lieu de domicile », démarche qui ne paraissait pas nécessaire, compte tenu de la particularité de leur situation. Cependant, s’il devait être considéré que l’union conjugale avait pris fin plus tôt, il ne pourrait être retenu, compte tenu des pièces produites, que cette rupture serait antérieure à 2011-2012, de sorte que l’union conjugale aurait duré « au moins » quatre ou cinq ans. Or, « la dissolution d’une union d’une telle durée n’entraîn[ait] pas nécessairement la révocation du titre de séjour accordé en vertu du regroupement familial ». En tout état, l’union conjugale avait duré « un temps suffisant pour que son autorisation d’établissement ne soit pas révoquée, de moins que son permis de séjour de l’époque soit prolongé ». Enfin, cela faisait treize ans qu’elle séjournait en Suisse. Elle était financièrement indépendante et parfaitement intégrée. Son entreprise employait une dizaine de personnes. En outre, malgré leur séparation, elle continuait à entretenir une relation très étroite avec son époux et la famille de
celui-ci. Dans ces circonstances, son renvoi paraissait disproportionné.

Elle a notamment joint les pièces suivantes :

- deux copies de photographies datées des 24 décembre 2009 et 15 février 2010, ainsi que six copies de photographies d'un écran d’ordinateur affichant des photographies datées des 25 décembre 2010, 25 décembre et 1er janvier 2011, 23 décembre 2013, 14 et 15 décembre 2014 la montrant notamment aux côtés d’un homme, dont l’une prise vraisemblablement lors d’un repas de famille ;

- des justificatifs de versements effectués par M. A______ en faveur de « M______ », en Thaïlande, entre août 2007 et juin 2015 ;

- un certificat médical établi le 27 août 2020 par le Docteur N______, certifiant que Mme A______ était « venue avec son mari pour grossesse en 2011 qu'elle était accompagnée de son mari C______ A______ qu’ils vivaient ensemble au D______ » (sic).

23) Par décision du 10 mars 2021, prise en application de l’art. 62 al. 1 let. a LEI, par renvoi de l’art. 63 al. 1 let. a LEI, le DSPS a révoqué l’autorisation d'établissement de Mme A______ avec effet rétroactif au jour de sa délivrance et a prononcé son renvoi, lui impartissant un délai au 30 juin 2021 pour quitter la Suisse.

Il ressortait du dossier que, lors de l’octroi de son autorisation d’établissement, le 24 septembre 2012, elle était déjà séparée de son époux. Elle n’en avait jamais informé l’OCPM et, lorsque celui-ci l’avait questionnée à ce sujet, en se fondant notamment sur les courriers du SEM et des procès-verbaux d’audition de police, elle avait même persisté à le nier. Elle n’avait pas respecté son obligation de renseigner et avait cherché à tromper l’autorité sur le caractère stable et durable de sa relation vécue en Suisse avec son époux, qui lui avait donné le droit d’obtenir une autorisation de séjour en 2007, puis une autorisation d’établissement en 2012.

Elle avait ainsi voulu maintenir, à l’égard des autorités suisses, une fausse apparence sur un élément ayant une incidence essentielle sur l’examen de ses conditions de séjour devant conduire à la révocation de son autorisation d’établissement. Elle avait sciemment induit en erreur l’OCPM, qui ne lui aurait pas délivré une autorisation d’établissement, ou à tout le moins pas en 2012, s’il avait eu connaissance de la séparation.

Par ailleurs, la durée de son séjour de plus de dix ans en Suisse n’était pas déterminante, dès lors qu’elle avait été rendue possible par le biais de fausses déclarations et la dissimulation de faits essentiels. Pour ces mêmes motifs, son intégration pouvait être pondérée, car elle n’avait pas fait preuve d’une ascension professionnelle telle qu’un retour dans son pays ne pouvait être exigé d’elle. Son intégration ne pouvait en tous cas pas justifier, à elle seule, la poursuite de son séjour. De plus, elle avait vécu l’essentiel de sa vie en Thaïlande, où vivait son fils. Elle s’y était d’ailleurs régulièrement rendue, si bien que son retour n’y serait pas insurmontable. Enfin, le législateur poursuivait une politique migratoire restrictive et il existait un intérêt public à ce que les règles sur le séjour qui en découlaient soient respectées et que les étrangers ne puissent pas être récompensés de leurs mensonges en conservant une autorisation obtenue sur la base de fausses déclarations. Au surplus, le dossier ne faisait pas apparaître que l’exécution de son renvoi ne serait pas possible, pas licite ou qu’elle ne pourrait être raisonnablement exigée.

24) Par acte du 22 avril 2021, Mme A______ a recouru contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant, au maintien de son autorisation d’établissement, subsidiairement à ce qu’une autorisation de séjour lui soit accordée « au sens de l’art. 33 LEI ».

Elle s’étonnait du fait que l’OCPM et le SEM aient eu accès au procès-verbal de son audition par la police. Ce procès-verbal leur avait été transmis « de manière illicite », dès lors que les conditions de l’art. 101 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0), soit notamment l’existence d’une procédure pendante à l’époque, n’étaient pas remplies. La décision attaquée devait être annulée, car elle reposait sur des moyens de preuve issus d’un procès-verbal obtenu illicitement, par conséquent inexploitables. Par ailleurs, l’autorité intimée avait procédé à une appréciation « biaisée » du dossier en se fondant essentiellement sur les déclarations qu’elle aurait faites à la police. Or, elle les contestait catégoriquement (pour les motifs déjà invoqués par son époux au sujet des qualifications de l’interprète qui l'avait assistée devant la police). À cela s’ajoutait l’état d’anxiété extrême dans lequel elle se trouvait lors de cette audition, compte tenu de la procédure pénale dirigée contre sa société et de l’arrestation de son époux. Son conseil, qui l’assistait, ignorait alors sa situation conjugale, de sorte qu’il ne savait pas que les déclarations protocolées n’étaient pas conformes à la vérité. Il avait relu le procès-verbal qu’elle avait signé, mais, compte tenu des circonstances, sa signature ne pouvait impliquer qu’elle confirmât l’entier de ses propos. Lors de cette audition, qui n’avait aucun lien avec sa relation conjugale, elle avait répondu de manière vague aux questions qui s’y rapportaient. En tout état, l’autorité intimée n’avait aucunement pris en compte les preuves qu’elle avait produites, soit notamment sa grossesse en 2011, le témoignage de son époux ou les versements effectués par celui-ci en Thaïlande en faveur de sa mère. Or, le simple fait qu’ils avaient des intérêts communs ne permettait pas de retenir que son époux s’était livré à de fausses déclarations.

Par ailleurs, dans la mesure où elle « prétend[ait] » que la séparation d'avec son époux avait eu lieu en 2015, elle aurait tout de même pu bénéficier de son autorisation d'établissement, si elle avait annoncé ladite séparation à l'époque. En 2015, elle comptabilisait sept années de vie conjugale en Suisse. Elle aurait déjà pu prétendre à un tel titre de séjour en 2012 et une séparation de fait, survenue en 2015, n’aurait certainement pas conduit à la révocation de son autorisation d’établissement. Elle n’avait aucunement cherché à dissimuler « quoi que ce soit » aux autorités, mais avait simplement omis d’annoncer son changement d’adresse.

En outre, même si l’OCPM avait révoqué son autorisation d’établissement en 2015 en raison de sa séparation, il n’aurait eu aucun motif de refuser le renouvellement de son autorisation de séjour, dès lors que les conditions de l’art. 50 al. 1 let. a LEI auraient été remplies. Il était ainsi choquant qu’il refusât désormais de lui accorder une autorisation de séjour. Enfin, la décision litigieuse était disproportionnée compte tenu de son intégration en Suisse, de la durée de son séjour et de ses attaches, parmi lesquelles comptaient non seulement son époux, avec lequel elle entretenait toujours une relation étroite, mais également la personne avec laquelle elle vivait en « concubinage qualifiée depuis au moins 2017 » (sic), et qui était titulaire d’une autorisation d’établissement.

25) Dans ses observations du 8 juin 2021, le DSPS a conclu au rejet du recours.

Le motif de révocation de l’autorisation d’établissement, prévu aux art. 63 al. 1 let. a et 62 al. 1 let. a LEI, était réalisé. En omettant sciemment de signaler la fin de son union conjugale en 2008 déjà, l’intéressée avait dissimulé des faits essentiels, qui avaient conduit à la poursuite de son séjour en Suisse, respectivement à la délivrance indue de son autorisation d’établissement. En outre, elle « n’emport[ait] au demeurant pas conviction lorsqu’elle minimis[ait] a posteriori les indications qu’elle a[vait] fournies par-devant la police judiciaire », étant rappelé que, selon la jurisprudence, en présence de déclarations contradictoires, la préférence devait être accordée à celles faites en premier.

26) Mme A______ a répliqué le 6 juillet 2021.

Les déclarations qu’elle avait faites après son audition par la police n’étaient pas « le produit de réflexions ultérieures ». Il s’agissait d’éléments de faits établis par des pièces probantes, dont l’autorité intimée n’avait aucunement tenu compte. Elle a repris en substance les arguments qu’elle avait déjà fait valoir en lien avec son audition par la police et a sollicité son audition, ainsi que celle de MM. A______ et F______.

27) Le 28 juillet 2021, le DSPS a indiqué ne pas avoir d’observations complémentaires à formuler.

28) Par jugement du 14 décembre 2021, le TAPI a rejeté le recours.

Il ressortait du dossier, en particulier du procès-verbal d'audition à la police du 20 décembre 2018, qu'à la date de la délivrance de l'autorisation d'établissement le 24 septembre 2012, à tout le moins, la communauté conjugale que l'intéressée formait avec son époux n'était plus vécue. Lors de son audition, elle avait clairement indiqué, en bref, que cela faisait dix ans qu'elle ne vivait plus avec son époux (ce qui laissait sous-entendre que leur communauté avait pris fin en 2008), qu'ils n'entretenaient plus de relation amoureuse même s'ils n'avaient jamais parlé de divorce, qu'elle avait vécu avec lui pendant seulement deux ans, que son adresse était toujours enregistrée afin de simplifier les démarches administratives liées aux sociétés qu'ils détenaient en commun, qu'ils étaient (seulement) amis, qu'elle était en couple depuis trois ans avec M. F______, avec qui elle vivait.

À nouveau entendue par la police le 11 janvier 2019, elle avait notamment déclaré que M. F______ était son compagnon actuel, ce que ce dernier avait confirmé, précisant qu'ils vivaient ensemble, ce qui ne l'avait pas empêchée d'avoir encore des liens avec la famille de son « ex-époux », qu'elle voyait pour les fêtes de fin d'année et pour les anniversaires.

Contrairement à ce qu'elle soutenait, ces moyens de preuve n'avaient pas été obtenus illicitement, mais avaient été communiqués à l'OCPM par le SEM dans le cadre de l'assistance administrative et de l'obligation de communiquer prévues par la loi.

Aucun élément ne permettait de s'écarter de ces déclarations faites alors qu'elle en ignorait les conséquences juridiques, au profit de celles qu'elle avait pu faire subséquemment, lesquelles n'apparaissaient pas crédibles.

En omettant d'informer l'OCPM, d'une part du fait que la communauté conjugale effectivement vécue avec son époux avait déjà pris fin lorsque l'autorisation d'établissement lui avait été octroyée, et d'autre part, du fait qu'elle entretenait, à tout le moins depuis 2015, une relation durable avec M. F______, elle avait cherché à tromper l'OCPM sur le caractère stable de sa relation avec son époux, ce qui réalisait le motif de renvoi prévu par l'art. 62 let. a LEI, par renvoi de l'art. 63 al. 1 let. a LEI.

29) Par acte expédié le 31 janvier 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative), Mme A______ a recouru contre ce jugement. Elle a conclu, principalement, à son annulation, au maintien de son autorisation d'établissement, subsidiairement à l'octroi d'un permis de séjour. Elle sollicitait en outre, sa propre audition, celle de M. A______, celle de M. F______, ainsi que celle de Mme H______.

Le TAPI avait violé son droit d'être entendue sous l'angle de l'obligation de motiver en n'examinant pas certaines preuves telles que l'attestation « de grossesse » du Dr N______, gynécologue, ou encore les déclarations du 24 mars 2010 de la gérante de l'immeuble sis D______, selon lesquelles M. et Mme A______ étaient à l'époque « vus ensemble et faisaient ménage commun ».

Elle lui faisait également grief de violer les art. 34 al. 2, 43 al. 2, 50 al. 1, 58a al. 1 LEI ainsi que le principe de la proportionnalité.

Elle reprenait, pour le surplus et en substance les arguments invoqués en première instance, maintenant, en bref, des erreurs de traduction par Mme H______ lors de l'audition du 20 décembre 2018 et réaffirmant la fin de sa vie commune avec M. A______ en 2015 et non en 2008 comme le retenait, à tort, l’instance précédente.

30) Le 15 février 2022, le DSPS a conclu au rejet du recours et s'est référé à ses observations produites en première instance ainsi qu'au jugement querellé, les arguments de la recourante étant, en substance, les mêmes.

31) Mme A______ ne s'est pas déterminée dans le délai imparti au 4 mars 2022 pour une éventuelle réplique.

32) Une audience de comparution personnelle des parties et d’enquêtes s’est tenue le 1er septembre 2022.

D’entente avec la recourante et son conseil, l’audience s’est déroulée en l’absence d’un interprète en langue anglaise, la demande ayant été formulée tardivement.

a. Mme A______ a déclaré avoir vécu avec son mari à D______ de 2007 jusqu’à 2017, mais ils avaient fait chambre séparée à partir de 2015. Elle avait déménagé en 2017. Elle s’était mise en couple avec M. F______ en 2017 aussi. Elle n’en avait pas informé l’OCPM car elle ne savait pas comment cela se passait en Suisse et qu’elle « ne connaissait pas les lois ». La réponse écrite à l’OCPM en 2020 avait été rédigée avec un ami thaï, non avec M. F______, très occupé, ni avec son mari qui voyageait beaucoup. Ce dernier avait toutefois vu le courrier et s’était dit d’accord avec les réponses. Elle ne vivait plus avec M. F______, lequel avait maintenu son adresse officielle au I______, où il avait laissé des affaires et dont il prenait encore en charge la moitié du loyer. Elle pouvait demander à des voisins de venir témoigner de sa présence à D______ jusqu’en 2017.

Elle était propriétaire de trois sociétés avec son mari, deux de massages et une épicerie. Son activité l’occupait à plein temps. Il y avait deux employés à l’épicerie, huit chez E______ et G______. Elle payait ses impôts et n’avait pas de dettes. Elle n’avait pas de compte en banque ni de carte bancaire, pas même pendant l’épidémie de Covid-19, car elle ne savait pas « comment ça marche ici. C’est tout mon mari qui fait pour moi et qui me donne chaque mois du cash et paie mes factures ». Elle utilisait les comptes de la société. Elle avait travaillé dès son arrivée, d’abord comme salariée, pour un salaire mensuel de CHF 3'400.-, payé en liquide. C’était son mari qui s’occupait d’envoyer, pour elle, de l’argent en Thaïlande. Elle lui donnait tout son salaire.

Depuis l’ouverture du salon en 2015-2016, ils avaient un accord pour qu’il lui donne environ CHF 8'000.- par mois. « Il ne prend pas beaucoup d’argent sur les salons de massage ».

Elle était seule à donner de l’argent pour des versements en Thaïlande. Les montants dépendaient notamment des frais de médecin pour sa mère. Ils pouvaient parfois se monter à CHF 2'200.- par mois environ. Elle avait parfois transféré de l’argent pour son fils, les transactions étant faites au nom de sa mère. Il s’agissait d’environ CHF 300.- par mois.

Avant la création de l’entreprise, l’argent envoyé en Thaïlande provenait de leur compte. Depuis que l’entreprise existait, il était « tiré de l’entreprise ».

Sur question du juge, elle ignorait ce qui avait justifié les transferts en Thaïlande d’environ CHF 50'000.- entre le 6 avril et octobre 2009. Elle n’avait jamais envoyé autant d’argent. Elle ne s’en occupait pas et n’avait jamais gagné cet argent. La question se posait de savoir si les montants n’étaient pas en BHT, soit la monnaie thaïe.

Son fils vivait en Thaïlande. Il était venu en Suisse une année et en était reparti en 2020 environ. Il avait logé chez elle. M. F______ n’était alors pas là. La dernière fois qu’elle était allée en Thaïlande, où vivaient son fils et sa mère, datait de trois ans auparavant. Elle n’avait pas revu son enfant depuis.

Le contenu du procès-verbal du 20 décembre 2018 était erroné. Elle avait dit qu’elle ne vivait plus avec son mari depuis deux ans et il avait été noté, à tort, « depuis dix ans ». Il y avait eu des problèmes avec la traductrice. C’était son mari qui avait vu les erreurs après son audition. Le couple n’avait toutefois pas réagi.

b. L’avocat de la recourante a précisé avoir été présent lors de cette audition. Il s’était constitué peu avant et n’était pas en possession des informations nécessaires qui lui auraient permis de rectifier les malentendus, en audience ou avant la signature du procès-verbal.

c. Monsieur N______, médecin gynécologue, connaissait Mme A______ depuis 2011. Il ne l’avait vue qu’une seule fois. Entre septembre 2021 et Pâques 2022, il avait pointé tous ses dossiers pour savoir lesquels pouvaient être détruits ou restitués aux patients, au vu de son départ à la retraite. Tout ce qui avait plus de dix ans avait été détruit. À ce jour, il n’avait plus rien concernant Mme A______. Il confirmait son attestation du 27 août 2020, possédant à cette date encore le dossier. Il avait rédigé ladite attestation en fonction de ce qu’il détenait comme information, à savoir qu’en 2011, Mme A______ était enceinte. Il semblait que cette grossesse était désirée et que le couple était content. Il avait eu « la fin de l’histoire » lorsque le compagnon de Mme A______, qu’il avait vu en 2011, l’avait contacté pour avoir cette attestation. Il semblait qu’elle ait fait une fausse couche et qu’elle ait alors été suivie aux HUG.

d. Entendu à titre de renseignements, M. A______ a indiqué que le couple avait vécu dans le même appartement de 2007 à 2017. Ils avaient fait chambre séparée à partir de 2015.

Le couple était propriétaire d’K______, depuis 2018 environ. C’était principalement lui qui chapeautait les aspects financiers. Ils s’arrangeaient entre eux, ayant totale confiance l’un envers l’autre. À son arrivée, son épouse avait travaillé environ cinq ou six ans dans un restaurant. Elle devait gagner environ CHF 3'300.- bruts par mois. Il ne se souvenait plus si le salaire était versé sur son compte à elle ou sur le sien. Vers 2015-2016, ils avaient décidé de monter leur entreprise. Ils avaient un compte d’entreprise commun à Postfinance. Ils géraient les dépenses courantes ensemble. Elle était libre de tirer sur la carte ou de payer en espèces. Elle gérait parfaitement ces aspects-là.

Il s’occupait de faire les virements en Thaïlande en faveur de sa belle-mère, d’entente avec son épouse. Les montants variaient entre CHF 700.- et CHF 2'000.-. Encore actuellement, le couple procédait à des versements. Les montants provenaient de leur argent commun. Il était possible qu’il y ait eu des versements supérieurs à CHF 10'000.-. Il n’avait toutefois pas souvenir de nombreux versements. Une cérémonie funéraire, des circonstances difficiles ou un bénéfice intéressant aurait pu justifier des versements supérieurs à la moyenne.

Le père de son épouse était décédé en 2015. Sur place, il restait le fils et la mère, malade, de sa femme ainsi qu’un oncle.

La gestion commune financière avait perduré au-delà de leur séparation, puisqu’ils étaient associés dans la Sàrl et qu’un rapport de confiance les unissait. Ce système fonctionnait à leur totale satisfaction mutuelle. Les remises en espèces ou possibilités d’utilisation d’une carte convenait à son épouse. L’entretien de celle-ci, tout compris, y compris le loyer, devait représenter mensuellement environ CHF 6'000.-/CHF 7'000.-, sans compter les versements à sa famille. Il gérait tout le volet administratif de la société. Elle était au courant de la marche de celle-ci et des montants encaissés en sa qualité de manager. Elle s’occupait du côté humain des relations avec le personnel et la gestion des lieux.

Il s’occupait aussi des factures, assurance-maladie, téléphone, loyer, etc. de sa femme et réglait tous ses frais. Il payait l’entier du loyer de l’appartement sis à I______.

Il avait pu lire le procès-verbal de l’audition de son épouse du 20 décembre 2018. Il avait été stupéfait de son contenu. En décembre 2018, elle avait quitté leur domicile commun depuis deux ans. Il ne s’expliquait les erreurs au procès-verbal que par un gros problème de traduction et de reformulation en lien avec l’interprète. Lors de sa propre audition, la même interprète était présente. Il avait pu constater qu’il lui avait fallu cinq minutes pour répondre à la question de savoir qui avait engagé la masseuse. Les compétences de l’interprète n’étaient pas à la hauteur des enjeux. Il était persuadé que son épouse n’avait jamais tenu les propos qui avaient été verbalisés le 20 décembre 2018.

Il endossait la responsabilité de n’avoir pas signalé à son épouse qu’ils devaient faire des démarches en cas de fin de vie commune en 2017. Il ignorait que c’était nécessaire pour un titulaire d’un permis C.

Ils s’étaient mariés par amour et avaient essayé de fonder une famille. Ils avaient été confrontés à une fausse couche en 2011. C’était une blessure commune. Aucune procédure de divorce n’était en cours. Ils ne l’avaient pas non plus évoquée. Ils n’étaient pas dans une rupture affective de la relation. Ils se voyaient tous les jours. Peut-être pourraient-ils même se remettre ensemble.

Ils n’avaient pas annoncé leurs domiciles séparés à l’administration fiscale cantonale et faisaient une déclaration commune. Ceci était dû à leur entreprise, des activités communes et leurs liens réguliers.

e. M. F______ avait rencontré Mme A______ vers fin 2015. Elle habitait à ______ avec son mari. Ils s’étaient mis en couple environ fin 2016/début 2017, avaient habité ensemble à partir de début 2017 et s’étaient séparés en 2021. Il avait encore des affaires dans l’appartement à I______. Il passait parfois pour prendre une douche et chercher quelques habits. Il était obligé de continuer à payer la moitié du loyer. Ils n’avaient pas partagé de frais ni de compte. M. A______ remettait de l’argent liquide à son épouse. Il ignorait combien. Mme A______ avait son fils et sa mère en Thaïlande. Il avait rencontré celui-là « vite fait » quand il était venu en Suisse. Il avait quitté le logement à I______ pendant le séjour du fils de Mme A______, soit environ deux mois. Il ignorait les causes de la rupture avec M. A______.

33) Dans ses écritures après enquêtes, la recourante a relevé que les témoins avaient confirmé ses allégués. Aucun élément du dossier ne permettait de considérer que le couple s’était séparé après deux ans. De surcroît, selon une enquête de l’OCPM en 2010, le couple vivait ensemble. Son permis d’établissement n’aurait pas été affecté par l’annonce d’une séparation en 2015, puisqu’elle avait vécu maritalement avec un ressortissant suisse pendant huit ans. À aucun moment l’OCPM n’avait envisagé la révocation de son autorisation d’établissement, d’autant moins que sa situation financière était saine, qu’elle ne faisait l’objet d’aucune poursuite et n’avait jamais sollicité l’assistance publique. Il n’était pas raisonnable de soutenir que la recourante avait induit les autorités administratives en erreur. La seule incidence résidait au plan fiscal. Or, rien ne permettait d’affirmer que les époux auraient par ce biais bénéficié d’avantages fiscaux. La position de l’autorité intimée violait le principe de la proportionnalité et ne retenait pas son excellente intégration, notamment sur le plan entrepreneurial. La décision querellée se fondait sur un mauvais établissement des faits.

34) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

35) Le contenu des pièces sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante a sollicité son audition ainsi que celle de son époux, de M. F______ et de Mme H______, interprète en langue thaïe, lors de l’audition du 20 décembre 2018.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l’espèce, il a été donné suite aux requêtes de la recourante, à l’exception de l’audition de l’interprète. Il apparaît en effet peu probable que son témoignage puisse avoir une force probante importante. Non seulement le témoin devrait admettre s’être trompée ou qu’elle ait eu des difficultés à traduire, ce qui apparaît peu probable, mais il s’agirait qu’elle se rappelle une déclaration précise, faite il y a quatre ans. Au vu des difficultés en lien avec ce témoignage, et des considérants qui suivent, il y sera renoncé. Pour le surplus, le dossier est complet.

3) La recourante fait grief au TAPI d'avoir violé son droit d'être entendue sous l'angle de l'obligation de motiver. En particulier, elle estime qu'il aurait dû tenir compte de l'attestation du Dr N______ relatif à sa grossesse en 2011 et du rapport d'enquête de l'OCPM du 24 mars 2010 contenant les affirmations de la gérante de l'immeuble selon lesquelles « le couple faisait bien ménage commun et était vu régulièrement » à cette époque.

a. La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 142 II 218 consid. 2.8) ; elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_617/2019 du 27 mai 2020 consid. 3.1). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/632/2020 du 30 juin 2020 consid. 4b et les arrêts cités).

  b. En l’espèce, il est vrai que la motivation du jugement querellé ne fait pas état de ces éléments. Toutefois, même à considérer l’existence d’une violation du droit d’être entendu, ce qui peut demeurer indécis en l’état, elle peut être réparée devant la chambre de céans.

Le grief sera rejeté.

4) Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du DSPS du 10 mars 2021, confirmée par le TAPI révoquant le permis d'établissement de la recourante et prononçant son renvoi de Suisse.

5) a. Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la loi sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr), devenue la LEI, et de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201). Selon l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées avant l'entrée en vigueur de ladite loi sont régies par l'ancien droit. Dans le cas d'une révocation de l'autorisation d'établissement, c'est le moment de l'ouverture de la procédure de révocation qui est déterminant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_522/2021 du 30 septembre 2021 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_223/2020 du 6 août 2020 consid. 4.1 et l'arrêt cité).

b. En l'espèce, dans la mesure où l'OCPM a manifesté son intention de proposer au DSPS de révoquer l'autorisation d'établissement de la recourante le 7 août 2020, la cause est régie par la LEI dans sa teneur depuis le 1er janvier 2019.

6) La LEI et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’OASA, règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants de Thaïlande.

7) Aux termes de l'art. 34 al. 2 let. b LEI, l'autorité compétente peut octroyer une autorisation d'établissement s'il n'existe aucun motif de révocation au sens des art. 62 ou 63 al. 2 LEI.

8) Le droit à l'obtention d'une autorisation d'établissement fondé sur l'art. 42
al. 3 LEI suppose que le conjoint étranger fasse ménage commun avec le ressortissant suisse durant cinq ans (ATF 140 II 289 consid. 3.6.2 ; sous réserve de l'art. 49 LEI, arrêts du Tribunal fédéral 2C_656/2016 du 9 février 2017 consid. 4 ; 2C_1125/2014 du 9 septembre 2015 consid. 2.1). Les droits prévus à l’art. 42 LEI s’éteignent, en vertu de l’art. 51 al. 1 let. b LEI, s’il existe des motifs de révocation au sens de l’art. 63 LEI, étant précisé que ces motifs constituent chacun une cause de révocation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_44/2017 du 28 juillet 2017 consid. 4.3 et les arrêts cités).

9) a. À teneur de l'art. 63 al. 1 let. a LEI, l'autorisation d'établissement peut notamment être révoquée aux conditions de l'art. 62 al. 1 let. a LEI, c'est-à-dire si l'étranger a fait de fausses déclarations ou a dissimulé des faits essentiels durant la procédure d'autorisation. Sont essentiels au sens de l'art. 62 al. 1 let. a LEI, non seulement les faits au sujet desquels l'autorité administrative pose expressément des questions à l'étranger durant la procédure, mais encore ceux dont l'intéressé doit savoir qu'ils sont déterminants pour l'octroi de l'autorisation (arrêts du Tribunal fédéral 2C_148/2015 du 21 août 2015 consid. 5.1 ; 2C_15/2011 du 31 mai 2011 consid. 4.2.1).

b. Une révocation est possible, même lorsque les fausses déclarations ou la dissimulation de faits essentiels n'ont pas été déterminantes pour l'octroi de l'autorisation. Font partie des faits dont la personne étrangère doit savoir qu'ils sont importants pour la décision d'autorisation les « faits internes » comme, par exemple, l'intention de mettre un terme à un mariage existant ou d'en conclure un nouveau ainsi que l'existence d'enfants issus d'une relation extraconjugale. Pour révoquer une autorisation, il n'est pas nécessaire que l'autorisation eût forcément été refusée si les indications fournies avaient été exactes et complètes. A contrario, l'existence d'un motif de révocation ne conduit pas forcément à la révocation de l'autorisation. Lors de la prise de décision, il faut tenir compte des circonstances du cas particulier (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers [ci-après : Directive LEI], état au 1er mars 2022, ch. 8.3.1.1 ; ATA/746/2021 du 13 juillet 2021 consid. 7c).

c. Il faut que l'étranger ait la volonté de tromper l'autorité. Cela est notamment le cas lorsqu'il cherche à provoquer, respectivement à maintenir, une fausse apparence sur un fait essentiel (ATF 142 II 265 consid. 3.1 et les références ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_553/2020 du 20 octobre 2020 consid. 3.1 ; 2C_176/2018 du 11 septembre 2018 consid. 3.1 ; 2C_656/2017 du 23 janvier 2018 consid. 4.1. En outre, il importe peu que l'autorité eût pu, en faisant preuve de la diligence nécessaire, découvrir par elle-même les faits dissimulés (arrêt du Tribunal fédéral 2C_420/2018 du 17 mai 2018 consid. 6.1 et l'arrêt cité).

d. L'étranger est donc tenu de collaborer à la constatation des faits et en particulier de fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour (art. 90 al. 1 let. a LEI). Il doit en particulier spontanément indiquer si la communauté conjugale sur laquelle son droit de séjour repose n'est plus effectivement vécue (arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_22/2019 du 26 mai 2020 consid. 4.1 ; 2C_176/2018 du 11 septembre 2018 consid. 3.1 ; 2C_148/2015 du 21 août 2015 consid. 5.1 ; 2C_299/2012 du 6 août 2012 consid. 4.1 ; 2C_15/2011 du 31 mai 2011 consid. 4.2.1). Un comportement trompeur est aussi donné si l'étranger a, durant la procédure d'octroi de l'autorisation de droit des étrangers, sciemment tu ou activement caché que l'union matrimoniale était vouée à l'échec, ou s'il invoque un mariage dénué de substance dès ses débuts, en ce sens que les époux (voire seulement l'un d'eux) n'ont jamais eu la volonté de former une véritable communauté conjugale (ATF 127 II 49 consid. 4a et 5a ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_814/2020 du 18 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_900/2017 du 7 mai 2018 consid. 8.2 ; 2C_1055/2015 du 16 juin 2016 consid. 2.2).

e. En particulier, en ne mentionnant pas qu'il entretient une relation durable avec une autre personne, l'étranger cherche à tromper l'autorité sur le caractère stable de sa relation vécue en Suisse avec la personne lui donnant le droit d'obtenir une autorisation de séjour ou d'établissement, conformément aux art. 42 et 43 LEI. Il provoque ou maintient ainsi une fausse apparence de monogamie (arrêts du Tribunal fédéral 2C_61/2020 du 21 avril 2020 consid. 5.4 ; 2C_706/2015 du 24 mai 2016 consid. 3.2). La dissimulation d'une relation parallèle conduit donc à la révocation de l'autorisation, en application de l'art. 62 let. a LEI (par renvoi de l'art. 63 al. 1 let. a LEI, s'il est question d'autorisation d'établissement ; ATF 142 II 265 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_553/2020 du 20 octobre 2020 consid. 3.2 ; 2C_61/2020 du 21 avril 2020 consid. 5.4).

10) La recourante reproche au TAPI d'avoir violé les art. 34 al. 2, 43 al. 2, 50
al. 1, 58a al. 1 LEI ainsi que le principe de la proportionnalité.

11) a. En l’espèce, la recourante s’est mariée en Thaïlande, puis est arrivée en Suisse en juin 2007, au bénéfice d’une autorisation de séjour pour regroupement familial. Les cinq ans précités, nécessaires à l’obtention d’un permis d’établissement, sont arrivés à échéance en juin 2012.

L’OCPM, puis le TAPI, ont retenu qu'à teneur du procès-verbal d'audition de la police du 20 décembre 2018, la recourante avait déclaré ne plus vivre avec son époux depuis dix ans et avoir vécu avec celui-ci pendant seulement deux ans. Ainsi, au moment de l’octroi, le 24 septembre 2012, du permis d’établissement, les époux étaient séparés. La recourante n’avait pas annoncé ce fait et l’avait même nié lorsque l’autorité intimée lui avait posé des questions précises. Elle avait ainsi voulu maintenir à l’égard des autorités suisses une fausse apparence sur un élément ayant une incidence essentielle sur l’examen de ses conditions de séjour.

La recourante conteste avoir déclaré, en thaï, lors de son audition à la police le 20 décembre 2018, ne plus vivre avec son époux depuis dix ans. La traductrice avait mal compris. Elle avait dit deux ans. Elle nie avoir voulu induire en erreur l’OCPM et soutient avoir formé un couple jusqu’en 2015.

Le passage litigieux est le suivant : « cela fait dix ans que je ne vis plus avec C______. J’ai vécu avec lui seulement deux ans, mais mon adresse est toujours enregistrée chez lui. Pour vous répondre, nous n’entretenons plus de relation amoureuse depuis dix ans ».

b. Plaident contre la recourante la traduction de ses propos par l'interprète. Comme le retient le TAPI, lors de cette audition, elle était assistée tant par une traductrice réputée satisfaire à des exigences de formation professionnelle (art. 3, 4 et 12 du règlement relatif aux interprètes et traducteurs mis en œuvre par le Pouvoir judiciaire du 29 octobre 2015 - RITPJ - E 2 05.60), que par son conseil. Le cas échéant, il lui aurait appartenu de prendre toutes les mesures nécessaires qu’imposaient les circonstances, afin de sauvegarder ses intérêts, qu'il s'agisse de ne pas signer le procès-verbal ou de le faire en y mentionnant expressément les difficultés qu'elle avait pu rencontrer au cours de son audition. Le fait que son conseil ne connaissait pas les détails de sa situation matrimoniale lors de l'audition n'est pas déterminant. En effet, ses déclarations ont été faites lorsque la recourante en ignorait les conséquences juridiques. Or, de jurisprudence constante, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l'intéressé a données en premier lieu, alors qu'il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2 ; ATA/381/2022 du 7 avril 2022 consid. 5).

La recourante n’a réagi que deux ans plus tard, dans le cadre de la présente procédure. Elle a reconnu lors de l’audience devant la chambre de céans que ni elle ni son mari n’avaient estimé nécessaire de réagir à l’époque.

c. Plaident en faveur de la recourante le fait que, dépendante d’une traduction, une erreur a pu se produire plus facilement que si ses propos avaient été tenus en français et qu’elle ait pu les relire avant signature.

Les propos relatifs à sa relation avec son époux étaient nuancés. Ils évoquent leur vie intime, mais confirment une vie commune. Ne reste litigeuse que l’intention des deux époux de former un couple.

Ces propos ont été contredits par l’attestation de l’OCPM du 24 mars 2010. Un enquêteur avait pu rencontrer le service d’immeuble. Sur présentation d’une photo de la recourante, il avait été affirmé que le couple faisait ménage commun et que les époux étaient régulièrement vus. Quand bien même ces dires ne précisent rien sur l’intention des deux époux de former un couple, le concierge n’a rien relevé qui l’aurait fait douter.

De même, l’attestation du Dr N______ et son témoignage devant la chambre de céans prouvent que le couple avait encore une réalité en 2011 et infirment en conséquence la traduction litigieuse, quand bien même le praticien n’a vu la recourante et son époux qu’à une seule reprise, il y a dix ans, le temps d’une unique consultation. Le médecin confirme en effet dans son attestation que « Mme A______ est venue avec son mari pour une grossesse en 2011, qu’elle était accompagnée de son mari C______ A______, qu’ils vivaient ensemble au D______ ». Lors de son audition, il a précisé qu’il semblait que cette grossesse était désirée et que le couple était content.

d. Les déclarations tant de l’époux que de M. F______, compagnon de la recourante entre 2017 et 2021, sont pour le surplus concordantes.

e. En conséquence, même si certains éléments plaident en défaveur de la recourante, il ne peut pas être considéré comme établi, au vu principalement de l’attestation de l’OCPM et du témoignage du Dr N______, que le couple était « fictif » dès 2008 et notamment en 2012 au moment de la délivrance de son permis C.

C'est ainsi à tort que l'autorité intimée, puis le TAPI ont considéré que la recourante avait dissimulé le fait que la communauté conjugale effectivement vécue avec son époux avait déjà pris fin lorsque l’autorisation d’établissement lui a été octroyée 2012.

12) a. Certes, comme relevé par le SEM dans son courrier du 13 février 2020 à l’attention de l’OCPM, « tout portait à croire » qu’elle vivait séparée de son époux depuis plusieurs années et qu’elle vivait avec un tiers depuis quelques années. Le SEM envisageait ainsi de refuser d’approuver l’octroi d’une autorisation d’entrée et de séjour en faveur de son fils. Il se fondait non seulement sur les déclarations de la recourante devant la police en décembre 2018, sur celles de M. A______, sur celles faites par Mme A______ suite à un accident de circulation et sur celles de M. F______. Des photos publiées sur Facebook par le fils de la recourante confirmaient la domiciliation de l’intéressée chez son ami. À l’exception des déclarations de décembre 2018 à la police, ces constatations portent toutefois sur une période postérieure à 2012.

b. En effet, interpellée par l’OCPM le 20 février 2020, soit postérieurement au courrier du SEM précité, sur sa séparation avec son époux et les raisons pour lesquelles elle n’avait pas été annoncée, la recourante a répondu ne pas être séparée. Elle n’a fait aucune mention d’un éventuel autre domicile ou lieu de résidence que son adresse officielle auprès de son époux et n’a pas fait mention de son compagnon. À cette occasion, elle a délibérément caché la fin de son union conjugale, le fait qu’elle vivait à un autre domicile et s’était établie, dès 2017, avec une tierce personne. Elle a délibérément induit l’autorité intimée en erreur sur des faits importants dans l’examen de sa situation.

c. De surcroît, les époux A______ ont formé une demande de regroupement familial pour le fils de la recourante en 2019, en se prévalant, le 26 septembre 2019 par exemple, du fait que l’enfant concerné vivait avec eux depuis le 3 juillet 2019. Or, les époux faisant domicile séparé depuis 2017, cette allégation était fausse, ce que tant la recourante que son mari savaient. À cette occasion, l’intéressée a, une nouvelle fois et délibérément, voulu induire l’autorité intimée en erreur.

Il doit en conséquence être retenu que l’intéressée a sciemment tenté d’induire en erreur l’OCPM dans le but d’un regroupement familial en faveur de son fils en 2019.

d. S’agissant de l’existence même de cet enfant, la recourante avait précédemment déclaré, dans deux formulaires remplis à l’attention de l’OCPM, être sans enfant. Ainsi, le 21 juin 2007 puis le 1er mars 2008, elle a fourni de fausses informations à l’autorité intimée. Elle a réitéré cette attitude en septembre 2020. Il sera cependant relevé que l’existence de l’enfant est évoquée dans le dossier, dans un courrier de son époux, le 7 mai 2007 soit avant l’arrivée de l’intéressée en Suisse.

e. La recourante n’a par ailleurs pas informé les autorités de sa séparation et de son déménagement à une date qu’elle fixe à début 2017. Il est de même établi qu’elle vivait avec un tiers, sans avoir annoncé son changement d’adresse, depuis 2017.

f. Il ressort de ce qui précède que, depuis plusieurs années, elle entretient, intentionnellement au vu notamment de sa lettre du 20 février 2020, un flou sur sa situation administrative, refusant de dire qu’elle fait domicile séparé avec son époux, faisant de fausses déclarations et ayant tenté, en 2019, par ce biais, d’en tirer avantage pour obtenir un regroupement familial pour son fils.

Les déclarations faites à l’OCPM portaient toutefois sur la procédure de regroupement familial de son enfant, laquelle ne fait pas l’objet du présent litige. Les conséquences des constats qui précèdent n’ont dès lors pas à être traités dans la présente procédure.

Or, conformément à l’art. 63 al. 1 let. a LEI, l'autorisation d'établissement peut notamment être révoquée aux conditions de l'art. 62 al. 1 let. a LEI, c'est-à-dire si l'étranger a fait de fausses déclarations ou a dissimulé des faits essentiels durant la procédure d'autorisation. Dès lors qu’il ne s’agit pas de la même procédure, les conditions d’une révocation de l’autorisation d’établissement de l’intéressée ne sont pas remplies.

13) Une éventuelle rétrogradation de permis d’établissement en permis de séjour n’entre pas en ligne de compte.

En effet, conformément à l’art. 63 al. 2 LEI, lorsque les conditions d’une révocation sont réunies, mais que la révocation de l’autorisation apparaît comme disproportionnée dans un cas d’espèce, l’autorité peut examiner la rétrogradation à côté d’un avertissement (art. 63 al.2 LEI). Elle doit alors expliquer les raisons qui l’ont amenée à retenir une mesure moins incisive que la révocation. Une rétrogradation n’a de sens que si elle permet de mettre à néant les déficits d’intégration. Si une révocation apparaît malgré tout proportionnée et qu’il n’existe aucune marge de manœuvre pour une rétrogradation, l’autorisation d’établissement doit être révoquée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_782/2019 du 10 février 2020, consid. 3.3.4).

14) Compte tenu de ce qui précède, le recours sera admis. Le jugement du TAPI du 14 décembre 2021, de même que la décision du DSPS du 10 mars 2021 seront annulés.

15) Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée à la recourante (art. 87
al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 janvier 2022 par Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 décembre 2021 ;

 

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 décembre 2021 ;

annule la décision du département de la sécurité, de la population et de la santé du 10 mars 2021;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à Madame A______ ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Andrea Von Flüe, avocat de la recourante, au département de la sécurité, de la population et de la santé, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Verniory, Mme Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Michel

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :


Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.