Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3642/2005

ATA/115/2006 du 07.03.2006 ( JPT ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3642/2005-JPT ATA/115/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 mars 2006

dans la cause

 

Monsieur S__________
représenté par Me Marc Lironi, avocat

contre

DPARTEMENT DES INSTITUTIONS


 


1. Domicilié dans le canton de Genève, Monsieur S__________ (ci-après : M. S__________ ou le recourant) exploite une agence de sécurité au nom de «  X__________», sous la forme d’une entreprise individuelle inscrite au registre du commerce du canton de Genève le 22 août 1997.

2. Par arrêté du 5 février 2001, le département des institutions (ci-après : le DI ; dénommé successivement le « département de justice et police et des transports », puis le « département de justice, police et sécurité ») a autorisé M. S__________ à exploiter une entreprise de sécurité, sous la raison de commerce sus-décrite. Ultérieurement, le 6 avril 2005, cet arrêté a été renouvelé avec une durée de validité allant jusqu’au 5 avril 2009.

3. Dans l’intervalle, soit le 27 juin 2003, M. S__________ s’était adressé par écrit au DI ; il souhaitait savoir si une personne déjà titulaire de l’autorisation d’exploiter une entreprise de sécurité pouvait en exploiter une autre, n’offrant pas le même genre de prestations que la première.

4. Le 10 décembre 2003, le DI a informé l’intéressé que celui-ci avait la faculté d’être titulaire d’autorisations portant sur deux entreprises de sécurité différentes, s’il était établi qu’il était capable de les gérer de front.

5. Par arrêté du 6 juillet 2004, le DI a autorisé M. S__________ à diriger, en tant que chef de l’entreprise, la société T__________ (ci-après : T__________ ou la société), dont le but était l’exploitation d’une centrale d’alarme, de siège à Carouge.

6. Le 6 juillet 2005, le bureau des armes de la police judiciaire a remis au DI un rapport concernant l’activité de la société. Les agents qui avaient procédé au contrôle s’étaient trouvés, dans les locaux de T__________, face à M. D__________ qui s’était présenté comme le propriétaire de la centrale.

Convoqué au poste de police, M. S__________ a exposé qu’il avait été approché par le précité et par un autre tiers, M.  C__________, pour travailler dans une centrale d’alarme, dont il aurait été le responsable. Il connaissait M. D__________ depuis plusieurs années ; le rôle de ce dernier dans T__________ était celui d’un planificateur, d’un agent commercial et accessoirement d’un technicien. La mise en place de la centrale s’était déroulée au mois de septembre 2004 et quatre à cinq personnes y travaillaient. Elles n’avaient pas d’autorisation du DI, car celles-ci n’avaient jamais été demandées, au motif que M. D__________ considérait qu’il ne s’agissait pas d’une priorité.

Comme il lui était impossible d’assurer ses responsabilités, M. S__________ avait fait appel à un inspecteur du bureau des armes pour l’en informer. Au sein de T__________, son rôle se limitait à celui de responsable vis-à-vis des autorités concordataires. Il avait également porté cette situation à la connaissance du DI. Il considérait avoir été la victime de MM. D__________ et C__________.

7. Le 19 juillet 2005, le DI a adressé une lettre à M. S__________. Ce dernier avait été autorisé à exploiter l’entreprise individuelle X__________ par arrêté du 5 février 2001. Le 6 juillet 2004, il en a été de même pour T__________. Or, lors d’un contrôle de police effectué le 10 juin 2005, il était apparu que M. D__________ s’était présenté comme le responsable de l’entreprise et qu’aucune des personnes faisant partie du personnel n’était au bénéfice d’une autorisation d’engagement. M. D__________ avait en outre présenté la carte de légitimation de M. S__________ en tant que chef de l’agence T__________. Lors de son audition par la police le 5 juillet 2005, M. S__________ avait déclaré qu’il n’arrivait pas à assumer son rôle de chef d’agence. Il avait donc agi en tant que prête-nom, l’entreprise de sécurité T__________ étant en réalité dirigée par MM. D__________ et C__________. Il avait toléré également que quatre personnes soient engagées comme agents de sécurité et exercent leur mission pendant plusieurs mois sans être titulaires d’une carte de légitimation. Le DI envisageait dès lors de lui infliger une amende administrative.

8. Le 31 août 2005, l’avocat constitué par M. S__________ a informé le DI que son client avait mis un terme aux rapports le liant à T__________ et qu’il renonçait à l’autorisation qui lui avait été délivrée le 6 juillet 2004.

9. Le 12 septembre 2005, le DI a rendu une décision retirant à M. S__________ l’autorisation d’exploiter l’entreprise de sécurité T__________ et lui infligeant un avertissement ainsi qu’une amende administrative d’un montant de CHF 5'000.-, solidairement avec T__________.

10. Le 13 octobre 2005, M. S__________ a recouru contre la décision du DI. Il ne s’opposait pas au retrait de l’autorisation d’exploiter T__________, puisqu’il y avait lui-même renoncé. Il n’avait jamais servi volontairement de prête-nom à MM. D__________ et C__________, ces derniers s’étant en effet opposés à ce qu’il exerce notamment sa fonction de responsable. C’est ainsi qu’ils avaient notamment engagé du personnel sans l’avertir. M. S__________ avait relancé à plusieurs reprises ces deux personnes pour obtenir les documents nécessaires en vue de l’obtention d’une autorisation pour les personnes engagées. Il avait cherché à remédier à la situation créée par MM. D__________ et C__________.

Il n’y avait pas lieu de prononcer un avertissement à son égard, puisqu’il avait renoncé lui-même à son autorisation d’exploiter T__________. Il était injuste de lui infliger une amende, dont le montant était au demeurant disproportionné par rapport à son revenu mensuel brut, qui variait entre CHF 2'500.- et CHF 3'000.-.

M. S__________ conclut à l’annulation de l’avertissement et de l’amende, à la condamnation de l’Etat de Genève aux frais de la procédure, y compris une participation aux honoraires de son avocat.

11. Le 7 novembre 2005, le DI a répondu au recours et conclut à son rejet. M. S__________, qui connaissait la législation applicable, était en mesure d’apprécier l’illégalité de sa situation. Il l’avait laissée perdurer dans un dessein de lucre. Le recourant pouvait toujours se voir signifier un retrait de son autorisation d’exploiter, même s’il avait rendu celle-ci dans l’intervalle. S’agissant de l’avertissement, le département était disposé à y renoncer, pour autant que le retrait de l’autorisation soit maintenu. Quant à l’amende, elle respectait le principe de la proportionnalité au regard de la rémunération mensuelle de l’intéressé, qui s’élevait à CHF 4'800.-.

12. Le 13 janvier 2006, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle.

a. M. S__________ a exposé que la centrale d’appels T__________ était propriété de MM. C__________ et D__________ ; il ne connaissait toutefois pas le statut de ce dernier. La rémunération qui lui avait été proposée à l’engagement s’élevait à CHF 4'800.- pour ses tâches de centraliste et à CHF 800.- pour celles administratives. Il était bien le seul titulaire de l’autorisation d’exploiter. La centrale avait commencé ses activités sans autorisation officielle, laquelle était arrivée au mois de septembre ou d’octobre 2004. M. S__________ avait voulu mettre les autres employés en règle, mais les précités s’étaient opposés à ses efforts. Au mois de juin 2005, la situation était fondamentalement la même si ce n’est que des demandes avaient été déposées pour le personnel frontalier mais qu’elles avaient été bloquées en raison de problèmes liés à leur casier judiciaire. Il avait lui-même demandé un contrôle de police. Il ne disposait d’aucun pouvoir réel au sein de la société, MM. D__________ et C__________ conservant l’ensemble des pièces et même sa propre carte d’agent de sécurité. Il avait cru trouver en T__________ une source de revenus réguliers et une certaine stabilité. Il avait toutefois été abusé, T__________ ayant encore cherché à engager une nouvelle personne sans autorisation au mois d’août 2005.

Sa situation financière était obérée. Il faisait l’objet de poursuites pour un montant de CHF 100'000.- environ et ses revenus mensuels étaient de CHF 1'500.- à 1'800.- environ, car il travaillait quelques heures comme sous-traitant d’une autre entreprise. Il n’avait pas de charge de famille. Il était par ailleurs titulaire d’un certificat fédéral de capacité de dessinateur en chauffage, profession qu’il avait exercée jusque dans les années nonante et qu’il avait quittée en raison de la crise dans le bâtiment.

b. Le représentant du DI a confirmé qu’au mois de septembre 2005, un tiers avait demandé l’autorisation de reprendre T__________ et que cette société avait payé la moitié de l’amende infligée à MM. D__________ et C__________.

13. Le 24 janvier 2006, le DI a relevé les aveux du recourant, qui n’avait pas eu le moindre pouvoir au sein de T__________, acceptant ainsi de servir de prête-nom et tolérant l’engagement de quatre agents de sécurité sans autorisation. Le DI persistait dès lors dans la décision entreprise.

14. Le 31 janvier 2006, M. S__________ a déclaré qu’il persistait dans les termes de son recours. Il avait bien travaillé comme centraliste et comme responsable de T__________. Il avait fait le nécessaire pour dénoncer les irrégularités commises par cette société, se comportant ainsi en responsable diligent.

Le département reconnaissait lui-même que la sanction globale était disproportionnée, puisqu’il se proposait de renoncer à l’avertissement. Enfin, le montant de l’amende, en CHF 5'000.-, était aussi disproportionné.

15. Le 2 février 2006, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. A teneur de l’article 4 du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (le concordat - I 2 14), cet accord intercantonal régit notamment les activités de surveillance de biens mobiliers ou immobiliers. Selon l’article 7, une autorisation est nécessaire pour exploiter une entreprise de sécurité et engager du personnel à cet effet. Selon l’alinéa 3 de cette dernière disposition, l’entreprise constituée en personne morale doit désigner un responsable auquel elle confère les pouvoirs pour la représenter et l’engager auprès de tiers, celui-ci devant être en situation de pouvoir exercer ses responsabilités.

En l’espèce, le recourant a exposé lui-même qu’il n’exploitait pas personnellement la société litigieuse. Il n’avait pas accès aux archives administratives de celle-ci, ne maîtrisait pas les questions liées au statut administratif du personnel, ni n’était consulté lors de leur engagement. Ainsi, il n’était pas en situation de pouvoir exercer les responsabilités qui incombent à celui qui exploite une entreprise de sécurité.

3. Selon l’article 13 alinéa 2 du concordat, l’autorisation est retirée lorsqu’elle cesse d’être utilisée.

En l’espèce, le recourant a certes déposé l’autorisation d’exercer une centrale d’alarme. Contrairement à ce qu’il soutient, le dépôt spontané de l’autorisation ne prive nullement l’autorité intimée de retirer l’autorisation au sens de l’article 13 alinéa 1er du concordat, mesure qui a alors le caractère d’une sanction.

4. Selon l’article 13 alinéa 3 du concordat, l’autorité peut également prononcer un avertissement ou une suspension de l’autorisation de 1 à 6 mois.

En limitant cette deuxième sanction à la plus légère, soit l’avertissement, l’autorité intimée a fait un usage judicieux de sa liberté d’appréciation. L’autorité de céans confirmera donc la décision entreprise sur ce point, le DI ne l’ayant d’ailleurs pas modifié en cours de procédure.

5. A teneur de l’article 4 de la loi concernant le concordat sur les entreprises de sécurité du 2 décembre 1999 (ci-après : la loi - I 2 14.0), le DI peut infliger une amende allant jusqu’au maximum de CHF 60'000.- à celui qui contrevient à diverses obligations issues du concordat, notamment celle consistant à annoncer tout fait pouvant justifier le retrait d’une autorisation,

Il est acquis que le recourant est resté de nombreux mois dans la situation d’un prête-nom au sein de la société qui l’employait, n’y exerçant nullement les responsabilités pour lesquelles il avait requis une autorisation des autorités. Il aurait dû par ailleurs signaler immédiatement la présence de personnel qui n’était pas titulaire d’une autorisation. Il a donc indubitablement violé ses obligations et pouvait dès lors faire l’objet d’une amende.

a. Les amendes administratives sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des amendes ordinaires pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister (ATA/35/2006 du 24 janvier 2006 ; ATA/813/2001 du 4 décembre 2001; P. MOOR, Droit administratif : Les actes et leur contrôle, tome 2, Berne 2002,  pp. 139-141; P. NOLL et S. TRECHSEL, Schweizerisches Strafrecht: allgemeine Voraussetzungen der Strafbarkeit, AT I, 6ème édition, Zurich 2004, p. 37). C’est dire que la quotité de la peine administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/813/2001 précité).

b. En vertu de l’article 1 alinéa 2 de la loi pénale genevoise du 20 septembre 1981 (LPG - E/3/1), il y a lieu de faire application des dispositions générales contenues dans le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.O), sous réserve des exceptions prévues par le législateur cantonal à l’article 24 LPG.

c. Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence. Selon des principes qui n’ont pas été remis en cause, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi (A. GRISEL, Traité de droit administratif, vol. 2, Neuchâtel, 1984, pp. 646-648; ATA G. du 20 septembre 1994) et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende (ATA/234/2001 du 3 avril 2001; ATA/258/1999 du 4 mai 1999 ainsi que les arrêts cités). La juridiction de céans ne la censure qu’en cas d’excès (ATA/131/1997 du 18 février 1997).

d. L’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (ATA/368/2005 précité et les références). Il est ainsi tenu compte, dans la fixation du montant de l’amende, du degré de gravité de l’infraction et de la situation du recourant, par application analogique de l’article 63 CPS.

6. En l’espèce, la faute du recourant est établie. Elle est d’autant plus grave qu’il était déjà titulaire d’une première autorisation d’exploiter une entreprise de sécurité et qu’il avait entamé des démarches auprès du DI pour pouvoir en exploiter une seconde. Dans ces circonstances, il ne saurait soutenir qu’il ignorait la portée du concordat et de la législation cantonale sur ses activités professionnelles. Il a accepté de toucher une rémunération pour ses activités au sein de T__________, en sus des revenus qu’il pouvait tirer de sa propre entreprise. Les seules circonstances qui viennent à la décharge du recourant sont ses difficultés financières, qui n’ont pas été contestées par l’autorité intimée. Il convient dès lors de réduire le montant de l’amende à CHF 2'500.- à l’égard du seul recourant.

7. Le recourant n’obtient que partiellement gain de cause. Il devra dès lors s’acquitter d’un émolument de CHF 500.-. Comme le DI succombe partiellement (art. 87 LPA), M. S__________ recevra une indemnité à charge de l’Etat de Genève, également réduite à CHF 1'000.- pour les frais de sa défense.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 octobre 2005 par Monsieur S__________ contre la décision du département des institutions du 12 septembre 2005.

au fond :

l’admet partiellement ;

annule l’amende infligée le 12 septembre 2005  ;

inflige à M. S__________ une amende d’un montant de CHF 2'500.-  ;

confirme la décision litigieuse pour le surplus ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.- ;

met à la charge du département des institutions un émolument de CHF 500.- ;

alloue au recourant une indemnité de procédure d’un montant de CHF 1'000.- à la charge de l’Etat de Genève ;

communique le présent arrêt à Me Marc Lironi, avocat du recourant ainsi qu’au département des institutions.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :