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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4522/2017

ATA/1141/2018 du 30.10.2018 ( LIPAD ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4522/2017-LIPAD ATA/1141/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 octobre 2018

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE

 



EN FAIT

1. Le 22 septembre 2014, Madame A______, épouse de Monsieur A______, a été appelée ou, selon la police, interpellée suite à un léger accrochage qu'elle avait eu le matin même sur la route avec un motocycliste. Elle a été invitée à se présenter au poste de gendarmerie de Plainpalais le lendemain.

2. Le 23 septembre 2014, Mme A______ s'est présentée au poste de gendarmerie de Plainpalais, où elle a été auditionnée par trois gendarmes, dont le sergent-chef B______.

3. Le 30 septembre 2014, M. A______ s'est adressé à la commandante de la police pour se plaindre d'un abus d'autorité et d'un comportement inadmissible au poste de gendarmerie de Plainpalais, en lien avec les faits précités.

M. B______ avait menacé Mme A______ de la retenir au poste toute la journée – alors que les faits à l'origine de l'audition étaient insignifiants –, lui avait saisi son téléphone portable lorsqu'elle avait voulu appeler son mari, et finalement, l'appel ayant eu lieu et les deux hommes ayant eu une conversation, M. B______ s'était montré désagréable et avait raccroché le combiné au nez de son interlocuteur.

4. Le 25 février 2015, la commandante de la police a reçu une note de service au sujet de l'incident, laquelle comprenait une note explicative rédigée le 27 septembre 2014 par M. B______.

5. Le 29 juin 2015, la commandante de la police a adressé un courrier à Mme A______, indiquant que les trois gendarmes avaient agi de manière professionnelle et proportionnée et qu'ils avaient rempli leur mission dans le respect des normes légales et des dispositions réglementaires applicables à ce type d'événement.

6. Le 13 juillet 2015, M. A______ a demandé à la commandante de la police de lui adresser un exemplaire du document établi par les fonctionnaires de police suite à l'audition de son épouse.

7. Le 23 février 2017, la commandante de la police s'est adressée à Mme A______. Elle n'était pas en mesure de donner une suite favorable à la demande concernant la transmission de la note de service du 25 février 2015, laquelle englobait la note explicative du 27 septembre 2014, toutes deux établies suite à l'audition du 23 septembre 2014. Le refus se basait sur les art. 28 al. 6 et 30 al. 2 de la loi sur l’information du public et l’accès aux documents du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08).

8. Le 13 mars 2017, M. A______ a réitéré sa demande d'accès à ces documents.

9. Le 1er juin 2017, la commandante de la police a indiqué à M. A______ qu'elle souhaitait consulter le préposé cantonal à la transparence et à la protection des données (ci-après : le PPDT). Une fois en possession de la détermination requise, elle reviendrait à lui dans les meilleurs délais.

10. Le 3 octobre 2017 s'est tenue, sur proposition du PPDT, une séance de médiation, qui n'a pas abouti.

11. Le même jour, après la séance de médiation, M. A______ a écrit au PPDT. S'il devait être considéré que des références à l'audition de son épouse feraient obstacle à la remise du document demandé, il proposait, alternativement, la présentation d'un accord de l'intéressée ou le caviardage des passages qui ne le concernaient pas.

12. Le 17 octobre 2017, le bureau du PPDT a rendu une recommandation, dans laquelle il était préconisé « à la police de donner au requérant l'accès au courriel du 27 septembre 2014 adressé par le sergent-chef B______ à Mme la Commandante selon les modalités proposées par le requérant dans son courriel du 3 octobre 2017 ».

Un courriel constituait bien un document selon la LIPAD. Le document en cause ressortissait à l'exercice d'une tâche publique. Sa délivrance permettrait de lever, du moins en partie, la divergence entre les parties sur le déroulement des faits s'étant produits le 23 septembre 2014.

13. Par décision du 30 octobre 2017, la commandante de la police a refusé l'accès au courriel du 27 septembre 2014 adressé à elle-même par le sergent-chef B______.

Le courriel en question était une note explicative lui relatant les faits qui s'étaient déroulés le 23 septembre 2014 lors de l'audition de Mme A______. Cette note lui avait permis de former son opinion sur cette affaire et de prendre position sur les doléances formulées par M. A______. Il ne s'agissait donc pas d'un document au sens de l'art. 25 al. 2 LIPAD.

14. Par acte posté le 13 novembre 2017, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant à son annulation et à la condamnation de la commandante de la police à lui donner accès au document sollicité.

Un courriel constituait bien un document. Il ne s'agissait pas d'une note interne rédigée parallèlement à l'instruction de sa plainte, mais d'un document écrit avant ladite plainte et ayant servi à déterminer la suite qu'il fallait donner à cette dernière.

Les éléments éventuellement contenus dans la note qui concernaient son épouse ne pouvaient justifier un refus d'accès, vu la possibilité de les caviarder et le fait qu'il avait mené ses différentes démarches d'un commun accord avec son épouse.

15. Le 12 décembre 2017, la commandante de la police a conclu au rejet du recours.

Les rapports de synthèse, notes et avis internes relatifs à un événement donné et permettant à la hiérarchie de la police de prendre position à ce sujet constituaient des notes internes soustraites au droit d'accès aux documents, au sens de l'art. 25 al. 4 LIPAD.

Elle joignait à sa réponse une copie du document litigieux, aux conditions de l'art. 63 LIPAD.

16. Le 15 décembre 2017, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 26 janvier 2018 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

17. Le 19 janvier 2018, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

Le courriel avait été décrit par la police comme faisant partie intégrante de la note de service du 25 février 2015, note dont la police n'avait pas affirmé qu'elle échapperait à la LIPAD. C'était au surplus précisément parce que le courriel demandé avait permis à la commandante de la police de fonder sa prise de position, à savoir le caractère non critiquable de l'entretien téléphonique entre M. B______ et lui-même, qu'elle constituait un document auquel il devait impérativement avoir accès.

18. La commandante de la police ne s'est quant à elle pas manifestée.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 60 al. 1 de la loi sur l’information du public et l’accès aux documents du 5 octobre 2001 - LIPAD - A 2 08).

2. La LIPAD régit l’information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d’une part, favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d’autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).

La LIPAD comporte deux volets. Le premier concerne l’information du public et l’accès aux documents ; il est réglé dans le titre II (art. 5 ss LIPAD). Le second porte sur la protection des données personnelles, dont la réglementation est prévue au titre III (art. 35 ss LIPAD).

La LIPAD s’applique notamment aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi qu’à leurs administrations et aux commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a LIPAD).

3. En édictant cette loi, le législateur genevois a renversé le principe du secret assorti d’exceptions prévalant jusqu’alors dans l’administration genevoise, au profit de celui de la transparence sous réserve de dérogations
(MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7675 ss ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9679 ss). Il a érigé la transparence au rang de principe aux fins de renforcer tant la démocratie que le contrôle de l’administration et de valoriser l’activité étatique et favoriser la mise en œuvre des politiques publiques (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7671 ss).

Le principe de transparence est un élément indissociable du principe démocratique et de l’État de droit prévenant notamment des dysfonctionnements et assurant au citoyen une libre formation de sa volonté politique (ATA/1060/2015 du 6 octobre 2015 consid. 3 et les références citées). Ce droit trouve depuis 2013 une assise constitutionnelle à l’art. 28 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00). Ni cette disposition, ni l’art. 9 al. 3 Cst-GE n’ont cependant une portée plus large que la LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2015 1C_379/2014 consid. 5.4 ; Bulletin officiel de l’Assemblée constituante genevoise, Tome IV p. 1888 s ; Rapport sectoriel 102 du 30 avril 2010 de la Commission 1 « Dispositions générales et droits fondamentaux », p. 49).

4. a. En tant qu’elle régit l’information relative aux activités des institutions, la LIPAD prévoit que toute personne a accès aux documents en possession de celles-ci, sauf exception (art. 24 al. 1 LIPAD). L’accès comprend la consultation sur place des documents et l’obtention de copies des documents (art. 24 al. 2 LIPAD).

b. Les documents sont tous les supports d’informations détenus par une institution contenant des renseignements relatifs à l’accomplissement d’une tâche publique, à savoir notamment les messages, rapports, études, procès-verbaux approuvés, statistiques, registres, correspondances, directives, prises de position, préavis ou décisions (art. 25 al. 1 et 2 LIPAD). Les notes à usage personnel ainsi que les brouillons ou autres textes inachevés ne constituent pas des documents (art. 25 al. 4 LIPAD).

Le document doit avoir un contenu informationnel, c’est-à-dire contenir un élément de connaissance ou un renseignement, quelle qu’en soit la nature, à condition toutefois qu’il concerne l’accomplissement d’une tâche publique, à savoir une activité étatique ou para-étatique (art. 1 LIPAD ; MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7693 ; ATA/1003/2016 du 29 novembre 2016).

c. Selon l'art. 26 al. 3 LIPAD, les notes échangées entre les membres d’une autorité collégiale ou entre ces derniers et leurs collaborateurs sont exclues du droit d’accès institué par la présente loi.

Aux termes de l'art. 7 al. 3 du règlement d'application de la LIPAD du 21 décembre 2011 (RIPAD - A 2 08.01), sont également soustraits au droit d’accès au sens de l’art. 26 al. 3 de la loi les notes, avis de droit, correspondances, courriels, rapports et autres écrits échangés : a)  entre membres du Conseil d’État, de délégations de celui-ci, du collège des secrétaires généraux ou des collèges spécialisés ; b)  entre cadres supérieurs de la fonction publique ou collaborateurs de l’entourage immédiat des conseillers d’État et du chancelier d’État ainsi qu’entre ces cadres ou proches collaborateurs et les membres des collèges visés à la let. a.

Selon les travaux préparatoires de la LIPAD, en excluant purement et simplement du droit d’accès aux documents les notes échangées entre les membres d’autorités collégiales (comme le Conseil d’État et les exécutifs communaux) ainsi qu’entre eux et leurs collaborateurs, l’art. 26 al. 3 LIPAD renforce l’exception tirée du risque d’entrave notable au processus décisionnel mentionnée à l’art. 26 al. 2 let. c LIPAD. Il s’agit de permettre la libre formation de l’opinion du collège gouvernemental, en mettant ses membres à l’abri des pressions auxquelles les exposerait la communication de leur opinion souvent provisoire formulée au stade antérieur à la prise collective de décisions. Comme il est admis que les séances du Conseil d’État et des exécutifs communaux doivent se tenir à huis clos (art. 7 et 11 LIPAD), il faut préserver à ces autorités collégiales un espace de délibération et de préparation de leurs décisions collectives en dehors de tout regard extérieur. Le caractère catégorique de cette exception, en particulier le fait qu’une décision contraire de l’autorité collégiale elle-même ne soit pas réservée, se justifie par le souci d’engager chacun de ses membres dans le processus collégial et de les empêcher d’exercer un jeu de pouvoir des uns sur les autres sur la scène publique. Il s’agit aussi de permettre aux collaborateurs des membres d’autorités collégiales d’exprimer librement leurs opinons et propositions à l’intention de ces derniers (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7698).

S'agissant de l'exception de l'art. 26 al. 3 LIPAD, le Tribunal fédéral a jugé qu'étendre l'application de cette disposition à n'importe quel document, quel qu'en soit le contenu, sous prétexte qu'il aurait été produit à l'intention de l'autorité – en l'occurrence collégiale – dans la perspective d'une prise de décision, allait de manière insoutenable à l'encontre du principe de transparence posé par la loi (arrêt du Tribunal fédéral 1C_277/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3.5).

d. Les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose sont soustraits au droit d’accès institué par la LIPAD, en particulier lorsque l’accès aux documents est propre à porter atteinte à la sphère privée ou familiale (art. 26 al. 2 let. g LIPAD).

e. Sont également exclus du droit d’accès les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD).

5. En l'espèce, l'intimée ne soutient plus – et ce à juste titre – que la cause relèverait de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25), et n'a jamais non plus soutenu que le droit fédéral de procédure pénale ferait obstacle à la délivrance du document sollicité, au sens de l'art. 26 al. 4 LIPAD.

La question principale qui se pose est donc de savoir si le courriel dont l'accès est demandé constitue un document soumis au droit d'accès et si, le cas échéant, une exception à ce dernier s'appliquerait, en vertu des art. 25 et 26 LIPAD.

6. Le courriel litigieux est un message (ou une correspondance), doublé d'une prise de position. Il a un contenu informationnel, concerne l'exécution d'une tâche publique et peut facilement être imprimé. En outre, il ne s'agit clairement pas de notes personnelles, ou encore d'un brouillon, mais bien du rapport définitif fait par un fonctionnaire de police à son commandant. Il s'agit donc bien d'un document au sens de l'art. 25 al. 2 LIPAD, et l'exception de l'art. 25 al. 4 LIPAD ne lui est pas applicable.

Quant aux art. 26 al. 3 LIPAD et 7 al. 3 RIPAD, ils ne sauraient eux non plus être invoqués en l'espèce, la commandante de la police étant par définition une personne physique unique (art. 4 al. 2 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 - LPol - F 1 05) et non une autorité collégiale, et n'étant ni Conseillère d'État ni secrétaire générale. Comme le souligne du reste la jurisprudence du Tribunal fédéral citée plus haut, le fait qu'un document ait été produit à l'intention de l'autorité dans la perspective d'une prise de décision ne suffit pas à le soustraire au droit d'accès.

Il apparaît enfin qu'aucun autre intérêt prépondérant, de nature publique et privée, ne s'oppose à la communication du document sollicité. En particulier, qu'une partie du message litigieux concerne Mme A______ et non son mari ne pose pas problème, dans la mesure où rien dans le dossier ne laisse à penser que celui-ci n'agirait pas, depuis sa première intervention, avec l'accord de sa femme, voire en tant que son représentant au sens de l'art. 9 LPA.

Il résulte de ce qui précède que le recours doit être admis. L’intimée, à qui le dossier sera renvoyé, devra donner au recourant accès au document qu'il demande, sans qu'un caviardage quelconque soit nécessaire.

7. Au vu de l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera en revanche pas alloué d'indemnité de procédure, le recourant n'y ayant pas conclu et n'ayant pas allégué avoir exposé de frais particuliers pour assurer sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 novembre 2017 par Monsieur A______ contre la décision de la commandante de la police du 30 octobre 2017 ;

au fond :

l'admet ;

renvoie le dossier à la commandante de la police au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, à la commandante de la police, ainsi qu’au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence, pour information.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :