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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2731/2021

ATA/987/2021 du 24.09.2021 ( MARPU ) , ACCORDE

Parties : CANONICA SA / DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES DE L'ETAT, BAECHLER TEINTURIERS SA
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2731/2021-MARPU ATA/987/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 24 septembre 2021

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

CANONICA SA
représentée par Me Killian Sudan, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DES FINANCES DE L'ÉTAT

et

BAECHLER TEINTURIERS SA
représentée par Me Guy Stanislas, avocat



Vu la décision de la direction générale des finances de l’État de Genève (ci-après : DGF) du 6 août 2021 informant Canonica SA de ce que sa soumission pour le lot 1 du marché public pour des prestations de nettoyage du linge (vêtements, vêtements de sport, linge de bain, nappage, vêtements professionnels et literie) avait été classée en deuxième position et le marché attribué à Baechler Teinturiers SA (ci-après : Baechler) ; la décision précisait que Canonica avait été classée en deuxième position pour chacun des trois critères d’analyse, à savoir le prix, le délai de livraison et la qualité de l’entreprise en matière de contribution au développement durable ;

vu le recours interjeté par Canonica par devant la chambre administrative de la Cour de justice le 20 août 2021 contre cette décision, dont elle a demandé l’annulation, concluant à l’attribution en sa faveur du marché public ; Baechler ne remplissait pas un des critères d’aptitude, à savoir celui de présenter des garanties de pérennité et de solvabilité de l’entreprise (point 8.1 chiffre 1 de l’appel d’offres), dès lors qu’elle avait réduit son capital-actions de CHF 3'000'000.- à CHF 500'000.- et faisait l’objet d’un concordat homologué par le Tribunal civil de première instance (ci-après : TPI) le 3 juin 2021 ; en outre, la décision querellée souffrait d’un défaut de motivation, n’étant pas accompagnée d’un tableau des résultats permettant de connaître les notes obtenues pour chaque critère par les deux soumissionnaires ;

qu’elle a requis, préalablement, l’octroi de l’effet suspensif exposant qu’aucun intérêt public important ne s’y opposait, qu’il n’y avait pas d’urgence à exécuter les prestations en question, que son intérêt économique était important, que l’admission de son recours aurait pour conséquence que le marché lui soit attribué, seules deux offres recevables ayant été soumises et que les chances de succès de son recours étaient manifestes ;

que la DGF a conclu au rejet de la requête d’effet suspensif ; l’offre de Baechler contenait des explications concernant sa situation financière, notamment les démarches entreprises avec l’intervention du groupe « 5àsec » en vue d’obtenir un sursis concordataire ; au moment du dépôt de son offre, elle avait annexé une simulation de sa situation financière en juin 2021 ; la DGF avait considéré, sur la base de ces éléments, que ladite situation s’était améliorée ; en juin 2021, Baechler disposait d’une trésorerie de plus d’un million de francs suisses et de réserves facultatives issues du bénéfice de CHF 5'531'491.28 ; la décision d’adjudication comprenait une motivation suffisante, dès lors qu’elle mentionnait les critères d’adjudication et leur pondération ; l’intérêt privé de la recourante à l’octroi de l’effet suspensif ne primait pas sur l’intérêt public à réaliser des économies ; au demeurant, le recours était dénué de chances de succès ;

que, selon le tableau intitulé « critères d’adjudication/pondération » produit par la DGF, la recourante a obtenu pour le critère prix (pondéré à 60 %) 2.69 points, pour le critère délai (pondéré à 34 %) 3.00 points et pour le critère développement durable social et environnemental (pondéré à 6 %) au total 5.22 points (2.1 + 3.12), sa concurrente a obtenu pour le premier des critères précités 6 points, le second 4.80 points et le dernier 7.9 points (4.3 + 3.6), la note maximale par critère étant de 6 ; selon le procès-verbal d’ouverture des offres, le prix total à l’unité de l’offre de l’adjudicataire s’élève à CHF 37'869.- et celui de la recourante à CHF 56'596.- ;

que Baechler a relevé que si elle avait rencontré des difficultés, aggravées par la situation pandémique, l’ayant contrainte à fermer des magasins, elle avait entrepris avec succès une procédure d’assainissement ; elle produisait la requête de sursis concordataire, le jugement du TPI accordant un sursis provisoire et désignant un commissaire, le jugement du TPI octroyant le sursis concordataire définitif jusqu’au 1er mars, prolongé au 28 juin 2021, le rapport du commissaire du 21 mai 2021 constatant l’assainissement de la société et concluant à l’homologation du concordat ainsi que le jugement d’homologation du concordat ; il ressortait de ces documents que la société était assainie au 30 avril 2021 ; la procédure de sursis concordataire avait précisément eu pour but de garantir sa pérennité ; l’intérêt public au « respect impératif d’hygiène » l’emportait sur l’intérêt privé de la recourante ;

que dans sa réplique sur effet suspensif, la recourante a exposé qu’elle ne pouvait pleinement se déterminer, les pièces produites par ses parties adverses ne le lui permettant pas ; le seul argument de l’adjudicataire pour justifier de sa pérennité était fondé sur la procédure d’assainissement ; or, l’existence même d’une telle procédure rendait vraisemblable son grief ; selon les pièces produites, le dividende prévu était de 20 %, quotité estimée « proportionnée aux ressources de la débitrice » selon le commissaire ; cet élément ne suffisait pas à présumer que Baechler disposait d’une situation financière pérenne ; enfin, le jugement d’homologation définitive datait du 3 juin 2021, alors que l’offre avait été soumise le 19 mai 2021, le délai de soumission étant le 31 mai 2021 ; la recourante persistait ainsi dans ses conclusions, y compris dans celle visant la production de l’entier de la soumission de Baechler et tout renseignement donné par elle sur sa solvabilité ;

que, sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif ;

Considérant, en droit, que, interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, le recours est recevable (art. 15 al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01) ;

que les mesures provisionnelles sont prises par la présidente ou le vice-président de la chambre administrative ou, en cas d'empêchement de ceux-ci, par une autre juge (art. 21 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - GE  - E 5 10  ; art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative du 26 mai 2020 ;

qu'aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n'a pas d'effet suspensif ; toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l'autorité de recours peut, d'office ou sur demande, octroyer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose ;

que l'examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; l'effet suspensif doit être refusé au recours manifestement dépourvu de chances de succès et dont le résultat ne fait aucun doute ; inversément, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d'emblée à justifier l'octroi d'une mesure provisoire, mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/217/2021 du 1er mars 2021 consid. 2 ; ATA/1349/2019 du 9 septembre 2019 ; ATA/446/2017 du 24 avril 2017 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, p. 317) ;

que lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur l'effet suspensif ou d'autres mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit (examen  prima facie), en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3) ;

que la restitution de l'effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu'avec restriction (ATA/1349/2019 précité ; ATA/446/2017 précité consid. 2 ; ATA/62/2017 du 23 janvier 2017 consid. 2 ; ATA/793/2015 du 5 août 2015 consid. 2) ;

que l'AIMP a pour objectif l'ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP) ; il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l'égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l'impartialité de l'adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP) et assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) ;

que les critères d'aptitude ou de qualification (« Eignungskriterien ») sont des exigences qui subordonnent l'accès à la procédure et servent à s'assurer que le soumissionnaire a les capacités suffisantes pour réaliser le marché (ATF 141 II 353 consid. 7.1 ; 140 I 285 consid. 5.1) ; les entreprises soumissionnaires qui ne les remplissent pas voient leur offre exclue d'emblée (ATF 141 II 353 consid. 7.1 ; arrêt 2C_58/2018 du 29 juin 2018 consid. 5.3) ; les critères d'aptitude doivent pouvoir être contrôlés par l'adjudicateur avant la décision d'adjudication (ATF 145 II 249 consid. 3.3) ;

qu'en l'espèce, le principal point litigieux consiste dans la question de savoir si, sur la base des éléments présentés par l’adjudicataire au pouvoir adjudicateur, ce dernier pouvait retenir que le critère de la solvabilité de celle-ci était rempli ;

qu’au regard de la procédure de sursis concordataire définitif alors en cours, la réponse à cette question est délicate ;

que cette situation exigeait en tout cas un examen attentif par l’autorité intimée de la situation financière de l’adjudicataire ;

que, certes, le jugement du 3 juin 2021 homologuant le concordat soumis au TPI tend à confirmer l’évaluation de la situation financière faite par le pouvoir adjudicateur ;

que, toutefois, si le jugement précité atteste de la fin de la situation de surendettement, la question de l’appréciation faite par l’autorité intimée des garanties de solvabilité qu’exige le point 8.1 chiffre 1 de l’appel d’offres demeure ;

qu’à cet égard, les arguments avancés par la recourante tirés des éléments fournis par les intimées tels le rapport du commissaire au sursis du 21 mai 2021 ainsi que le jugement précité, notamment l’argument relevant que le dividende de 20 % considéré comme proportionné aux ressources de l’adjudicataire ne laissait pas présager d’une situation financière pérenne, ne paraissent, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas d’emblée dépourvus de fondement ;

qu’au vu des éléments qui précèdent, le recours ne semble, prima facie et sans préjudice de l’examen au fond, pas dénué de chances de succès ;

que le pouvoir adjudicateur n’invoque aucune urgence à la conclusion du contrat relatif au marché public litigieux ; il ne fait, en particulier, pas valoir qu’il ne serait pas en mesure de poursuivre temporairement le contrat avec le prestataire actuel ;

que, par ailleurs, l’instruction du recours au fond en est au stade de la réplique ;

que l’intérêt financier à l’adjudication du contrat à la recourante est d’autant plus important que seules deux offres ont été déclarées recevables et qu’en cas d’admission du recours, elle serait susceptible de se voir attribuer le marché en cause ;

qu’au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de faire droit à la requête d’octroi de l’effet suspensif, l’intérêt de la recourante primant, en l’état, l’intérêt public et privé des intimés à la conclusion du contrat ;

qu’il sera statué ultérieurement sur l’accès aux pièces requis par la recourante ;

qu’enfin, il sera statué sur les frais de la présente décision avec l’arrêt au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

octroie l’effet suspensif au recours ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n'est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l'accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s'il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les
art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de
l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique la présente décision à Me Killian Sudan, avocat de la recourante, à Me Guy Stanislas, avocat de l'intimée, à la direction générale des finances de l'État de Genève ainsi qu’à la Commission de la concurrence.

 

 

La présidente :



 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :