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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/243/2012

ATA/88/2012 du 15.02.2012 sur JTAPI/85/2012 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/243/2012-MC ATA/88/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 février 2012

en section

 

dans la cause

 

Monsieur J______
représenté par Me Pierre Bayenet, avocat

 

contre

 

OFFICIER DE POLICE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 janvier 2012 (JTAPI/85/2012)


EN FAIT

1. Monsieur J______, ressortissant nigerian né en 1988, a vu la demande d’asile qu’il avait déposée en Suisse être rejetée par décision de non-entrée en matière de l’office fédéral des migrations (ci-après : ODM) du 13 juillet 2010. Il devait être immédiatement renvoyé vers l’Italie, soit dans un pays signataire du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers (règlement Dublin).

2. Le 31 août 2010, la police a été chargée par l’office cantonal de la population (ci-après : OCP) de procéder à son renvoi en Italie.

3. Interpellé le 14 septembre 2010 dans le préau d’une école genevoise avec une boulette de cocaïne destinée à la vente, M. J______ a été condamné par ordonnance du juge d’instruction du 3 novembre 2010 à une peine privative de liberté d’ensemble de quarante-cinq jours. Il avait vendu 1,2 g. de cocaïne à un policier en civil et était encore en possession de 1 g. de cette drogue, destiné à la vente.

4. Refoulé à destination de Rome le 8 novembre 2010, M. J______ a déposé une nouvelle demande d’asile en Suisse le 30 du même mois.

5. Le 10 février 2011, l’ODM a prononcé une nouvelle décision de non-entrée en matière ; l’intéressé était renvoyé en Italie.

Cette décision est devenue exécutoire.

6. L’OCP a informé l’ODM, le 10 juin 2011, que M. J______ avait disparu depuis le 30 mai 2011 du foyer dans lequel il résidait.

7. Entendu par l’OCP le 15 juin 2011, M. J______ a indiqué qu’il résidait depuis le 31 mai 2011 chez son amie à Bâle. Il a été refoulé le jour-même à destination de l’Italie.

8. Revenu en Suisse, M. J______ a déposé une nouvelle demande d’asile, rejetée par décision de non-entrée en matière de l’ODM du 6 octobre 2011.

9. Chargé par l’OCP d’exécuter le renvoi de l’intéressé, la police l’a interpellé le 27 janvier 2012 et un officier de police a ordonné sa mise en détention administrative pour une durée de six semaines.

M. J______ a indiqué être d’accord de retourner en Italie s’il trouvait un médecin pour le soigner. Il était en traitement médical suite à un problème à la hanche et au poignet.

10. Une place a été réservée dans un vol de ligne à destination de Rome, le 17 février 2012.

11. Entendu le 30 janvier 2012 par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), M. J______ a confirmé être d’accord de retourner en Italie. Il avait très mal à la hanche, ce qui l’empêchait de se déplacer. Il avait rendez-vous avec son médecin traitant les 1er et 20 février 2012. Il doutait qu’il puisse prendre l’avion au vu de ses difficultés de mobilité.

12. Par décision du même jour, le TAPI a confirmé la mise en détention administrative de l’intéressé jusqu’au 27 février 2012.

13. Le 7 février 2012, M. J______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité. Son renvoi en Italie était juridiquement impossible au vu des conditions d’abandon dans lesquelles il se trouverait en Italie. Aucun logement ne lui serait accordé et il lui serait de ce fait impossible d’accéder aux soins médicaux. Il ne bénéficierait d’aucun moyen de subsistance. L’art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) serait violé.

14. Le 8 février 2012, le conseil de M. J______ a adressé une télécopie à la chambre administrative. L’intéressé ne supportait plus la détention et était prêt à renoncer à son suivi médical pour pouvoir plus rapidement prendre un vol vers l’Italie. Le recours était toutefois maintenu car dirigé contre l’ordre de mise en détention et non contre le renvoi. Malgré cela, celui-là restait contraire à l’art. 3 CEDH.

15. Le 9 février 2012, l’officier de police s’est opposé au recours.

Les conditions de la mise en détention administrative étaient remplies et le principe de la proportionnalité respecté.

Selon la jurisprudence, ce n’était que si une décision de renvoi apparaissait manifestement inadmissible, c’est-à-dire arbitraire ou nulle, que le juge de la détention pouvait la lever.

Rien ne s’opposait au renvoi de l’intéressé, que les autorités italiennes avaient accepté de reprendre et qui bénéficiait d’un laissez-passer.

16. Le 9 février 2012, la détermination de l’officier de police a été transmise au recourant et la procédure gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté le 7 février 2012 contre le jugement du TAPI prononcé et signifié à l’intéressé le 30 janvier 2012, le recours a été effectué en temps utile auprès de la juridiction compétente (art. 132 al. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10 ; art. 17 et 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Selon l’art. 10 al. 2 LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. En statuant ce jour, elle respecte ce délai.

Elle est compétente pour apprécier l’opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 LaLEtr). Elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l’étranger (art. 10 al. 3 LaLEtr).

3. a. L’étranger qui a fait l’objet d’une décision de renvoi exécutoire peut être mis en détention administrative s’il a fait l’objet de la part de l’ODM d’une décision de non-entrée en matière au sens de l’art. 32 al. 2 let. a à c de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31 ; art. 76 al. 1 let. b ch. 2 LEtr) ou si des éléments concrets font craindre qu’il entend se soustraire à son expulsion, en particulier parce qu’il ne se soumet pas à son obligation de collaborer au sens de l’art. 90 LEtr ou de l’art. 8 al. 1 let. a ou al. 4 LAsi ; art. 76 al. 1 let. b ch. 3 LEtr). Il en va de même si son comportement permet de conclure qu’il se refuse à obtempérer aux instructions des autorités (art. 76 al. 1 let. b ch. 4 LEtr). Les art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEtr décrivent tous deux des comportements permettant de conclure à l’existence d’un risque de fuite ou de disparition. Ces deux éléments doivent donc être envisagés ensemble (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_128/2009 du 30 mars 2009, consid. 3.1).

Un risque de fuite existe lorsque l’étranger a déjà disparu une première fois dans la clandestinité, qu’il tente d’entraver les démarches en vue de l’exécution du renvoi en donnant des indications manifestement inexactes ou contradictoires, ou encore lorsqu’il laisse clairement apparaître qu’il n’est pas disposé à se soumettre au renvoi (ATF 130 II 56 consid. 3.1, et la jurisprudence citée). Lorsqu’il existe un risque de fuite, le juge de la détention doit établir un pronostic en déterminant s’il existe des garanties que l’étranger prête son concours à l’exécution du renvoi, soit qu’il se conformera aux instructions de l’autorité et regagnera ainsi son pays d’origine le moment venu, c’est-à-dire lorsque les conditions seront réunies. Dans ce cas, le juge de la détention dispose d’une certaine marge d’appréciation (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_400/2009 du 16 juillet 2009, consid. 3.1).

b. Il en va de même si cette personne a été poursuivie ou condamnée pour une infraction par laquelle elle a menacé sérieusement la vie ou l’intégrité corporelle d’autres personnes (art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEtr, renvoyant à l’art. 75 al. 1 let. g LEtr ; ATA/647/2011 du 12 octobre 2011).

4. En l’espèce, le recourant n’a pas de papiers d’identité et il est sans domicile fixe. Il a déposé trois demandes d’asile qui ont toutes été rejetées. Refoulé à deux reprises vers l’Italie, il est revenu en Suisse quelques semaines plus tard.

Le recourant fait l’objet, outre d’une décision de non-entrée en matière, d’une décision de renvoi exécutoire du 6 octobre 2011.

Dans ces circonstances, les conditions d’application de l’art. 76 al. 1 let. b ch. 3 et 4 LEtr sont réalisées, sans qu’il ne soit nécessaire de déterminer si la quantité de stupéfiants pour laquelle il a été condamné est suffisante pour menacer sérieusement la vie et l’intégrité d’autres personnes.

5. Les autorités ont fait preuve de toute la diligence requise pour renvoyer le recourant. Toute autre mesure moins incisive, telle qu’une assignation à résidence ou une assignation territoriale, alors que l’intéressé n’a pas de domicile fixe, ne permettrait pas d’assurer sa présence le jour du vol, de sorte que la détention administrative est la seule nécessaire et adéquate pour permettre d’atteindre ce but.

En confirmant pour un mois la durée de la détention administrative du recourant, le TAPI a pris une mesure conforme au principe de la proportionnalité.

6. a. Selon l'art. 80 al 4 LEtr, l'autorité judiciaire qui examine la décision tient compte de la situation familiale de la personne détenue et des conditions d’exécution de la détention. Celle-ci doit en particulier être levée lorsque son motif n’existe plus ou si, selon l'art. 80 al. 6 let. a LEtr, l’exécution du renvoi ou de l’expulsion s’avère impossible pour des raisons juridiques ou matérielles ou qu’il ne peut être raisonnablement exigé, cette dernière disposition légale renvoyant à l'art. 83 al. 1 à 4 LEtr.

b. Selon la jurisprudence, cette disposition vise aussi les personnes pour lesquelles un retour reviendrait à les mettre concrètement en danger, notamment parce qu’elles ne pourraient plus recevoir les soins dont elles ont besoin (ATA/334/2009 du 2 juillet 2009; JAAC 67 [2003] n° 63). L’exigibilité du renvoi peut, à titre exceptionnel, être niée en raison de l’état physique ou psychique du recourant (Ph. GRANT, Les mesures de contrainte en droit des étrangers, mise à jour et rapport complémentaire de l’organisation suisse d’aide aux réfugiés, Berne, 7 septembre 2001, p. 23). La doctrine se réfère à cet égard à un arrêt de la Cour Européenne des droits de l’homme dans lequel cette dernière a rappelé que les Etats contractants, lorsqu’ils exercent leur droit à expulser des étrangers, doivent tenir compte de l’art. 3 CEDH qui consacre l’une des valeurs fondamentales d’une société démocratique (ACEDH D. c. Grande-Bretagne du 2 mai 1997, no 30240/96, publié au recueil 1997-III). S’appuyant sur cette décision, le Tribunal fédéral a jugé qu’un mauvais état de santé pouvait, dans des cas extraordinaires, conduire à renoncer à l’exécution du renvoi (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.313/1997 du 29 août 1997 ; ATA/14/2006 du 12 janvier 2006).

c. En matière d'asile, l’exécution du renvoi des personnes en traitement médical en Suisse ne devient inexigible qu’à partir du moment où, en raison de l’absence de possibilités de traitement médical dans leur pays d’origine ou de destination, leur état de santé se dégraderait très rapidement au point de conduire, d’une manière certaine, à la mise en danger concrète de leur vie ou à une atteinte sérieuse, durable et notablement plus grave de leur intégrité physique (G. ZÜRCHER, Wegweisung und Fremdenpolizeirecht : die verfahrensmässige Behandlung von medizinischen Härtefällen, in : Schweizerisches Institut für Verwaltungskurse, Ausgewählte Fragen des Asylrechts, Lucerne 1992 ; ATAF D-5039/2006 du 1er juin 2007). En revanche, une décision d’exécution du renvoi ne devient pas inexigible au simple motif que l’infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical prévalant en Suisse correspondent à un standard élevé non accessible dans le pays d’origine ou le pays tiers de résidence de la personne concernée (JICRA 1993 n° 38 p. 274 ss ; ATAF E-6427/2006 du 3 avril 2008). Enfin, l’examen de l’exigibilité de l’exécution du renvoi dépend avant tout de la situation concrète de la personne concernée dans le pays de destination, et en particulier, des possibilités d’accès aux soins médicaux (JAAC 68 [2004] n° 116, décision de la commission suisse de recours en matière d’asile du 13 janvier 2004; JAAC 68 [2004] n° 115, décision de la commission suisse de recours en matière d’asile du 24 octobre 2003 ; ATA/694/2009 du 22 décembre 2009).

En l’espèce, le recourant a fait état de problèmes de santé à la hanche et au poignet, sans plus de précision. Il a, en cours de procédure, renoncé à invoquer ces éléments et indiqué vouloir être renvoyé le plus rapidement possible en Italie.

Dans ces circonstances, l'impossibilité du renvoi n'est pas patente et ne peut être prise en compte par la chambre administrative, en sa qualité de juge de la détention.

7. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Aucun émolument ne sera perçu, la procédure étant gratuite (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 février 2012 par Monsieur J______ contre le jugement du 30 janvier 2012 du Tribunal administratif de première instance ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pierre Bayenet, avocat du recourant, au Tribunal administratif de première instance, à l'officier de police, à l'office cantonal de la population, à l'office fédéral des migrations, ainsi qu'au centre Frambois LMC, pour information.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le

 

la greffière :