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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2281/2022

ATA/815/2022 du 17.08.2022 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2281/2022-FORMA ATA/815/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 août 2022

en section

 

dans la cause

 

A______, enfant mineur, agissant par ses parents Madame et Monsieur B______
représenté par Me Vincent Latapie, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE



EN FAIT

1) Madame et Monsieur B______ sont domiciliés en France voisine, avec leurs enfants C______ et A______, nés respectivement les ______2006 et ______ 2009. La mère et les deux enfants sont de nationalité suisse et le père, chilienne.

2) Mme B______ travaille en qualité de sage-femme aux Hôpitaux universitaires de Genève à un taux de 100%.

3) La mineure C______ a été admise à l’Ecole de Culture Générale (ci-après : ECG) pour la rentrée scolaire 2022-2023, tandis que le mineur A______ était scolarisé en France, au Collège D______ de E______, pour l’année scolaire 2021-2022.

4) Le 9 juin 2022, Mme B______ a déposé plainte pénale au nom de son fils mineur au poste de E______ de la Gendarmerie nationale en raison du harcèlement dont A______ était victime de la part de certains de ses pairs depuis plus de deux mois au sein de son collège, incluant des critiques, des insultes et des humiliations quotidiennes, en public, en personne et sur les réseaux sociaux. Il s’était renfermé et isolé. Il n’en pouvait plus, ne voulait plus aller en cours, n’avait plus de motivation pour sa scolarité et avait même pensé à plusieurs reprises au suicide.

Il avait consulté Madame F______, psychologue, et la Dresse G______, pédopsychiatre psychothérapeute à Genève, laquelle avait attesté le 3 juin 2022 de ce que l’état de santé de son patient ne lui permettait pas d’aller à l’école jusqu’à la fin de l’année scolaire. Un certificat médical d’arrêt de travail concernant la mère avait également été rédigé pour la période du 3 au 13 juin 2022.

Bien qu’avisé de la situation, le collège n’avait pris aucune mesure.

5) Le 15 juin 2022, Mme B______ a adressé à la direction générale de l’enseignement obligatoire (ci-après : DGEO) du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : DIP) une demande d’admission de son fils au cycle d’orientation public à Genève. Elle était consciente du statut de frontaliers de la famille, mais elle ne voyait pas d’autre solution au regard de la souffrance de A______ — qui prenait un traitement antidépresseur —, du fait que sa fille aînée serait scolarisée à Genève à la prochaine rentrée et du fait que la famille envisageait de revenir s’installer en Suisse dans les prochaines années.

6) Par décision du 23 juin 2022, le DIP a refusé la demande d’admission, celle-ci ayant été déposée après le délai limite d’inscription du 31 janvier 2022.

7) Le 11 juillet 2022, Mme et M. B______, agissant au nom de leur fils mineur, ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre cette décision, concluant à son annulation, à ce que l’inscription de A______ au cycle d’orientation public genevois pour la rentrée scolaire 2022-2023 soit ordonnée, subsidiairement au renvoi du dossier à la DGEO pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Ils ont également conclu à l’octroi d’une indemnité de procédure de CHF 2'500.-.

Le délai d’inscription au 31 janvier 2022 n’avait pas pu être respecté en raison d’évènements extérieurs extraordinaires et imprévisibles survenus à compter du printemps 2022, à propos desquels A______ n’était parvenu à s’ouvrir que le 3 juin 2022. Par ailleurs, les conditions d’admission dans l’enseignement public genevois étaient réalisées puisque sa sœur ainée était scolarisée à Genève.

8) Le 29 juillet 2022, le DIP a conclu au rejet du recours.

L’élève pouvait poursuivre sa scolarité dans un autre établissement en France ou dans une autre école privée à Genève si tel était le choix de ses parents. La décision n’était pas arbitraire. Elle résultait de l’application des dispositions règlementaires en vigueur. Les parents de l’élève n’avaient fait valoir aucune velléité d’inscrire leur fils à l’école à Genève avant le 31 janvier 2022 et la requête déposée le 15 juin 2022 était tardive et ne pouvait être considérée comme une demande de restitution de délai au sens de l’art. 16 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10, Mme B______ n’ayant pas été empêchée d’agir, nonobstant le certificat médical la concernant. Pour le surplus, la sœur ainée de l’élève ne serait scolarisée à Genève qu’à partir du 22 août 2022 en sorte que les conditions de l’art. 25 al. 1 let. c Règlement du cycle d’orientation – RCO – C 1 10.26 n’étaient pas encore réalisées.

9) Le 8 août 2022, Mme et M. B______ ont répliqué, persistant dans leurs conclusions. Ils ont relevé que la Dresse G______ avait souligné que leur fils devait impérativement changer d’école du fait du harcèlement scolaire dont il était victime depuis plusieurs mois, principe que le DIP ne remettait pas en question. Pour le surplus, la sœur ainée de A______ étant admise en enseignement secondaire II pour la rentrée scolaire 2022-2023, les conditions de l’art. 25 al. 1 let. c RCO étaient donc réalisées.

10) Le même jour, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) a. Un délai fixé par la loi ne peut être prolongé. Les cas de force majeure sont réservés (art. 16 al. 1 LPA).

Tombent sous la notion de force majeure les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d'activité de l'intéressé et qui s'imposent à lui de façon irrésistible (ATA/470/2022 du 3 mai 2022 consid. 2b ; ATA/138/2021 du 9 février 2021 consid. 3a et b ; ATA/160/2019 du 19 février 2019 consid. 2b). Les conditions pour admettre un empêchement sont très strictes. Ce dernier doit être imprévisible et sa survenance ne doit pas être imputable à faute à l'administré (arrêts du Tribunal fédéral 8C_743/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4.3 ; 2P.259/2006 du 18 avril 2007 consid. 3.2 ; ATA/486/2022 du 10 mai 2022 consid. 3c). L'empêchement doit être de nature telle que le respect des délais aurait exigé la prise de dispositions que l'on ne peut raisonnablement attendre de la part d'un homme d'affaires avisé (ATA/470/2022 précité consid. 2b ; ATA/138/2021 précité consid. 3a et b).

Pour établir l'existence d'un cas de force majeure, le fardeau de la preuve incombe à celui qui s’en prévaut (ATA/544/2013 du 27 août 2013 et les références citées).

3) a. En l'espèce, les recourants ne contestent pas avoir déposé la requête après l’échéance du délai fixé par l’autorité intimée au 31 janvier 2022 selon l’art. 25 al. 3 RCO. Ils invoquent toutefois un cas de force majeure et indiquent avoir ignoré jusqu’au 3 juin 2022 l’impossibilité pour leur fils de poursuivre sa scolarité dans l’établissement scolaire qu’il fréquentait en France, faisant état d’une situation de harcèlement scolaire ayant eu de graves conséquences sur le mineur, dont une impossibilité de retourner dans le collège et des idées suicidaires.

b. Il ressort de la procédure que le mineur a été victime de harcèlement de la part de plusieurs de ses pairs dans son établissement scolaire depuis plusieurs mois, dont ses parents — qui avaient noté un changement de comportement, d’humeur et une baisse des résultats scolaires — n’ont pas eu connaissance avant le mois de juin 2022.

Ces faits sont corroborés par les plaintes pénales déposées les 9 et 17 juin 2022 et les procès-verbaux d’audition de la mère et de l’enfant des mêmes jours, d’ores et déjà versés au dossier.

Leur impact sur la santé psychique du mineur le sont par sa thérapeute qui a attesté le 7 juillet 2022 de la gravité de la situation et du caractère extrêmement anxiogène et maltraitant pour lui de rester dans le même collège que ses agresseurs, l’enfant devant être mis en sécurité dans un établissement scolaire de qualité, compatible avec la situation actuelle et les projets de vie de la famille. Elle a décrit longuement la gravité de son état, précisant qu’il n’avait, par ailleurs, jamais rencontré auparavant de difficultés scolaires, comportementales ou relationnelles.

Ces faits, gravissimes, avaient commandé la déscolarisation du mineur à partir du 3 juin 2022, étant relevé que l’établissement scolaire de ce dernier, bien qu’informé des faits, n’avait pas pris de mesures.

Cette situation n’est imputable ni aux parents ni à l’enfant et aucun élément du dossier n’indique qu’elle était prévisible. Dès lors qu’ils ignoraient que leur fils devrait changer d’établissement, il ne peut leur être reproché de ne pas avoir pris de dispositions préalables dans ce sens.

Ces circonstances exceptionnelles réalisent un cas de force majeure visé par l’art. 16 al. 1 LPA.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. La décision de refus litigieuse sera annulée et le dossier sera retourné au département afin qu’il rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.

4) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée aux parents du recourant, qui ont été assistés par un avocat (art. 87 al. 2 LPA), à la charge de l’État de Genève.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 juillet 2022 par A______, enfant mineur, agissant par ses parents Madame et Monsieur B______ contre la décision du departement de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 23 juin 2022 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du département de l’instruction publique, de la culture et du sport du 23 juin 2022 ;

retourne le dossier au département de l’instruction publique, de la culture et du sport pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à Madame et Monsieur B______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Vincent Latapie, avocat des recourants ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :