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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4231/2010

ATA/551/2012 du 21.08.2012 sur JTAPI/1054/2011 ( ICCIFD ) , REJETE

Recours TF déposé le 01.10.2012, rendu le 23.01.2014, REJETE, 2C_960/12, 2C_961/12
Descripteurs : ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL) ; PRIMAUTÉ DU DROIT FÉDÉRAL ; CONFORMITÉ AU DROIT INTERNATIONAL ; DROIT FISCAL ; IMPÔT ; ASSUJETTISSEMENT(IMPÔT) ; CALCUL DE L'IMPÔT ; IMMEUBLE ; PERTE(ARGENT)
Normes : Cst.190 ; LIFD.6.al3; ALCP.2; ALCP.16.al2; ALCP.21; ALCP.9.al2; aLIPP-I.5al1; aLIPP-I.5.al4
Résumé : L'excédent de charges liées au bien immobilier des recourants sis en France ne peut pas être pris en considération pour la détermination du revenu net, mais uniquement pour celle du taux de l'impôt. Les recourants sont ressortissants français et résident dans le canton de Genève ; ils ont été traités de la même manière que des ressortissants suisses disposant d'une résidence secondaire en France, de sorte que le principe de non-discrimination découlant de l'ALCP n'a pas été violé en l'espèce. Dans la mesure où la fiscalité est une question relevant de la compétence des Etats parties à l'ALCP, il n'y a pas lieu de se référer à la jurisprudence de la CJCE pour interpréter la notion d'excédent d'intérêts passifs, d'autant plus que ledit accord ne traite pas expressément de cette problématique.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4231/2010-ICCIFD ATA/551/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 août 2012

2ème section

 

dans la cause

 

Madame L______ M______ et Monsieur M______
représentés par Me Frédéric Vuilleumier, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2011 (JTAPI/1054/2011)


EN FAIT

1) Madame L______ M______ et Monsieur M______ sont mariés. Ils sont ressortissants français et domiciliés dans le canton de Genève.

Ils sont propriétaires d'une villa à Cologny ainsi que d'une résidence secondaire en France, à Chamonix.

M. M______ est employé auprès d'une banque à Genève. Mme L______ M______ n'exerce pas d'activité lucrative.

2) Dans leur déclaration fiscale 2008, adressée à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) en 2010, les époux M______ ont indiqué notamment qu'ils avaient effectué trois emprunts hypothécaires : le premier grevait leur villa à Cologny pour un montant de CHF 1'000'000.- et CHF 40'500.- d'intérêts passifs ; les deux autres concernaient des travaux de rénovation de leur chalet à Chamonix, totalisant CHF 5'538'641.- d'hypothèques et CHF 159'360.- d'intérêts passifs.

3) Par bordereaux de taxation adressés aux époux M______ le 4 octobre 2010, l'AFC a fixé l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) 2008 à CHF 11'815,05 sur la base d'un revenu imposable de CHF 223'000.- au taux de CHF 164'300.- et l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2008 à CHF 69'008,75 sur la base d'un revenu imposable de CHF 228'589.- au taux de CHF 176'243.- et d'une fortune imposable de CHF 3'366'336.- au taux de CHF 6'009'815.-.

Selon le tableau de répartition joint auxdits bordereaux, l'AFC a procédé à un correctif de CHF 52'346.- en défaveur des contribuables, correspondant à la perte liée à la déduction des intérêts passifs attribués au bien immobilier sis en France. Les revenus de l'immeuble français ne suffisaient pas à couvrir la totalité des intérêts passifs ; l'excédent s'élevait à CHF 52'346.-.

Les bordereaux pouvaient faire l'objet d'une réclamation dans les trente jours auprès de l'AFC.

4) Le 7 octobre 2010, les contribuables ont élevé réclamation à l'encontre des bordereaux précités, contestant notamment le correctif de CHF 52'346.-.

5) Par deux décisions du 3 novembre 2010, l'AFC a remis aux époux M______ deux bordereaux rectificatifs fixant l'IFD 2008 à CHF 10'671,85 et l'ICC 2008 à CHF 66'824,70, après avoir supprimé les allocations familiales comprises dans le salaire brut et maintenu le correctif de CHF 52'346.-.

L'excédent de charges à l'étranger, résultant du fait que la part des intérêts passifs attribuée aux revenus étrangers était supérieure à ceux-ci, avait été correctement pris en compte pour fixer le taux d'imposition du revenu en Suisse. A contrario, les revenus positifs étaient également pris en compte dans le seul but de fixer le taux de l'impôt conformément aux dispositions conventionnelles. L'Etat dans lequel la majorité des revenus étaient tirés devait prendre en compte, pour fixer le taux de l'impôt, les charges excédentaires de l'Etat de résidence. La même logique devait s'appliquer, a fortiori, au cas des contribuables assujettis de manière illimitée à Genève.

Les décisions pouvaient faire l'objet d'un recours dans les trente jours auprès de la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission), devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

6) Le 7 décembre 2010, les contribuables ont recouru auprès de la commission contre les deux décisions précitées, concluant à l'annulation de ces dernières et priant l'autorité de recours de dire que l'excédent d'intérêts passifs était entièrement déductible des revenus imposables en Suisse.

Rien ne permettait d'assimiler un excédent d'intérêts passifs sur un immeuble à l'étranger à des pertes subies à l'étranger au sens de la législation fiscale suisse.

La jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (ci-après : CJCE) devait être prise en compte dans son intégralité : ayant dans un premier temps laissé ouverte la question de la base imposable, la CJCE avait ensuite jugé explicitement qu'il fallait tenir compte des pertes étrangères, tant pour la détermination du taux d'imposition que pour la fixation de l'assiette imposable.

7) Le 15 avril 2011, l'AFC a conclu au rejet du recours.

Les intérêts passifs sur des immeubles sis hors de Suisse n'étaient pas déductibles des éléments imposables en Suisse, mais pris en compte pour la détermination du taux d'imposition. La jurisprudence de la CJCE n'était pas applicable aux contribuables. Seul le droit national s'appliquait.

8) Le 27 juin 2011, les époux M______ ont persisté dans leur recours.

Selon la jurisprudence de la CJCE, les dispositions empêchant ou dissuadant un ressortissant d'un Etat membre de quitter son Etat d'origine pour exercer son droit à la libre circulation constituaient des entraves à ladite liberté, comme c'était le cas des dispositions fiscales suisse et genevoise en matière d'excédent d'intérêts passifs.

9) Le 29 juillet 2011, l'AFC a persisté dans ses conclusions.

Les intérêts de dettes grevant des immeubles commerciaux ou privés situés à l'étranger étaient pris en compte uniquement pour la détermination du taux d'imposition. La législation fiscale suisse et genevoise en la matière ne devait pas être interprétée restrictivement.

10) Par jugement du 3 octobre 2011, adressé aux parties le 7 octobre 2011, le TAPI a rejeté le recours des époux M______.

Une perte subie sur un immeuble sis à l'étranger ne devait être prise en considération en Suisse que lors de la détermination du taux de l'impôt.

La question de savoir si les dispositions fiscales suisse et genevoise en la matière étaient conformes à la jurisprudence rendue par la CJCE après le 21 juin 1999 pouvait demeurer ouverte, dans la mesure où le Tribunal fédéral s'était déclaré non lié par celle-ci.

Le jugement pouvait faire l'objet d'un recours dans les trente jours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

11) Par acte posté le 8 novembre 2011, les époux M______ ont recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, concluant à l'annulation de ce dernier et priant l'autorité de recours de « dire que l'excédent d'intérêts passifs [était] entièrement déductible des revenus imposables en Suisse », de retourner le dossier à l'AFC pour l'établissement de nouveaux bordereaux, de mettre les frais de la procédure à la charge de l'Etat de Genève et de leur allouer une équitable indemnité de procédure.

Le jugement litigieux violait le droit interne suisse ainsi que le droit international, dans la mesure où il refusait « de prendre en compte l'excédent d'intérêts passifs alloué à la France dans la base imposable des recourants en Suisse ».

L'excédent d'intérêts passifs devait être réparti conformément aux règles de répartition intercantonale, proportionnellement aux actifs localisés, même en matière internationale. Ledit excédent devait être pris en considération pour déterminer l'assiette de l'impôt. Les intérêts passifs ne pouvaient pas être qualifiés de « perte subie à l'étranger ». Tant l'excédent de frais d'acquisition que l'excédent d'intérêts passifs étrangers étaient déductibles des revenus suisses. Le fait de refuser la déductibilité dudit excédent créait pour eux une nouvelle surimposition, la France n'étant pas en mesure de supporter la totalité de la charge d'intérêts qui lui était allouée.

Selon la jurisprudence de la CJCE postérieure au 21 juin 1999, les pertes étrangères devaient être prises en compte non seulement pour la détermination du taux d'imposition mais également pour la fixation de l'assiette imposable. Le fait d'exclure les pertes étrangères de la déduction de l'assiette fiscale violait le principe de la libre circulation des personnes.

12) Le 15 novembre 2011, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative, en indiquant qu'il n'avait pas d'observations à formuler dans le cadre du recours.

13) Le 15 novembre 2011, le juge délégué a imparti aux époux M______ un délai au 13 janvier 2012 pour produire les copies de la déclaration suisse pour l'ICC et l'IFD 2007, des déclarations fiscales françaises 2007 et 2008, ainsi que des bordereaux français 2007 et 2008.

14) Le 9 décembre 2011, l'AFC a conclu au rejet du recours.

La législation fiscale suisse et genevoise ne violait pas les principes de l'égalité de traitement et de la libre circulation des personnes. La perte subie sur un immeuble sis à l'étranger ne pouvait être prise en compte que pour le taux d'imposition et ne pouvait pas être déduite des revenus.

15) Le 13 janvier 2012, les époux M______ ont persisté dans leur recours et ont joint divers documents : selon leur déclaration fiscale suisse 2007, leur revenu imposable ICC était de CHF 1'177'811.-, leur revenu imposable IFD de CHF 1'189'120.- et leur fortune imposable ICC de CHF 4'806'551.-. Leur taxe d'habitation française se montait à Euros 1'347.- en 2007 pour une valeur locative brute de Euros 6'088.- et à Euros 1'371.- en 2008 pour une valeur locative brute de Euros 6'185.-.

16) Le 25 janvier 2012, le juge délégué a transmis copie de l'écriture précitée à l'AFC et a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recours porte sur les bordereaux ICC et IFD 2008, notifiés par l'AFC aux contribuables, ces derniers considérant que l'excédent d'intérêts passifs à hauteur de CHF 52'346.- attribué à l'immeuble sis en France doit être pris en compte en Suisse pour la détermination du taux d'imposition et de la base imposable.

3) Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale : Arrêt du Tribunal fédéral 2P.115/2003 du 14 mai 2004 ; ATA/377/2009 du 29 juillet 2009). Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation, avec d'autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique : ATF 132 V 321 consid. 6 ; 129 V 258 consid. 5.1 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d'interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 133 III 175 consid. 3.3.1 ; 125 II 206 consid. 4a ; ATA/335/2012 du 5 juin 2012 ; ATA/422/2008 du 26 août 2008). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 119 Ia 241 consid. 7a et les arrêts cités).

4) L'art. 190 Cst. prévoit que le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international. En cas de contradiction entre une loi fédérale et la Cst., l'autorité qui statue peut relever celle-là, mais n'en doit pas moins appliquer la disposition de la loi fédérale en cause (ATF 135 II 384 consid. 3.1 et les arrêts cités). En revanche, en cas de contradiction entre une loi fédérale et le droit international, ce dernier prévaut en principe (ATF 133 V 367 consid. 11.1.1 ; 125 II 417 consid. 4c et les arrêts cités).

Impôt fédéral direct

5) L'art. 6 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) est en vigueur depuis 1995 et a la teneur suivante :

L'assujettissement fondé sur un rattachement personnel est illimité ; il ne s'étend toutefois pas aux entreprises, aux établissements stables et aux immeubles situés à l'étranger.

2 L'assujettissement fondé sur un rattachement économique est limité aux parties du revenu qui sont imposables en Suisse selon les art. 4 et 5. Au moins le revenu acquis en Suisse doit être imposé.

3 L'étendue de l'assujettissement pour une entreprise, un établissement stable ou un immeuble est définie, dans les relations internationales, conformément aux règles du droit fédéral concernant l'interdiction de la double imposition intercantonale. Si une entreprise suisse compense, sur la base du droit interne, les pertes subies à l'étranger par un établissement stable avec des revenus obtenus en Suisse et que cet établissement stable enregistre des gains au cours des sept années qui suivent, il faut procéder à une révision de la taxation initiale, à concurrence du montant des gains compensés auprès de l'établissement stable ; dans ce cas, la perte subie par l'établissement stable à l'étranger ne devra être prise en considération, a posteriori, que pour déterminer le taux de l'impôt en Suisse. Dans toutes les autres hypothèses, les pertes subies à l'étranger ne doivent être prises en considération en Suisse que lors de la détermination du taux de l'impôt. Les dispositions prévues dans les conventions visant à éviter la double imposition sont réservées.

4 Les personnes imposables conformément à l'art. 3 al. 5 doivent l'impôt sur leurs revenus qui sont exonérés des impôts sur le revenu à l'étranger en vertu de conventions internationales ou de l'usage.

6) Selon l'art. 6 ch. 1 de la convention entre la Suisse et la France en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscale du 9 septembre 1966 (CDI-F - RS 0.672.934.91), les revenus provenant de biens immobiliers (y compris ceux des exploitations agricoles ou forestières) sont imposables dans l'Etat contractant où ces biens sont situés.

Les conventions internationales de double imposition visent à déterminer quel pays est compétent pour lever l'impôt ; la manière dont celui-ci est prélevé, ainsi que son taux, restent de la compétence de chaque ordre juridique interne (Arrêts du Tribunal fédéral 2C_625/2008 du 30 janvier 2009 consid. 4.2 ; 2C_265/2007 du 8 octobre 2007 consid. 2.1 ; X. OBERSON, Précis de droit fiscal international, 3ème éd., Berne 2009, n. 368 ; P. LOCHER, Einführung in das internationale Steuerrecht der Schweiz, 3ème éd., Berne 2005, pp. 98 s. et 292). Ainsi, la CDI-F - à l'instar de la très grande majorité des conventions de double imposition - ne contient-elle aucune disposition sur la déductibilité des intérêts passifs ou des excédents de charges et frais d'entretien des immeubles (ATA/288/2012 du 8 mai 2012).

Au vu de ce qui précède, la CDI-F n'apporte pas de solution au problème posé en l'espèce.

7) a. Se pose la question de savoir si l'excédent de charges liées aux immeubles sis à l'étranger fait ou non partie des « autres hypothèses » prévues à l'art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD.

b. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en matière de pertes subies à l'étranger, la LIFD retient expressément que les pertes provenant d'établissements stables à l'étranger peuvent être prises en compte lors de la détermination du revenu pour autant qu'il ne soit pas fait de bénéfice subséquent (art. 6 al. 3 2ème phr. LIFD), mais dans tous les autres cas la prise en compte des pertes faites à l'étranger doit être refusée, celles-ci ne pouvant être prises en considération que pour la détermination du taux (art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD) ; une telle prise en compte doit donc être refusée pour les immeubles étrangers, sous réserve de dispositions contraires contenues dans une convention de double imposition applicable (Arrêt du Tribunal fédéral in NStP 2000 19 consid. 2b ; ATA/288/2012 précité).

Selon l'art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD, et exception faite des établissements stables, les pertes subies à l'étranger ne sont prises en considération en Suisse que pour déterminer le taux d'imposition ; les corrections de valeurs ne peuvent par conséquent être déduites du revenu imposable en Suisse, mais ne sont prises en considération que pour fixer le taux d'impôt, pour autant que les critères formels soient à cet égard remplis (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.36/2007 du 21 août 2007 consid. 2.2 ; ATA/288/2012 précité et les références citées).

c. Cette interprétation a été adoptée par presque toutes les juridictions cantonales s'étant penchées sur la question, soit celles de Genève (ATA/288/2012 précité ; ATA/632/2009 du 1er décembre 2009 ; ATA/218/2007 du 8 mai 2007), du Tessin (décision de la commission cantonale en matière d'impôts du 27 octobre 1995 in RDAT 1996 I 379), de Thurgovie (Arrêt du Tribunal administratif thurgovien du 13 janvier 1999 in RF 1999 470 consid. 2e), de Schwytz (décision de la commission cantonale en matière d'impôts du 13 juin 2000 in RF 2001 274), de Vaud (Arrêt du Tribunal administratif vaudois du 9 octobre 2003 in RF 2004 446 consid. 2b) et de St-Gall (décision de la commission de recours administrative du 26 mars 2009 in StE 2009 B 11.3 n° 19 consid. 2.3.2). Seule la juridiction du canton d'Argovie connaît une interprétation différente : celle-ci ne concerne toutefois que sa législation fiscale cantonale, le texte de cette dernière divergeant de celui de l'art. 6 al. 3 LIFD (AGVE 2005 354 consid. 5c).

d. La doctrine largement majoritaire admet également cette solution (F. RICHNER/W. FREI/S. KAUFMANN/H.-U. MEUTER, Handkommentar zum DBG, 2ème éd., Zurich 2009, n. 74 ad art. 6 LIFD ; R. CADOSCH, DBG - Kommentar, Zurich 2008, n. 3 ad art. 6 LIFD ; J.-B. PASCHOUD, Impôt fédéral direct - Commentaire romand, Bâle 2008, n. 35 ss ad art. 6 LIFD ; P. LOCHER, Kommentar zum DBG, Bâle 2001, p. 433 ; E. HÖHN/ P. ATHANAS [éd.], Das neue Bundesrecht über die direkten Steuern, Berne - Stuttgart - Vienne 1993, n. 14 et 43 ad art. 6 LIFD).

Au vu de ce qui précède, la jurisprudence de la chambre de céans sera maintenue : l'excédent de charges liées aux immeubles sis à l'étranger fait partie des « autres hypothèses » prévues à l'art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD. Ledit excédent ne peut pas être pris en considération pour la détermination du revenu net, mais uniquement pour celle du taux de l'impôt.

8) a. Aux termes de l'art. 1 de l'Accord conclu le 21 juin 1999 entre la Suisse, d'une part, et la communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681), entré en vigueur le 1er juin 2002, l'objectif dudit accord, en faveur des ressortissants des Etats membres de la communauté européenne et de la Suisse, est le suivant :

a) accorder un droit d'entrée, de séjour, d'accès à une activité économique salariée, d'établissement en tant qu'indépendant et le droit de demeurer sur le territoire des parties contractantes ;

b) faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée ;

c) accorder un droit d'entrée et de séjour, sur le territoire des parties contractantes, aux personnes sans activité économique dans le pays d'accueil ;

d) accorder les mêmes conditions de vie, d'emploi et de travail que celles accordées aux nationaux.

Selon l'art. 16 al. 2 ALCP, dans la mesure où l'application de l'accord implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la CJCE antérieure à la date de sa signature. La jurisprudence postérieure à la date de la signature de l'ALCP sera communiquée à la Suisse. En vue d'assurer le bon fonctionnement de l'accord, à la demande d'une partie contractante, le comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence.

L'art. 21 ALCP précise ce qui suit :

1 Les dispositions des accords bilatéraux entre la Suisse et les Etats membres de la communauté européenne en matière de double imposition ne sont pas affectées par les dispositions de l'ALCP. En particulier les dispositions de ce dernier ne doivent pas affecter la définition du travailleur frontalier selon les accords de double imposition.

2 Aucune disposition de l'ALCP ne peut être interprétée de manière à empêcher les parties contractantes d'établir une distinction, dans l'application des dispositions pertinentes de leur législation fiscale, entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans des situations comparables, en particulier en ce qui concerne leur lieu de résidence.

3 Aucune disposition de l'accord ne fait obstacle à l'adoption ou l'application par les parties contractantes d'une mesure destinée à assurer l'imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l'évasion fiscale conformément aux dispositions de la législation fiscale nationale d'une partie contractante ou aux accords visant à éviter la double imposition liant la Suisse, d'une part, et un ou plusieurs Etats membres de la communauté européenne, d'autre part, ou d'autres arrangements fiscaux.

Les ressortissants d'une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d'une autre partie contractante ne sont pas, dans l'application de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité (art. 2 ALCP).

Le travailleur salarié et les membres de sa famille ressortissants d'une partie contractante bénéficient, sur le territoire d'une autre partie contractante, des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille (art. 9 al. 2 de l'annexe I ALCP).

b. Les engagements pris par la Suisse sont sectoriels, pourvus de mécanismes de régulation propres et ne consacrent pas une participation pleine et entière au marché intérieur de la communauté européenne (ATF 130 II 113 consid. 6.1 ; ATA/152/2009 du 24 mars 2009 ; Message du Conseil fédéral du 23 juin 1999 relatif à l'approbation des accords sectoriels entre la Suisse et la communauté européenne, FF 1999 p. 5440 ss, 5473 ; R. BIEBER, Quelques remarques à l'occasion de l'entrée en vigueur des accords bilatéraux Suisse-CE, in Mélanges en l'honneur de Bernard Dutoit, Genève 2002, p. 13 ss, 14).

Lorsqu'il est amené à interpréter l'ALCP, le juge suisse doit tenir compte du fait que la plupart des arrêts de la CJCE sont rendus dans le cadre d'une procédure spéciale dite de renvoi préjudiciel, comportant des propriétés n'étant pas sans conséquences pour apprécier la portée de ladite jurisprudence dans l'ordre juridique suisse. En particulier, le renvoi préjudiciel est un instrument de coopération judiciaire qui vise à assurer une application uniforme du droit communautaire sans porter atteinte à l'autonomie dont jouissent les juridictions nationales : la CJCE se limite à répondre aux questions d'interprétation du droit communautaire que lui adressent les juges nationaux, tandis que ces derniers restent seuls à statuer sur le fond en tenant compte des circonstances de faits et de droit des affaires dont ils sont saisis. La CJCE s'abstient généralement d'examiner des questions relevant de l'appréciation du juge national, tels les faits ou leur exactitude ; elle veille également à rester dans le cadre de la demande et évite d'aborder une question que le juge national n'a pas posée ou a refusé de poser. Si ce dernier désire poser une nouvelle question de droit ou soumettre des éléments nouveaux ou s'il se heurte à des difficultés de compréhension ou d'interprétation d'un arrêt, il peut saisir à nouveau la CJCE ; il y est même tenu lorsqu'il statue en dernier ressort (ATF 130 II 113 consid. 6.1 et les références citées ; ATA/152/2009 précité).

Un tel mécanisme de coopération judiciaire n'existe pas entre la Suisse et la communauté européenne et ses Etats membres. Confronté à un problème d'interprétation, le juge suisse n'a donc ni l'obligation ni même la possibilité de se référer à la CJCE mais doit le résoudre seul, en se conformant aux règles d'interprétation habituelles déduites de la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV - RS 0.111). L'art. 31 par. 1 CV prescrit qu'un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (ATF 130 II 113 consid. 6.1 et les références citées ; ATA/152/2009 précité).

Les arrêts de la CJCE fondés sur des notions ou des considérations dépassant le cadre relativement étroit des accords sectoriels ne sauraient donc, sans autre examen, être transposés dans l'ordre juridique suisse (ATF 130 II 113 consid. 6.2 ; ATA/152/2009 précité).

c. Le Tribunal fédéral précise que, selon la CJCE, si la fiscalité directe relève de la compétence des Etats membres, il n'en demeure pas moins que ces derniers doivent l'exercer dans le respect du droit communautaire, en s'abstenant de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité (ATF 136 II 241 consid. 13.1 et les références citées).

d. Selon le Tribunal fédéral, en application de l'art. 16 al. 2 ALCP, il convient de tenir compte de la jurisprudence pertinente de la CJCE antérieure au 21 juin 1999, date de signature de l'ALCP, sous réserve des cautèles prévues par l'art. 21 ALCP (ATF 136 II 241 consid. 12 ; 132 V 53 consid. 2). Le Tribunal fédéral n'est pas lié par la jurisprudence postérieure au 21 juin 1999 (ATF 130 II 1 consid. 3.6 in RDAF 2005 I 621), les arrêts rendus postérieurement à cette date pouvant, le cas échéant, être utilisés en vue d'interpréter l'ALCP, surtout s'ils ne font que préciser une jurisprudence antérieure (ATF 132 V 53 consid. 2 ; 130 II 113 consid. 5.2 et 6.5 ; voir également l'avis de droit du 6 juillet 2009 du département fédéral de justice et police, office fédéral de la justice : L'admissibilité de mesures d'intégration à l'égard des citoyens de l'Union européenne in JAAC 1/2010 du 15 avril 2010 p. 16 ss, p. 23-24 ch. 2.2.3).

Dans un arrêt en matière de regroupement familial, le Tribunal fédéral a estimé qu'en vue de l'harmonisation du droit, il n'y avait pas de raison pertinente pour que la Suisse applique une pratique différente de celle de la CJCE, mais il n'était pas tenu de reprendre un arrêt de la CJCE postérieur au 21 juin 1999 (ATF 136 II 5 consid. 3.5 et 3.6 in RDAF 2011 I 497).

e. Selon la jurisprudence de la CJCE antérieure au 21 juin 1999, un Etat membre ne peut pas traiter un ressortissant d'un autre Etat membre qui, ayant fait usage de son droit de libre circulation, exerce une activité salariée sur le territoire du premier Etat, de façon moins favorable qu'un ressortissant national se trouvant dans la même situation (Arrêt Schumacker du 14 février 1995, dans l'affaire C-279/93).

9) L'interdiction de discrimination ancrée à l'art. 2 ALCP est directement applicable et l'emporte sur les dispositions contraires des lois fédérales sur l'impôt fédéral direct et sur l'harmonisation fiscale. Cette même interdiction l'emporte aussi sur le droit cantonal contraire (ATF 136 II 241 consid. 16).

10) En l'occurrence, la législation fiscale suisse prévoit que l'excédent d'intérêts passifs attribué à un immeuble sis à l'étranger n'est pas pris en compte en Suisse pour la détermination de la base imposable, mais uniquement pour la détermination du taux d'imposition (cf. supra consid. 7). L'art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD n'opère pas de distinction en fonction de la nationalité des contribuables concernés.

En l'espèce, les recourants sont ressortissants français et résident dans le canton de Genève. Ils ont été traités de la même manière que des ressortissants suisses résidant à Genève et disposant d'une résidence secondaire en France. L'art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD n'est dès lors pas contraire au principe de non-discrimination découlant de l'ALCP.

Dans la mesure où la fiscalité est une question relevant de la compétence des Etats parties à l'ALCP, il n'y a pas lieu de se référer à la jurisprudence de la CJCE pour interpréter la notion d'excédent d'intérêts passifs, d'autant plus que ledit accord ne traite pas expressément de cette problématique.

Impôt cantonal et communal

11) a. Sur le plan cantonal, la nouvelle loi sur l'imposition des personnes physiques adoptée le 12 juin 2009 par le Grand Conseil a été acceptée en votation populaire le 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08). Cette loi unifie les cinq lois issues de l'adaptation de la législation fiscale genevoise sur l'imposition des personnes physiques aux exigences de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). A teneur de son art. 69 al. 1 let. a, la LIPP abroge la loi sur l'imposition des personnes physiques - Objet de l'impôt - Assujettissement à l'impôt du 22 septembre 2000 (aLIPP-I - D 3 11).

b. Conformément à son art. 71, la LIPP est entrée en vigueur le 1er janvier 2010. Elle s'applique pour la première fois aux impôts de la période fiscale 2010 ; les impôts relatifs aux périodes fiscales antérieures demeurent régis par les dispositions de l'ancien droit, même après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (art. 72 al. 1 LIPP).

c. Le présent litige concernant la période fiscale 2008, il doit être examiné à l'aune du régime juridique mis en place par l'aLIPP-I, entrée en vigueur le 1er janvier 2001.

12) a. L'assujettissement fondé sur un rattachement personnel est illimité ; il ne s'étend toutefois pas aux entreprises, aux établissements stables et aux immeubles situés hors du canton (art. 5 al. 1 aLIPP-I).

Si une entreprise ayant son siège ou son administration effective dans le canton compense, sur la base du droit interne, les pertes subies à l'étranger par un établissement stable avec des revenus obtenus dans le canton et que cet établissement stable enregistre des bénéfices au cours des sept années qui suivent, le département doit procéder à une révision de la taxation initiale, à concurrence du montant des bénéfices compensés auprès de l'établissement stable ; dans ce cas, la perte subie par l'établissement stable à l'étranger ne devra être prise en considération, a posteriori, que pour déterminer le taux de l'impôt dans le canton. Dans toutes les autres hypothèses, les pertes subies à l'étranger ne doivent être prises en considération dans le canton que lors de la détermination du taux de l'impôt (art. 5 al. 4 aLIPP-I).

b. La rédaction de l'art. 5 al. 4 in fine aLIPP-I est identique à celle de l'art. 6 al. 3 3ème phr. LIFD et a été sciemment calquée sur ce modèle : il ressort des travaux préparatoires que « le libellé de l'article 3 [recte : 6] alinéa 3 LIFD, plus clair, a été repris à l'article 5 alinéa 4 LIPP[-I]. Cela permet une harmonisation verticale qui est souhaitable » (MGC 1999 45/VIII 7379, exposé des motifs ; ATA/288/2012 précité).

Le fait que la seule exception prévue à l'art. 5 al. 4 aLIPP-I concerne les entreprises n'infirme nullement le fait que le reste de l'alinéa ne concerne que les entreprises. L'ensemble de l'art. 5 al. 4 aLIPP-I étant repris de l'art. 6 al. 3 LIFD, l'interprétation systématique ne permet nullement d'aboutir à une autre solution que celle déjà exposée (ATA/288/2012 précité).

c. Les principes applicables en matière d'IFD le sont mutatis mutandis en matière d'ICC (ATA/368/2011 du 7 juin 2011 ; ATA/517/2010 du 3 août 2010).

13) Au vu de ce qui précède, la décision litigieuse sera confirmée et le recours rejeté. Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement. Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 novembre 2011 par Madame L______ M______ et Monsieur M______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2011 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de Madame L______ M______ et Monsieur M______, pris conjointement et solidairement ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Frédéric Vuilleumier, avocat des recourants, au Tribunal administratif de première instance, à l'administration fiscale cantonale, ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Dentella Giauque

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :