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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1312/2016

ATA/495/2016 du 08.06.2016 ( MARPU ) , REFUSE

Parties : CONSORTIUM ATELIER JULIAN JAMES/ENTREPRISE VUGLIANO / CONSORTIUM SINOPIE SARL, VILLE DE GENEVE - DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMENAGEMENT, CONSORTIUM BACHER TILLMANNS/PESKO BONOLI, CONSORTIUM THIERRY RADELET/ORTH & FILS
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1312/2016-MARPU ATA/495/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 8 juin 2016

sur effet suspensif

 

dans la cause

CONSORTIUM Monsieur Julian JAMES et VUGLIANO SA
représenté par Me Marc-Etienne Favre, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE - DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTION ET DE L’AMÉNAGEMENT

CONSORTIUM SINOPIÉ Sàrl, BELLONI et Cie SA et Madame Emmanuelle ZEM ROHNER
représenté par Me Pascal Nicollier, avocat

CONSORTIUM ATELIER DE RESTAURATION D’ART BACHER TILLMANNS , Madame Suzanne PESKO BONOLI, ATELIER LE CASTEL, FABIO BERNASCONI PEINTURE Sàrl et Madame Maja STEIN

CONSORTIUM MonsieurThierry RADELET et ORTH & FILS Sàrl


Attendu, en fait, que :

1. Dans le cadre de la rénovation et transformation du Grand-Théâtre de Genève, la Ville de Genève (ci-après : la ville) a lancé le 18 août 2015, par publication dans la feuille d’avis officielle du canton de Genève (ci-après : FAO), un appel d’offres, en procédure ouverte, pour les travaux de restauration des décors monumentaux des Foyers patrimoniaux du Grand-Théâtre de Genève, marché soumis à l’accord GATT/OMC, ainsi qu’aux accord internationaux, de même qu’à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), ainsi qu’au règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

Le projet était divisé en trois lots non-divisibles, soit le lot No 1 : restauration du Grand Foyer, du Petit Foyer, du Carré d’or (valeur estimée du marché CHF 1'500'000.- H.T.) ; lot No 2 : restauration de l’Avant-Foyer (coût estimé du marché : CHF 500'000.- H.T) ; lot No 3 : restauration des cages d’escaliers (valeur estimée : CHF 800'000.- H.T.).

Le dossier d’appel d’offres était disponible sur le site des marchés publics suisses www.simap.ch. Celui-ci décrivait la nature et l’importance du marché, et énonçait les critères de participation et d’aptitudes requis, ainsi que les critères d’évaluation.

S’agissant des aptitudes et compétences requises, les spécificités du marché impliquaient que les soumissionnaires devaient justifier que seuls des restaurateurs d’art puisse constituer une équipe ayant les compétences pour répondre aux exigences du cahier d’appel d’offres. Ils devaient se constituer en pool pluridisciplinaires d’entreprises dont le pilote pouvait justifier de la qualité de restaurateur d’art. Les autres membres du pool devaient justifier de pouvoir intervenir comme peintre, spécialiste en papier-peints ou à titre d’expert en réalisation et reconstitution de faux marbre.

2. a. Selon le dossier d’appel d’offres, la procédure d’évaluation serait conduite par un comité d’évaluation composé de Monsieur Philippe MEYLAN, directeur du patrimoine bâti de la ville, de Madame Christine FEISS, architecte rattachée à la direction du patrimoine bâti, de Monsieur Olivier GUYOT, expert-conservateur et de Monsieur François DULON, de l’Atelier March SA, lequel avait été mandaté par l’architecte.

b. M. GUYOT anime un atelier de restauration à l’adresse Grand-Rue 34 à Romont, dans le canton de Fribourg (ci-après : l’atelier GUYOT).

3. a. Selon le dossier d’appel d’offres, la procédure d’évaluation des offres devait se dérouler en deux phases : tout d’abord, une phase d’évaluation en fonction des critères d’aptitudes, énoncés dans le dossier d’appel d’offre, puis dans un deuxième temps, les offres seraient évaluées en fonction des critères d’adjudication, soit de la qualité économique, mais aussi de la qualité technique d’un échantillon à réaliser par les soumissionnaires et à évaluer par le comité d’évaluation.

Seuls les trois soumissionnaires les mieux classés à l’issue de la première phase seraient autorisés à participer à la seconde. Cette restriction était justifiée par les contingences liées à l’organisation de la phase de réalisation des échantillons. Celle-ci nécessitait un suivi de la réalisation par l’expert-conservateur, une reprise des zones d’échantillons après exécution, mais aussi la préservation de l’état existant et des supports. La restriction quantitative était également liée à la nécessité d’indemniser les candidats retenus pour la phase d’échantillonnage.

b. Selon le cahier des charges, le candidat était exclu s’il ne remplissait pas les critères de soumission, ou s’il trompait ou cherchait à tromper intentionnellement le pouvoir adjudicateur par la production de documents faux ou erronés, ou par la fourniture d’informations caduques ou mensongères.

c. En son article 3.7, le cahier des charges de l’appel d’offres précisait : « Aucun candidat, membre, associé ou sous-traitant ne doit se trouver en situation de conflit d’intérêts avec des membres du comité d’évaluation. Un conflit d’intérêts est déterminé notamment par le fait qu’un bureau ou un collaborateur, ainsi qu’un associé est en relation d’affaires ou possède un lien de parenté avec un des membres du comité d’évaluation. ».

4. Six candidats ont déposé une offre, dont deux ont fait l’objet d’une décision d’exclusion.

Les offres des quatre candidats restants ont été évaluées sous l’angle des critères d’aptitudes par le comité d’évaluation. Il s’agissait de l’offre présentée par :

-         le consortium composé de Sinopié Sàrl (pilote), Belloni et Cie SA, ainsi que de Madame Emmanuelle ZEM ROHNER (ci-après : le consortium SINOPIÉ) ;

-         le consortium composé de Monsieur Julian JAMES (pilote) et de l’entreprise Vugliano SA  (ci-après : le consortium Julian JAMES);

-         le consortium composé de Madame Suzanne PESKO BONOLI, de l’Atelier de Restauration d’Art Bacher Tillmanns (pilote), de l’Atelier le CASTEL de Fabio BERNASCONI Peinture Sàrl et de Madame Maja STEIN (ci-après : le consortium BACHER TILLMANS);

-         le consortium composé du Bureau Thierry Radelet (pilote) et de l’Entreprise Orth & fils Sàrl (ci-après : le consortium RADELET).

5. Dans son offre, M. JAMES a donné comme adresse Impasse de Motte-Châtel 8 à Estavayer-le-Lac (Fribourg), adresse correspondant au siège de son entreprise de conservation-restauration, laquelle, selon l’annuaire local.ch, a également une adresse route de Fribourg 19 à Prez-vers-Noréaz (Fribourg).

6. Le 3 février 2016, la ville a annoncé au consortium SINOPIÉ qu’il n’était pas sélectionné pour la réalisation d’un échantillonnage, ceci après vérification des critères d’aptitudes.

7. a. Par acte posté le 15 février 2016, le consortium SINOPIÉ a interjeté un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) (cause A/513/2016) contre la décision du 3 février 2016 précitée.

Il a sollicité préalablement la restitution de l’effet suspensif et demandé la réformation de cette décision, en ce sens qu’il devait être retenu pour la seconde phase d’évaluation des offres.

Il a formulé différents griefs formels ou matériels à l’encontre de la décision attaquée. En particulier, il s’étonnait de voir que, parmi les soumissionnaires retenus, figurait l’entreprise Julian JAMES, dès lors qu’il était notoire que sur le plan professionnel, celle-ci, ou son animateur, avait fréquemment été associée à M. GUYOT, membre du comité d’évaluation, dans l’exécution de chantiers de restauration.

b. Dans la cause A/513/2016, le juge délégué a ouvert une instruction sur effet suspensif, non sans avoir préalablement appelé en cause les trois consortiums retenus pour la phase d’échantillonnage.

c. Dans sa détermination, la ville a donné certaines précisions sur le fonctionnement du comité d’évaluation et sur les circonstances dans lesquelles la décision querellée avait été prise :

- M. GUYOT était le mandataire spécialisé qui la conseillait et qui avait élaboré l’appel d’offres, en collaboration avec l’architecte mandataire, en définissant les travaux à réaliser, ainsi que les démarches à suivre ;

- le groupe d’évaluation avait évalué l’aptitude des candidats le 15 décembre 2015 sur la base d’un rapport de M. GUYOT à qui les dossiers avaient été transmis préalablement ;

- la décision d’écarter le consortium SINOPIÉ résultait du fait qu’il apparaissait être le moins bon des quatre dossiers en lice et il y avait lieu, pour en comprendre les motifs, de se référer à une note établie par M. GUYOT en janvier 2016 et versée à la procédure, que le comité d’évaluation avait fait sienne pour prendre sa décision.

Il ne pouvait y avoir conflit d’intérêts entre le consortium Julian JAMES et M. GUYOT, puisque le premier n’était pas associé à M. GUYOT.

d. Le 11 mars 2016, la ville a répondu à une question du juge délégué. Le rapport de M. GUYOT de janvier 2016 était le seul rapport écrit attestant du choix effectué par le comité d’évaluation. Cette pièce résumait les arguments développés lors de l’évaluation des dossiers par ce dernier. Au besoin, les témoignages des membres du comité d’évaluation pourraient corroborer les éléments figurant dans ce rapport.

e. Le 21 mars 2016, le consortium Julian JAMES a conclu au rejet de la requête en restitution de l’effet suspensif, sans autre observation particulière.

f. Le 24 mars 2016, le juge délégué a écrit à M. JAMES pour lui demander de se déterminer précisément sur l’allégué du consortium SINOPIÉ au sujet des rapports d’affaires qu’il pouvait entretenir, ou son atelier, avec M. GUYOT.

g. Par courrier du 11 avril 2016, complété le 13 avril 2016, M. JAMES a répondu pour lui-même, ainsi que pour le compte du consortium Julien JAMES. L’atelier Julian JAMES avait entretenu avec l’atelier GUYOT les rapports d’affaires suivants :

-       Fribourg, basilique Notre-Dame, peintures murales et stucs (février 2010 à fin octobre 2012) ;

-       Fribourg, cathédrale Saint-Nicolas, chœur, peintures murales et stucs (octobre à décembre 2013) ;

-       Tavel, église paroissiale, peintures murales (juin 2013 à avril 2014) ;

-       Vuisternens-devant-Romont, église paroissiale, peintures murales (novembre 2013 à avril 2014) ;

-       Château de Chillon, salle du châtelain, peintures murales (janvier à avril 2015) ;

-       Vuisternens-devant-Romont, église paroissiale, tableau (septembre 2015, les travaux étant encore en cours) ;

-       Gruyères, Home Saint-Germain, salle bourgeoisiale, peintures murales (octobre 2015, les travaux étant encore en cours).

Il avait toujours été transparent quant aux relations d’affaires qu’il avait pu entretenir avec l’atelier GUYOT, deux d’entre elles avaient été citées au titre de références dans le cadre de sa soumission. Compte tenu d’un domaine de compétences aussi particulier et dans lequel les spécialistes étaient en nombre limité, il était pratiquement obligatoire que des entreprises telless que l’Atelier Sinopié ou l’atelier GUYOT soient amenés à œuvrer conjointement avec lui dans le cadre de certains mandats, tantôt en collaboration, tantôt en concurrence. Dans tous les cas, ce type d’entente constituait des consortiums ponctuels, les deux ateliers n’ayant pas de lien économique ou hiérarchique durable. Il n’y avait pas lieu d’exclure un soumissionnaire tant que la preuve de l’existence d’un avantage concurrentiel résultant d’une éventuelle pré-implication n’était pas rapportée. Il n’était en outre pas établi que, même à exclure M. GUYOT de la commission d’évaluation, le résultat de la première phase de la procédure d’adjudication aurait été différent, tant s’en fallait. Seules des circonstances constatées objectivement devaient être prises en compte pour déterminer l’existence d’un éventuel conflit d’intérêts.

h. Le juge délégué a accordé un délai au 20 avril 2016 aux autres parties pour qu’elles se déterminent sur le contenu de cette écriture.

i. Le 19 avril 2016, le consortium SINOPIÉ a persisté dans sa demande de restitution de l’effet suspensif. Le courrier du consortium Julian JAMES démontrait l’existence de nombreuses collaborations entre MM. GUYOT et JAMES, dont certaines se poursuivaient encore à l’heure actuelle et dont ce dernier n’avait pas donné une liste complète, tels des travaux de conservation dans l’ancien palace de Caux, dans la basilique de Fribourg, à l’abbaye cistercienne de Hauterive, ainsi que dans une église de Tavel (références citées par M. GUYOT lui-même extraites du site internet de l’atelier de ce dernier), ou encore dans le cadre de l’assainissement du Palais fédéral (référence trouvée dans un document de l’office fédéral des constructions et de la logistique, période de travaux entre 2008 et 2010).

j. Le 20 avril 2016, 1a ville a informé le juge délégué qu’en raison des éléments produits par le consortium Julian JAMES au sujet de ses rapports d’affaires avec M. GUYOT, elle avait :

par quatre décisions séparées du 20 avril 2016, qu’elle produisait en annexe, révoqué l’ensemble de décisions de sélection et de non-sélection du 3 février 2016 notifiées aux quatre consortiums évalués durant la première phase ;

le même jour, notifié une décision d’exclusion au consortium Julian JAMES et trois décisions de sélection aux consortiums SINOPIÉ, BACHER TILLMANS et Thierry RADELET.

Tant la décision de la ville de révoquer sa décision de sélectionner consortium Julian JAMES pour la seconde phase, que celle de l’exclure du marché, se fondaient sur l’existence de rapports d’affaires en cours entre son Atelier Julian James et M. GUYOT, membre du comité d’évaluation, lesquels avaient été cachés par le soumissionnaire au pouvoir adjudicateur, en violation de l’art. 3.7 du cahier des charges de l’appel d’offres.

Toutes ces décisions mentionnaient les voies de droit à disposition de leurs destinataires respectifs.

k. À réception du courrier de la ville précité, le juge l’a transmis aux parties et leur a accordé un délai pour se déterminer sur la suite de la procédure.

l. Le consortium Julian JAMES s’est déterminé le 28 avril 2016. Sa prise de position avait un double objet : d’une part contester dans le cadre de la cause A/513/2016 l’existence d’un conflit d’intérêts avec M. GUYOT, d’autre part recourir contre la décision de l’exclure du marché considéré.

8. À réception du courrier du consortium Julian JAMES du 28 avril 2016 précité, posté par pli recommandé le même jour, le juge délégué a ouvert une procédure de recours distincte de la procédure A/513/2016 sous le présent numéro de cause.

Dans l’acte de recours, le consortium Julian JAMES a conclu à l’annulation de la décision d’exclusion du 20 avril 2016 et à ce que la cause soit renvoyée à la ville pour nouvelle décision au sens des considérants. Ce recours devant être traité en jonction avec la cause A/513/2016 et instruit dans le cadre de celle-ci. Il a également sollicité la restitution de l’effet suspensif à son recours.

L’atelier Julian JAMES, respectivement le consortium Julian JAMES, s’étaient toujours montrés transparents quant aux relations d’affaires que le premier avait pu entretenir avec l’atelier GUYOT. Le comité d’évaluation aurait pu requérir des informations supplémentaires auprès de ce dernier. La décision n’était pas fondée en droit parce que, ainsi que la chambre administrative l’avait jugé le 6 janvier 2015 (ATA/6/2015), le système d’exclusion d’un candidat s’opposait clairement au droit des marchés publics. En cas de conflit d’intérêts, il revenait au juré ou au membre du comité d’évaluation concerné se récuser. Dès lors, le recourant avait le droit de présenter une soumission et il appartenait à M. GUYOT de se déporter suite à la présentation de cette soumission. Dans un domaine de compétences aussi spécifiques il était inévitable que les différents intervenants soient amenés à travailler ensemble, que ce soit en collaboration ou en concurrence. Un système d’exclusion automatique des soumissionnaires potentiels en conflit d’intérêts s’opposait clairement au droit des marchés publics car il contrevenait au principe de l’égalité de traitement entre les candidats et soumissionnaire. Sous l’angle de la proportionnalité, le système de la récusation générait certes des inconvénients mais ils étaient moindre que ceux qui découlaient d’une exclusion. La législation genevoise ne prévoyait pas de règles particulières autorisant la mesure d’exclusion prise. Celle-ci devait être remplacée par la récusation de l’expert nommé et par son remplacement pour qu’une commission composée de membres impartiaux puisse procéder à l’évaluation des offres.

9. Par trois décisions du 29 avril 2016, le juge délégué a appelé en cause les trois autres consortiums sélectionnés. Il a en outre transmis à toutes les parties un exemplaire du courrier précité sans ouvrir d’instruction. Il a demandé à la ville de lui transmettre les éléments documentant la façon dont les décisions du 28 avril 2016 avaient été notifiées.

10. La ville s’est exécutée le 3 mai 2013. La consultation du site de la poste (www.laposte.ch) met en évidence que le consortium Julian JAMES a reçu le 21 avril 2016 les deux décisions de la ville qui le concernaient, l’une révocant la décision du 3 février 2016 et l’autre l’excluant du marché.

11. Le 12 mai 2016, le juge délégué a informé les parties que la présente cause ne serait pas jointe à la cause A/513/2016 mais que les actes des parties intervenus dans cette dernière et les pièces qui y avait été produites serait utilisables dans la procédure nouvellement ouverte.

12. Dans sa réponse du 19 mai 2016, la ville conclut au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif. Ni le recourant ni M. GUYOT ne l’avait - jusqu’à la communication du 11 avril 2016 - informée de l’existence des rapports d’affaires en cours et elle n’avait pu, à leur mise en évidence, que prendre, après révocation de ses décisions antérieures, la décision d’exclusion litigieuse.

Il n’y avait pas lieu à restitution de l’effet suspensif en l’absence de bien-fondé du recours. La décision d’exclusion était justifiée en raison de la violation évidente d’une condition d’accès au marché, prévue expressément dans le cahier des charges. La jurisprudence à laquelle le recourant s’était référée concernait un problème de jury de concours dans lequel les candidats étaient anonymes, et s’inscrivait dans une problématique différente du cas d’espèce. Il y avait urgence à ce que le processus d’adjudication puisse être mené sans délai à son terme, car le Grand-Théâtre devait absolument pouvoir réintégrer ses locaux courant 2017. La solution de la salle provisoire installée à la campagne Rigot ne pouvant être reconduite au-delà de cette échéance.

13. Dans leurs déterminations du 19 mai 2016, les consortiums BACHER TILLMANS, RADELET et SINOPIÉ s’en sont rapportés à justice au sujet de la requête en restitution de l’effet suspensif.

14. Sur ce, par avis du 24 mai 2016, les parties ont été avisées que la cause était gardée à juger sur effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1. La présidence de la chambre administrative est compétente pour statuer en matière de mesures provisionnelles (art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 21 décembre 2010). 

2. Le recours, interjeté dans les dix jours contre une décision d’exclusion et par-devant l'autorité compétente, est prima facie recevable (art. 15 al. 2 et 2bis de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 -AIMP - L 6 05 ; art. 55 let. c et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

3. Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, restituer cet effet lorsque deux conditions cumulatives sont réalisées, soit que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose (art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP).

« L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chance de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice » (Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Bernard ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, pp. 311-341, n. 15 p. 317).

La restitution de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/85/2016 du 29 janvier 2016 consid. 3 ; ATA/4/2016 du 6 janvier 2016, consid. 2 et jurisprudence citée).

4. Le but de la législation en matière de marchés publics est de garantir le respect des principes énoncés à l’art. 1 AIMP. Il s’agit en particulier de garantir l’égalité de traitement entre les soumissionnaires et l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b et 11 let. a AIMP  ; 16 RMP), une concurrence efficace à l’ensemble de ceux-ci (art. 1 al. 3 let b AIMP et et 11 let. a AIMP   17 RMP), la transparence des marchés publics (art. 1 al. 3 let c AIMP et 16 RMP) ainsi qu’une utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let d AIMP).

5. Pour être admis à soumissionner et pouvoir prendre part à la procédure d’évaluation de leur offre, chaque soumissionnaire qui a déposé une offre, doit établir qu’il remplit les conditions d’une telle participation.

En vertu du principe de l’égalité de traitement entre soumissionnaires qui oblige l’autorité adjudicatrice à traiter de manière égale les soumissionnaires tout au long du déroulement formel de la procédure (ATA/51/2015 du 13 janvier 2015 et jurisprudence citée; Jean-Baptiste ZUFFEREY / Corinne MAILLARD / Nicolas MICHEL, Droit des marchés publics, 2002, p. 109  ; Benoît BOVAY, La non-discrimination en droit des marchés publics in RDAF 2004, p. 241  ), une offre qui ne correspond pas aux exigences de l’appel d’offres doit être considérée comme incomplète et ne peut être prise en compte (arrêt du Tribunal fédéral du 12 avril 2002, résumé in BR/DC 2003 n° 49 p. 156 ; Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, op. cit., p.110  ; Olivier RODONDI, La gestion de la procédure de soumission, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2008, p.185 ; no 63, p. 186).

6. La garantie d’une concurrence efficace doit permettre aux soumissionnaires de formuler des offres attractives. La mise en œuvre de la concurrence est rendue effective par le processus de soumission publique. Elle est assurée par l’interdiction d’arrangements et d’actes de concurrence déloyale (Martin BEYELER, Ziele und instrumente des Vergaberechts, 2008, p. 30, no 83). Elle implique l’ouverture du marché au plus large cercle d’offrants (ibid., p. 32 n° 86). Le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la formulation de son offre mais il est limité à l’interdiction de la formuler d’une manière qui conduise à une discrimination entre les concurrents potentiels. Pour respecter ce principe, un appel d’offres doit être rédigé autant que possible de manière neutre et la description de la prestation à fournir ne doit pas être rédigée d’une façon qui exclut la majorité des soumissionnaires de la concurrence (ibid., p. 35 n° 95).

7. a. Les principes de non-discrimination, de transparence et de concurrence efficace impliquent que la procédure soit menée de manière impartiale. Cela implique l’absence de conflit d’intérêts entre les personnes qui participent aux décisions au sein du pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires, qui se concrétisent par l’interdiction de soumissionner, fondée sur les règles de la récusation, faite à toute personne qui a participé à l’élaboration de l’offre (art. 19 RMP). En outre, les règles ordinaires relatives à la récusation des membres d’une autorité administrative s’appliquent aux personnes qui participent aux décisions dans les différentes phases du processus d’adjudication (ATA/6/2015 du 6 janvier 2015 consid. 7).

b. Lorsque surgit un conflit d’intérêts entre un soumissionnaire et l’une ou l’autre des personnes intervenant au sein du pouvoir adjudicateur, le principe de concurrence efficace voudrait que la question soit réglée par le biais de la récusation plutôt que par l’exclusion du soumissionnaire. La chambre de céans en a jugé ainsi dans le cadre d’un conflit d’intérêts entre un participant à un concours et l’un des membres du jury, le conflit d’intérêts étant lié à l’existence de rapports d’affaires (ATA/6/2015 précité). Elle a rejoint l’avis du Tribunal cantonal vaudois dans le cas d’un conflit d’intérêts entre un expert mandaté par le pouvoir adjudicateur et un soumissionnaire (TA VD, GE.2006.0076 du 21 septembre 2006 cité in DC 2007, p. 77), ainsi que l’avis de la doctrine de lege lata (Jaques DUBEY, le Concours en droit des marchés publics, 2005, p. 249 n. 729).

8. Dans le domaine des marchés publics, la concurrence entre fournisseurs doit s’exercer à armes égales. Ainsi, un fournisseur ne peut être admis à concourir s’il viole ses obligations légales au détriment de ses concurrents qui les respectent. De même, un fournisseur qui ne participe pas au marché loyalement doit être exclu, notamment s’il a produit des dossiers comportant de faux renseignements ou si, par exemple, il a déposé des offres concertées avec d’autres entreprises (Étienne POLTIER, droit des marchés publics, 2014, p., n. 305).

9. Le principe de la bonne foi entre administration et administré, exprimé aujourd’hui aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l’une et l’autre se comportent réciproquement de manière loyale. En cas d’erreur de l’administration, l’administré qui s’est aperçu de l’erreur ou qui auraient dû s’en apercevoir en prêtant l’attention commandée par les circonstances, n’est pas protégé (ATF 138 I 49 consid. 8.3 p. 53 et jurisprudences cités ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 193 n. 568).

Dans le domaine des marchés publics, le soumissionnaire qui constate une erreur dans le libellé de l’appel d’offres, se doit de le signaler sans attendre au pouvoir adjudicateur. C’est également en vertu du principe de la bonne foi que la jurisprudence admet que le soumissionnaire qui n’a pas recouru contre le libellé d’un appel d’offres n’a plus la possibilité, dans le cadre d’un recours contre la décision d’adjudication ou une autre décision ultérieure, de se prévaloir d’un grief se rapportant au contenu dudit appel d’offres (ATF 130 I 241 consid. 4.2 ; ATF 130 I 241 consid. 4.2; ATA/420/2016 du 24 mai 2016 consid. 3a et jurisprudence citée).

10. La question qui devra en définitive être tranchée dans l’arrêt au fond consiste à savoir si le pouvoir adjudicateur était en droit d’exclure le recourant en raison des liens d’affaires qui la liaient à l’expert externe qu’il a mandaté, ceci dans le cadre de la procédure d’adjudication en deux temps mise en place en raison de la réalisation d’échantillons à évaluer par celui-ci.

La jurisprudence cantonale existante rappelée ci-dessus va, à première vue, dans le sens de la position défendue par le recourant. Elle privilégie en effet le principe de l’accessibilité au marché la plus large possible aux concurrents en réglant a priori les problèmes de conflits d’intérêts par l’application des règles de la récusation, ceci à tout le moins de lege lata (Jacques DUBEY, op. cit., p. 247 n. 72).

Cela étant, les chances de succès du recours demeurent a priori ténues pour les raisons également rappelées ci-dessus, qui sont liées au respect du principe de la bonne foi attendu de chaque administré. Le consortium ou du moins son pilote connaissait les liens d’affaires qui liaient l’atelier JAMES à M. GUYOT, l’expert externe. À l’inverse d’un candidat qui se propose de participer à un concours d’architecture dans lequel l’anonymat est de règle, tel celui dont le recours à été tranché dans l’ATA/6/2015 précité, il n’avait aucun besoin de maintenir un tel anonymat. Ainsi, lorsqu’il a pris connaissance des conditions de participation au marché public qui résultait du dossier d’appel d’offres, lesquels l’empêchaient de participer au marché en raison des chantiers qu’il menait avec l’expert, on pouvait a priori attendre de lui qu’il recourt contre cette exigence découlant des conditions de l’appel d’offres, ou qu’à tout le moins il interpelle le pouvoir adjudicateur à ce sujet, afin d’être transparent sur sa situation. En effet, au-delà des règles à respecter qui arbitrent les questions de conflits d’intérêts entre soumissionnaires et membres du pouvoir adjudicateur, il était évident que les rapports d’affaires en cours entretenus avec l’expert pouvaient se révéler problématiques au regard de la nécessité d’assurer à tous les concurrents l’impartialité du processus d’adjudication. C’était d’autant plus vrai que l’expert externe était celui qui avait préparé le marché et qui était mandaté pour évaluer la bienfacture des échantillons à réaliser par les concurrents sélectionnés.

Dans ces circonstances on doit a priori admettre que le pouvoir adjudicateur, subitement confronté à un conflit d’intérêts qu’il avait pourtant cherché à éviter en édictant une règle spécifique sur ce point dans son appel d’offres, pouvait être fondé à exclure le recourant.

Un tel constat s’impose d’autant plus que, dans le cadre de la cause A/513/2016, l’existence de ces rapports d’affaires n’a pas été d’emblée reconnue par le recourant, mais n’a été seulement admis que lorsque le juge délégué l’a spécifiquement interpellé à ce sujet. En rapport avec le comportement précité, il y aura du reste lieu sur le fond d’aller plus loin que de se limiter à trancher la problématique juridique rappelée, en faisant porter l’instruction sur la question d’une éventuelle volonté de tromperie du recourant vis-à-vis du pouvoir adjudicateur.

En tout état et compte tenu de ce qui précède, dans la pesée des intérêts qui s’imposent dans le cadre de l’examen de la restitution de l’effet suspensif, l’intérêt public à ce que le chantier de la rénovation du Grand Théâtre puisse se tenir dans le délai prévu, non susceptible de prolongation compte tenu du lourd dispositif de remplacement de la salle qui a dû être mis en place pour assurer la poursuite des représentations pendant les travaux, prédomine sur l’intérêt privé du recourant à ne pas être exclu du marché public, tant que droit ne sera pas dit dans la présente procédure.

11. Le sort des frais de la procédure sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

refuse de restituer l’effet suspensif au recours interjeté le 28 avril 2016 par le consortium Julian JAMES et VUGLIANO SA contre la décision de la Ville de Genève, l’excluant du marché de restauration des décors monumentaux des Foyers patrimoniaux du Grand Théâtre de Genève

dit que le sort des frais de la procédure est réservé jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Marc-Etienne Favre, avocat de la partie recourante, à la Ville de Genève, à Me Pascal Nicollier, avocat du Consortium SINOPIÉ Sàrl, au consortium BACHER TILLMANNS, ainsi qu’au consortium THIERRY RADELET.

 

 

 

Le président :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :