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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1707/2008

ATA/352/2009 du 28.07.2009 ( FIN ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1707/2008-FIN ATA/352/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 juillet 2009

 

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Albert Rey-Mermet, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

et

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE



EN FAIT

1. Le litige porte sur l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) pour la période 1991-1992.

2. En 1992, M. S______ (ci-après : le contribuable ou l'intéressé ou le recourant) a été taxé d'office pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) 1987 à 1991. Ces taxations cantonales ont été précédées de taxations d'office IFD pour les années 1987-1988 et 1989-1990.

Par arrêt du 24 avril 1996, le Tribunal fédéral a confirmé l'assujettissement illimité du contribuable à l'IFD dans le canton de Genève pour la période fiscale 1989-1990.

3. a. Dans sa déclaration fiscale ICC 1990, valable pour l'IFD 1991-1992, datée du 30 juillet 1996, le contribuable a mentionné un revenu brut total de CHF 961'400.- et des déductions autorisées de CHF 133'626.-.

b. Dans sa déclaration fiscale ICC 1991, valable pour l'IFD 1991-1992, datée du 30 juillet 1996 également, le contribuable a mentionné des pertes de CHF 4'020'534.- et des déductions autorisées de CHF 351'282.-. Dans la colonne de la déclaration réservée à l'indication du revenu imposable, il a noté "néant".

4. Le 26 octobre 1998 l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE ou administration fiscale ou autorité cantonale) a expédié un bordereau de taxation ordinaire IFD 1991-1992 d'un montant de CHF 359'271,50 pour chacune des années de la période de taxation, sur la base d'un revenu imposable de CHF 3'124'100.-. Elle a, en outre, adressé au contribuable un bordereau d’amende d’un montant de CHF 1'437'086.- pour tentative de soustraction.

5. Le 23 novembre 1998, le contribuable a élevé réclamation à l'encontre du bordereau précité. La décision de taxation avait notamment été rendue hors du délai de cinq ans suivant la fin de la période fiscale (31 décembre 1992) prévu par l'art. 120 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11). Elle aurait dû être notifiée au plus tard le 31 décembre 1997 pour être valable. La décision attaquée était nulle dès lors qu'aucune des conditions interruptives ou suspensives de prescription fixées par l'art. 120 al. 2 LIFD n'était réunie.

6. Par décision du 19 novembre 1999, l'AFC-GE a rejeté la réclamation notamment au motif que la décision de taxation avait été rendue dans le délai de prescription prévu par l'art. 120 al. 1 LIFD. Celui-ci avait été en effet interrompu le 21 mars 1996, par l'envoi au contribuable du formulaire de déclaration. La notification du bordereau le 26 octobre 1998 était ainsi valable.

7. Le 21 décembre 1999, le contribuable a recouru contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours de l'impôt fédéral direct, remplacée, depuis le 1er janvier 2009, par la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission).

8. Parallèlement, le Tribunal administratif a été saisi d'un recours de l'intéressé contre une décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôt du 27 mars 2003, portant sur les taxations ICC 1987 à 1991. Celui-ci a été partiellement admis par arrêt du 18 janvier 2005 (ATA/22/2005). Cet arrêt a fait l'objet d'un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral, lequel l'a déclaré irrecevable par arrêt du 10 mars 2005.

9. Par décision du 23 avril 2008, la commission a déclaré nul le bordereau d'amende expédié le 16 octobre 1998 (ch. 2 du dispositif), et a fixé le revenu imposable à CHF 1'852'000.- pour la période de taxation en cause, en se fondant sur la décision et sur l'arrêt du tribunal de céans précités.

S'agissant de la prescription, la taxation avait été opérée après l'entrée en vigueur de la LIFD qui avait remplacé l'arrêté du Conseil fédéral sur la perception d'un impôt fédéral direct du 9 décembre 1940 (AIFD). Le droit de procéder à la taxation n'était donc pas encore expiré le 1er janvier 1995. Le délai de cinq ans prévu par l'art. 120 al. 1 LIFD avait été interrompu le 21 mars 1996 par l'envoi de la formule de déclaration, de sorte qu'un nouveau délai de prescription de cinq ans avait commencé à courir depuis cette date. Dans son acte de recours le contribuable avait par ailleurs renoncé à se prévaloir de la prescription déjà atteinte au moment de la notification du bordereau, le 26 octobre 1998. Enfin, la prescription absolue serait atteinte en 2010 seulement.

10. Le contribuable a interjeté un recours auprès du Tribunal administratif le 15 mai 2008 contre la décision susmentionnée. Il l’a complété les 30 mai et 31 juillet 2008, avec l’aval préalable du juge délégué.

Dans son mémoire du 30 mai 2008, l'intéressé a notamment sollicité une prolongation du délai imparti pour compléter son recours initial, en raison, d'une part, d'un mandataire nouvellement constitué et, d'autre part, de la peine privative de liberté qu’il purgeait jusqu'à fin octobre 2008. A cet égard, il a relevé que, selon les considérations de l'autorité intimée qui ne seraient pas remises en cause devant le Tribunal administratif, la question de la prescription ne se posait pas.

Dans son complément de recours daté du 31 juillet 2008, le contribuable a toutefois allégué la prescription du droit de taxer la période en cause. Il a également fait valoir une violation de son droit d'être entendu et le fait que la décision était arbitraire.

Il a conclu à l'absence de tout revenu imposable pour la période de taxation IFD 1991-1992, au dépôt de pièces, à son audition et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

11. Le 26 août 2008, l’AFC-CH a informé le tribunal de céans qu'elle renonçait à lui faire parvenir des observations et qu'elle concluait au rejet du recours et à la confirmation de la décision de la commission.

12. En date du 5 septembre 2008, l'AFC-GE a répondu au recours du contribuable en concluant à son rejet.

a. L'intéressé se prévalait de l'exception de prescription du droit de taxer pour la période en cause sans la motiver, et non sans avoir admis dans son recours du 30 mai 2008, qu'elle ne posait pas de problème.

A cet égard, le Tribunal administratif avait relevé dans son arrêt du 18 janvier 2005, portant sur l'ICC 1987 à 1991, que le contribuable avait à deux reprises annoncé qu'il renonçait à ce moyen. De même, la commission avait mis l'accent sur le fait qu'il y avait expressément renoncé dans son recours. En tout état de cause, le contribuable commettait un abus de droit en s'en prévalant. Selon la commission, il avait été établi que le formulaire de déclaration avait été envoyé au contribuable le 21 mars 1996, et que par cet envoi la prescription relative avait été interrompue faisant courir un nouveau délai de cinq ans. Enfin, la prescription absolue n'était pas atteinte au regard de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral.

b. Le recours présentait un caractère manifestement dilatoire et contraire à la bonne foi, car il avait pour unique but d'atteindre la prescription. La décision entreprise se fondait expressément sur celle de la commission du 27 mars 2003 et sur l'arrêt du Tribunal administratif du 18 janvier 2005. Elle était de ce fait suffisamment motivée. Le contribuable n'apportait, par ailleurs, aucun élément probant concernant une remise en cause des montants arrêtés dans les décisions précitées.

13. Le 5 janvier 2009, l'intéressé a répliqué en persistant dans ses conclusions.

Selon l'art. 98 AIFD, le droit de commencer la taxation s'éteignait trois ans après la clôture de la période de taxation. L'AFC-GE avait envoyé les formules de déclaration valables pour la taxation IFD 1991-1992, le 21 mars 1996, ce qu'elle admettait. La taxation IFD pour cette période était donc nulle de plein droit. Le recours devait être admis pour ce motif. Contrairement à ce qui avait été retenu par la commission, le contribuable avait expressément fait valoir l'exception de prescription dans sa réclamation du 23 novembre 1998, qu'il avait reprise dans son recours du 21 décembre 1999 adressé à la commission. En tout état de cause, la taxation étant nulle, la commission aurait dû le constater d'office, même si l'intéressé n’avait pas fait valoir le moyen. Enfin, l'AFC-GE avait omis de taxer dans le délai légal sans qu'il y ait faute de sa part. Il n'y était pour rien si celle-là avait attendu le mois de mars 1996 pour lui faire parvenir la déclaration relative à la période litigieuse.

A titre subsidiaire, le contribuable a développé les moyens invoqués dans son écriture du 31 juillet 2008.

14. Le 12 février 2009, l'AFC-CH a dupliqué et confirmé sa détermination initiale et ses conclusions du 26 août 2008.

15. Dans sa duplique du 5 mars 2009, l'AFC-GE a également persisté dans ses considérations et conclusions du 5 septembre 2008, tout en prenant position sur les pièces produites par le contribuable en annexe à sa réplique.

Au surplus, elle n'avait pas attendu le 21 mars 1996 pour demander au contribuable de remplir ses déclarations d'impôt valables pour la période en cause. A de multiples reprises, elle avait envoyé les formulaires de déclaration, mais en vain. Le contribuable s'était toujours montré récalcitrant s'agissant de ses obligations fiscales, ce qui avait entraîné des taxations d'office en ICC mais aussi en IFD pour les années antérieures à 1991-1992. Si l'intéressé avait "évité" une taxation d'office pour ces années-là, c'était parce qu'elle avait eu "l'extrême obligeance" de lui envoyer encore une fois les formules le 21 mars 1996.

Même si le délai de trois ans n'avait pas été respecté, l'argument était constitutif d'abus de droit, car dès le moment où l'administration fiscale avait voulu l'assujettir aux impôts, le contribuable n'avait fait qu'user de moyens dilatoires, en se gardant de donner des informations nécessaires et en intentant tous les recours possibles afin de gagner du temps.

Avec cette écriture, l'administration fiscale a annexé de nouvelles pièces, soit un courrier daté du 11 juin 1993 adressé au contribuable et la réponse de ce dernier, portant sur les taxations d'office ICC 1987 à 1991, une décision de la commission du 26 avril 1995 afférant à la période de taxation IFD 1989-1990, et l'arrêt du Tribunal fédéral daté du 24 avril 1996, rejetant le recours du contribuable contre cette dernière décision.

16. Le 16 avril 2009, le contribuable a fait part de ses observations concernant ces nouvelles pièces. En substance, elles ne concernaient pas la taxation IFD 1991-1992, et ne permettaient pas en conséquence d'infirmer les faits, constatés par la commission et admis par l'AFC-GE, concernant la date d'envoi des formules pertinentes, soit le 21 mars 1996.

17. Par courrier du 7 mai 2009 et en réponse à ces observations, l'administration fiscale a persisté à conclure au rejet du recours. L'AFC-CH en a fait de même par lettre du 13 mai 2009.

18. Le 20 juillet 2009, la commission a transmis son dossier, qui, suite à une erreur, lui a été demandé tardivement par le tribunal de céans.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al.1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le Tribunal administratif examine d’office la question de la prescription puisque selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, en droit public, celle-ci doit être constatée d’office lorsqu’un particulier est débiteur de l’Etat (ATF 133 II 366 in (=) JdT 2007 II 54 p. 56 ; ATF 106 Ib 357 consid. 3a p. 364 ; ATA/267/2008 du 27 mai 2008 ; ATA/398/2006 du 26 juillet 2006).

A cet égard, les parties divergent sur les dispositions applicables. D'un côté l'AFC-GE se fonde sur la LIFD en suivant le raisonnement de la commission, d'un autre côté le recourant allègue l'application de l'AIFD, et en particulier de son art. 98.

3. En matière de prescription, voire de péremption de l'action fiscale, il s'impose de distinguer trois notions : celle de la limitation dans le temps du droit de taxer, celle de la prescription de la créance fiscale et, enfin, celle de la prescription de la perception (RDAF II 2000 179 consid. 1).

4. La prescription se distingue de la péremption en ce sens qu'elle a pour effet d'éteindre le droit d'action relatif à une créance dès lors qu'un certain temps s'est écoulé à partir d'un fait déterminé. La créance subsiste mais non la faculté de poursuivre le débiteur en justice. La péremption, elle, fait disparaître la créance elle-même. Les délais de prescription prévus par la loi ne peuvent pas être prolongés, mais ils peuvent être interrompus ou suspendus. La péremption ne laisse en revanche subsister aucune obligation naturelle. Le délai ne peut donc être suspendu, ni interrompu (D. YERSIN et Y. NOËL, Commentaire de la loi sur l'impôt fédéral direct, Bâle, éd. 2008, p.1180 ss ad. art. 120 LIFD).

5. La LIFD, entrée en vigueur le 1er janvier 1995, a abrogé l'AIFD (art. 201 LIFD). Les dispositions de droit matériel de l’AIFD demeurent cependant applicables aux impôts d'années antérieures qui n'ont pas été taxés ou qui ne l'ont pas été définitivement le 1er janvier 1995 (ATF 126 II 1 (=) RDAF II 2000 212ss ; AGNER/JUNG/STEINMANN, Kommentar zum Gesetz über die direkte Bundessteuer, Zurich 1995, N 3 ad art. 201).

6. Les dispositions relatives à la prescription contenues aux articles 120 ss. LIFD sont classées, d'un point de vue systématique, dans la cinquième partie de la loi, c'est-à-dire dans le droit de procédure. Cependant, pour ce qui est de la prescription, il s'agit d'une institution de droit matériel, laquelle concerne directement l'existence de la créance fiscale. Il est donc justifié d'examiner la question de la prescription d'après les dispositions de l’AIFD (Arrêts du Tribunal fédéral 2P.92/2005 du 30 janvier 2006 consid. 4 et 2A.145/2005 ; ATA/398/2006 du 26 juillet 2006 ; ATF 126 II 1 in (=) RDAF II 2000 212ss ; RDAF II 2002 89).

7. En l'espèce, le litige porte sur la période fiscale 1991-1992. Compte tenu des jurisprudences citées ci-dessus, le tribunal de céans appliquera les dispositions de l’AIFD, en vigueur jusqu’au 31 décembre 1994.

8. a. Selon l'art. 98 AIFD, le droit de commencer la taxation s'éteint trois ans après la clôture de la période de taxation.

Cette disposition concerne donc la période pendant laquelle le fisc doit introduire la procédure de taxation. Après l'écoulement d'un certain délai, ce droit cesse. Il s'agit donc d'un délai de péremption qui n'est pas susceptible d'être interrompu, si bien que l'autorité fiscale ne conserve pas indéfiniment le droit de procéder à une taxation. La péremption doit toujours être constatée d'office et en tout temps (ATF 133 II 366 in (=) JdT 2007 II 54 consid. 3.3 ; RDAF II 1993 179ss).

Si la déclaration a été adressée au contribuable dans le délai de trois ans, la taxation est introduite et le droit de procéder à une taxation n'est plus limité, pour autant que la prescription de la créance fiscale soit interrompue. Si le délai prévu pour introduire la procédure de taxation est inutilisé, le droit de procéder à une taxation est périmé. Une taxation entreprise après ce délai est nulle (RDAF II 1993 179ss ; H. MASSHARDT, F. GENDRE, Commentaire IDN, 1980, p. 415-416 n. 1 à 4 ad art. 98 AIFD).

b. L'envoi au contribuable de la formule de déclaration à remplir constitue l'ouverture de la taxation. (H. MASSHARDT, F. GENDRE, op. cit., p. 415-416 n. 1 à 4 ad art. 98 AIFD). L'autorité cantonale doit prouver que la formule a été envoyée au contribuable, si ce fait est contesté (ASA 22 394).

En l'espèce, les pièces versées au dossier établissent que l'AFC-GE a envoyé les formulaires de déclaration pour l'IFD 1991-1992 le 21 mars 1996 au plus tôt. L'administration fiscale s'y réfère expressément dans sa décision sur réclamation du 19 novembre 1999, puis dans sa réponse au recours interjeté par le contribuable contre sa décision. La commission constate également "qu'en date du 21 mars 1996, l'administration a envoyé au recourant les formules de déclaration 1990 et 1991 valables pour la taxation IFD 1991-1992". Cette date est enfin reprise dans les écritures de l'AFC-GE devant le Tribunal administratif.

9. L'administration fiscale allègue toutefois "n'avoir pas attendu le 21 mars 1996 pour lui [le contribuable] demander de remplir sa déclaration" et avoir envoyé à de multiples reprises les formulaires, mais en vain.

Aucune pièce ne corrobore cependant cette affirmation. La manière de procéder de l'administration fiscale, pour les taxations cantonales et fédérales antérieures à 1991-1992, démontre, par ailleurs, le contraire.

Ainsi, tant le Tribunal administratif dans son arrêt du 18 janvier 2005, relatif aux taxations cantonales 1987 à 1991, que le Tribunal fédéral dans son arrêt daté du 24 janvier 1996 relatant la procédure liée aux taxations fédérales IFD 1987 à 1990, ont retenu que l'AFC-GE avait invité, par le biais d'un important échange de correspondances, le contribuable à déposer ses déclarations pour ces taxations-là. Le contribuable n'ayant pas obtempéré malgré de nombreux rappels, l'administration fiscale avait systématiquement procédé à des taxations d'office.

Or, pour la période litigieuse, l'AFC-GE et le recourant n'ont entretenu aucune correspondance, il n'y a pas eu de rappel, encore moins de sommation. Selon l'AFC-GE, si l'intéressé a "évité" une taxation d'office pour les années en cause, c'est parce qu'elle a eu "l'extrême obligeance" de lui envoyer une nouvelle fois la formule de déclaration le 21 mars 1996. Cette allégation est en complète contradiction avec la manière dont elle a agi pour les autres taxations fédérales et cantonales. Il n’est pas crédible qu'après avoir dû systématiquement taxer d'office le contribuable, elle aurait choisi de lui faire parvenir obligeamment un formulaire de déclaration d'impôt, plus de quatre ans après la fin de la période de taxation, alors que l’intéressé avait fait preuve d'une absence totale de collaboration jusque-là.

Force est de constater que rien dans le dossier ni dans l'argumentation soutenue par l'AFC-GE, ne permet de retenir que l'envoi du formulaire de déclaration fiscale pour la période IFD 1991-1992 ait eu lieu à une autre date que celle du 21 mars 1996, et que, par voie de conséquence, elle aurait ouvert la procédure de taxation litigieuse dans le délai prévu par l'art. 98 AIFD.

10. L'administration fiscale allègue ensuite que même si, par impossible, elle n'avait pas respecté le délai de trois ans prévu par la disposition légale précitée, le contribuable aurait renoncé à se prévaloir de la prescription.

Le contribuable a certes fait valoir dans son recours initial du 30 mai 2008, que "selon les considérations de l'autorité intimée qui ne seraient pas remises en cause devant le Tribunal administratif, la question de la prescription ne se posait pas". Il faisait néanmoins référence au raisonnement de la commission concernant l'art. 120 LIFD, qui avait jugé que cette disposition était applicable au cas d'espèce et que le délai de prescription avait été valablement interrompu par l'envoi du formulaire le 21 mars 1996. La commission a donc examiné la prescription de la créance fiscale et non la limitation dans le temps du droit de taxer, seule litigieuse en l’espèce.

Dans le même sens, le Tribunal administratif avait retenu, dans son arrêt du 18 janvier 2005 relatif aux taxations cantonales antérieures à la période litigieuse, que l'administration fiscale avait remis les bordereaux dans le délai légal de l'art. 368 aLCP. Ce délai du droit de taxer n'était pas remis en cause. La renonciation par le recourant à la prescription était en relation avec le délai de prescription de la créance fiscale, maintes fois interrompu, suite aux reports successifs qui lui avaient été octroyés.

En définitive, le recourant n'a jamais renoncé à invoquer la péremption du droit de taxer prévu par l'art. 98 AIFD, si tant est qu'il ait pu le faire au regard de la sécurité du droit et des principes qui seront développés ci-après.

11. Reste à déterminer si, comme l'allègue l'intimée, le contribuable commettrait un abus de droit en se prévalant de l'art. 98 AIFD, alors même qu'il a usé de moyens dilatoires dès que l'administration fiscale a voulu l'assujettir et qu'il s'est laissé taxer d'office pour les années antérieures, tant au niveau cantonal que fédéral.

a. Selon l'art. 2 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre l907 (CCS - RS 210), l'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi. L'existence d'un tel abus se détermine selon les circonstances concrètes du cas (ATF 129 III 493 consid. 5.1 p. 497 et les arrêts cités). L'adjectif «manifeste» indique qu'il convient néanmoins de se montrer restrictif dans l'admission de l'abus de droit (Arrêt du Tribunal fédéral 4C.421/2005 du 6 avril 2006, consid. 5.1 et référence citée).

b. La règle prohibant l'abus de droit autorise le juge à corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Cependant, son application doit demeurer restrictive et se concilier avec la finalité, telle que l'a voulue le législateur, de la norme matérielle applicable au cas concret (Arrêt du Tribunal fédéral 4C.421/2005 du 6 avril 2006, consid. 5.1 ; ATF 107 Ia 206 consid. 3b p. 211 et les références citées), en l'espèce la prescription triennale de l'art. 98 AIFD.

c. Selon la jurisprudence, le débiteur commet un abus de droit en se prévalant de la prescription, non seulement lorsqu'il amène astucieusement le créancier à ne pas agir en temps utile, mais également lorsque, sans mauvaise intention, il a un comportement qui incite le créancier à renoncer à entreprendre des démarches juridiques pendant le délai de prescription et que, selon une appréciation raisonnable, fondée sur des critères objectifs, ce retard apparaît compréhensible. Le comportement du débiteur doit être en relation de causalité avec le retard à agir du créancier (ATF 131 III 430 consid. 2 p. 437; 128 V 236 consid.4a p. 241 et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral 4C.296/2003 du 12 mai 2004, consid. 3.6, in SJ 2004 I p. 589, notamment p. 594/595).

d. En revanche, si, une fois la prescription acquise, le débiteur a adopté une attitude propre à dissuader le créancier, ce dernier ne saurait invoquer l'abus de droit. En effet, le comportement du débiteur ne joue plus aucun rôle après l'écoulement du délai de prescription (ATF 113 II 264 consid. 2e p. 269).

e. En définitive, l'application du principe de la bonne foi et de son corollaire l'interdiction de l'abus de droit, ne saurait en aucun cas servir à vider la loi de sa substance et à réaliser des objectifs que le législateur, conscient des divers intérêts qu'il avait à prendre en considération, n'a pas voulu atteindre (ATF 107 Ia 206 consid. 3 p. 212).

f. En droit fiscal où la jurisprudence tend à observer rigoureusement le principe de la légalité, la bonne foi joue un rôle limité (D. BERDOZ et M. BUGNON, Les procédures en droit fiscal, Berne 2005, p. 591ss ; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, Bâle 2007, p. 5 n. 5). Pour des raisons liées à la sécurité du droit, l'écoulement du temps influe sur la possibilité d'exercer un droit. Passé un certain délai, les situations juridiques doivent être clairement et définitivement fixées, pour que le débiteur d'un impôt sache par exemple si la négligence de l'autorité fiscale équivaut à un abandon de créance ou s'il doit au contraire craindre d'être recherché. La péremption, telle que prévue par l'art. 98 AIFD, ne laisse subsister aucune obligation naturelle, ce qui a pour conséquence que le droit périmé ne peut plus servir à la compensation. Le but de cette disposition revêt donc un caractère absolu (D. YERSIN, Y. NOËL, op. cit., p. 1180 id. 120 LIFD n. 1 et 3).

En l'espèce, s'il est vrai que le recourant, lors des taxations antérieures, a fait preuve d'une absence totale de collaboration et s'est montré particulièrement procédurier en intentant systématiquement tous les recours légaux possibles, rien ne dispensait l'AFC-GE d'agir en conformité avec la loi. L'autorité cantonale ne pouvait donc, au regard des principes rappelés ci-dessus, s'appuyer sur le comportement jugé contraire à la bonne foi du recourant en se dispensant d'agir en conséquence. Elle aurait ainsi pu procéder de la même façon que pour les années antérieures et opérer, le cas échéant, après sommation, une taxation d'office.

12. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision de la commission annulée, sous réserve du point 2 de son dispositif (déclaration de la nullité du bordereau d'amende notifié le 26 octobre 1998).

Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de l'AFC-GE. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera allouée au recourant, à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 mai 2008 par Monsieur S______ contre la décision de la commission cantonale de recours de l'impôt fédéral direct du 23 avril 2008 ;

au fond :

l'admet ;

confirme le chiffre 2 de la décision attaquée (nullité du bordereau d’amende du 26 octobre 1998 s’élevant à CHF 1'437'086.-) ;

annule la décision attaquée, pour le surplus ;

déclare nul le bordereau de taxation ordinaire IFD 1991-1992 notifié au contribuable le 26 octobre 1998 ;

met à la charge de l'administration fiscale cantonale genevoise un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- au contribuable à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Albert Rey-Mermet, avocat du recourant, à l’administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions, ainsi qu’à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Thélin, Mmes Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :