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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3466/2013

ATA/225/2014 du 08.04.2014 ( DIV ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : ; COMPÉTENCE ; COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE ; BAIL À LOYER ; OBJET DU RECOURS
Normes : LPA.11; LOJ.132; LPA.4; LPA.4A; Cst.122.al1; CO.253
Parties : WALDER Christian, WALDER Isabelle et Christian / DEPARTEMENT DE L'URBANISME, OFFICE DES BATIMENTS
Résumé : Bien qu'il soit prévu dans un règlement adopté par le département, le contrat de séjour ne constitue pas un acte attaquable devant la chambre administrative car il se fonde sur le droit privé, et non sur le droit public. Faute d'atteinte à des droits ou obligations, il ne constitue pas non plus un acte matériel susceptible de recours devant la chambre administrative. Incompétence de la chambre administrative. Recours irrecevable.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3466/2013-DIV ATA/225/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 avril 2014

 

dans la cause

 

Madame Isabelle et Monsieur Christian WALDER
représentés par Me Pascal Junod, avocat

contre

OFFICE DES BÂTIMENTS

 



EN FAIT

1) Le 21 juin 2012, le conseiller d’Etat chargé du département des constructions et des technologies de l’information, devenu entretemps le département de l’urbanisme puis le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : le département), a adopté un arrêté portant règlement intérieur de l’aire d’accueil de la Bécassière (ci-après : l’aire d’accueil), destinée aux forains et aux gens du voyage (ci-après : le règlement intérieur), afin d’en assurer une saine gestion.

Cette aire d’accueil se trouve au chemin de Braille, sur les parcelles nos 6’087 et 6’912, feuille 8 de la commune de Versoix, au lieu-dit La Bécassière, en 4ème zone rurale (4B) applicable aux villages et aux hameaux. Elle a été mise en exploitation le 1er septembre 2012. L’Etat de Genève est propriétaire desdites parcelles. Celles-ci ne font toutefois pas partie du domaine public.

2) Le 31 octobre 2012, Madame Isabelle et Monsieur Christian WALDER, d’une part, et l’office des bâtiments du département, rattaché depuis le 11 décembre 2013 au département des finances, d’autre part, ont signé un contrat de séjour relatif à l’aire d’accueil portant sur les emplacements nos 42, 50 et 51 d’une surface de 684 m2.

Le contrat débutait le 1er janvier 2013, était tacitement reconduit d’année en année et prévoyait un préavis de départ de trois mois pour la fin d’un semestre ainsi qu’un tarif mensuel de CHF 855.-. Les titulaires des emplacements certifiaient, par leur signature, avoir lu et approuvé le règlement intérieur et s’engageaient à le respecter.

3) Par deux courriers recommandés du 26 août 2013, le service de la gérance de l’office des bâtiments (ci-après : le service) a informé les époux WALDER que la construction d’un module sans autorisation avait été constatée le 14 août 2013. Cette construction constituait une infraction à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), contrevenait aux indications adressées aux titulaires d’emplacements et ne respectait pas les dispositions du règlement intérieur.

Ledit service sommait les intéressés de remettre à l’état d’origine le terrain dans un délai de trente jours dès la notification dudit courrier. A défaut, il résilierait leur contrat de séjour pour non-respect du règlement intérieur et ce, indépendamment des mesures prises par la direction des autorisations de construire.

4) Par deux courriers recommandés du 26 septembre 2013, le service a informé les époux WALDER qu’il résiliait leur contrat de séjour avec effet au 31 décembre 2013. Malgré la sommation du 26 août 2013, les intéressés avaient poursuivi la construction litigieuse en violation des art. 2 al. 2, 7 al. 2 et 12 du règlement intérieur, qui faisait partie intégrante de leur contrat. Il les priait de restituer les emplacements nos 42, 50 et 51, dans leur état d’origine, dans ledit délai. Ces courriers ne comportaient aucune indication concernant d’éventuelles voies de recours.

5) Le 28 octobre 2013, les intéressés ont déposé, auprès de la commission de conciliation en matière de baux et loyers (ci-après : CCBL), une requête en contestation du congé du 26 septembre 2013 concernant les emplacements nos 42, 50 et 51 de l’aire d’accueil, à l’encontre de l’Etat de Genève. Ils ont subsidiairement conclu à une unique prolongation de quatre ans de leur contrat de séjour. A titre préalable, ils ont conclu à ce qu’il soit constaté que le contrat de séjour du 31 octobre 2012 était un contrat de bail à loyer au sens de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220). La résiliation de leur contrat de séjour était une conséquence directe de deux autres procédures pendantes, l’une devant le Tribunal de première instance et l’autre devant le Tribunal administratif de première instance.

6) Par acte posté le 28 octobre 2013, Mme et M. WALDER ont également interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les deux courriers du 26 septembre 2013, en concluant principalement à leur annulation en tant qu’ils visaient la résiliation de leur contrat de séjour. A titre préalable, ils concluaient à la suspension de la procédure devant ladite chambre jusqu’à droit jugé de la cause pendante devant le Tribunal des baux et loyers, ainsi qu’à l’octroi d’un délai supplémentaire pour compléter leur écriture.

7) Le 22 novembre 2013, le département, soit pour lui l’office des bâtiments, invité à se déterminer en l'état uniquement sur la compétence de la chambre administrative, a conclu principalement à l’irrecevabilité du recours et subsidiairement à l’octroi d’un délai pour se déterminer sur le fond.

Le contrat de séjour n’était pas un contrat de droit administratif car il avait pour but la mise à disposition d’emplacements, équipés par le propriétaire, en échange d’une rémunération et pour une durée déterminée. Ces éléments étaient les éléments essentiels d’un contrat de bail. Bien que cette mise à disposition soit régie par un règlement adopté par le département, les clauses de celui-là ne constituaient pas des règles de droit public. L’exploitation du site de La Bécassière n’était pas une tâche publique. L’Etat de Genève mettait les emplacements de ce site à disposition de tiers, comme le ferait un propriétaire privé. La chambre administrative n’était dès lors pas compétente pour traiter la contestation de la résiliation du contrat de séjour.

8) Le 5 décembre 2013, sur demande du juge délégué, le département a expliqué ne pas avoir utilisé la formule officielle pour la résiliation du bail des recourants car ce dernier portait sur la mise à disposition d’emplacements pour des mobil-homes ou des caravanes, et non sur des baux d’habitation ou des locaux commerciaux.

9) Le 17 décembre 2013, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 24 janvier 2014 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

10) Le 23 janvier 2014, les recourants ont manifesté leur accord avec la conclusion d’incompétence de la chambre administrative, prise par le département dans sa réponse du 22 novembre 2013. Ils admettaient que le contrat de séjour relevait du droit privé. La CCBL avait par ailleurs délivré une autorisation de procéder lors de l’audience du 17 janvier 2014. Ils persistaient au surplus dans leurs conclusions.

11) Le département ne s'est pas manifesté.

EN DROIT

1) La compétence des autorités est déterminée par la loi et ne peut être créée par accord entre les parties (art. 11 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). La chambre administrative examine d’office sa compétence (art. 1 al. 2, art. 6 al. 1 let. b et art. 11 al. 2 LPA).

2) La compétence de la chambre administrative est réglée par l’art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05). Selon l’art. 132 al. 1 LOJ, la chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative, sous réserve des compétences de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice.

Excepté les hypothèses non pertinentes en l’espèce (art. 132 al. 4 à 8 LOJ), la chambre administrative est compétente dans deux cas. D’une part, le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions au sens des art. 4, 4A et 57 LPA prises par des autorités ou des juridictions administratives visées aux art. 5 respectivement 6 al. 1 let. a à e LPA (art. 132 al. 2 LOJ). Sont considérées comme des décisions au sens de l’art. 4 al. 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d’annuler des droits et des obligations (let. a), de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations (let. c). Quant aux décisions fondées sur l’art. 4A LPA, elles portent sur des actes illicites de l’autorité compétente, qui sont fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et qui touchent les droits ou obligations d’une personne ayant un intérêt digne de protection (art. 4A al. 1 LPA).

D’autre part, la chambre administrative connaît en instance cantonale unique des actions fondées sur le droit public qui ne peuvent faire l’objet d’une décision au sens de l’art. 132 al. 2 LOJ et qui découlent d’un contrat de droit public. Les dispositions de la LPA en matière de recours s’appliquent par analogie à ces actions (art. 132 al. 3 LOJ).

Il résulte des al. 2 et 3 de l’art. 132 LOJ que la compétence de la chambre administrative dépend de la qualification juridique de l’acte porté devant elle. Ce dernier doit notamment avoir son fondement en droit public, sous réserve du cas particulier de l’art. 4A LPA.

3) Le présent litige porte sur les courriers du 26 septembre 2013, qui ont pour objet la résiliation du contrat de séjour des recourants. Celui-ci est prévu par le règlement intérieur adopté par le département et concerne trois emplacements sis dans l’aire d’accueil destinée essentiellement à l’accueil des gens du voyage et, dans une moindre mesure, à celui des forains.

4) L’arrêté précité du département se fonde sur la loi 10'673 du 19 novembre 2010 du Grand Conseil ouvrant un crédit d’investissement destiné notamment à l’aménagement des terrains de la Bécassière permettant le relogement des forains et des gens du voyage, sur un rapport du Conseil fédéral du 18 octobre 2006 sur la situation des gens du voyage en Suisse ainsi que sur l’arrêt du Tribunal fédéral du 28 mars 2003 publié sous ATF 129 II 321. Dans cet arrêt (ATF 129 II 321 consid. 3.2), le Tribunal fédéral considère que les plans d’aménagement doivent prévoir des zones et des emplacements appropriés, qui puissent servir de lieu de résidence aux gens du voyage suisses, conformément à leurs traditions. Le cas échéant, les autorités compétentes doivent adapter la réglementation de zones à bâtir existantes pour permettre ce type d’utilisation du sol. En effet, les mesures portant sur le stationnement des caravanes peuvent influer sur la faculté de l’intéressé de conserver son identité tzigane et de mener une vie privée et familiale suivant cette tradition conformément à l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

5) Dans le préambule du règlement intérieur, le département expose avoir réalisé l’aire d’accueil pour reloger les forains et les gens du voyage devant quitter le site du Molard à Versoix. Elle comporte 51 emplacements tracés au sol et numérotés, dont 46 sont destinés aux gens du voyage et le solde aux forains. Le règlement intérieur est affiché à l’entrée de l’aire d’accueil et fait partie intégrante du contrat de séjour de chaque emplacement.

L’accès à l’aire d’accueil et la jouissance d’un emplacement sont soumis à autorisation préalable et conditionné au nombre d’emplacements disponibles (art. 1 al. 1 du règlement intérieur). Toute personne souhaitant séjourner sur l’aire d’accueil s’engage à respecter le règlement intérieur et à signer un contrat de séjour (art. 1 al. 2 du règlement intérieur). Conformément à l’affectation de la zone et aux autorisations délivrées, l’aire d’accueil est strictement réservée à des installations mobiles (caravanes et maisons mobiles) ; toute construction non autorisée fera l’objet d’une dénonciation auprès des services compétents (art. 2 al. 2 du règlement intérieur). Le titulaire d’un emplacement ne peut céder son contrat de séjour qu’avec le consentement écrit du responsable de gestion (art. 2 al. 4 du règlement intérieur). La redevance d’occupation correspond à une occupation mensuelle d’un emplacement au m2 ; la tarification est fixée à CHF 15.- par m2 et par an (art. 4 al. 1 et 2 du règlement intérieur). Celui qui aura pris du retard pour s’acquitter de ce qu’il doit se verra adressé une sommation de paiement ; en cas de non-paiement dans le délai imparti, le contrat de séjour sera résilié (art. 4 al. 5 du règlement intérieur). Tout manquement au règlement intérieur, dégradations, troubles graves ou rixe feront l’objet d’un procès-verbal et entraîneront, en dernier lieu, la résiliation du contrat de séjour (art. 12 du règlement intérieur). Les services de l’office des bâtiments du département sont chargés, avec les services municipaux de la Ville de Versoix et ceux de la gendarmerie cantonale, de l’exécution du règlement intérieur (art. 13 du règlement intérieur).

6) Bien que les deux parties à la présente procédure admettent que le contrat de séjour doive être qualifié de contrat de droit privé, et plus particulièrement de contrat de bail, un tel accord n’est pas décisif pour nier la compétence de la chambre administrative. En effet, celle-ci découle de l’art. 132 LOJ et s’examine d’office (art. 11 LPA). Il y a ainsi lieu de qualifier juridiquement les deux courriers du 26 septembre 2013, et en particulier le contrat de séjour dont la résiliation est formalisée dans ces derniers, pour déterminer l’éventuelle compétence de la chambre de céans.

7) En premier lieu, il convient d’examiner si le contrat de séjour se fonde sur du droit public ou, comme le prétendent les parties, sur du droit privé.

a. La distinction entre droit public et droit privé s’effectue sur un ensemble de critères, généralement utilisés ensemble, aucun d’entre eux n’étant à lui seul déterminant : le critère de la subordination ou de l’exercice de la puissance publique, le critère des intérêts, le critère des sujets, le critère fonctionnel, le critère du fisc et le critère de la sanction (ATF 128 III 250 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 378 ; Christoph LEUENBERGER, in Bernhard EHRENZELLER/Philippe MASTRONARDI/ Rainer J. SCHWEIZER/Klaus A. VALLENDER [éd.], Die schweizerische Bundesverfassung – Kommentar, 2ème éd., 2008, n. 7 ss ad art. 122 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101). Ces critères peuvent aussi être classés, selon l’objet, le but, les sujets respectivement les modalités du rapport juridique (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, Vol. I, 3ème éd., 2012, p. 95 ss). Selon ces auteurs-ci, la distinction implique, d’une part, la « norme classificatoire » - telle que l’art. 122 Cst. - et, d’autre part, la « norme (ou le rapport juridique) à classer ». Le choix du critère déterminant découle de l’interprétation de la « norme classificatoire », et non de l’acte à classer. En raison de la rareté des normes classificatoires, il est le plus souvent fait recours aux critères de la subordination et des intérêts (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 104 s.). Le Tribunal fédéral précise que la distinction entre droit privé et droit public a des fonctions tout à fait différentes suivant le besoin de réglementation et les conséquences juridiques propres à chaque cas d’espèce (ATF 132 I 270 consid. 4.3). En particulier, pour distinguer le contrat de droit public et celui de droit privé, le critère déterminant est l’objet du contrat. Lorsqu’il a pour objet direct l’exécution d’une tâche publique ou qu’il concerne un objet réglementé par le droit public, il s’agit d’un contrat de droit public. Lorsqu’il ne sert qu’indirectement l’exécution d’une tâche publique, il s’agit d’un contrat de droit privé (ATF 134 II 297 consid. 2.2 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 981 s.). Le Tribunal fédéral reconnaît toutefois que l’attribution d’un contrat à l’un de ces deux domaines juridiques dans un cas d’espèce peut comporter des difficultés telles que les deux approches apparaissent admissibles (ATF 134 II 297 consid. 2.2).

b. Selon l’art. 122 al. 1 Cst., la législation en matière de droit civil et de procédure civile relève de la compétence de la Confédération. En matière de contrat de bail, les art. 253 ss CO, règlent exhaustivement cette question, notamment en ce qui concerne la résiliation dudit contrat (art. 266 ss CO). Selon l’art. 253 CO, le bail à loyer est un contrat par lequel le bailleur s’oblige à céder l’usage d’une chose au locataire, moyennant un loyer. Le locataire est tenu d’user de la chose avec le soin nécessaire (art. 257f al. 1 CO). Cet usage est défini par le contrat et ses annexes (règles et usages locatifs ; règlement de maison ; David LACHAT in Luc THÉVENOZ/Franz WERRO, Commentaire Romand – Code des obligations I, 2ème éd., 2012, n. 6 ad art. 257f CO). La Confédération détient, en droit civil, une compétence législative globale (« umfassende » ; Christoph LEUENBERGER, op. cit., n. 4 ad art. 122 Cst.).

c. L’Etat peut agir lui-même, selon le droit privé, dans l’accomplissement de tâches publiques. Il doit dans ce cadre respecter les droits fondamentaux (art. 35 al. 2 Cst. ; ATF 127 I 84, 90 consid. 4c = JdT 2003 I p. 94 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 384 ss et 667). Dans de tels cas, la théorie à deux niveaux (ou de l’acte détachable) permet de distinguer la décision de principe de l’autorité, soumise au droit public, et l’acte d’exécution de celle-ci, susceptible de prendre la forme d’un acte juridique régi par le droit privé (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 388 ss et n. 1’003 ss ; cf. également Pierre MOOR/ Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 118 et p. 121 ss). Cette théorie est appliquée en droit des marchés publics (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 390 et n. 1’005 ss ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, Vol. II, 3ème éd., 2011, p. 509 ss). Elle l’a également été dans une affaire genevoise à propos de la location d’une salle de spectacle communale par un particulier (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_312/2010 du 8 décembre 2010 consid. 3.3 ss, confirmant l’ATA/321/2010 du 11 mai 2010). Cette location a été qualifiée de tâche publique en raison d’une loi cantonale spécifique. Le Tribunal fédéral a estimé que la phase préalable à la conclusion du contrat de location consistait en l’attribution de la salle au futur locataire et qu’elle était régie par des règles de droit public spécifiques. Le refus de louer la salle à un particulier constituait dès lors un acte de puissance publique de la commune soumis au droit public et notamment au respect des droits fondamentaux.

d. Parmi les actes de l’administration fondés sur le droit privé, la doctrine distingue les actes juridiques bilatéraux et les actes juridiques unilatéraux. Appartiennent à cette seconde catégorie, les actes par lesquels l’administration exerce un droit formateur, tels que la résiliation d’un contrat. Toutefois, ces actes conservent, malgré leur caractère unilatéral, la nature du droit qu’ils mettent en œuvre (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit., p. 195 s).

En l’espèce, le fait que le contrat de séjour soit prévu dans le règlement intérieur adopté par le département n’empêche pas de le soumettre au droit privé, les autorités pouvant recourir au droit privé dans l’accomplissement de leurs tâches publiques. De même, l'utilisation du terme « autorisation » à l'art. 1 du règlement intérieur n'est pas décisif.

Il y a bien plutôt lieu de s’intéresser au contenu et à la forme de cet acte pour identifier sa nature juridique. Il porte sur trois emplacements situés dans l’aire d’accueil, terrain appartenant au patrimoine privé (ou financier) du canton. L’intitulé de l’acte vise spécifiquement les forains et les gens du voyage et leur relogement. Il est signé, le 31 octobre 2012, par l’office des bâtiments, au nom du département à l’époque compétent, et par les recourants – ce qui tend à démontrer son caractère bilatéral. Il concerne une durée d’un an à partir du 1er janvier 2013 et prévoit une reconduction tacite d’année en année, avec un préavis de départ de trois mois pour la fin d’un semestre. Il est soumis à un tarif mensuel de CHF 855.-, fondé sur le règlement intérieur du département. Ce dernier fait, selon les termes mêmes de l’acte signé par les parties, partie intégrante de celui-ci. Cet acte met clairement en évidence, par l’usage du gras dans le texte, la phrase précisant que les bénéficiaires de tels emplacements certifient « avoir pris connaissance, lu et approuvé le règlement du département » et qu’ils s’engagent à le respecter. Il découle de l’ensemble de ces éléments que cet acte répond à la définition du contrat de bail au sens de l’art. 253 CO, dans la mesure où le département cède l’usage de certaines parties déterminées sur son terrain aux recourants en échange d’une somme fixée mensuellement pour cet usage. Dans la mesure où le droit fédéral règlemente exhaustivement le contrat de bail, matière de droit civil relevant de la compétence exclusive de la Confédération, il n’y a pas de place pour une règlementation cantonale de droit public régissant ce même objet. Le fait que le département règle l’usage de son terrain par un règlement spécifique ne change pas la nature de ce contrat, puisque le droit fédéral autorise le bailleur à définir l’usage admis de la chose faisant l’objet du contrat, notamment dans des annexes au contrat, et que le canton est bailleur et propriétaire du terrain.

Par conséquent, la résiliation du contrat de séjour porte sur un contrat de bail régi par le droit privé fédéral. Les courriers litigieux formalisant cette résiliation ne sont donc pas fondés sur le droit public. Ils ne constituent ainsi pas des actes attaquables devant la chambre administrative au sens de l'art. 4 LPA.

8) Reste à examiner une éventuelle compétence de la chambre administrative fondée sur l’art. 4A LPA.

a. L’art. 4A LPA confère à toute personne ayant un intérêt digne de protection le droit d'exiger que l'autorité compétente pour les actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations statue par décision. L'art. 4A LPA a une teneur similaire à l'art. 25a de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), qui a été introduit par le législateur fédéral pour garantir l'accès au juge prévu par l'art. 29a Cst. et par art. 6 §. 1 CEDH, avec la nuance suivante. L’art. 25a PA vise uniquement les actes matériels fondés sur le droit public fédéral, alors que l’art. 4A LPA concerne les actes matériels fondés sur le « droit fédéral, cantonal ou communal ».

b. Le droit d'accès au juge tel que prévu par ces dispositions ne vise pas à créer de nouveaux droits matériels sans fondement légal, mais à accorder une protection procédurale à des droits reconnus (ACEDH H. c. Belgique, du 30 novembre 1987, Série A 127-B, § 41 ss cité dans l'exposé des motifs du conseil d'Etat à l'appui du PL 10'253, p. 25, MGC (en ligne), séance 42 du 22 mai 2008 à 17h00 ; ATA/164/2011 du 15 mars 2011 consid. 5 ; ATA/142/2011 du 8 mars 2011 consid. 5). Les art. 25A PA et art. 4A LPA poursuivent ainsi le même but. Ils mettent en œuvre la jurisprudence fédérale, selon laquelle, lorsqu’un acte matériel de l’Etat viole des droits fondamentaux, les administrés peuvent obtenir une décision de constatation sujette à recours devant une instance juridictionnelle (ATF 128 II 156 et jurisprudence citée ; aussi ATF 133 I 58 ; 133 I 49 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2P.324/2001 du 28 mars 2002 ; ATA/142/2011 précité ; Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève [en ligne], exposé des motifs du 5 mai 2008 du Conseil d’Etat, à l’appui du PL 10'253, disponible sur http://www.ge.ch/grandconseil/data/texte/PL10253.pdf ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 693 ss).

c. Un acte matériel est défini comme un acte qui n’a pas pour objet de produire un effet juridique, même s’il peut en pratique en produire, notamment s’il met en jeu la responsabilité de l’Etat (Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, op. cit., p. 12s ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 52 ; cf. également MGC 2007-2008/XI 1 A – 10’926). Du point de vue de la mise en œuvre du droit administratif, les contrats de droit privé ne créent pas des droits et obligations de droit administratif et peuvent, pour cette raison, être classés dans la catégorie des actes matériels (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 665).

En l’espèce, les recourants ne se plaignent d’aucune violation de leurs droits fondamentaux. De plus, aucun élément du dossier ne permet d’en déceler. Ainsi, l’une des conditions cumulatives de l’art. 4A LPA, à savoir l’atteinte à des droits ou obligations, n’est pas réalisée. Les courriers litigieux ne constituent ainsi pas des décisions au sens de l’art. 4A LPA. La chambre administrative n’est donc pas non plus compétente, en vertu de l’art. 4A LPA, pour se prononcer sur les deux courriers du 26 septembre 2013.

9) Faute de compétence de la chambre administrative, le recours sera déclaré irrecevable.

Vu l’issue du recours, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 28 octobre 2013 par Madame Isabelle et Monsieur Christian WALDER contre les actes de l’office des bâtiments du 26 septembre 2013 ;

met à la charge de Madame Isabelle et Monsieur Christian WALDER, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il ne leur est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Pascal Junod, avocat des recourants, ainsi qu’à l'office des bâtiments.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :