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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2366/2008

ATA/17/2012 du 10.01.2012 sur DCCR/1676/2010 ( EXP ) , REJETE

Recours TF déposé le 22.02.2012, rendu le 12.07.2012, REJETE, 1C_121/2012
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2366/2008-EXP ATA/17/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 janvier 2012

 

 

dans la cause

SI N______ S.A.

représentée par Me Bénédict Fontanet et Me Malek Adjadj, avocats

et

E______ S.A.
représentée par Me Bénédict Fontanet et Me Malek Adjadj, avocats

contre

ÉTAT DE GENÈVE
représenté par Me Bertrand Reich, avocat

_________


Recours contre la décision de la commission cantonale de conciliation et d’estimation du 22 novembre 2010 (DCCR/1676/2010)


 

 

EN FAIT

1. Le 9 novembre 1988, un groupe de cinquante manifestants, venu réclamer dans la rue un droit au logement dans la période de grave pénurie qui sévissait dans le canton de Genève, est entré par effraction dans trois immeubles de logements, sis au 24, boulevard L______ et aux 12 et 14, boulevard M______. Ces bâtiments étaient inhabités, à l'exception d'un appartement, dans lequel demeuraient deux locataires, Madame A______ et Monsieur C______.

Se réclamant du « groupe X______ », les manifestants se sont installés durablement dans les lieux.

2. Les immeubles squattés (ci-après : les immeubles), après avoir été propriété de la S______ (devenue depuis lors l’O______ S.A. ; ci-après : O______), puis rachetés par des promoteurs (Messieurs B______ et D______), étaient depuis un an la propriété de Messieurs B______, F______, I______, J______ et K______ (immeubles du 24, boulevard L______[ci-après : le 24, Bd L______] et du 12, boulevard M______ [ci-après : le 12, Bd M______]), ainsi que de la SI Boulevard N______ 14 S.A. ([ci-après : la SI] ; propriétaire de l'immeuble sis à cette adresse [ci-après : le 14, Bd M______]), dont le capital-actions était détenu par les mêmes personnes (ci-après : les propriétaires).

3. Le prix de cette dernière acquisition était de CHF 26'000'000.-.

4. Les immeubles faisaient partie d’un ensemble bâti protégé au sens de l’art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

A cette époque, le 24, Bd L______ était composé comme suit : quatre logements de 7,5 pièces, trois de 6,5 pièces, un de 3,5 pièces et un de 4,5 pièces. Au 12 et 14, Bd M______, se trouvaient sept appartements de 7 pièces et deux de 4 pièces, l’ensemble représentant dix-huit logements et cent-neuf pièces, auxquels s’ajoutaient 437 m2 de surfaces commerciales réparties sur quatre étages et quatorze places de parc. Le dernier état locatif relatif à ces immeubles faisait état, au 30 juin 1986, d’un revenu de CHF 75'144.- pour l’immeuble du 24, Bd  L______, soit CHF 1'417.- la pièce par an. Il était de CHF 31'680.-, soit CHF 1'132.- la pièce par an au 12, Bd M______, et de CHF 33'112.-, soit CHF 1'413.- la pièce par an au numéro 14.

Le jour de l'infraction et le lendemain, les représentants des propriétaires ont déposé plusieurs plaintes pénales auprès de la police pour violation de domicile.

Une procédure pénale a alors été ouverte (P/14176/1991).

5. Par trois ordonnances du 10 novembre 1988, le Procureur général a invité la force publique à expulser tout individu qui se trouverait en flagrant délit d’occupation illicite dans l’un des bâtiments susmentionnés.

6. Le même jour, le Conseil d’Etat, soit pour lui le président du département de justice et police d’alors (ci-après : DJP), devenu depuis lors le département de la sécurité, de la police et de l’environnement (ci-après : DSPE), a refusé de mettre à disposition du Procureur général les fonctionnaires de police nécessaires à l’exécution desdites ordonnances au motif que les propriétaires n’ayant pas le projet de mettre les appartements en l’état sur le marché du logement et ne disposant pas d’autorisations de construire ou de transformer, n’avaient qu’un intérêt négligeable à l’évacuation, alors que celle-ci, exécutée par la force publique, pouvait provoquer des troubles sociaux.

7. Les propriétaires des immeubles sont alors entrés en pourparlers avec les squatters, qui ont refusé de quitter les lieux.

8. N’ayant pu obtenir l’évacuation par la voie de la négociation, ils ont demandé à nouveau, en vain, l’intervention des forces de l’ordre par courriers des 5 décembre 1988 et 26 juillet 1989.

9. Par acte du 8 novembre 1989, les propriétaires ont formé un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral pour violation de leurs droits constitutionnels, concluant à ce que le Conseil d’Etat soit invité à mettre en œuvre la force publique pour l’évacuation forcée de leurs immeubles, conformément aux ordonnances rendues par le Procureur général le 10 novembre 1988.

10. Pendant l'instruction de ce recours, le 12 octobre 1990, le département des travaux publics et de l’énergie (ci-après : DTP), dénommé ensuite département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (ci-après : DAEL) et devenu depuis lors le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : DCTI), a refusé d’octroyer l’autorisation portant sur la transformation et la rénovation des trois immeubles précités, la création de logements pour personnes âgées et la construction du garage souterrain, au motif que ce projet ne respectait pas des dispositions de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 22 juin 1989 (aLDTR) et le règlement transitoire du plan d’utilisation du sol de la Ville de Genève (DD 90016).

11. Les propriétaires ont recouru en temps utile contre ce refus d'autorisation, auprès de la commission de recours en matière de constructions (ci-après : CCRC).

12. Le 18 mars 1991, alors que ce recours était pendant, ils ont déposé une nouvelle requête d’autorisation de construire ne concernant cette fois que le 24, Bd L______ (DD 90971) et portant sur la transformation intérieure des logements, l’aménagement des combles, le ravalement des façades et la construction de places de parc.

13. Par arrêt du 8 mai 1991, le Tribunal fédéral a admis le recours de droit public des propriétaires du 8 novembre 1989 et invité le Conseil d’Etat à exécuter les ordonnances du Procureur général (SJ 1991 p. 602).

Ces ordonnances reposaient sur l’application conjointe des art. 43 al. 1 let. c de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (aLOJ), dans sa teneur d’alors, et 926 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre l907 (CCS - RS 210). Selon cette dernière disposition, le possesseur d’un immeuble était autorisé à en expulser aussitôt tout usurpateur qui s’y introduisait par la violence ou clandestinement. Il appartenait au droit cantonal de déterminer si une assistance des autorités pouvait être accordée au possesseur. En droit genevois, cette compétence était confiée au Procureur général par l’art. 43 al. 1 let c aLOJ. Ce droit de reprise supposait cependant que le lésé entreprenne de récupérer son bien aussitôt après l’usurpation. Il prenait fin si le possesseur cessait s’agir ou s’accommodait, même provisoirement, de la situation. Tel n’était pas le cas en l’espèce, les propriétaires ayant immédiatement réclamé l’expulsion des squatters par la police, puis cherché sans désemparer à obtenir l’exécution des ordonnances du Procureur général. Les pourparlers engagés avec les squatters ne pouvaient être interprétés comme une renonciation des propriétaires à l’évacuation forcée demandée auparavant. Malgré le temps écoulé, l’art. 926 al. 2 CCS autorisait l’évacuation forcée et les ordonnances d’évacuation, demeurées valables, devaient être exécutées. Le 6 octobre 1989, la police genevoise avait expulsé des individus occupant d’autres bâtiments, immédiatement après que ces intrus y eurent pénétré. Cette opération n’avait eu aucune suite dommageable pour l’ordre public. Le danger de troubles à l’ordre public ne pouvait ainsi être guère tenu pour imminent et le Conseil d’Etat ne pouvait, de manière durable, préserver la paix sociale en portant atteinte aux droits constitutionnels des propriétaires de logements qui refusaient de mettre leurs biens sur le marché.

14. Le Conseil d’Etat a refusé de donner suite à cet arrêt.

Il renoncerait désormais, d’une manière générale, à expulser les occupants illicites des immeubles de logements vides, aussi longtemps que leurs propriétaires ne seraient pas au bénéfice d’une autorisation de construire ou de transformer en force.

Il s’engageait, en contrepartie, à évacuer les immeubles aussitôt que cette condition était réalisée.

Ici a débuté une véritable pratique des autorités en matière de squats, appelée « pratique genevoise ».

15. Le 17 juin 1991, le président du département en charge du DCTI a informé le chef du DSPE que la CCRC avait admis le recours des propriétaires interjeté contre le refus de l’autorisation DD 90016 pour des motifs formels (préavis manquant de la commission des monuments, de la nature et des sites, ci-après : CMNS) et que l’instruction de cette requête avait été reprise, sans que le département se soit encore prononcé à son sujet.

Parallèlement, il instruisait la requête d’autorisation sur la transformation de l’immeuble du 24, Bd L______ déposée le 18 mars 1991.

16. Le 18 juin 1991, les propriétaires ont déposé une troisième requête en autorisation de construire portant sur la transformation des immeubles 12-14, Bd M______ (DD 91175), l’aménagement des combles, la réfection des façades et la créations de places de parc. L’affectation en logements était maintenue.

17. Le 28 juin 1991, M. F______ a vendu ses parts de copropriété aux autres copropriétaires.

18. En 1992 ont été adoptées les dispositions de la LDTR prévoyant l’expropriation temporaire, contre indemnité pleine et entière, de l’usage des appartements laissés vides sans motif légitime (art. 1 let. d et 26 ss LDTR).

19. Le 17 février 1994, le DCTI a délivré l’autorisation visant la rénovation de l’immeuble du 24, Bd L______.

Conformément à l’aLDTR et au plan financier accepté, les loyers futurs des sept appartements sis au rez-de-chaussée et aux étages n’excéderaient pas CHF 5’000.- la pièce par an. Celui des deux appartements aménagés dans les combles ne dépasserait pas CHF 6'200.- la pièce par an. Ces loyers seraient appliqués pour une durée de cinq ans à partir de la remise en location.

Les locaux devaient par ailleurs être libres de tout occupant avant le commencement des travaux.

20. Le 9 mars 1994, le DCTI a délivré l’autorisation de construire concernant le 12-14, Bd M______ (DD 91175).

Les loyers futurs des sept appartements de 7 pièces sis au rez-de-chaussée et aux étages étaient fixés à CHF 4'800.- la pièce par an. Celui des deux appartements de 4 pièces aménagés dans les combles était fixé à CHF 6'200.- la pièce par an pour une durée de cinq ans.

Des travaux ne pourraient être entrepris tant que les locaux à transformer ne seraient pas libres de tout occupant.

21. Le groupe X______ (ci-après : X______), constitué en association, ainsi que l’Association genevoise de défense des locataires (ci-après : Asloca), ont recouru contre ces deux décisions auprès de CCRC, qui a déclaré irrecevables les recours de X______, d’une part, admis les recours de l’Asloca et annulé les autorisations délivrées, d’autre part, pour des motifs de procédure de fixation des loyers et du non-respect de l’art. 6 al. 6 LDTR, les loyers fixés ne répondant pas aux besoins prépondérants de la population.

22. Le 29 juillet 1994, les propriétaires ont recouru contre cette dernière décision auprès du Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

23. Le litige portant sur le prix des loyers, les propriétaires se sont mis d’accord avec l’Asloca pour déposer une demande de subvention destinée à les réduire. Pendant l’établissement concerté du nouveau plan financier, négocié entre eux, les propriétaires, l’Asloca, le chef du DCTI et l’office financier du logement (ci-après : OFL), la procédure de recours a été suspendue. Ces négociations ont duré deux ans. Les propriétaires ont consenti tout d’abord à abaisser le loyer des appartements du 12-14, Bd M______ à CHF 3'800.-, respectivement CHF 6'000.- la pièce par an, et celui de l’immeuble du 24, Bd L______ dans la même mesure. Pour l’Asloca, il incombait à l’autorité politique genevoise, si elle voulait débloquer le dossier, de trouver une solution combinant l’aide cantonale et l’aide fédérale, de sorte que les loyers après travaux ne soient pas supérieurs à CHF 3'450.- la pièce par an, respectivement CHF 6'000.-. L’OFL ne souhaitait pas subventionner ce genre d’immeubles, dont l’achat avait été réalisé à des fins spéculatives, et ce d’autant que les banques, créancières gagistes, se disaient prêtes à « effacer » une créance de CHF 25'000'000.- les concernant. Il s’est finalement déclaré prêt à entrer en matière sur le principe d’un subventionnement cantonal et a admis le dépôt d’un plan financier à cette fin.

24. Le 15 juillet 1996, les propriétaires ont déposé un plan financier (ci-après : plan financier initial) prévoyant un prix par pièce et par an, pour les trois immeubles, de CHF 3'500.- plus CHF 800.- de subvention, et de CHF 6'200.- pour logements non subventionnés situés dans les combles.

25. Par décision du 7 août 1996, l’OFL a donné son accord de principe au plan financier initial. Cet accord avait une validité de six mois. Les propriétaires étaient invités à entreprendre à bref délai toutes les démarches nécessaires en vue de l’ouverture du chantier.

26. Pour adapter la rénovation des immeubles au plan financier prévu, une nouvelle requête d’autorisation de construire prévoyant une rénovation plus « douce » des trois immeubles, a été déposée par les propriétaires le 20 décembre 1996 (DD 94630).

Une affectation partielle des entresols en bureaux et dépôt (437 m2) était prévue. Les travaux relatifs aux réparations des déprédations commises sur les immeubles feraient l’objet d’une requête d’autorisation complémentaire.

27. Selon un communiqué de X______ du 15 janvier 1997, l’association réitérait son souhait de trouver des partenaires économiques et institutionnels pour pouvoir proposer une solution de rachat des immeubles et de rénovation légère, aux coûts et ambitions modestes, qui auraient pour résultat de garantir des logements pour environs 70 personnes sur un très long terme. La solution du logement subventionné prévue par la dernière requête d’autorisation des propriétaires aboutirait, à un terme de cinq ou dix ans, à la mise sur le marché, en loyer libre, des appartements concernés. D’une pénurie quantitative de logements, le canton était passé (et resté) à une situation de manque de logements bon marché garantissant une bonne qualité de vie.

28. L’accord de principe concernant la subvention allouée par l’OFL a été régulièrement renouvelé jusqu’à ce que l’autorisation soit délivrée le 28 juillet 1997 (DD 94630).

Les loyers des appartements subventionnés ne pouvaient excéder, après travaux, CHF 3'500.- la pièce par an en moyenne, conformément au plan financier initial. Ceux des quatre logements situés dans les combles et totalisant 16 pièces n’excéderaient pas CHF 6'200.- la pièce par an.

Enfin, l’ouverture du chantier était subordonnée à l’accord définitif de l’OFL et les travaux ne pourraient être entrepris tant que les locaux à transformer ne seraient pas libres de tout occupant.

29. Le 28 août 1997, l’Asloca et les propriétaires ont signé un accord par lequel l’Asloca s’engageait à ne pas recourir auprès de la commission de recours contre l’autorisation précitée nouvellement délivrée. Les propriétaires promettaient de respecter des loyers de CHF 3'500.- la pièce par an au maximum pour les logements, après transformation, des trois immeubles, sous la seule réserve des adaptations autorisées par l’office du logement (ci-après : OLO).

Cet engagement prendrait fin dix ans après la date moyenne de l’entrée des locataires dans l’immeuble. Il serait inscrit par les propriétaires comme servitude en faveur de l’Asloca. Le recours pendant devant le Tribunal administratif, visant l’autorisation précédente, remplacée par l’autorisation délivrée le 28 juillet 1997, serait retiré car devenu sans objet, moyennant le versement d’une indemnité à titre de dépens, en faveur de l’Asloca, de CHF 2'000.-, à la charge des propriétaires.

30. En septembre 1997, X______ a lancé une pétition « soutien au projet X______ » par laquelle l’association demandait que les autorités et les partis politiques « reconsidèrent leurs priorités en matière de politique du logement social », l’accent devant être mis sur des projets qui répondaient aux besoins et aux choix de vie exprimés par les habitants et sur des projets d’utilité publique, novateurs et économiques. Elle sollicitait une adaptation du cadre légal « à la réalité de la demande de logements associatifs, ainsi qu’à l’existence d’un cadre de vie alternatif qui façonne la vie genevoise depuis plus de quinze ans ». L’association défendait l’idée d’un bail associatif, qui entraînait la participation active des habitants dans l’achat et la gestion des immeubles. Dénué de toute idée de profit, ce projet garantissait à très long terme des logements à bas prix destinés à des personnes disposant de faibles revenus. Il encourageait la constitution d’ateliers d’artistes, de lieux de programmation musicale ou artistique et d’espaces alternatifs ouverts au public. L’association souhaitait racheter les immeubles en partenariat avec une coopérative pour défendre une initiative alternative et novatrice en matière de logement social.

31. En octobre 1997, X______ a présenté deux variantes de projet d’achat au chef du DCTI.

Elle proposait d’acheter les trois immeubles pour CHF 2'257'591.- et d’effectuer des travaux pour CHF 1'800'000.- (contre les CHF 7'000'000.- de travaux proposés par les propriétaires), ce qui portait le loyer final de la pièce à CHF 2'151.- par an, subventions déduites (de CHF 717.- la pièce par an). Ce projet garantissait aux habitants un loyer de CHF 250.- par mois, chacun d’eux occupant une pièce et une part des lieux communs. Une alternative se trouvait dans un achat des immeubles pour CHF 3'150'000.-, conduisant à un loyer final par pièce de CHF 2'820.-, subventions déduites et travaux inclus. Ces deux alternatives étaient conditionnées à l’octroi d’un bonus à la rénovation, comme dans les opérations HLM.

Un soutien institutionnel était nécessaire pour l’investissement des fonds propres notamment, X______ ne disposant que de CHF 100'000.- et pouvant générer des parts de coopérative pour CHF 160'000.-.

32. Le 3 décembre 1997, la pétition précitée a été adressée au Grand Conseil, munie de 3'500 signatures (P 1180-A).

33. Le lendemain, le Grand Conseil a été saisi d’une motion invitant le Conseil d’Etat à se conformer à l’art. 10A let. h de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst-GE - A 2 00), imposant aux autorités une politique active de concertation en cas de conflit en matière de logement, et à ouvrir sans délai, avec l’aide du Procureur général, des négociations entre toutes les parties concernées (en particulier les propriétaires et les occupants) en vue de prendre en considération le projet de coopérative de l’association X______, et à surseoir à toute intervention de la police visant à évacuer les immeubles.

34. A cette période, X______ a créé dans les immeubles deux établissements publics, soit un café-restaurant et une salle de spectacle, nommés « Le P______ » et la « Q______ ».

Elle a également fondé une crèche pour ses membres.

35. Le 2 février 1998, M. B______ est tombé en faillite. A cette date, les copropriétaires, ainsi que la SI, ne faisaient plus face, depuis longtemps, à leurs obligations hypothécaires. Leur créance de CHF 32'397'821.- détenue par l’O______ à leur encontre, incorporée des cédules hypothécaires grevant les immeubles, ainsi que l’intégralité du capital-actions de la SI, a été rachetée, à titre fiduciaire, par Monsieur R______, pour Monsieur S______, au prix de CHF 2'600'000.-.

36. Le 20 janvier 1998, une rencontre entre les protagonistes a été organisée par le président du DCTI, lors de laquelle les propriétaires ont proposé de vendre les trois immeubles pour CHF 3'500'000.-.

37. Par courrier du 1er février 1998, X______ a fait une contre-proposition d’achat à CHF 2'200'000.-.

Ce prix correspondait aux montants des loyers que les habitants actuels pouvaient payer. La valeur des immeubles ne pouvait être évaluée à l’aune des spéculations successives, mais conformément aux possibilités des habitants. Le prix proposé intégrait les possibilités d’une subvention HLM et l’octroi d’un bonus à la rénovation. Le rachat des parcelles par un tiers avec établissement d’un droit de superficie pouvait également entrer en ligne de compte. Elle espérait un cautionnement par l’Etat des crédits nécessaires à cet achat.

38. Par un courrier du 10 février 1998, adressé au président du DSPE, le président du DCTI a informé ce dernier que l’autorisation de construire délivrée le 28 juillet 1997 n’avait fait l’objet d’aucun recours et qu’elle était dès lors entrée en force. L’association X______ ayant mis au point un projet de rénovation alternatif et le Conseil d’Etat ayant été saisi d’une motion du Grand Conseil lui demandant d’ouvrir des négociations entre les parties concernées et de surseoir à toute intervention de la police visant à évacuer les immeubles, il le priait de ne pas procéder à une telle évacuation si celle-ci était demandée par les propriétaires des bâtiments, et cela bien que le chantier pouvait, juridiquement, être ouvert.

39. Le 30 mars 1998, l’association X______, sous le nouvel acronyme « T______ » a sollicité une nouvelle fois du président du DCTI l’aide de l’Etat de Genève, proposant l’acquisition par ce dernier d’un droit de superficie sur les parcelles concernées afin de permettre l’existence d’une coopérative.

40. Le 21 avril 1998, la SI a été déclarée en faillite.

41. Le 7 juin 1998, X______ a constitué une coopérative.

42. Lors d’une réunion qu’il avait provoquée entre les parties, le président du DCTI a informé X______ qu’il ne pouvait accéder à sa demande d’aide étatique sous les formes proposées et la favoriser par rapport aux autres citoyens. Les propriétaires ont reformulé, à cette occasion, leur offre de vente à CHF 3'500'000.-.

43. Le 20 juillet 1998, le DCTI a prorogé, à la demande des propriétaires, l’autorisation de construire du 28 juillet 1997.

Cette prorogation était toutefois munie de conditions.

L’ouverture du chantier était subordonnée à la délivrance d’une autorisation de construire complémentaire, dont la requête devait être déposée dans un délai de trente jours, portant sur la modification du plan financier, qui devait tenir compte des changements intervenus depuis la délivrance de l’autorisation initiale (baisse des taux hypothécaires, rachat des créances par M. R______ pour CHF 2'600'000.-, etc.). Cette requête serait accompagnée d’une demande de subvention de « bonus à la rénovation » fondée sur ces nouveaux éléments.

Les propriétaires devraient reloger prioritairement les actuels occupants au 12 ou au 14, Bd M______.

Conformément à l’autorisation principale, les immeubles devraient être libres de tout occupant avant l’ouverture du chantier.

44. Le 28 juillet 1998, les propriétaires ont déposé la requête en autorisation de construire complémentaire demandée (DD 94630/2-3).

45. Le 14 septembre 1998, le président du DCTI les a informés que la commission d’attribution leur avait alloué un bonus à la rénovation de CHF 768'000.-. Cette subvention était toutefois subordonnée à la délivrance, par le département, de l’autorisation complémentaire de construire visée par la décision de ce dernier du 20 juillet 1998.

Les travaux devraient être entrepris dans un délai de trois mois après la délivrance de cette autorisation. Le loyer des quatorze logements HCM, soit 93 pièces, ne devait pas excéder CHF 3'225.- par an et celui des logements dans les combles (14 pièces) CHF 6'000.-.

46. En janvier 1999, le DCTI a demandé à la Y______ de prêter ses bons offices à la négociation demandée par le Grand Conseil, devant intervenir entre M. S______, alors créancier gagiste et détenteur économique des immeubles, et X______.

Ces négociations pouvaient se résumer de la manière suivante.

47. En février 1999, X______ a souhaité racheter les trois immeubles. La Y______ a suggéré le rachat d’un seul immeuble pour des motifs liés à la capacité financière des habitants. M. S______ a privilégié la solution de location ou de vente d’un seul immeuble.

En mars 1999, M. S______ a proposé soit un bail de dix ans pour les trois immeubles au prix de CHF 220'000.- par an, un bail de dix ans pour un seul immeuble, moyennant un loyer de CHF 145'000.- par an ou encore l’achat par X______ des créances relatives à l’immeuble 14, Bd M______.

En avril 1999, M. S______ a demandé aux occupants de faire une offre d’achat de ses créances, qu’il déclarait être d’accord de vendre s’il ne perdait pas d’argent. Il était en voie d’acquérir la pleine propriété des immeubles concernés.

En mai 1999, il a offert à X______ d’acquérir ses créances relatives au trois immeubles pour CHF 3'000'000.- ou d’acquérir celle du 14, Bd M______ pour CHF 1'700'000.-. Il a encore proposé la conclusion d’un bail sur deux immeubles moyennant un loyer net de CHF 180'000.- par an, pour une durée de dix ou quinze ans, assorti d’un droit de préemption.

X______ a articulé le prix de CHF 2'600'000.- pour l’achat des immeubles, cette acquisition supposant toutefois une participation financière de la Z______ ainsi que de la Y______, à laquelle elle a parallèlement demandé une aide.

En décembre 1999, M. S______, n’ayant pas reçu de réponse à ses propositions de la part de X______, a souhaité retirer son offre. X______ a déclaré vouloir trouver encore une solution de financement avec les fondations suscitées. Celles-ci ont finalement refusé leur concours, faute pour X______ de disposer de suffisamment de fonds propres.

48. Pendant la durée de ces négociations, M. S______ a acquis, en son propre nom, les créances, cédules hypothécaires et actions de la SI relatives aux immeubles.

49. Le 12 juillet 1999, l’autorisation principale DD 94630 a été prorogée, sa validité demeurant toutefois subordonnée à la délivrance de l’autorisation complémentaire attendue.

50. Entre avril et juin 2000, la société E______ S.A., dont M. S______ était le détenteur économique, a acheté les parts de copropriété de tous les copropriétaires, devenus insolvables.

51. Le 9 juin 2000, les propriétaires ont sollicité une nouvelle fois la délivrance de l’autorisation complémentaire, en même temps que la prorogation de l’autorisation principale.

52. La Ville de Genève (ci-après : la ville) ayant approché M. S______ et Maître Bénédict Fontanet, administrateurs de la SI, pour un échange foncier, la direction du DCTI a décidé, le 27 juin 2000, de proroger « une dernière fois » l’autorisation principale et de laisser la complémentaire « en attente » pour ne pas interférer dans les négociations menées par la ville.

53. Le 29 juin 2000, le DCTI a accordé ladite prorogation.

Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le DCTI procédait « une ultime fois » au renouvellement de l’autorisation de construire principale susvisée. Des négociations étant toujours en cours, l’ouverture du chantier demeurait subordonnée à la délivrance de l’autorisation de construire complémentaire en cours d’instruction.

54. Le 18 octobre 2000, Me Fontanet a écrit à la fondation du logement du Grand Conseil.

Il avait tenté de trouver un terrain d’entente avec les squatters, qui avaient refusé toutes les propositions formulées, y compris la location de deux immeubles pour le prix de CHF 180'000.- par an, ou la vente d’un seul des immeubles pour y regrouper leurs activités. Compte tenu notamment des frais exposés et des intérêts intercalaires encourus depuis, ces propositions n’étaient plus d’actualité. Les occupants n’avaient jamais été en mesure de présenter une offre financièrement crédible. Les fondations immobilières de droit public, comme la CODHA, ne les avaient pas suivis. M. S______ n’avait, à ce jour, reçu aucune proposition concrète de la part de la ville pour un échange foncier. Il entendait réaliser dans les meilleurs délais la rénovation des immeubles. Il était disposé, si les squatters quittaient volontairement les lieux, à ce que les travaux commencent au mois d’avril 2001 seulement, qu’ils soient effectués en deux temps, soit, par exemple, dans l’immeuble du 24, Bd L______, d’abord, puis dans celui du 12-14, Bd M______, ensuite, de sorte que les occupants devant quitter le premier bâtiment puissent se regrouper dans le second. Il donnait également son accord, dans ce cas, à ce que les squatters disposent d’une priorité de « retour » dans les immeubles rénovés, dans le respect des conditions fixées par l’office.

55. En 2000, la cause relative aux autorisations remplacées par la DD 94630 a été rayée du rôle par le Tribunal administratif.

56. Le 24 avril 2001, le président de la Y______ a adressé son rapport au président du DCTI au sujet des négociations qu’il avait diligentées.

« L’affaire X______ » aurait pu trouver une issue satisfaisante si les occupants des trois immeubles concernés avaient accepté de conclure le bail de dix ans, moyennant le loyer annuel de CHF 180'000.- proposé par M. S______. Ce loyer avoisinait CHF 1'100.- la pièce par an. Il paraissait acceptable, même compte tenu de l’état de vétusté des immeubles et des travaux que les locataires potentiels auraient immanquablement dû assumer.

Les occupants illicites des immeubles n’avaient payé aucun loyer au propriétaire. Ils auraient ainsi pu constituer des économies pour effectuer notamment des travaux. Les solutions d’achat des créances ou des immeubles s’étaient heurtées à plusieurs difficultés. D’une part, les occupants n’avaient ni le désir, ni vraisemblablement les moyens d’assumer toutes les procédures nécessaires à l’acquisition des droits fonciers. D’autre part, ils ne disposaient pas de suffisamment de fonds propres pour acheter les immeubles et procéder aux travaux. Preuve en était qu’ils souhaitaient obtenir des financements extérieurs.

Sa mission de bons offices avait échoué.

57. Le président du DCTI ayant décidé de réunir une dernière fois les parties avant l’échéance de la prorogation de l’autorisation initiale et la délivrance de l’autorisation complémentaire, il a convoqué les parties à une séance le 23 juillet 2001, lors de laquelle M. S______ a fait une ultime proposition de bail associatif sur une durée de vingt ans pour CHF 240'000.- par an pour les trois immeubles, avec caution de la ville ou de l’Etat de Genève et inscription d’une hypothèque de CHF 2'500'000.- en deuxième rang sur les immeubles pour garantir le financement des travaux que X______ souhaitait exécuter elle-même. Les charges de l’immeuble incomberaient à l’association. Si le bail de vingt ans n’était pas renouvelé à l’échéance, l’association serait dédommagée. Un délai était donné au 14 septembre 2001, à X______, pour se prononcer sur cette proposition.

58. Le 26 juillet 2001, l’autorisation de construire principale DD 94630 a été prorogée pour trois mois, soit jusqu’au 31 octobre 2001.

L’ouverture du chantier restait toutefois conditionnée à la délivrance de l’autorisation de construire complémentaire, laquelle « [dépendait] d’un accord à intervenir entre la société E______ S.A. et l’association X______ ».

59. Par lettre du 13 août 2001, M. S______ a sollicité du président du DCTI la délivrance de l’autorisation complémentaire, bloquée par le département.

Les squatters avaient refusé toutes ses propositions. Ils étaient revenus sans cesse « à la charge » avec des éléments prétendument nouveaux pour prétexter la réouverture des négociations. Seule l’autorisation complémentaire portant sur le plan financier négocié et approuvé par l’OLO devait être délivrée pour permettre l’ouverture du chantier.

Le projet prévoyait la construction de logements sociaux, qui répondaient aux besoins prépondérants de la population.

Cependant, par souci d’apaisement, il formulait une dernière proposition, qui n’était pas négociable, soit la signature d’un bail associatif pour une durée de vingt ans contre un loyer annuel, pour les trois immeubles, de CHF 240'000.-, indexé sur la base des variations du taux hypothécaire. Un financement bancaire en premier rang de CHF 3'200'000.- devrait être consenti pour lui permettre de récupérer la disponibilité d’une partie des fonds propres investis. Le loyer serait payé par X______ directement en mains de la banque, sous la forme d’une annuité fixe. L’Etat, ou la ville, devrait cautionner le paiement du loyer. Les travaux seraient effectués et payés par X______, sur la base de l’estimation de celle-ci (soit CHF 2'500'000.-). Une hypothèque en deuxième rang, à hauteur de ce montant, serait inscrite au registre foncier afin de permettre le financement des travaux, X______ prenant en charge le paiement des intérêts et des amortissements relatifs à ce deuxième prêt, d’une durée de vingt ans. Celui-ci devrait également être garanti par les autorités. Si le bail n’était pas renouvelé à son échéance, X______ serait dédommagée selon les mêmes principes et la pratique prévalant en matière de droit de superficie. Toutes les charges courantes de l’immeuble (conciergerie, entretien, contrats d’abonnement, services industriels, assurances, impôts, etc.) seraient payées par X______ et garanties par les autorités. Le bonus à la rénovation accordé devrait être maintenu pour permettre à l’architecte mandataire en charge du projet de couvrir les frais engagés et de rénover l’enveloppe de l’immeuble.

Cette proposition était valable jusqu’au 14 septembre 2001. Si elle n’était pas acceptée d’ici à cette date, il sollicitait la prorogation de l’autorisation de construire principale de manière à lui permettre de commencer les travaux au printemps suivant, au plus tard, ainsi que la délivrance de l’autorisation complémentaire sollicitée.

Afin de laisser aux squatters suffisamment de temps pour se reloger, il n’avait pas d’objection à ne pas commencer les travaux avant le printemps 2002.

60. Après avoir sollicité un délai pour se prononcer sur cette offre, X______ a informé le DCTI, le 12 octobre 2001, qu’elle trouvait ses conditions excessives.

Elle proposait un loyer de CHF 150'000.- par an, au lieu des CHF 240'000.- proposés.

61. Le 15 octobre 2001, l’autorisation principale DD 94630 a été prorogée par le DCTI jusqu’au 30 août 2002, l’ouverture du chantier restant subordonnée à la délivrance de l’autorisation complémentaire précitée et au relogement des squatters.

62. Le 1er novembre 2001, un incendie s’est déclaré dans les combles des 12 et 14, Bd M______. Ce dernier a causé d’importants dégâts, qui ont mis en péril la sécurité des occupants.

63. Par courrier du 5 novembre 2001, le département a ordonné aux propriétaires de procéder immédiatement à la couverture des toitures et à la purge des cheminées, à la vérification des avant-toits, à la prise de mesures garantissant tout risque de chute de matériaux sur la voie publique, ainsi qu’à la présentation d’un rapport d’expertise analysant l’état général du bâtiment et les mesures d’assainissement envisagées à moyen terme.

64. Des travaux provisoires de sécurisation de la toiture et des plafonds ont été effectués par les occupants, qui ont envoyé leur facture à M. S______. Une expertise a été parallèlement établie par l’architecte mandataire des propriétaires.

65. Par lettre du 31 janvier 2002, ceux-ci ont sollicité une nouvelle fois la délivrance de l’autorisation complémentaire.

Les bâtiments n’étant plus assurés, ils prendraient à leur charge le surcoût résultant de l’incendie, afin que celui-ci n’ait pas d’incidence sur le plan financier déposé et agréé par l’OLO.

Ils rappelaient au département que X______ ayant décliné l’offre du 13 août 2001, plus aucune négociation n’était possible.

66. Le 1er février 2002, X______ a prié le DCTI d’intervenir à nouveau auprès des propriétaires pour sécuriser les avant-toits et les cheminées, qui présentaient des risques pour les occupants et les piétons. Elle tenait à disposition du département le récapitulatif des frais qu’elle avait engagés lorsqu’elle avait procédé elle-même aux premiers travaux d’urgence, que la société E______ S.A. refusait de payer.

67. Le 19 février 2002, X______ a sollicité l’aide du président du DCTI pour relancer les négociations. Elle proposait deux variantes. La première concernait l’octroi d’un droit de superficie à X______ après l’achat des immeubles par une entité publique restant à déterminer, contre CHF 150'000.- par an. La deuxième revenait sur un achat des immeubles par X______ moyennant l’aide des pouvoirs publics.

68. Le 28 février 2002, l’OLO a agréé le nouveau plan financier du 28 février 2002, déposé par les propriétaires, adaptant le plan financier du 15 juillet 1998 à la situation actuelle (taux hypothécaire, montant des travaux, etc., excepté les coûts liés à l’incendie, pris en charge indépendamment par le propriétaire).

Cet accord était valable un an. Les démarches nécessaires à l’ouverture du chantier devaient être entreprises sans délai.

69. Le 18 mars 2002, M. S______, approché une nouvelle fois par la ville suite à la relance des négociations provoquée par X______, a confirmé qu’il n’était plus disposé à céder ses immeubles à l’association, sous quelque forme que ce soit. Il souhaitait les réhabiliter et attendait la délivrance de l’autorisation complémentaire sollicitée plus de quatre ans auparavant.

70. Le 10 avril 2002, le Conseil d’Etat a rendu son rapport au Grand Conseil sur la motion l’invitant à ouvrir sans délai des négociations entre les parties concernées et à surseoir à toute intervention de la police visant à évacuer les immeubles.

Les négociations menées par la Y______ et par le DCTI avaient échoué. Malgré tous les efforts consentis, il n’avait pas été possible de trouver une solution permettant la mise en œuvre du projet X______.

La délivrance de l’autorisation de construire complémentaire sollicitée par les propriétaires ne pouvait pas être « [retenue] plus longtemps ». La réalisation des travaux autorisés permettrait la mise sur le marché de logements rénovés répondant aux exigences de la LDTR. M. S______ avait pris l’engagement, si les occupants quittaient volontairement les lieux, d’effectuer les travaux en deux temps pour permettre le regroupement des occupants dans l’un des immeubles. Ceux-ci bénéficieraient en outre d’une priorité « de retour » dans les immeubles rénovés, aux conditions fixées par l’OLO.

71. Le 12 avril 2002, soit dix-huit jours avant l’échéance de l’autorisation principale fixée par la quatrième décision de prorogation du 15 octobre 2001, le DCTI a délivré l’autorisation complémentaire requise le 28 juillet 1998.

72. Le 17 mai 2002, X______, l’Asloca, ainsi que Mme A______ et M. C______, ont recouru auprès de la CCRC contre cette autorisation en invoquant, notamment, sa caducité.

L’autorisation principale, venue à échéance le 30 avril 2002, n’ayant fait l’objet d’aucune demande de prorogation par les propriétaires, elle était devenue caduque, cette caducité entraînant celle de l’autorisation complémentaire.

73. Après avoir constaté leur omission, les propriétaires ont déposé une nouvelle requête en autorisation de construire définitive (DD 98008) prévoyant la réhabilitation des trois immeubles selon des modalités très semblables à ce qui était prévu dans la précédente autorisation. Deux bureaux étaient en outre transformés en deux logements et un logement (le bureau de l’association des médecins genevois affecté en logement mais utilisé en bureau pendant de nombreuses années) en bureau.

74. Par lettre du 3 septembre 2002, M. S______ a demandé au DSPE la cessation des activités de la « Q______ » et du « P______ ».

En réponse à la délivrance de l’autorisation complémentaire, les squatters avaient installé une dizaine d’affiches attentatoires à sa personnalité et à son honneur, et avaient peint en noir les façades des immeubles, cette dernière infraction lui ayant causé un préjudice, selon devis, de l’ordre de CHF 60'000.-.

Suite à l’oubli de l’architecte de requérir la prorogation de l’autorisation DD 94630, les squatters étaient restés dans les lieux. Cette omission reportant inéluctablement le moment où les occupants illicites seraient évacués, il souhaitait savoir si des autorisations d’exploiter avaient été délivrées à X______ concernant ces deux établissements. Le « P______ » assurait de la restauration, en offrant notamment des plats du jour, ainsi qu’un débit de boissons. Quant à la « Q______ », des concerts y étaient organisés et, selon la presse, ces deux établissements « tournaient à plein régime », attisant la colère de la société des cafetiers restaurateurs qui reprochait à X______ de ne pas payer les taxes légales.

A défaut d’autorisation, une amende devait être infligée aux intéressés, conformément à la loi.

75. Parallèlement, X______ a demandé à la ville l’octroi d’une subvention pour la « Q______ ».

76. Le 23 septembre 2002, la présidente du DSPE a répondu à la requête de M. S______ concernant la fermeture des établissements publics précités.

Selon la pratique genevoise, mise au point avec le parquet du Procureur général, l’occupation illicite d’un bâtiment ou d’un local isolé à destination commerciale n’était pas tolérée, la police procédant dans ce cas à l’évacuation immédiate des locaux. En revanche, lorsque qu’un établissement ouvert au public s’installait dans les locaux communs d’un bâtiment d’habitation, sa présence était en principe tolérée au même titre que l’occupation des logements, aussi longtemps que le propriétaire des lieux n’était pas en mesure de faire un usage licite et effectif de son bien (existence d’une autorisation de transformer ou de démolir en vue d’une reconstruction). Dans cette seconde hypothèse, des mesures ponctuelles étaient prises, sous le contrôle des différents départements concernés, aux fins de faire respecter, autant que faire ce pouvait, les normes applicables en matière de sécurité et d’hygiène. La police était appelée, cas échéant, à intervenir pour limiter les nuisances causées au voisinage.

Cette politique était dictée par l’expérience qui avait démontré que l’évacuation d’un local, non immédiatement suivie d’une occupation licite effective, n’avait pas d’autre conséquence qu’un retour des occupants illicites.

Elle procéderait néanmoins à un contrôle des établissements précités, qui demeureraient dans le cadre exposé.

77. Le DCTI ayant demandé au requérant de lui fournir un duplicata de l’acte de vente de la parcelle n° 741 (propriété de la SI), le mandataire de celle-ci a fait parvenir au département, le 18 octobre 2002, la convention de cession de créances, de cédules hypothécaires et d’actions signée le 30 juin 1999 entre MM. R______ et S______, portant notamment sur la cession de l’intégralité du capital-actions de la SI.

78. Le 27 novembre 2002, X______ a déposé devant le secrétariat du Grand Conseil une pétition « sauvons X______ ! » comportant 3'799 signatures.

Les pétitionnaires soutenaient les démarches de l’association pour la réalisation de son projet de logements associatifs, humains et bon marché, qui répondait à un besoin réel de toute une partie de la population. Son lieu permettait en outre d’offrir sur la place de Genève des activités culturelles et conviviales dans des lieux ouverts au public (« Q______ » et « P______ »).

M. S______ persistait dans la poursuite de ses opérations à but spéculatif, profitant de l’aide publique. Quant à Me Fontanet, il participait activement auprès de spéculateurs aujourd’hui reconnus comme responsables du pillage de la W______. Les pétitionnaires préféraient le projet X______ à celui des propriétaires et demandaient instamment à la ville et à l’Etat de tout mettre en œuvre pour réaliser le « projet X______ ».

La photocopie de la pétition adressée au secrétariat du Grand Conseil figurant dans le dossier du DCTI comportait la mention manuscrite « attention, ne pas délivrer tant qu’ils ne sont pas propriétaires ».

79. Le 28 novembre 2002, un architecte mandaté par X______ a demandé au département s’il pouvait déposer une requête d’autorisation au nom de l’association.

Cette démarche avait pour but d’obtenir le préavis des services du département afin d’apporter de la crédibilité au projet, dans le but final de promouvoir le dossier auprès du propriétaire, des fondations et autres institutions éventuellement concernées.

Le projet de rénovation proposait une mise en conformité des immeubles aux normes de salubrité et d’assainissement, ces travaux étant exécutés avec la participation des habitants. Le second œuvre serait réalisé dans un deuxième temps. Ce projet répondait à une demande sociale forte, qui ne trouvait quasiment pas d’offres sur le marché actuel, promouvant un habitat économique où la gestion et l’entretien étaient assurés par les habitants regroupés en association.

80. Le 12 décembre 2002, le président du DCTI a invité ce mandataire à lui faire parvenir son projet.

Celui-ci serait examiné de manière informelle par le département, qui ne pouvait procéder à son enregistrement à titre de requête en autorisation de construire, faute pour l’association de disposer d’une légitimité pour déposer une telle demande.

81. Le 29 janvier 2003, M. S______ a prié le DCTI de délivrer l’autorisation DD 98008.

82. Cette année-là, la ville a octroyé à X______ la première subvention annuelle destinée à la « Q______ » (CHF 40'000.-).

83. Le 6 février 2003, le département a écrit à Me Fontanet.

Avant la délivrance de l’autorisation de construire sollicitée, un point devait être éclairci. En effet, s’il ressortait des contrats de vente établis en 1999 et 2000, joints au dossier, que E______ S.A. avait acquis les parcelles concernées par l’autorisation, il s’étonnait que cette société n’apparaisse pas comme propriétaire des immeubles au registre foncier.

Il le priait de bien vouloir lui fournir tout document utile attestant que celle-ci était, encore aujourd’hui, propriétaire des immeubles concernés. Dès réception de ces documents, il serait statué sur la demande d’autorisation.

84. Parallèlement à cette procédure, le DCTI a étudié le projet déposé par X______.

Celui-ci n’était pas meilleur que celui du propriétaire. Pour un prix de CHF 3'041.- par an la pièce, il n’était procédé qu’à une transformation partielle des immeubles. A cela, s’ajoutait la création d’un droit de superficie. Le projet du propriétaire offrait une rénovation totale des immeubles pour un coût, par pièce et par an, de CHF 3'225.-.

85. Le 15 octobre 2003, le mandataire de E______ S.A. s’est déterminé sur la demande du DCTI concernant la preuve de la qualité de propriétaire de la société.

Selon l’état de collocation du 21 mai 2001, déposé dans la faillite de la SI, il existait un gage collectif sur les cédules hypothécaires grevant les immeubles. Les créanciers gagistes étaient M. S______, pour CHF 32'397'821,70, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) et l’administration fiscale fédérale. La pratique de l’office des poursuites (ci-après : OP) étant désormais de vendre les biens mobiliers (cédules) aux enchères publiques, E______ S.A. n’avait pu obtenir la pleine propriété par une vente de gré à gré. Il lui avait fallu ainsi envisager la révocation de la faillite de la SI pour pouvoir procéder à l’inscription définitive de E______ S.A. au registre foncier. A cette fin, celle-ci avait dû renoncer à sa créance dans la faillite. Elle devait maintenant régler les dettes fiscales. Les montants y afférents, déjà versés sur le compte de l’Etude, seraient acquittés en mains de l’OP sous quelques jours, après quoi la requête en révocation de la faillite serait immédiatement déposée. Le Tribunal de première instance (ci-après : TPI) statuant en procédure sommaire, la révocation interviendrait rapidement, ensuite de quoi E______ S.A. pourrait requérir son inscription au registre foncier et apparaître formellement comme propriétaire des immeubles concernés.

86. Le 29 octobre 2003, le président du DCTI a informé E______ S.A. qu’il suspendait l’instruction de sa requête jusqu’à son inscription comme propriétaire des immeubles en cause au registre foncier.

87. Le 3 décembre 2003, Me Fontanet a informé le DCTI que la demande en révocation de la faillite de la SI avait été dûment déposée auprès du TPI.

Il avait appris par ailleurs, par la presse, que X______ avait déposé une demande d’autorisation de construire, qui n’était pas parue dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO).

88. Le 5 janvier 2004, la majorité de la commission des pétitions chargée d’étudier la pétition « sauvons X______ ! » a décidé le dépôt de celle-ci sur le bureau du Grand Conseil (rapport P1415-A).

Elle avait entendu les parties. Monsieur U______, représentant l’association, avait déploré que le logement soit un droit, néanmoins soumis à l’obligation de payer des loyers. La spéculation dont les immeubles concernés faisaient l’objet justifiait leur réquisition par l’Etat et éventuellement leur vente forcée. Le projet de logements associatifs défendu par X______ ne s’inscrivait pas dans la logique du logement social, telle que définie par la loi. L’« illégalité » de la situation des squatters de X______ n’enlevait rien à la légitimité de leur action, qui proposait un modèle social et culturel alternatif.

89. Par jugement du 12 janvier 2004, le TPI a prononcé la révocation de la faillite de la SI.

90. Le 24 mars 2004, Me Fontanet a fait parvenir au DCTI trois extraits du registre foncier attestant que E______ S.A. était propriétaire du 24, Bd L______ et du 12, Bd M______, et la SI propriétaire du 14, Bd N______.

91. Par trois décisions du 6 mai 2004, le département a accordé à E______ S.A. et à la SI l'autorisation de réhabiliter les trois immeubles (DD 98008-5), de démolir un garage et d’abattre un arbre.

Les loyers étaient fixés à CHF 3'325.- et à CHF 6'000.- la pièce par an pendant cinq ans, conformément à un plan financier daté du 22 janvier 2004.

92. Par acte du 11 juin 2004, l’Asloca, X______, ainsi que Madame V______ et M. U______, occupants illicites des immeubles, ont recouru auprès de la CCRC contre ces autorisations en sollicitant leur annulation.

93. Le 3 septembre 2004, la majorité de la commission du logement a demandé le classement de la pétition « soutien au projet X______ » ayant recueilli plus de 3'500 signatures (P1180-A).

La minorité, défendant la « solution novatrice et économique » en matière de logement social du projet X______, était d’avis que le « projet X______ » devait être pris en considération par les autorités.

94. Le 26 octobre 2004, les propriétaires ont demandé au DCTI qu’il retire le permis d’occuper relatif aux immeubles pour des raisons de sécurité et d’insalubrité.

95. Le 29 octobre 2004, le département a refusé d’accéder à cette demande.

Seule la mise en œuvre des autorisations délivrées par le département apportait une solution adéquate aux problèmes d’insalubrité et de sécurité présentés par ces immeubles. Si ces problèmes étaient d’une acuité telle qu’ils nécessitaient une évacuation, il appartenait aux propriétaires de requérir, par des mesures provisionnelles, le retrait de l’effet suspensif au recours pendant devant la commission.

96. Le 17 décembre 2004, la commission a déclaré irrecevables les recours formés par X______ et ses occupants. Elle a admis très partiellement celui de l’Asloca en ordonnant aux propriétaires de compenser l’abattage de haies visé par l’autorisation et confirmé les autorisations pour le surplus.

97. L’Asloca, X______, Mme V______ et M. U______ ont recouru auprès du Tribunal administratif contre cette décision. A titre provisionnel, les propriétaires ont demandé le retrait de l’effet suspensif au recours, invoquant la dangerosité de l’immeuble suite à l’incendie, les réparations provisoires effectuées n’étant plus à même de sécuriser les bâtiments.

98. Le 4 avril 2005, les propriétaires ont saisi le TPI d’une demande de dissolution de l’association pour but illicite.

99. Le 27 avril 2005, X______ a déposé auprès de la Chancellerie une initiative « pour la réalisation du projet X______ en Ville de Genève » visant l’octroi d’un droit de superficie en faveur de son association et de celle de « G______ » (coopérative de logements pour les personnes en formation), qui serait accordé par la ville après une expropriation des immeubles par l'Etat, déclarée d’utilité publique (ci-après : IN 132).

100. Par décision du 3 mai 2005, la présidence du Tribunal administratif a refusé la requête de retrait d’effet suspensif déposée par les propriétaires au motif qu’il appartenait au service sécurité/salubrité du département d’ordonner les mesures nécessaires, cas échéant.

101. Par arrêt du 27 septembre 2005, le Tribunal administratif a déclaré irrecevable le recours de X______ et de ses occupants et rejeté celui de l’Asloca (ATA/632/2005).

Le projet permettrait la création de deux appartements (9 pièces) et la rénovation des sept logements existants. Au 12, Bd M______, un appartement de 4 pièces serait créé dans les combles, les quatre appartements (28 pièces) actuels étant rénovés. Après transformation, le 14, Bd M______ comporterait cinq appartements représentant 32 pièces, soit 8 pièces supplémentaires par rapport à celles existantes.

Les travaux, raisonnables et proportionnés, étaient en tous points conformes à la LDTR.

102. Par courrier du 19 octobre 2005, le Procureur général a invité le chef de la police à procéder à l’évacuation des immeubles et à utiliser la force publique si les occupants refusaient de quitter les lieux.

Il le laissait procéder selon les modalités usuelles.

103. La police a alors signifié par voie d’affichage aux occupants leur obligation de quitter les lieux, leur fixant un délai au 22 novembre 2005.

104. Le 7 novembre 2005, dix-sept d’entre eux ont saisi le Tribunal fédéral d’un recours de droit public, en sollicitant l’annulation de l’ordre d’évacuation du Procureur général du 19 octobre 2005.

105. Le même jour, ils ont formé auprès de la commission de conciliation en matière de baux et loyers (ci-après : CBL) une requête en constatation de l’existence d’un bail à loyer, en se fondant sur le courrier adressé le 13 août 2001 par Me Fontanet au président du DCTI, par lequel celui-là informait ce dernier que les propriétaires étaient disposés à ne pas commencer les travaux avant le printemps 2002 si les squatters avaient besoin de ce temps pour se reloger.

106. Par arrêté du 16 novembre 2005, le Conseil d’Etat a constaté l’aboutissement de l’IN 132, qui a été publiée dans la FAO le 18 novembre 2005.

107. Le même jour, le Tribunal fédéral a déclaré le recours des squatters du 7 novembre 2005 irrecevable, au motif qu’ils n’avaient pas épuisé les voies de droit cantonales. La cause a été renvoyée au Tribunal administratif pour qu’il statue préalablement (Arrêt 1P.728/2005).

108. Par lettre du 17 novembre 2005, les propriétaires ont prié le chef de la police d’exécuter les ordres du Procureur général.

109. Le 18 novembre 2005, les propriétaires ont déposé auprès du Tribunal administratif une requête en retrait de l’effet suspensif attaché au recours des occupants contre l’ordonnance d’évacuation du 19 octobre 2005.

110. Par décision du 28 novembre 2005, le président du Tribunal administratif a rejeté la requête de levée de l’effet suspensif déposée par les propriétaires et constaté la suspension « ex lege » de l'évacuation.

111. Le 17 janvier 2006, le Tribunal administratif a admis le recours des squatters et a annulé l’ordonnance d’évacuation du 19 octobre 2005 (ATA/21/2006 du 17 janvier 2006).

L’intervention du Procureur général se fondait sur le maintien de l’ordre public. Les recourants vivaient dans les lieux depuis de nombreuses années. Leur occupation illicite des immeubles avait été tolérée par les autorités. Les propriétaires s’étaient accommodés de la situation et avaient renoncé à l’usage immédiat de leur droit de reprise. L'acte illicite étant entièrement révolu, l’ordre public n’était plus troublé. Une mesure de police ne se justifiait que si la valeur des intérêts en jeu et la gravité de l’atteinte qui leur était portée nécessitaient une intervention immédiate, impossible à obtenir en temps utile du juge civil. Les propriétaires n’avaient ni recherché la protection du juge civil, en exerçant notamment la voie de l’action possessoire, ni tenté de faire progresser la procédure pénale en cours. L’art. 43 al. 1 let. c aLOJ ne pouvait dès lors constituer une base légale pour justifier l’intervention de la force publique.

Les propriétaires étaient renvoyés à mieux agir auprès des tribunaux civils.

112. Le 9 février 2006, le TPI a prononcé la dissolution de X______ avec effet immédiat.

113. Par arrêt du 22 juin 2006, le Tribunal fédéral a rejeté le recours des propriétaires dirigé contre l’arrêt du Tribunal administratif du 17 janvier 2006 annulant l'évacuation (Arrêt 1P.109/2006 du 22 juin 2006).

L’intervention du Procureur général était subsidiaire à la voie civile, lorsque celle-ci suffisait à assurer le respect des droits de la victime. Les propriétaires n’avaient pas démontré qu’il leur avait été impossible d’obtenir satisfaction par cette voie. Ils disposaient notamment de l’action en revendication de l’art. 641 al. 2 CCS, qui était imprescriptible.

114. Le 22 juin 2006, le Grand Conseil a déclaré l’IN 132 invalide, au motif que le Grand Conseil n'était compétent ni pour prononcer une expropriation en faveur de la ville, ni pour accorder, au nom de celle-ci, un droit de superficie à X______.

115. Le 5 mars 2007, les propriétaires ont déposé devant le TPI une requête en revendication et en évacuation à l’encontre de dix-neuf squatters.

Cette procédure a été suspendue dans l’attente du jugement du Tribunal des baux et loyers (ci-après : TBL).

116. Le 15 décembre 2006, la Cour de justice a confirmé, sur appel de X______, la dissolution de l’association avec effet rétroactif à la date de sa constitution.

117. Cet arrêt a été confirmé par le Tribunal fédéral dans un arrêt du 10 mai 2007 (ATF 133 III 593).

Selon ses statuts, l’association « [s’efforçait] de soustraire les immeubles qu’elle [occupait] du marché immobilier et de la spéculation ». Si, à rigueur de texte, cette disposition pouvait s’interpréter de manière conforme au droit, les moyens utilisés par l’association pour réaliser ce but - soit l’occupation illicite d’immeubles - la rendait illégale.

118. Par lettre du 14 mai 2007 adressée aux propriétaires, le président du DCTI a constaté que ceux-ci n’avaient pas procédé aux travaux de réhabilitation des immeubles suite à l’incendie du 1er novembre 2002 qui en avait ravagé les combles, causant d’importants dommages à leur structure ainsi qu’à diverses parties des bâtiments.

Le défaut d’entretien régulier effectué par des professionnels du bâtiment, ajouté à l’absence des travaux nécessaires suite à l’incendie, avait conduit à une dégradation des bâtiments telle qu’une intervention urgente se justifiait.

A terme, l’aggravation de cette dégradation risquait de poser un problème insoluble de compatibilité du projet autorisé par l’autorisation DD 98008 en raison de l’effet de celle-ci sur le plan financier adopté et du montant des loyers après travaux fixé.

Les propriétaires étaient priés de rétablir des conditions d’habitabilité et d’entretien acceptables des immeubles. Un délai de cinq jours leur était donné pour fournir au département une liste des travaux à effectuer. A défaut, des mesures fondées sur l’art. 42A LDTR seraient prononcées.

119. Le 21 mai 2007, les propriétaires ont répondu qu’il ne leur était pas possible d’effectuer ces travaux sans qu'une évacuation - qu'ils tentaient d'obtenir sans désemparer - soit effectuée.

120. Le 24 mai 2007, le président du DCTI a ordonné aux propriétaires de procéder à l’exécution des travaux nécessaires et leur a imparti un délai de quarante-cinq jours pour procéder à l’ouverture du chantier.

Les immeubles devraient, pour des raisons de sécurité, être libres de tout occupant pendant les travaux.

En cas de non-exécution de ces mesures dans le délai fixé, le département procéderait lui-même aux travaux, aux frais des propriétaires, conformément à la procédure prévue aux art. 133 et ss. et 140 et ss. de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

121. Le 11 juillet 2007, les propriétaires ont confirmé au département qu’ils étaient en mesure de commencer les travaux. Les immeubles devaient toutefois être libres de tout occupant pour pouvoir les effectuer.

122. Le 23 juillet 2007, la police a évacué les immeubles.

123. Par jugement du 3 septembre 2007, le TBL a nié l’existence d’un contrat de bail entre les squatters et les propriétaires.

124. Le 2 juillet 2008, E______ S.A. et la SI ont déposé une demande d’indemnisation pour expropriation matérielle à l’encontre de l’Etat de CHF 14'192'284,75 auprès de la commission cantonale de conciliation et d’estimation en matière d’expropriation (ci-après : la commission), devenue depuis lors le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Indépendamment de la légitimité des actes de l’Etat (sursis à l’évacuation ordonnée par le Procureur général par l’instauration de la « pratique genevoise », blocage pendant près de cinq ans de l’autorisation complémentaire en raison de la motion déposée devant le Grand Conseil invitant le Conseil d’Etat à rouvrir les négociations et à surseoir à l’évacuation, alors que les conditions pour l’évacuation étaient autorisées selon la « pratique genevoise » etc.), l’atteinte portée à leur droit de propriété garanti par l’art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) justifiait l’octroi d’une indemnité pleine et entière (art. 26 al. 2 Cst.).

Aucun loyer n’ayant jamais été payé par les squatters, il convenait de calculer le dommage en référence à l’état locatif figurant dans le plan financier LDTR du 22 janvier 2004 agréé par l’Etat, à savoir CHF 587'800.- par année, la validité de ce plan ayant été validée tant par la CCRC que par le Tribunal administratif dans la procédure de recours ayant porté sur la conformité de l’autorisation de construire délivrée le 6 mai 2004. Ce montant, multiplié par vingt et une années d’occupation (1988 à 2008), portait le dommage à CHF 12'343'800.-.

A ce montant devaient s’ajouter CHF 618'484,75 de frais d’avocat pour l’activité exercée par l’Etude Fontanet de 1993 à octobre 2007, ainsi que CHF 1'230'000.- correspondant à la valeur des dégâts commis par les squatters pendant leur occupation.

N’ayant jamais pu bénéficier d’un accès complet aux nombreux dossiers en mains des différentes autorités concernées, elles demandaient l’apport de ceux-ci afin de pouvoir s’assurer que le dossier était complet.

La procédure A/4047/2005 devait également être versée à la procédure, car elle consacrait l’abandon de la « pratique genevoise ».

125. Le 15 septembre 2008, l’Etat a conclu au rejet de la demande en excipant de la prescription.

E______ S.A. avait acquis les immeubles en pleine connaissance de cause, à une période où ceux-ci étaient occupés depuis plusieurs années et alors que la délivrance de l’autorisation avait été différée pour permettre les négociations. Le prix qu’elle avait payé pour l’achat des immeubles tenait compte de tous ces éléments. Elle ne pouvait par ailleurs se prévaloir du préjudice éventuel subi par les propriétaires antérieurs.

Quant à la SI, elle n’avait pas subi de dommage. Son immeuble, vide de tout occupant avant l’entrée des squatters, attestait qu’elle avait renoncé volontairement à louer ces logements. La simple possibilité pour un propriétaire de louer son bien n’était pas constitutive d’un dommage.

126. Après avoir constaté l’absence de conciliation, la commission a entendu les parties en audience.

L’Etat, soit pour lui le Conseil d’Etat, a confirmé qu’aucun arrêté d'expropriation n'avait été pris.

En dehors de la procédure pénale en mains du Procureur général, du rapport du 10 avril 2002 du Conseil d’Etat relatif à la motion 1167 du Grand Conseil du 4 décembre 1997 et du dossier relatif à la demande d’autorisation de construire en possession du DCTI, l’Etat de Genève ne disposait d’aucun dossier relatif à l’occupation des immeubles. Après que les demanderesses aient contesté cette affirmation, il relevait l’existence probable d’un dosser relatif, notamment, aux débits de boissons. Le représentant de l’Etat n’a pas exclu cette possibilité.

Il contestait cependant la compétence de la commission pour statuer sur la demande déposée, aucun cas d’expropriation n’étant réalisé.

127. Le 21 décembre 2009, la commission s’est déclarée compétente pour connaître de la requête.

Depuis l’adoption de l’art. 43 al. 2 de la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05), entré en vigueur le 1er janvier 2000, la commission était compétente pour trancher toutes les questions relatives à une expropriation matérielle, même lorsque l'existence même de celle-ci était contestée.

Cette décision n’a fait l’objet d’aucun recours.

128. Le 22 avril 2010, la commission a ordonné aux demanderesses de lui communiquer l’acte de vente par l’O______ à E______ S.A. du 24, Bd L______ et du 12, Bd M______, les plans et les typologies des appartements des deux immeubles, de 1988 et de 2009, les états locatifs des deux immeubles de 1983 à 1988 et de 1988 à 2004, ainsi que ceux après travaux, et enfin, tous les documents utiles permettant de démontrer l’état des appartements avant et pendant l’occupation par les squatters, de même qu’après la réalisation des travaux.

Elle a prié le défendeur de lui remettre tous les dossiers et documents relatifs aux procédures d’autorisation de construire portant sur les immeubles précités, de 1982 à 2004, y compris tous les échanges de correspondance liés à ces dossiers avec le Conseil d’Etat, les documents utiles permettant de démontrer l’état des appartements avant et pendant l’occupation des squatters, de même qu’après la réalisation des travaux, puis tous les échanges de correspondance intervenus entre le Conseil d’Etat ou d’autres services de l’Etat et les squatters entre le 8 novembre 1988 et le 24 juillet 2007.

129. Le 31 mai 2010, l’Etat a informé la commission qu’il avait procédé aux recherches nécessaires à l’exécution de son ordonnance et sollicitait l’octroi d’un délai supplémentaire, les seules pièces relatives aux autorisations de construire délivrées trouvées par le département représentant d’ores et déjà plus de 1’700 documents.

130. Les demanderesses ont déposé les pièces demandées le 3 juin 2010.

131. Le 5 juillet 2010, l’Etat a fait parvenir à la commission sept classeurs fédéraux contenant des pièces numérotées 13 à 1'192. Celles portant les numéros 13 à 1'175 constituaient les documents relatifs aux procédures d’autorisation de construire de 1982 à 2004, y compris tous les échanges de correspondance liés à ces dossiers avec le Conseil d’Etat, ainsi que les documents utiles permettant de démontrer l’état des appartements, alors que les pièces 1'176 à 1'192 représentaient l’ensemble des échanges de correspondance survenus entre le Conseil d’Etat et / ou des services de l’Etat d’une part, et les squatters d’autre part, entre le 8 novembre 1988 et le 24 juillet 2007.

Ni le service du commerce (ci-après : SCOM), ni la direction générale des affaires économiques, ni encore le service de la consommation et des affaires vétérinaires, lequel aurait théoriquement dû être sollicité à l’égard des conditions d’hygiène du « P______ » et de la « Q______ », ne détenaient le moindre échange de correspondance avec les squatters. Les courriers détenus par le DSPE concernant la période du 8 novembre 1988 au 24 juillet 2007 figuraient dans les pièces versées à la procédure.

Par ailleurs, l’examen attentif des nouvelles pièces produites l’avait amené à constater le rôle important, voire prépondérant, joué par l’association X______ dans l’occupation des immeubles (sic). La question de sa responsabilité s’agissant du dommage allégué se posait, ce d’autant que le Tribunal fédéral avait relevé le caractère illicite de son occupation d’une part, et de son but, d’autre part. Celle des occupants eux-mêmes se posait également tant il était vrai que « l’atteinte portée à la propriété des recourantes [était] manifeste » et qu’il y avait lieu de constater que ce n’était pas l’Etat qui en était l’auteur, mais bien les occupants illicites.

Il sollicitait l’appel en cause des occupants illicites des immeubles ainsi que de l’association X______, en liquidation.

132. Le 8 juillet 2010, les demanderesses se sont opposées à l’appel en cause des personnes précitées.

Leur demande se fondait uniquement sur le droit de l’expropriation et sur la responsabilité que l'Etat endossait à ce titre. L’éventuelle responsabilité pour actes illicites des squatters relevait exclusivement de la compétence des tribunaux civils.

133. Invitées par la commission à se déterminer sur les nouvelles pièces produites, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

Les demanderesses ont contesté que les pièces produites par l’Etat consistent en l’intégralité des documents demandés. Il était impossible que l’intervention de tous les services de l’Etat, autres que le DCTI, n’ait donné lieu à aucun document (contrôles du service de la sécurité civile concernant les installations de chauffages à mazout et la présence d’extincteurs, du service cantonal des eaux, du service des autorisations et patentes pour les deux établissements ouverts au public, l’établissement des rapports ordonnés à ses services par la présidente du DSPE le 23 septembre 2002, etc.). La production de ces documents était pertinente pour l’issue de la cause, car elle permettrait de mieux déterminer la mesure du soutien apporté par l’Etat aux squatters et ainsi, sa réelle responsabilité dans l’atteinte portée à leur droit de propriété.

Elles suggéraient, par économie de procédure, que l’Etat produise uniquement la liste complète des documents détenus par ses services en rapport avec l’occupation des squatters et qu’elles puissent ensuite, cas échéant, demander l’apport des pièces jugées nécessaires à la solution du litige.

134. Par décision du 22 novembre 2010, la commission a rejeté la demande d'indemnité.

Les pièces complémentaires requises n'étaient pas nécessaires à la solution du litige.

L’appel en cause des occupants illicites des immeubles et de l’association X______ ne se justifiait pas.

Aucun cas d’expropriation matérielle n’était réalisé. En effet, le Tribunal fédéral avait affirmé que la « pratique genevoise » ne violait pas la garantie constitutionnelle de la propriété. Le gel de la procédure d’autorisation de construire ne pouvait être imputé à une faute de l’Etat. Il était la conséquence d’une motion du Grand Conseil invitant le Conseil d’Etat à ouvrir des négociations et à surseoir à l’évacuation des immeubles. En outre, les propriétaires avaient participé activement aux négociations. A aucun moment, elles n’avaient fait usage de la faculté offerte par l’art. 4 LCI leur permettant, en cas de non réponse à leur requête d’autorisation dans un délai de soixante jours, d’aviser le département qu’elles allaient procéder à l’exécution de leur plan et commencer les travaux. Le temps qui s’était écoulé avant qu’elles ne soient mises au bénéfice d’une autorisation de construire en force leur était largement imputable. Il en allait ainsi, en particulier, des conséquences de leur omission de requérir la prorogation de l’autorisation de construire principale accordée le 28 juillet 1997, entraînant sa caducité. De même, l’instruction de leur requête du 30 août 2002 avait été suspendue pendant presque deux ans en raison de la non-inscription de E______ S.A. au registre foncier. Certes, la « pratique genevoise » avait été abandonnée ensuite. Toutefois, un an et demi seulement s’était écoulé entre ce changement et l’évacuation des squatters, de sorte que l’atteinte causée n’était pas suffisamment durable, au sens de la jurisprudence, pour constituer une expropriation matérielle.

135. Le 3 janvier 2011, les demanderesses ont recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision. Elles concluent préalablement à ce que la chambre ordonne à l’Etat de produire la liste complète de tous les dossiers et documents actifs et archivés relatifs à l’occupation des immeubles, de 1988 à 2008, détenus par les services de l’Etat, le Ministère public et la police. Elles demandaient également l'apport de la procédure A/4047/2005. Principalement, elles sollicitaient l’annulation de la décision entreprise, la condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de CHF 14'192'284,75, portant intérêts à 5 % dès le 1er janvier 1997, ainsi que l’octroi d’une indemnité de procédure.

a. La puissance du mouvement politique et médiatique soutenant la cause du « squat » le plus célèbre de Genève, et peut-être de Suisse, défiait l’imagination. Quelle que soit leur appartenance politique, les autorités exécutives, administratives, judiciaires et législatives de Genève avaient adopté une attitude délibérée consistant à protéger les squatters de toute intervention, aussi longtemps que possible, dans le but final que les immeubles soient loués ou vendus à vil prix par leurs propriétaires, financièrement exsangues et désespérés. Plusieurs d’entre eux n’y avaient d’ailleurs financièrement pas survécu.

Ce soutien avait pris quatre formes. La première consistait dans le refus des autorités d’exécuter les décisions de justice leur ordonnant d’évacuer les squatters. Le deuxième moyen utilisé était de faire durer les procédures d’obtention de permis de construire aussi longtemps que possible, en faisant faire et refaire indéfiniment des projets de construction aux requérantes. La pression exercée sur les demanderesses, sous peine de blocage des procédures, pour les contraindre à négocier avec les squatters était une méthode qui avait été couramment utilisée. Le dernier moyen consistait à refuser d’acheter les immeubles ou d’exproprier les propriétaires, pour éviter d’avoir à payer une indemnité à ces derniers. C’était ainsi qu’en 1997, la ville et le canton avaient refusé de soutenir les propositions d’acquisition de X______ et qu’en 2005, le Grand Conseil avait invalidé l’IN 132, qui demandait l’expropriation des propriétaires et la mise à disposition des immeubles à l’association pour lui permettre de créer une coopérative.

Les propriétaires successifs avaient été privés de l’usage de leur propriété pendant vingt ans. Les appuis politiques puissants dont bénéficiaient plusieurs dizaines de squatters n’avaient pas été étrangers à cette situation. Lors de l’entrée de ceux-ci dans les lieux, les propriétaires n’avaient pas eu l’intention de laisser les logements vides, ainsi qu’en attestaient les requêtes en autorisation de construire déposées. Ils avaient par ailleurs immédiatement réagi pour récupérer leurs biens.

b. La commission avait violé leur droit d’être entendu en refusant d’ordonner l’apport de tous les documents détenus par l’administration au sujet de cette occupation. La production des nombreux dossiers nécessairement constitués, dont la consultation leur avait toujours été refusée, était indispensable pour évaluer la mesure du soutien apporté par les autorités aux squatters, celui-là déterminant le degré de responsabilité de l’Etat dans l’atteinte portée à leur droit de propriété.

c. Le délai de prescription de dix ans fixé par la jurisprudence n’avait commencé à courir qu’après l’évacuation des squatters, lorsque le dommage avait été connu, aucune mesure d’expropriation formelle n’ayant été prononcée.

d. Les conditions d’une expropriation étaient par ailleurs réalisées. En effet, l’impossibilité imposée à un propriétaire de louer son bien à un prix acceptable entraînait une violation de l’art. 26 Cst. selon le Tribunal fédéral. Tant l’art. 474 A aLCP que les art. 26 et ss LDTR mettaient en œuvre cette disposition en prévoyant l'octroi d'une indemnité au propriétaire contraint de supporter une occupation, correspondant au loyer « licite » selon la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220).

L’utilisation des voies judiciaires civiles n’aurait conduit à aucun résultat. En effet, plus de mille personnes avaient transité et logé dans les immeubles occupés. Les éventuels défendeurs à une action civile auraient changé pendant le cours de la procédure jusqu’à droit jugé par le Tribunal fédéral. Les squatters concernés se seraient « relevés » de la procédure avant qu’une décision ne soit prise à leur encontre et exécutable. En outre, il était de jurisprudence constante qu’un jugement civil rendu à l’encontre d’un locataire n’était pas opposable erga omnes. Quant aux actions possessoires, le Tribunal fédéral imposait qu’elles soient dirigées contre les nouveaux occupants au fur et à mesure de leur installation. Ils se seraient ainsi épuisés à poursuivre civilement des occupants qui se seraient renouvelés sans cesse. Enfin, à supposer qu’un jugement civil ait finalement pu être obtenu à l’égard d’un ou de quelques squatters, les autorités ne l’auraient pas exécuté en se fondant sur la « pratique genevoise », qui obligeait les autorités d’exécution à surseoir à l’évacuation tant qu’aucune autorisation n’était entrée en force. Certes, le Tribunal fédéral leur avait reproché de n’avoir pas démontré l’absence d’utilité d’une action civile ; il n’avait cependant pas affirmé qu'une telle action ait dû nécessairement être entreprise.

Même s’ils avaient pu obtenir l’évacuation par la justice civile, ce fait n’était pas de nature à exonérer l’Etat de sa responsabilité pour les actes qu’il avait commis. D’ailleurs, en renonçant finalement à la « pratique genevoise » en 2006, ce dernier avait finalement reconnu les limites de l’action en revendication, démontré que l’évacuation était possible sans trouble à l’ordre public et que sa pratique était sans fondement.

La violation par l'Etat de la garantie de la propriété ne supposait pas la commission par ce dernier d'un acte illicite. Il suffisait que l'atteinte existe. Or, tel était le cas, l'Etat les ayant privés, par son attitude, de tous moyens leur permettant de récupérer leurs biens.

Sur la base des art. 26 et ss LDTR, l'Etat aurait dû les exproprier. Il avait renoncé à cette procédure pour se soustraire à l'obligation correspondante de les indemniser. Dans un ATF 119 IA 348, le Tribunal fédéral avait précisé que le droit de l'Etat d'exproprier des logements vides était justifié par l'indemnisation de leurs propriétaires.

En l'absence des squatters, la délivrance de l'autorisation de construire n'aurait pris qu'un temps infime en comparaison des quatorze ans pendant lesquels avait duré la procédure.

Leur participation aux négociations avait été imposée par les autorités et en aucun cas librement souhaitée par ceux-ci.

e. Quant à l'usage de l'art. 4 LCI, il n'aurait fait que conduire au refus des autorisations demandées.

Leur omission de requérir la prorogation de l'autorisation de construire DD 94630 aurait pu être réparée par le DCTI qui orchestrait les négociations et était responsable du blocage de l'autorisation complémentaire depuis plus de quatre ans.

L'atteinte portée à leur droit de propriété par le gel de cette dernière autorisation n'avait été imposée à aucun autre propriétaire d'immeubles squattés.

Alors que la « pratique genevoise » avait été invoquée pendant dix-huit ans par les autorités pour refuser l'évacuation des squatters avant qu'une autorisation de construire soit entrée en force, ces mêmes autorités avaient invoqué l'abandon de cette pratique pour justifier le refus d'évacuer les immeubles en 2006, lorsque leur autorisation de construire était entrée en force. Si le Tribunal fédéral avait certes considéré que ce changement de pratique ne consacrait pas une violation de principe de la bonne foi à l'égard des propriétaires concernés, il n'en demeurait pas moins qu'un droit à l'indemnisation fondé sur l'expropriation matérielle devait être reconnu.

f. S'agissant du dommage, il correspondait, selon la doctrine, à la moins-value subie par le bien-fonds en raison de l'atteinte à la propriété et des frais consentis par le propriétaire en raison de la mesure.

Il était ainsi constitué, principalement, du montant des loyers non perçus pendant les vingt années pendant lesquelles ils n'avaient pu louer leurs biens. Pour déterminer la hauteur des loyers, il convenait de se référer au plan financier LDTR accepté par le DCTI, soit un état locatif de CHF 587'800.- par an pendant vingt ans.

A ce dommage, il convenait d'ajouter CHF 1'230'000.- pour les déprédations commises sur les immeubles durant leur occupation, résultant d'une expertise versée à la procédure, ainsi que des frais de conseil de l'étude Fontanet et associés des années 1993 à 2007, pour CHF 618'484,75.

g. La date des intérêts courants devait être fixée au 1er janvier 1997, date médiane de l'occupation. Cette date, fixée à dix ans avant la fin de l'occupation, correspondait à la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière (ATF 121 II 306 et consid. 4c).

Certes, la demande portait sur des montants élevés au regard du prix d'achat d'un des immeubles. Il fallait toutefois tenir compte du coût des travaux et du fait que ladite indemnité était calculée sur la base des loyers admissibles LDTR et non sur la base des loyers libres.

136. Le 15 février 2011, l'Etat a déposé ses observations. Il concluait principalement au rejet du recours, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure. Subsidiairement, il sollicitait l'appel en cause de l'association X______, de même que celui des occupants illicites des immeubles.

Les pièces complémentaires demandées par les recourantes à l'Etat n'étaient pas pertinentes pour l'issue du litige. Si des rapports portant sur des contrôles effectués sur les chauffages des immeubles, l'hygiène ou la pollution des sols existaient, ils ne seraient pas à même d'appuyer les conclusions en indemnité des recourantes.

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le dies a quo pour le calcul du délai de prescription était celui de l'entrée en vigueur de la mesure étatique, même s’il n'existait pas de décision formelle d'expropriation (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_449/2009 du 26 mai 2010 consid. 7.2). Si une expropriation avait eu lieu, elle serait intervenue en novembre 1988. La demande d'indemnité était ainsi prescrite depuis 1998.

La juridiction précitée avait affirmé que la garantie de la propriété n'impliquait pas un devoir d'intervention de l'Etat. Aucune expropriation matérielle ne pouvait dès lors être reconnue.

Si la chambre devait néanmoins reconnaître l'existence d'une expropriation, le dommage ne pourrait être calculé sur la base d'un plan financier prévoyant des loyers après travaux. Un loyer de CHF 180'000.- pour les trois immeubles, agréé par les recourantes lors des négociations et considéré comme acceptable par la Y______, devait servir de base au calcul.

Pour E______ S.A., le dommage ne pourrait être antérieur à l'année 2000, date à laquelle elle était devenue propriétaire. Il faudrait tenir compte du fait qu'elle avait acquis les immeubles en pleine connaissance de cause, alors qu'ils étaient illicitement occupés et qu'elle s'était enrichie de cette situation en achetant les immeubles à bas prix.

Le prétendu « blocage » de l'autorisation complémentaire avait résulté d'une volonté partagée de l'Etat et des propriétaires de trouver une solution négociée avec les occupants. Il n'aurait appartenu qu'aux recourantes d'avoir fait usage de l'autorisation en 2002, dont la validité n'était pas, cette année-là, subordonnée à la délivrance d'une autorisation complémentaire de construire.

Concernant la SI, M. S______ en avait acquis les créances en 1998, lors de sa faillite. Cette société ne disposait ainsi plus de prétentions pour la période antérieure à 1998. Entre avril 1998 et janvier 2004, elle était en liquidation par suite de faillite. Elle ne pouvait donc se plaindre de l'absence de délivrance d'autorisation pendant cette période.

Les art. 26 et ss LDTR n'étaient pas applicables, ni directement, ni par analogie, l'Etat n'ayant pris aucune mesure d'expropriation fondée sur ces dispositions.

Si une atteinte à la propriété devait être reconnue, elle serait le fait non pas de l'Etat mais des occupants et de X______, raison pour laquelle il convenait d'appeler ceux-ci en cause.

Quant au dommage lié à l'incendie, l'Etat ne pouvait en être tenu responsable. Ce dommage aurait en outre dû être assuré par les propriétaires.

Les recourantes n'avaient enfin pas démontré que les honoraires de l'Etude Fontanet & Associés produits étaient liés à l'expropriation alléguée.

137. Les recourantes ont répliqué le 15 mars 2011 en persistant dans leurs conclusions.

La production des dossiers en mains de l'Etat, en particulier, du volumineux dossier de police détenu par le DSPE, était pertinente pour déterminer si les voies judiciaires civiles auraient pu être utilisées avec succès par les recourantes pour faire valoir leurs droits, le Tribunal fédéral ayant fait dépendre l'existence d'une violation de leur droit de propriété d'une possibilité théorique d'obtenir par ce moyen l'évacuation des squatters. Ces pièces permettraient de démontrer l'impossibilité de désigner nominativement les occupants successifs de leurs immeubles et qu'elles n'auraient pu obtenir des jugements définitifs et exécutoires des tribunaux civils.

S'agissant de la prescription, n'ayant reçu aucune décision formelle de la part de l'Etat, elles n'avaient pu mesurer la portée et la durée des mesures dont elles étaient l'objet. Mises en position d'éternelle attente d'une autorisation de construire qui ne venait pas, elles n'avaient pu déterminer l'atteinte finale qui serait portée à leur droit de propriété.

Il n'était pas reproché à l'Etat un simple refus d'ordonner l'évacuation générale des immeubles, mais d'en avoir protégé l'occupation.

L’augmentation de la valeur des immeubles pendant leur occupation était irrelevante pour le calcul du dommage, qui se fondait sur les seuls revenus dont elles avaient été privées pendant que l’usage de leur propriété leur avait été interdit. Le montant des déprédations était lié à l’occupation des immeubles par les squatters, qui ne se seraient pas produites si les recourantes n’avaient pas été privées de leur propriété.

138. L’intimé a dupliqué le 13 avril 2011 et a persisté dans ses conclusions.

Selon le Tribunal fédéral, l’opposabilité d’une exécution forcée envers les occupants sans droit, non partie à la procédure civile, ne paraissait pas d’emblée exclue. Les recourantes n’avaient ainsi pas besoin de connaître l’identité des squatters pour les assigner et en obtenir l’évacuation. La consultation des dossiers de police éventuellement existants à leur sujet ne leur était ainsi pas indispensable pour faire valoir leurs droits. Les squatters avaient droit au respect de leur vie privée, et familiale. La communication de ces pièces comportant des données sensibles constituerait une atteinte illicite à ces droits, les recourantes ne justifiant d’aucun intérêt digne de protection. La commission avait réuni tous les documents utiles et pertinents pour l’issue de la cause.

139. Le 2 mai 2011, les recourantes se sont opposées à l’appel en cause de X______ et des occupants illicites de ces immeubles, au motif que l'éventuelle responsabilité de ceux-ci échappait à la compétence de la chambre administrative.

Il n’y avait par ailleurs aucun intérêt à ce que le jugement rendu par celle-ci leur soit opposable.

140. Par arrêt du 11 octobre 2011, non encore définitif, dans la cause Association X______ et autres c. Suisse (requête n° 48848/07), la Cour européenne des droits de l’homme a constaté la violation de l’art. 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (liberté de réunion et d’association) et condamné la Suisse à verser aux requérants EUR 65'651.- pour dommage matériel et EUR 21'949.- pour frais et dépens.

141. Ensuite de quoi, la cause a été gardée à juger.

 

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L'Etat de Genève sollicite préalablement l'appel en cause de X______ et des occupants illicites.

Selon l’art. 71 al. 1 LPA, l’autorité peut ordonner, d’office ou sur requête, l’appel en cause de tiers dont la situation juridique est susceptible d’être affectée par l’issue de la procédure ; la décision leur devient dans ce cas opposable.

En l'espèce, le recours porte sur la reconnaissance d'un cas d'expropriation matérielle, soit sur l’existence d'une restriction à la garantie de la propriété des recourantes, qui découlerait d'un acte administratif et entraînerait le devoir pour l'Etat de verser une indemnité (art. 26 Cst.).

La situation juridique de X______ et des occupants illicites des immeubles n'est pas directement touchée par cette question, de sorte que la demande d'appel en cause sera rejetée.

3. Les recourantes sollicitent de la chambre de céans qu'elle ordonne la production de pièces complémentaires qui seraient détenues par divers services de l'Etat, et en particulier par la police. Elles demandent également l'apport de la procédure A/4047/2005.

Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 132 II 485 consid. 3.2 p. 494 ; 127 I 54 consid. 2b p. 56 ; 127 III 576 consid. 2c p. 578 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 2). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3 p. 158 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_58/2010 du 19 mai 2010 consid. 4.3 ; 4A_15/2010 du 15 mars 2010 consid. 3.2 et les arrêts cités ; ATA/585/2011 du 13 septembre 2011 ; ATA/432/2008 du 27 août 2008 consid. 2b).

Les quelque 1'500 pièces versées à la procédure permettent de retracer avec précision les événements et de disposer de tous les éléments pertinents pour statuer sur un éventuel cas d'expropriation matérielle. La chambre renoncera donc à ordonner la production de pièces supplémentaires.

L'apport de la procédure A/4047/2005 ne s'avère pas non plus nécessaire. L'arrêt qui a mis un terme à celle-ci est soumis à consultation publique et fait partie de la jurisprudence. Les recourantes n'indiquent pas quels éléments complémentaires, pertinents pour l'issue du litige, cette mesure d'instruction apporterait.

La chambre refusera ainsi d'ordonner les mesures d'instruction complémentaires sollicitées, tout en confirmant la position de la commission sur ce point. Il n'en résultera pas de violation du droit d'être entendu des parties pour les raisons sus exposées.

4. Les recourantes considèrent que la restriction à l'usage de la propriété qu'elles ont subie pendant la présence des squatters est constitutive d'une expropriation matérielle.

Selon l'art. 26 Cst, la propriété est garantie. Une pleine indemnité est due en cas d’expropriation (formelle) ou de restriction de la propriété qui équivaut à une expropriation (expropriation matérielle).

Dans sa fonction individuelle, la garantie de la propriété protège les droits patrimoniaux concrets du propriétaire : celui de conserver sa propriété, d'en jouir et de l'aliéner. Le droit d'en jouir comprend celui de laisser son logement vide ou d'en percevoir des fruits (ATF 118 IV 167). Les mesures de contrôle des loyers, d'affectation forcée au logement ou l'expropriation du droit d'habitation, portent toutes atteinte à cette prérogative découlant du droit de propriété (ATF 119 Ia 348 ; 116 Ia 401 ; 113 Ia 126).

5. Cependant, toutes les restrictions à la propriété ne causent pas une expropriation ou ne sont pas « équivalentes » à une expropriation. L'Etat peut ainsi, moyennant la présence d'un intérêt public et sous réserve du respect du principe de la proportionnalité, restreindre la propriété sans indemnité.

Pour être qualifiée d'expropriation, la restriction doit être particulièrement grave ou entraîner un sacrifice si particulier qu'il se justifie, sous l'angle de l'équité, d'allouer une indemnité à celui qui la subit. Tel est le cas, notamment, lorsque le propriétaire se trouve privé d'un attribut essentiel de sa propriété (ATF 131 II 151 ; 112 Ib 105).

6. Selon la jurisprudence, l'obligation faite au propriétaire par l'Etat de louer ses logements vides jusqu'à la délivrance d'une autorisation de construire entrée en force en application de la LDTR est grave et équivaut à une expropriation (art. 26 et suivants LDTR ; ATF 119 Ia 348).

Il en va également ainsi lorsque le propriétaire, refusant de les louer lui-même, se voit imposer une occupation qu'il ne souhaite pas (idem).

L'atteinte portée à la propriété des recourantes par l'occupation totale de leurs immeubles pendant dix-neuf ans, sans contrepartie d'aucun loyer, est indéniablement grave au sens de l'art. 26 al. 2 Cst. et de la jurisprudence.

7. Cependant, si l'atteinte est le fait de tiers, elle n'est pas régie par le droit de l'expropriation, mais par les dispositions de droit pénal et civil. L'existence d'un cas d'expropriation matérielle suppose ainsi que l'atteinte à la propriété soit imputable à l'Etat, soit qu'elle découle d'un ou de plusieurs actes de puissance publique (ATF 119 Ia 28 ; ATF 105 Ia 337).

8. Il convient en l'espèce d'examiner dans quelle mesure l'atteinte portée au droit de propriété des recourantes est imputable à l'Etat.

9. Il est établi et non contesté que l'Etat n'a jamais déclenché la procédure prévue par les art. 26 et suivants LDTR - entrés en vigueur en 1993 - et qu'il n'a ainsi pas fait usage de la possibilité qui lui était offerte, depuis cette date, d'« acquérir par voie d’expropriation, conformément à loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05) », l’usage temporaire des appartements locatifs laissés vides de tout occupant sans motif légitime durant plus de trois mois consécutifs (art. 26 LDTR).

10. Pour reconnaître l'existence d'une expropriation matérielle, il faudrait ainsi pouvoir inférer de l'attitude de l'Etat qu'il a favorisé et encouragé l'occupation au point que ses actes équivalent à une expropriation.

Une telle responsabilité ne peut être retenue en l'espèce. En effet, les propriétaires n'ont pas fait usage de la possibilité qui leur était offerte par l'art. 39 al. 2 de l'ancienne loi fédérale sur l'organisation judiciaire, du 16 décembre 1943 (aOJ), de demander l'exécution du jugement du Tribunal fédéral du 8 mai 1991 au Conseil fédéral.

De même, ils n'ont jamais utilisé la voie civile pour tenter de récupérer leurs immeubles. Ils n'ont pas non plus démontré à satisfaction de droit que cette voie était inutilisable, ainsi que l'a souligné le Tribunal fédéral dans son arrêt du 22 juin 2006 (précité).

La motion adoptée par le Grand Conseil, invitant le Conseil d'Etat à surseoir à l'évacuation n'était pas un obstacle à l'utilisation de cette voie de droit. Non contraignante, elle ne pouvait paralyser l'application de l'art. 45 a LOJ, qui aurait obligé le Procureur général, indépendamment de l'existence de la motion, à exécuter un jugement d'évacuation prononcé par les tribunaux civils compétents.

Ainsi, à aucun moment, l'Etat n'a constitué, pour les propriétaires, le dernier obstacle à la récupération de leurs biens.

Le refus de l'Etat d'évacuer les immeubles suite à l'adoption de la pratique genevoise n'était qu'une abstention, un refus de mettre en œuvre la force publique pour protéger la paix sociale. La force des revendications de X______ sur la place politique, les vives controverses que ces dernières ont suscitées, leur caractère fortement médiatisé, ainsi que la sensibilisation de l'opinion publique de toute une partie de la population à la cause de X______, ont créé un climat social dans lequel une intervention de la force publique menaçait la paix sociale. L'absence d'intervention de l'Etat n'avait pas pour but de cautionner ou de soutenir de quelconque l'action des occupants illicites, mais de préserver cet intérêt public qui était menacé.

11. Les conditions d'une expropriation n'étant pas réalisées, l'examen de la prescription ne se justifie pas.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

12. Un émolument de CHF 3’000.- sera mis à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement. Vu l’issue du litige, il ne leur sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté 3 janvier 2011 par E______ S.A. et SI Bd N______ 14 S.A. contre la décision de la commission cantonale de conciliation et d’estimation en matière d’expropriation du 22 novembre 2010 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de E______ S.A. et de SI Bd N______ 14 S.A., prises conjointement et solidairement, un émolument de CHF 3’000.- ;

dit qu'il ne leur est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Bénédict Fontanet et Malek Adjadj, avocats des recourantes, à Me Bertrand Reich, avocat de l'Etat de Genève, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Hurni, M. Dumartheray, juges, MM. Bonard et Jordan, juges suppléants.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :