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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/548/2016

ATA/1382/2017 du 10.10.2017 sur JTAPI/987/2016 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : PROPORTIONNALITÉ ; POUVOIR D'APPRÉCIATION ; CONSTRUCTION ET INSTALLATION ; PAROI ANTIBRUIT ; IMMISSION
Normes : Cst.5.al2 ; LPA.61.al1 ; LPA.61.al2 ; LCI.1.al1.leta ; LCI.1.al5 ; LCI.3.al3 ; LCI.15.al1 ; LCI.15.al2 ; LCI.79 ; LCI.112
Parties : DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC / COMMUNE DE BERNEX, MARANO Roberto, CORALLUZZO Silvana et MARANO Roberto
Résumé : L'autorité a commis un abus et un excès négatif de son pouvoir d'appréciation, en ne tenant pas compte des arguments des intimés, ni des préavis requis, ni du critère de l'esthétique. Sa décision viole notamment le principe de la proportionnalité consacré à l'art. 5 al. 2 Cst., dès lors qu'elle oblige les propriétaires à supporter des nuisances sonores importantes, puisque proches des VLI, alors que la construction projetée serait à même de les en protéger sans aucun impact esthétique sur le quartier.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/548/2016-LCI ATA/1382/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 10 octobre 2017

3ème section

 

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE - OAC

contre

Madame Silvana CORALLUZZO et Monsieur Roberto MARANO
représentés par Me Jean-Pierre Carera, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 septembre 2016 (JTAPI/987/2016)


EN FAIT

1) Madame Silvana CORALLUZZO et Monsieur Roberto MARANO
(ci-après : les propriétaires) sont propriétaires de la parcelle n° 8'660, feuillet 41 de la commune de Bernex, sise en cinquième zone de construction et sur laquelle se trouve une villa et un couvert à voiture, ayant pour adresse 371a, rue de Bernex.

2) Le 10 novembre 2015, les propriétaires, soit pour eux leur architecte, ont sollicité du département de l'aménagement, du logement et de l'énergie
(ci-après : DALE ou le département) l'autorisation en procédure accélérée d'installer une clôture antibruit.

La demande était fondée sur un problème de nuisances sonores, causées par le trafic routier sur la rue de Bernex.

Une augmentation du trafic d'environ 10 % avait été constatée entre 2014 et 2015. Environ trois cent trente bus diesel par jour passaient par l'arrêt Vailly, proche de leur propriété. L'accélération de ces derniers sur la chaussée en pente amplifiait ces nuisances. Selon le rapport de l'aménagement de la rue de Bernex, il y aurait à l'avenir encore une augmentation du trafic devant leur propriété, soit environ quatre mille deux cent cinquante véhicules par jour dans une zone limitée à 50 km/h.

Ils joignaient à leur demande un exemplaire du tableau récapitulatif des passages de bus, l'horaire des transports publics genevois (ci-après : TPG) et un extrait du rapport du mandat d'étude parallèle pour le réaménagement de la rue de Bernex.

D'après les plans, le long de la rue de Bernex, la clôture antibruit serait composée d'une part de panneaux de bois, jouxtant le couvert à voiture, de type « NoiStop Wood Elba », d'une hauteur de 2 m et d'une épaisseur de 0,11 m. D'autre part, elle serait composée de panneau de type « NoiStop Green » d'une hauteur de 1,80 m et d'une épaisseur de 0,11 m et serait implantée à 1 m à l'intérieur de la limite de propriété. Cette paroi serait entièrement végétalisée et implantée derrière une haie déjà existante, dont la hauteur escomptée serait de 2 m et servirait à border la parcelle sur une distance de 9,65 m le long de la rue de Bernex, avec un retour perpendiculaire sur un côté sur un distance de 12 m le long de la parcelle voisine n° 8'228.

3) Le 11 novembre 2015, la demande a été enregistrée par le DALE sous la référence APA 43'473.

4) Les 12, 13 et 16 novembre 2015, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC), la direction de la planification directrice cantonale et régionale (ci-après : PDCR), et le service des monuments et des sites (ci-après : SMS), ont émis des préavis favorables au projet, sans observations.

5) Le 16 novembre 2015, la direction de la mensuration officielle a émis un préavis favorable « sous conditions » sur des points non pertinents pour la présente procédure.

6) Le 17 novembre 2015, la direction générale de la nature et du paysage devenue le 1er mars 2016 la direction générale de l'agriculture et de la nature
(ci-après : DGAN), s'est déclarée non concernée par la demande.

7) Le même jour, le service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) a indiqué que la demande de préavis était retournée en consultation interne. Les valeurs limites d'immission (ci-après : VLI), au sens de l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986
(OPB - RS 814.41), n'étaient pas dépassées. Toutefois, dans la mesure où les propriétaires signalaient une importante augmentation du trafic automobile, en particulier du nombre de bus, le SABRA était compétent pour évaluer la pertinence de ces éléments sur l'augmentation des immissions sonores.

8) Le 30 novembre 2015, le SABRA a rendu son préavis et s'est déclaré non concerné par la demande.

L'écran projeté permettait un confort acoustique supplémentaire, mais n'était pas expressément demandé par l'OPB. Les VLI n'étant pas dépassées, son préavis était sans objet.

En effet, l'exigence pour la construction de logement était le respect des VLI du DS II (Lr jour = 60 dB(A) et Lr nuit = 50 dB(A)), à l'embrasure des fenêtres ouvertes des locaux sensibles au bruit.

Les calculs effectués, sur la base de mesurages in situ récents, montraient que les VLI n'étaient pas dépassées (Lr jour = 57 dB(A) et Lr nuit = 47 dB (A)).

9) Le 3 décembre 2015, la commune de Bernex (ci-après : la commune) a émis un préavis favorable.

10) Par décision du 11 janvier 2016, le DALE a refusé d'accorder l'autorisation de construire sollicitée.

Selon le préavis du SABRA, la justification du projet n'était pas établie du point de vue acoustique. La clôture antibruit, assimilable à un mur séparatif, ne respectait pas les limitations de hauteur exigée par la loi, et était de nature à nuire au caractère du quartier.

11) a. Par acte du 11 février 2016, les propriétaires ont formé recours contre la décision précitée auprès du Tribunal administratif de première instance
(ci-après : TAPI), concluant à son annulation et à ce que le département soit invité à délivrer l'autorisation sollicitée. Les conclusions étaient prises « sous suite de frais et dépens ».

Le département avait violé son pouvoir d'appréciation, en refusant un projet qui respectait l'ensemble des normes légales et dont la réalisation correspondait à un véritable besoin. Il s'était écarté, sans motif valable, des différents préavis récoltés, lesquels étaient unanimement positifs ou sans objet.

Le projet était justifié. Leur maison, construite en bois, présentait des qualités d'isolations phoniques inférieures et d'importantes nuisances sonores émanaient de la circulation intense sur la route de Bernex et notamment du passage fréquent d'autobus à moteur diesel. Leur cuisine et leur salon donnaient directement sur cette rue.

Le SABRA avait rendu un préavis sans objet, dès lors que les VLI n'étaient pas dépassées. Cela ne signifiait pas que le mur antibruit n'était pas justifié. En effet, les valeurs mesurées faisaient état de seulement trois décibels de moins que les valeurs qui auraient rendu le mur obligatoire.

Après avoir reçu cette décision, ils avaient sollicité un avis du bureau Architecture & Acoustique, aux fins de définir l'exposition au bruit de leur villa, dont les conclusions étaient jointes au recours.

La construction projetée ne posait pas de problème esthétique. La palissade acoustique devait être implantée derrière une haie végétale, de manière à ne pas être visible depuis la rue. Sa hauteur, soit 180 cm, était conforme à la loi. D'autres maisons privées sises à proximité immédiate étaient séparées de la voie publique par des palissades ou des murs de plus de 80 cm. La commission d'architecture (ci-après : CA) n'avait pas été sollicitée et le SMS, de même que la commune, avaient rendu un préavis favorable.

b. Les propriétaires ont joint à leur recours un chargé de pièces, soit notamment l'avis du bureau Architecture & Acoustique.

Les mêmes mesures que le SABRA avaient été effectuées et les VLI étaient respectées.

Le respect des VLI constituait un minimum légal pour construire des logements, mais ne correspondait pas à un environnement tranquille, assurant un bon confort par rapport aux bruits routiers extérieurs.

De plus, dans le cas présent, les bruits aux fréquences basses produits par les véhicules lourds, et en particulier les bus des TPG qui décéléraient ou accéléraient augmentaient significativement l'inconfort : l'isolation de la façade, autant pour les parties pleines en bois que pour les verres isolants était en effet inévitablement médiocre à ces fréquences, malgré le respect des exigences normatives. À l'intérieur de la villa, les bruits sourds étaient donc audibles et gênants pour des personnes sensibles.

La réalisation d'un mur antibruit constituait la seule solution réaliste pour améliorer le confort acoustique, autant pour l'intérieur de la villa que pour les espaces extérieurs, actuellement très pénalisés par les nuisances de la route.

12) Le 25 février 2016, la commune a informé le TAPI qu'elle ne souhaitait pas intervenir dans le cadre de la procédure.

13) Le 22 avril 2016, le DALE a conclu au rejet du recours.

Les VLI étant respectées, le mur antibruit proposé par les propriétaires n'était en aucun cas justifié par les circonstances du cas d'espèce. Ces derniers ne faisaient pas valoir d'autres motifs.

14) Par réplique et duplique des 13 mai 2016 et 8 juin 2016, les propriétaires et le DALE ont respectivement persisté dans leurs conclusions.

15) Par jugement du 29 septembre 2016, le TAPI a admis le recours et retourné le dossier au département, afin qu'il délivre l'autorisation sollicitée, assortie, cas échéant, de charges relatives au maintien et à l'entretien de la haie.

En refusant de délivrer l'autorisation sollicitée, le département avait abusé de son pouvoir d'appréciation.

La pratique du département consistait à refuser les murs séparatifs lorsque les VLI de bruit n'étaient pas atteintes. Or, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) avait retenu, dans deux affaires très similaires à la présente, que cette pratique aboutissait à un abus du pouvoir d'appréciation lorsqu'aucune des instances spécialisées n'avait préavisé négativement le projet. En particulier, un préavis sans objet du SABRA ne permettait pas en soi au département de fonder un refus d'autorisation.

Conformément aux travaux parlementaires, le souci du législateur était d'empêcher la prolifération de murs en zone villas, nuisibles à l'environnement et à l'esthétique. Il avait cependant limité la faculté du département de refuser ces murs, aux seuls cas de préavis négatifs de l'instance spécialisée et à ceux dans lesquels les requérants ne donnaient pas de justification suffisante à leur réalisation. Ces termes extrêmement généraux ne sauraient être ramenés en pratique au seul cas de dépassement des VLI de bruit. Le souhait de se protéger du bruit routier, lorsque l'intéressé était propriétaire d'une maison située au bord d'une voie fréquentée tout au long de la journée par de nombreux véhicules à moteur, dont des poids lourds, constituait, à n'en pas douter, une justification suffisante pour ériger une paroi antibruit.

Le fait que trois cent trente bus passaient quotidiennement devant la propriété (outre le trafic individuel) n'était pas contesté par le département. Les mesures effectuées par le SABRA confirmaient d'ailleurs une exposition au bruit relativement importante.

La construction serait sans conséquence sur l'esthétique du quartier. Les propriétaires avaient prévu d'ériger la paroi antibruit en-deçà d'une haie déjà en place (bien qu'encore jeune). Seul un petit tronçon de la paroi, situé en contrebas du terrain végétalisé, serait dépourvu de l'écran d'une haie.

16) a. Par acte du 2 novembre 2016, le DALE a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement précité, concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision du 11 janvier 2015. Les conclusions étaient prises sous suite de frais et dépens.

Dans la mesure où une instance composée de spécialistes avait été consultée afin de déterminer si les dispositions légales en matière de protection contre le bruit étaient respectées et qu'elle avait constaté que tel était le cas, il apparaissait bien difficile de considérer que l'édification d'un mur antibruit pouvait, pour des raisons personnelles, se justifier. Les autorités devaient refuser la construction d'un mur qui ne reposait pas sur de justes motifs. Une amélioration du confort des requérants ne suffisait pas à en justifier l'installation.

Lorsque la construction d'un mur antibruit n'était pas justifiée par la loi, le SABRA se contentait de préciser que son préavis était sans objet. Pour cette raison, le département pouvait refuser des murs antibruit sans commettre un abus de son pouvoir d'appréciation.

b. Le lendemain, le DALE a transmis son dossier.

17) Par courrier du 8 novembre 2016, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

18) Le 5 décembre 2016, la commune a fait part de son souhait de ne pas être partie à la procédure.

19) a. Dans leurs observations du 22 novembre 2016, les propriétaires ont conclu au rejet du recours, sous suite de frais, reprenant pour l'essentiel leurs arguments développés devant le TAPI.

b. Ils ont produit plusieurs documents, dont notamment l'autorisation de construire délivrée dans un cas similaire pour une maison située route de Saconnex-d'Arve.

20) Le 5 janvier 2017, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b).

Cependant, les juridictions administratives n'ont pas la compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi, non réalisée dans le cas d'espèce (art. 61 al. 2 LPA).

Le juge doit vérifier que l'administration n'abuse pas de son pouvoir d'appréciation. Pour cela, le principe de proportionnalité prend une place majeure. Il impose de peser les intérêts pour et contre la mesure en cause (Thierry TANQUEREL, La pesée des intérêts vue par le juge administratif in La pesée globale des intérêts, Droit de l'environnement et de l'aménagement du territoire, 1996, p. 189 ss).

Constitue un excès négatif du pouvoir d'appréciation le fait que l'administration se considère comme liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou encore qu'elle renonce d'emblée en tout ou partie à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 171).

Constitue un abus du pouvoir d'appréciation le cas où l'autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 précité ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 171).

3) Sur tout le territoire du canton, nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (art. 1 al. 1 let. a de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 - LCI - L 5 05).

Dès que les conditions légales sont réunies, le DALE est tenu de délivrer l'autorisation de construire (art. 1 al. 5 LCI).

4) Les préavis ne lient pas les autorités (art. 3 al. 3 LCI). Ils n'ont qu'un caractère consultatif et l'autorité reste libre de s'en écarter pour des motifs pertinents et en raison d'un intérêt public supérieur (ATA/719/2011 du 22 novembre 2011 et les références citées). La LCI ne prévoit aucune hiérarchie entre les différents préavis requis (ATA/51/2013 du 29 janvier 2013).

Lorsque l'autorité s'écarte des préavis, le tribunal peut revoir librement l'interprétation des notions juridiques indéterminées, mais contrôle sous le seul angle de l'excès et de l'abus de pouvoir l'exercice de la liberté d'appréciation de l'administration, en mettant l'accent sur le principe de la proportionnalité en cas de refus malgré un préavis favorable, et sur le respect de l'intérêt public en cas d'octroi de l'autorisation malgré un préavis défavorable (ATA/51/2013 précité).

5) Les murs en bordure d'une voie publique ou privée, ou entre deux propriétés, ne peuvent, dans la mesure où ils sont autorisés, excéder une hauteur de 2 m. Le département peut exiger que les ouvrages autorisés soient distants jusqu'à 1,20 m du bord d'une voie publique ou privée. Il peut, en outre, exiger la plantation de végétation (art. 112 LCI).

Sous réserve des murs de soutènement et des murets de 80 cm de hauteur au maximum, le département peut refuser les murs séparatifs qui ne sont pas intégrés à un bâtiment (art. 79 LCI).

Cette disposition a été introduite lors de la modification de la LCI en 1988. Elle concrétise une volonté d'éviter la prolifération de murs en zone villas, dont la justification n'est pas établie et qui seraient nuisibles à l'environnement et à l'esthétique des lieux (MGC 1988/II 1643). Il a été convenu, dans le rapport de la commission parlementaire, que le département ne refuserait les murs séparatifs que si ceux-ci faisaient l'objet d'un préavis négatif de la commission consultative compétente ou si le requérant n'apportait pas de justifications suffisantes à leur réalisation (MGC 1988/II 1628).

Le département peut interdire ou n'autoriser que sous réserve de modification toute construction qui, par ses dimensions, sa situation ou son aspect extérieur nuirait au caractère ou à l'intérêt d'un quartier, d'une rue ou d'un chemin, d'un site naturel ou de points de vue accessibles au public
(art. 15 al. 1 LCI). La décision du département se fonde notamment sur le préavis de la CA ou, pour les objets qui sont de son ressort, sur celui de la commission des monuments, de la nature et des sites. Elle tient compte également, le cas échéant, de ceux émis par la commune ou les services compétents du département (art. 15 al. 2 LCI). Cette disposition renferme une clause d'esthétique, constituant une notion juridique indéterminée.

Dans la mesure où le mur projeté ne dépasserait pas 2 m de hauteur, et que le DALE n'a pas exigé de retrait de 1,20 m, il ne poserait aucun problème dans le cas d'espèce, si l'autorisation était délivrée.

En l'espèce, tous les préavis recueillis dans le cadre de la présente procédure sont soit favorables, soit sans objet. En ce qui concerne le préavis du SABRA, une analyse sera proposée ci-après. La justification de la réalisation de la paroi litigieuse sera également analysée par la suite.

6) Les art. 15 et 79 LCI reconnaissent tous deux au DALE un large pouvoir d'appréciation. Ce dernier n'est limité que par l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation.

7) Selon la pratique invoquée par le DALE concernant les art. 15 et 79 LCI, seuls les murs répondant à un besoin de protection contre le bruit au sens de l'OPB sont autorisés.

La notion de pratique administrative désigne la répétition constante et régulière dans l'application d'une norme par les autorités administratives. De cette répétition peuvent apparaître, comme en ce qui concerne la jurisprudence, des règles sur la manière d'interpréter la loi ou de faire usage d'une liberté d'appréciation. Elle vise notamment à résoudre de manière uniforme des questions de fait, d'opportunité ou d'efficacité. Cette pratique ne peut être source de droit et ne lie donc pas le juge, mais peut néanmoins avoir indirectement un effet juridique par le biais du principe de l'égalité de traitement (ATA/473/2011 du 26 juillet 2011).

La chambre administrative a déjà eu l'occasion de confirmer que la pratique du DALE, consistant à n'autoriser que les murs répondant à un besoin de protection contre le bruit au sens de l'OPB, n'était pas acceptable. En effet, si le législateur avait voulu être plus strict, il aurait formulé différemment l'art. 79 LCI. Par conséquent, les propriétaires peuvent, dans certains cas, protéger leur propriété des nuisances sonores, bien que le VLI ne soient pas dépassées (ATA/20/2015 du 6 janvier 2015 ; ATA/475/2014 du 24 juin 2014).

Les circonstances de ces cas sont très proches de celles du présent litige. Dans l'ATA/20/2015 précité, la différence principale tenait au fait que la paroi permettait non seulement de protéger l'intérêt privé de la propriétaire, mais également l'intérêt public invoqué par la commune à l'utilisation du cheminement très utilisé par des écoliers.

8) En l'espèce, bien que les VLI ne soient pas dépassées, les arguments mis en avant par les intimés auraient dû être pris en compte par l'autorité dans l'appréciation de la situation, ce qu'elle s'est d'emblée refusée de faire.

Elle aurait pourtant dû procéder à un examen plus approfondi, dès lors que les valeurs mesurées par le SABRA sont seulement de trois décibels inférieurs au VLI, de jour comme de nuit. Comme l'a relevé dans son rapport l'architecte mandaté par les intimés, le respect des VLI constitue un minimum légal pour construire des logements, mais ne correspond pas nécessairement à un environnement tranquille, assurant un confort par rapport aux bruits extérieurs.

Il n'est pas contesté que la maison est située en bordure d'une rue très fréquentée, notamment par trois cent trente bus TPG en moyenne quotidiennement, et à proximité d'un arrêt de bus. Ces derniers accélèrent et décélèrent donc devant la maison.

L'architecte mandaté par les intimés a souligné dans son rapport que les bruits aux fréquences basses produits par les véhicules lourds, et en particulier les bus des TPG qui décélèrent ou accélèrent, augmentent significativement l'inconfort, dès lors que l'isolation de la façade est inévitablement médiocre à ces fréquences.

Aux nuisances créées par le passage des bus TPG viennent s'ajouter celles du trafic automobile également important sur la rue bordant la propriété des intimés.

Pour ces motifs, en ce qui concerne la justification de l'ouvrage litigieux, il va de soi que ce dernier est essentiel pour les propriétaires de la parcelle dans les circonstances du cas d'espèce. La cuisine, le salon et la terrasse se trouvent du côté, et à quelques mètres seulement, de la rue de Bernex. De plus, la maison, construite en bois, est mal isolée. Il est évident que le mur antibruit permettra de diminuer les nuisances sonores émises par le trafic routier. Sa réalisation apparaît ainsi justifiée.

9) Si l'autorité disposait d'un certain pouvoir d'appréciation concernant le projet des intimés en fonction des critères de la conservation de l'esthétique du quartier, son examen ne pouvait pas ignorer les préavis et notamment ceux de la commune, du SMS et de la DGAN. Il devait également tenir compte du fait que la paroi antibruit souhaitée n'aurait pas d'impact sur l'aspect esthétique du quartier, dans la mesure où elle serait entièrement cachée derrière la haie de la propriété et respecterait la hauteur de 2 m.

10) Pour ces motifs, l'autorité a commis un abus et un excès négatif de son pouvoir d'appréciation, en ne tenant pas compte des arguments des intimés, ni des préavis requis, ni du critère de l'esthétique. Sa décision viole notamment le principe de la proportionnalité consacré à l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), dès lors qu'elle oblige les propriétaires à supporter des nuisances sonores importantes, puisque proches des VLI, alors que la construction projetée serait à même de les en protéger sans aucun impact esthétique sur le quartier.

11) Vu ce qui précède, le recours de l'autorité sera rejeté.

12) Étant donnée l'issue du recours, la chambre de céans pourra se dispenser d'examiner le grief d'inégalité de traitement invoqué par les intimés.

13) Aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée aux intimés (art. 87 al. 2 LPA), pris conjointement et solidairement, et mis à la charge de l'État de Genève.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 novembre 2016 par le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 septembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Madame Silvana CORALLUZZO et Monsieur Roberto MARANO, pris conjointement et solidairement, une indemnité de CHF 1'000.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, à Me Jean-Pierre CARERA, avocat de Madame Silvana CORALLUZZO et Monsieur Roberto MARANO, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf et M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

J. Poinsot

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :