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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/478/2019

ACPR/782/2020 du 04.11.2020 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DENI DE JUSTICE
Normes : Cst.29

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/478/2019 ACPR/782/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 4 novembre 2020

 

Entre

A______, domicilié ______, France, comparant par Me C______, avocate, rue ______, Genève,

recourant,

 

pour déni de justice,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A.           a. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 14 août 2020, A______ recourt contre l'inaction du Ministère public à la suite du dépôt de sa plainte le 9 janvier 2019.

Il conclut à la constatation de la violation du principe de célérité et à l'exitence d'un déni de justice.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 9 janvier 2019, A______ a déposé plainte contre inconnu, tout en impliquant B______, pour faux dans les titres (art. 251 CP), escroquerie au procès (art. 146 CP), fausse déclaration d'une partie et/ou d'un témoin lors d'un arbitrage (art. 306 et 307 CP cum art. 309 CP) et toute autre disposition pénale applicable. Il a joint un bordereau de 13 pièces.

b. Par courrier du 3 juin 2019, le conseil du plaignant, sur demande du Ministère public, lui a transmis le texte complet d'une sentence arbitrale du 23 février 2018, dont un extrait avait été produit à l'appui de la plainte, ainsi qu'un article de presse relatant que B______ serait poursuivi pour fraude dans le cadre d'une transaction hôtelière.

c. Par courrier du 30 août 2019, ce conseil a transmis au Ministère public une nouvelle pièce et a insisté pour que B______ soit entendu par les autorités pénales.

d. Le 7 octobre 2019, le recourant a adressé au Ministère public une requête de séquestre conservatoire.

e. Le 6 novembre 2019, il a insisté sur l'urgence de prononcer ladite mesure.

f. Le 26 novembre 2019, le conseil de A______ a rappelé le dépôt de plainte du 9 janvier 2019, l'assurance du Procureur, lors d'un entretien téléphonique fin janvier 2019, qu'il allait étudier le dossier, les nombreuses tentatives de joindre ce dernier avant un entretien téléphonique fin mai 2019 lors duquel le Procureur l'avait assuré d'un courrier pour la mi-juillet 2019, les vaines tentatives qui s'en étaient suivies de joindre le Procureur, l'assurance de ce dernier, fin octobre 2019, de rendre une décision sur la suite à donner à la plainte et la demande de séquestre du 7 octobre 2019, pour mi-novembre suivant.

N'ayant pas reçu de communication et/ou décision ni réussi à le joindre, le conseil du plaignant a interpellé une nouvelle fois le Ministère public pour qu'il donne suite à sa plainte, ne serait-ce qu'en transmettant le dossier à la police pour qu'elle entende B______; il l'informait avoir reçu instruction de déposer une action pour déni de justice.

g. Le 18 décembre 2019, le Procureur a transmis la procédure à la police et en a informé le conseil du plaignant.

h. Le 20 décembre 2019, A______ a retiré son recours déposé le 17 précédent pour inaction du Ministère public.

i. Le 24 février 2020, la Brigade financière a retourné le dossier au Procureur, nouvellement chargé de la procédure, avec le commentaire suivant "Après lecture de la sentence finale de l'arbitrage de la SCAI du 28 février 2018, le Tribunal arbitral a jugé les preuves insuffisantes pour considérer que le contrat produit était un faux, ou que M. B______ aurait menti dans sa déposition. Aucune enquête policière ne semble pouvoir contredire la version retenue par le Tribunal arbitral, après une instruction complète. Le dossier est transmis au Ministère public, avec son accord, pour décision sur cette base".

j. Par courrier du 30 mars 2020, A______ a demandé à recevoir une copie du rapport transmis fin février 2020. Il a relancé le Procureur le 14 avril suivant.

k. Le 8 mai 2020, ce dernier a refusé la requête, la procédure n'étant pas contradictoire.

l. Le 19 juin 2020, le conseil du recourant, qui avait tenté de joindre le Ministère public par téléphone en vain depuis plusieurs semaines, lui a précisé qu'en l'absence de réponse, il saisirait à nouveau la Chambre de céans pour dénoncer son inaction.

m. Le 9 juillet 2020, il a communiqué au Procureur des pièces complémentaires, considérant avoir apporté des éléments de preuve suffisants pour justifier l'ouverture immédiate d'une instruction à l'encontre de B______ et l'audition contradictoire de ce dernier.

n. Il lui a encore communiqué un document le 17 juillet 2020.

C. a. Dans son recours, A______ se plaint de l'inaction du Ministère public, malgré ses nombreuses interpellations. Lorsqu'il avait saisi une première fois la Chambre de céans, plus de onze mois s'étaient écoulés depuis le dépôt de la plainte et plus de sept mois depuis la demande d'une pièce complémentaire (le texte intégral de la sentence arbitrale) sans qu'aucune décision n'ait été prise par le Ministère public. Depuis la reddition du rapport de police, fin février 2020, aucun acte de procédure n'avait été effectué, malgré ses nombreuses requêtes et relances.

b. Dans ses observations du 7 octobre 2020, le Procureur conclut au rejet du recours. La procédure lui avait été attribuée le 1er janvier 2020, lors de son entrée en fonction et le dossier lui avait été retourné par la police, sans enquêtes, le 24 février suivant. En juin 2020, il avait informé oralement le conseil du plaignant de son intention de prononcer une ordonnance de non-entrée en matière et de ne pas donner suite à la demande de séquestre conservatoire. La rédaction de la décision, qui posait diverses questions juridiques, nécessitait des recherches. Enfin, le délai depuis la réception du dossier le 24 février 2020 restait raisonnable, au vu des pièces produites.

c. Le recourant réplique que le Ministère public, en tant qu'autorité, était responsable de l'immense retard injustifié dans l'avancement de la procédure.

EN DROIT :

1.             Le recours, qui n'est soumis à aucun délai (art. 396 al. 2 CPP), a été déposé selon la forme requise (art. 385 al. 1 CPP) et émane du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), qui dispose d'un intérêt juridiquement protégé à recourir (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. L'art. 29 al. 1 Cst. consacre, en outre, le principe de la célérité. Viole la garantie ainsi accordée l'autorité qui ne rend pas une décision qu'il lui incombe de prendre dans le délai prescrit par la loi ou dans le délai que la nature de l'affaire et les circonstances font apparaître comme raisonnable (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1; 130 I 312 consid. 5.1 p. 331 ; 119 Ib 311 consid. 5 p. 323 et les références citées). Pour déterminer la durée raisonnable, il y a lieu de se fonder sur des éléments objectifs. Doivent notamment être pris en compte le degré de complexité de l'affaire, l'enjeu que revêt le litige pour l'intéressé ainsi que le comportement de ce dernier et des autorités compétentes (ATF 130 I 312 consid. 5.2 p. 332 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_203/2019 du 10 avril 2019 consid. 3.1; 1B_590/2012 du 13 mars 2013 consid. 3.1).

Comme on ne peut pas exiger de l'autorité pénale qu'elle s'occupe constamment d'une seule et unique affaire, il est inévitable qu'une procédure comporte quelques temps morts. Lorsqu'aucun d'eux n'est d'une durée vraiment choquante, c'est l'appréciation d'ensemble qui prévaut; des périodes d'activités intenses peuvent donc compenser le fait que le dossier a été laissé momentanément de côté en raison d'autres affaires. Le principe de la célérité peut être violé, même si les autorités pénales n'ont commis aucune faute; elles ne sauraient exciper des insuffisances de l'organisation judiciaire (ATF 143 IV 373 consid. 1.3.1; 130 IV 54 consid. 3.3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_203/2019 du 10 avril 2019 consid. 3.1). Seul un manquement particulièrement grave, faisant au surplus apparaître que l'autorité de poursuite n'est plus en mesure de conduire la procédure à chef dans un délai raisonnable, pourrait conduire à l'admission de la violation du principe de célérité. En cas de retard de moindre gravité, des injonctions particulières peuvent être données, comme par exemple la fixation d'un délai maximum pour clore l'instruction (cf. ATF 128 I 149 consid. 2.2, rendu en matière de détention préventive).

Pour pouvoir invoquer avec succès un retard injustifié à statuer, la partie doit être vainement intervenue auprès de l'autorité pénale pour que celle-ci statue à bref délai (arrêt du Tribunal fédéral 1B_24/2013 du 12 février 2013 consid. 4 et les références citées). Il appartient, en effet, au justiciable d'entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l'autorité fasse diligence, que ce soit en l'invitant à accélérer la procédure ou en recourant, le cas échéant, pour retard injustifié (ATF 130 I 312 consid. 5.2 p. 332). Cette règle découle du principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), qui doit présider aux relations entre organes de l'État et particuliers (arrêts du Tribunal fédéral 2A.588/2006 du 19 avril 2007 consid. 2 et la référence à l'ATF 125 V 373 consid. 2b/aa p. 375 ; 6B_1066/2013 du 27 février 2014 consid. 1.1.2).

2.2. En l'espèce, depuis le dépôt de la plainte, le recourant est régulièrement intervenu pour relancer le Ministère public depuis janvier 2019, par téléphones et par courriers, allant jusqu'à déposer un recours pour inactivité auprès de la Chambre de céans, qu'il a retiré à la suite de l'envoi de la procédure à la police en décembre 2019.

Vingt-deux mois se sont, ainsi, écoulés sans activité du Procureur - mis à part ce mandat d'acte d'enquête qui semble avoir été de circonstance, onze mois après le dépôt de plainte -; aucun acte ni décision n'a été prononcé, et ce pas non plus depuis fin février 2020. En effet, depuis le retour du dossier, dont l'envoi à la police s'est révélé inutile, le Procureur, bien que relancé, aurait informé le conseil du recourant, en juin 2020, qu'il rendrait une ordonnance de non-entrée en matière et de refus de donner suite au séquestre conservatoire.

Que le Procureur ait succédé à un autre magistrat n'intervient pas dans l'appréciation des délais pris par le Ministère public, en tant qu'autorité pénale une et indivisible (ACPR/491/2014), à instruire une procédure.

Si l'épidémie de la COVID-19 a, durant deux mois environ à compter de mi-mars 2020, ralenti, voire mis à l'arrêt, les procédures sans prévenu détenu, la décision promise en juin 2020 par le Procureur n'a toujours pas été rendue.

Il résulte de ce qui précède que le principe de la célérité a été violé, et que l'instruction, qui n'a pas connu d'actes depuis janvier 2019 - sous réserve de deux mois excusables -, doit désormais être menée sans relâche et pour cela, un délai au 30 novembre 2020 sera imparti au Ministère public.

3.             Les frais seront laissés à la charge de l'État.

4.             Le recourant, qui a gain de cause, chiffre son indemnité à CHF 5'500.- couvrant le temps consacré au premier recours du 17 décembre 2019 et celui faisant l'objet de la décision ici attaquée ainsi que les appels téléphoniques et courrier de relance au Ministère public. À l'évidence, seul le temps consacré pour la procédure de recours sera indemnisé par le Chambre de céans. Une indemnisation de CHF 2'000.- pour le recours apparaît raisonnable, au tarif admis par la Cour pénale, qui est de CHF 450.-/h. au maximum pour un chef d'étude (cf. ACPR/109/2020 du 7 février 2020 et les références). La TVA n'est pas due, en raison du domicile à l'étranger du recourant (ATF 141 IV 344).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Constate la violation du principe de célérité.

Enjoint le Ministère public, d'ici au 30 novembre 2020, de se déterminer sur la suite de la procédure et les actes d'instruction requis par le recourant.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer au recourant les sûretés versées, en CHF 900.-.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'000.- TTC pour ses frais de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.