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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11875/2021

ACPR/675/2022 du 04.10.2022 sur OMP/6795/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;OPPOSITION(PROCÉDURE);DÉFAUT(CONTUMACE);CITATION À COMPARAÎTRE;EMPÊCHEMENT(EN GÉNÉRAL);NOTIFICATION IRRÉGULIÈRE
Normes : CPP.87; CPP.201; CPP.205; CPP.355.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11875/2021 ACPR/675/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 octobre 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me B______, avocate, ______, Genève,

recourant,

contre l'ordonnance sur opposition (défaut) rendue le 20 avril 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 2 mai 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 20 avril 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a constaté le retrait de son opposition à l'ordonnance pénale du 28 septembre 2021.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public "pour suite d'instruction".

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, domicilié ______[GE], a été interpellé par la police, le 25 mai 2021, dans le quartier C______, alors qu'il était armé d'un colt calibre 6.35, non chargé, et avait avec lui un chargeur munitionné.

b. Selon le rapport de renseignements du 5 juin 2021, il a été entendu par la police le 25 mai 2021, en présence de son avocate, Me B______, avec élection de domicile auprès de l'étude de celle-ci.

c. Par ordonnance pénale du 28 septembre 2021, le Ministère public l'a reconnu coupable d'infraction à l'art. 33 al. 1 let. a LArm et l'a, notamment, condamné à 60 jours-amende, sous déduction d'un jour de détention avant jugement, à CHF 30.- le jour.

d. Le 11 octobre 2021, A______ y a formé opposition.

e. Par mandat de comparution adressé par le Ministère public, par pli simple, au conseil de A______, ce dernier a été cité à comparaître personnellement à l'audience du 15 mars 2022 à 11h00.

Aucun mandat de comparution n'a été envoyé au prévenu personnellement.

f. Par courriel du 15 mars 2022 à 00h20, l'avocate de A______ a sollicité le report de l'audience précitée, étant dans l'obligation de rester au chevet de son enfant, à l'hôpital. Aucun avocat de son étude n'était disponible et, au vu de l'heure, elle n'avait pas trouvé de confrère susceptible de la remplacer.

Elle a produit deux certificats médicaux certifiant que sa présence était nécessaire auprès de son enfant du 14 au 16 mars 2022.

g. Par courriel du 15 mars 2022 à 11h00, ladite avocate a informé le Ministère public que son mandant, qui souhaitait exclusivement sa présence à ses côtés lors de l'audience, refusait de s'y présenter. Elle a ainsi sollicité, "au vu des circonstances exceptionnelles et particulières" le report de l'audience.

h. Selon la note figurant au procès-verbal d'audience du 15 mars 2022, le Ministère public a été informé que A______ et son conseil ne seraient pas présents à ladite audience.

i. Dans le dossier remis à la Chambre pénale de recours ne figurent ni lettre de constitution de l'avocate, ni de procuration en faveur du prévenu – la seule procuration à disposition de la Chambre de céans étant celle produite dans le cadre de la procédure de recours –, ni d'élection de domicile relative à des mandats de comparution.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public constate que, "dûment" convoqué chez son conseil, A______ avait fait défaut à l'audience du 15 mars 2022, sans excuse. Conformément à l'art. 355 al. 2 CPP, l'opposition formée à l'ordonnance pénale était réputée retirée, car celui qui ne prenait pas des mesures pour donner suite à une convocation devait assumer le retrait de son opposition, sans que cela ne contrevienne aux garanties de procédure offertes par le droit.

D. a. Dans son recours, A______ estime que rien ne permettait de retenir qu'il s'était désintéressé de la suite de la procédure. Lors de l'audience du 15 mars 2022, c'était son conseil qui n'était pas disponible de sorte qu'on ne pouvait retenir qu'il ne s'était pas rendu à l'audience "volontairement et ce, dans le but de s'y défausser".

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et à la confirmation de sa décision querellée.

Il incombait au conseil de s'organiser de manière à pouvoir se faire remplacer, par un membre de son étude ou un confrère, le justiciable ne devant pas supporter les conséquences de son absence.

En tout état de cause, aucun motif n'empêchait A______ de comparaître, vu la faible complexité et gravité des faits reprochés. Il aurait été à même de se défendre efficacement seul.

c. Dans sa réplique, A______ se prévaut d'avoir été empêché, sans sa faute, de se présenter à l'audience du 15 mars 2022. Le droit à la défense était inconditionnel et, lorsqu'un prévenu faisait valoir ledit droit, la présence de l'avocat ne pouvait être niée. On ne pouvait ainsi obliger le client à déposer ou se rendre à une audience sans son avocat.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant invoque un empêchement de son avocate pour justifier son absence à l'audience du 15 mars 2022.

2.1.       Quiconque est cité à comparaître par une autorité pénale est tenu de donner suite au mandat de comparution (art. 205 al. 1 CPP).

2.2. Celui qui est empêché de donner suite à un mandat de comparution doit en informer sans délai l'autorité qui l'a décerné et doit lui indiquer les motifs de son empêchement et lui présenter les pièces justificatives éventuelles (art. 205 al. 2 CPP).

La doctrine mentionne, comme motifs d'excuse, la maladie, le service militaire ou l'absence à l'étranger, le service civil ou un autre service public affectant la disponibilité de la personne convoquée, la maladie d'un enfant ou d'un proche parent dont la personne convoquée a la charge et pour les soins duquel elle ne trouve pas de remplaçant à brève échéance, la grève d'une compagnie aérienne, le décès très récent d'un proche parent ou d'autres situations d'exceptions, voire des engagements de la vie privée pris de longue date, avant la notification du mandat (vacances, voyage d'affaires) (A. KUHN / Y. JEANNERET [éds], Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd. Bâle 2019, n. 4 ad art. 205).

2.3. En l'espèce, le recourant admet n'avoir pas comparu à l'audience du 15 mars 2022, mais explique avoir refusé de s'y présenter en l'absence de son conseil, qui était empêché. Or, il apparaît que ce motif, au regard de ceux susmentionnés par la doctrine – lesquels se réfèrent tous à un empêchement propre à la personne convoquée – n'apparaît pas être un empêchement non fautif valable au sens de l'art. 355 al. 2 CPP. Ce d'autant moins que le condamné ne peut choisir, sans justifier d'un empêchement non fautif propre, de ne pas se présenter à une audience fixée par le Ministère public dans le cadre des compétences que l'art. 355 al. 1 CPP lui attribue et doit se plier au déroulement de la procédure telle qu'elle a été voulue par le législateur.

Partant, le recourant ne pouvait se prévaloir de l'empêchement de son avocate – qui plus est alors qu'il ne se trouve pas dans un cas de défense obligatoire (art. 130 CPP) – pour ne pas se présenter à l'audience, où il était tenu de comparaître personnellement.

3.             Cela étant, encore faut-il déterminer si le Ministère public pouvait, ici, faire application de l'art. 355 al. 2 CPP.

3.1. En cas d'opposition à l'ordonnance pénale, si l'opposant, sans excuse, fait défaut à une audition malgré une citation, son opposition est réputée retirée (art. 355 al. 2 CPP).

Selon la jurisprudence, l'art. 355 al. 2 CPP doit être interprété en considération des différentes garanties procédurales (en particulier celles prévues aux art. 3 CPP, 29a et 30 Cst., 6 par. 1 CEDH). Au vu de l'importance fondamentale du droit d'opposition au regard de ces garanties, un retrait par acte concluant de l'opposition suppose que celui-ci résulte de l'ensemble du comportement de l'opposant, qui démontre qu'il se désintéresse de la suite de la procédure tout en étant conscient des droits dont il dispose. La fiction légale de retrait découlant d'un défaut non excusé suppose que l'opposant ait conscience de son omission et qu'il renonce à ses droits en connaissance de cause (ATF 140 IV 82 consid. 2.3 et 2.5). La fiction légale introduite par cette disposition ne s'applique en principe que si l'opposant a eu une connaissance effective de la convocation et des conséquences du défaut, l'abus de droit étant réservé (ATF 140 IV 82 consid. 2.7).

3.2. Le mandat de comparution est décerné par écrit (art. 201 al. 1 CPP). Il contient, en particulier, les conséquences juridiques d'une absence non excusée (al. 2 let. f).

3.3.1. Aux termes de l'art. 87 CPP, toute communication doit être notifiée au domicile, au lieu de résidence habituelle ou au siège du destinataire (al. 1). La jurisprudence a précisé que cette disposition n'empêche pas les parties de communiquer aux autorités pénales une adresse de notification, autre que celles indiquées par la norme (ATF 139 IV 228 consid. 1.1). Si elles le font, la notification doit intervenir en principe à cette adresse, sous peine d'être jugée irrégulière (ATF précité consid. 1.2 et 1.3). L'art. 87 CPP dispose aussi que, si les parties sont pourvues d'un conseil juridique, les communications sont valablement notifiées à celui-ci (art. 87 al. 3 CPP).

Lorsqu'une partie est tenue de comparaître personnellement à une audience ou d'accomplir elle-même un acte de procédure, la communication lui est notifiée directement. En pareil cas, une copie est adressée à son conseil juridique (art. 87 al. 4 CPP). En principe, la notification du mandat de comparution au conseil d'une partie ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 6B_552/2015 du 3 août 2016 consid. 2.3 et les références citées). Toutefois, dès lors que le destinataire est autorisé à indiquer une autre adresse de notification que son domicile ou sa résidence habituelle (ATF 139 IV 228), une partie est en droit de communiquer l'adresse de son conseil comme adresse de notification, y compris pour les mandats de comparution (arrêt du Tribunal fédéral 6B_673/2015 du 19 octobre 2016 consid. 1.2. et 1.3).

3.3.2. La Directive C3 du Procureur général relative au mode de notification et de communication prévoit, aux paragraphes 3.1 à 3.3, que "la constitution d'un avocat vaut désignation d'un domicile de notification (art. 87 al. 2 CPP). Ainsi, si le justiciable est assisté d'un avocat, toute notification se fait en l'étude de son conseil (art. 87 al. 3 CPP). La constitution d'un avocat ne vaut toutefois pas élection de domicile lorsqu'une partie est tenue de comparaître personnellement à une audience ou d'accomplir elle-même un acte de procédure (art. 87 al. 4 CPP; ACPR/148/2013 du 17 avril 2013; ACPR/158/2013 du 19 avril 2013). Ainsi, le mandat de comparution est envoyé directement au prévenu en cas de procédure sur opposition à ordonnance pénale et de domicile en Suisse afin de permettre une éventuelle application de l'art. 355 al. 2 CPP. Lorsque le justiciable fait explicitement élection de domicile pour l'envoi des mandats de comparution chez son avocat, ceux-ci sont alors valablement notifiés chez l'avocat (ACPR/230/2017 du 6 avril 2017)".

3.4. En l'occurrence, bien que le recourant ne conteste pas avoir eu connaissance, par son avocate, de la tenue de l'audience, il n'est pas établi qu'il aurait eu une connaissance effective des conséquences d'un éventuel défaut. Il ressort en effet des éléments au dossier que l'intéressé est domicilié à Genève, mais que le mandat de comparution a été adressé uniquement chez son conseil. Or, aucun élément au dossier à disposition de la Chambre de céans ne permet d'établir qu'une élection de domicile, auprès de son avocate, a été requise explicitement pour les citations à comparaître – la seule élection de domicile figurant au dossier est celle faite devant la police et n'inclut pas les mandats de comparution –. En procédant ainsi, le Ministère public, qui supporte le fardeau de la preuve sur ce point, échoue à démontrer que le mandat de comparution a valablement été notifié au recourant et, par conséquent, que ce dernier a eu une connaissance effective de l'injonction de l'art. 355 al. 2 CPP.

Partant, la fiction du retrait de l'opposition à l'ordonnance pénale, au sens de l'art. 355 al. 2 CPP, ne peut pas trouver application ici, comme le prévoient d'ailleurs les points 3.1 et suivants de la Directive C3 du Procureur général susmentionnée.

4.             Fondé, le recours doit être admis. La décision querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il convoque à nouveau le prévenu à l'audience sur opposition.

5.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6.             Le recourant n'ayant pas requis d'indemnité, il ne leur en sera pas allouée (art. 429 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance sur opposition défaut.

Renvoie la cause au Ministère public pour qu'il convoque une nouvelle audience sur opposition.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

 

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).