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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11059/2021

ACPR/175/2022 du 10.03.2022 sur OCL/1716/2021 ( MP ) , ADMIS/PARTIEL

Descripteurs : INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE
Normes : CPP.318; CPP.429

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11059/2021 ACPR/175/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 10 mars 2022

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 21 décembre 2021 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 3 janvier 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 21 décembre 2021, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure (ch. 1) et pris acte de sa renonciation à toute indemnité (ch. 3).

Le recourant conclut, principalement, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 1'050.- hors taxes, à l'annulation du chiffre 3 de l'ordonnance querellée et à ce qu'une indemnité de CHF 1'708.35 TTC lui soit allouée pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure; subsidiairement, à l'annulation du chiffre 3 de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Le 29 mai 2021, le Ministère public a ouvert une instruction à l'encontre de A______ pour des faits constitutifs de lésions corporelles simples (art. 123 CP), de voies de fait (art. 126 CP), d'injures (art. 177 CP) et de menaces (art. 180 CP) commises à l'encontre de sa compagne.

b.        Le même jour, le prévenu a été entendu par la police et par le Ministère public, sans être assisté d'un conseil.

c.         Par lettre du 15 juin 2021, Me B______ s'est constitué à la défense de A______.

d.        Le 16 juin 2021, le Ministère public a tenu une audience de confrontation, lors de laquelle le prévenu était assisté de Me C______, avocat stagiaire, excusant Me B______. L'audience a duré 45 minutes.

e.         Par ordonnance du 16 juin 2021, le Ministère public a suspendu l'instruction pour une durée de six mois, soit jusqu'au 14 décembre 2021, sur la base de l'art. 55a al. 1 CP.

f.         Le 26 novembre 2021, le Ministère public a ordonné la reprise de l'instruction.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a classé la procédure, précisant que, A______ n'ayant pris aucune conclusion en indemnisation, il lui était donné acte de sa renonciation à toute prétention.

D. a. À l'appui de son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé l'art. 429 CPP en s'abstenant de l'informer du classement à venir afin qu'il puisse présenter ses prétentions en indemnisation avant que l'ordonnance querellée soit rendue. Le Procureur ne pouvait dès lors pas considérer qu'il avait renoncé à réclamer une indemnité pour ses frais d'avocat.

Le recourant produit la note d'honoraires de son conseil pour l'activité déployée entre le 14 juin et le 30 juillet 2021 portant sur un montant hors TVA de CHF 1'540.- auquel s'ajoute CHF 46.20 à titre de frais et débours ("Téléphones, photocopies, fax, ports").

La facture détaille les postes suivants, sans référence au temps consacré pour chacun d'eux ni au tarif horaire appliqué :

-          14 juin 2021 : rendez-vous avec le client;

-          16 juin 2021 : courrier de constitution au Ministère public;

-          16 juin 2021 : audience par-devant le Ministère public;

-          30 juillet 2021 : "Divers entretiens téléphoniques avec le client".

b. Invité à se déterminer, le Ministère public a reconnu qu'un avis de prochaine clôture aurait dû être adressé au recourant afin qu'il puisse faire valoir ses prétentions en indemnisation au sens de l'art. 429 CPP. Dès lors, il s'en rapportait à justice s'agissant de l'indemnité réclamée vu l'absence de mise à sa charge des frais de la procédure, soulignant toutefois que la note d'honoraires présentée était excessive. Le dossier était peu volumineux et ne nécessitait qu'une demi-heure pour en prendre connaissance. Ensuite, une demi-heure supplémentaire suffisait pour l'aborder avec le client et préparer l'audience du 16 juin 2021, laquelle avait au demeurant duré moins d'une heure.

c. Dans sa réplique, le recourant conteste le caractère excessif de la note d'honoraires produite. Il était usuel qu'un entretien-client dure à tout le moins une heure, ce d'autant plus qu'il s'agissait de préparer une audience de confrontation par-devant le Ministère public. Une telle rencontre permettait d'établir les faits pertinents, de déterminer la stratégie à suivre, de répondre à d'éventuelles questions et de créer un lien de confiance essentiel avec le conseil. Par ailleurs, il avait été entendu sans l'assistance d'un avocat lors de son audition à la police, ce qui impliquait que celui-ci n'avait pas connaissance du dossier avant le premier entretien. De plus, les appels téléphoniques avaient été nécessaires pour qu'il puisse être informé du déroulement de la procédure. Enfin, l'indemnisation du temps de l'audience du 16 juin 2021 devait prendre en compte le déplacement aller-retour entre l'Étude et le Ministère public.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner un point d'une ordonnance de classement sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant se plaint de n'avoir pas pu prendre de conclusions en indemnisation, faute pour le Ministère public d'avoir rendu un avis de prochaine clôture avant de prononcer l'ordonnance de classement querellée.

2.1. Lorsqu'il estime que l'instruction est complète, le ministère public rend une ordonnance pénale ou informe les parties de la clôture prochaine de l'instruction en leur octroyant un délai pour présenter leurs réquisitions de preuves (art. 318 al. 1 et 2 CPP).

Lorsqu'elle envisage le classement, l'autorité doit inviter les prévenus à soumettre leurs prétentions relatives à l'indemnité de l'art. 429 CPP (LANDSHUT / BOSSHARD, Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 2ème éd,. Zurich 2014, n. 4 ad art. 318 CPP). Les formalités de l'art. 318 al. 1 CPP sont essentielles et doivent obligatoirement précéder toute ordonnance de classement et tout renvoi en tribunal. Si le ministère public n'a pas respecté ces formes pour la clôture, la décision qu'il rend ensuite (classement, renvoi) est annulable, étant précisé qu'une réparation devant l'instance de recours est envisageable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_22/2012 consid. 3 du 11 mai 2012).

2.2. En l'espèce, le Ministère public a admis avoir omis à tort de rendre un avis de prochaine clôture avant de prononcer le classement et s'en est rapporté à justice quant à l'indemnité sollicitée, les frais de la procédure ayant été laissés à la charge de l'État. Il s'est par ailleurs déterminé sur la note d'honoraires du recourant – qu'il juge excessive – ce qui implique que sa position est connue. Au regard du principe d'économie de procédure et du montant litigieux en cause, la cause ne lui sera exceptionnellement pas renvoyée et il sera statué ici sur la demande en indemnisation.

3.             La question de l'indemnisation du prévenu (art. 429 CPP) doit être traitée en relation avec celle des frais (art. 426 CPP).

3.1. Si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue. En revanche, si l'État supporte les frais de la procédure pénale, le prévenu a en principe droit à une indemnité selon l'art. 429 CPP (ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2).

Aux termes de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie ou au bénéfice d'un classement a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. L'indemnité concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF 138 IV 205 consid. 1). Elle couvre en particulier les honoraires de ce conseil, à condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Selon le message du Conseil fédéral, l'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail et donc les honoraires étaient ainsi justifiés (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1313 ch. 2.10.3.1).

3.2. La Cour de justice applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 450.- (arrêt du Tribunal fédéral 2C_725/2010 du 31 octobre 2011 = SJ 2012 I 172; ACPR/279/2014 du 27 mai 2014). Elle retient un taux horaire de CHF 350.- pour les collaborateurs (AARP/65/2017 du 23 février 2017) et de CHF 150.- pour les avocats stagiaires (ACPR/187/2017 du 22 mars 2017 consid 3.2 ; AARP/65/2017 du 23 février 2017).

Le temps consacré aux déplacements n’est pas taxé de la même manière que le temps consacré à l'étude du dossier, un tarif inférieur étant admis (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.3 p. 169 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_796/2016 du 15 mai 2017 consid. 2.2.2), la Chambre de céans appliquant un forfait par déplacement (aller-retour) de CHF 150.- pour un chef d'étude, CHF 75.- pour un collaborateur et CHF 50.- pour un avocat stagiaire (ACPR/158/2021 du 10 mars 2021).

3.3. Selon l'art. 429 al. 2 CPP, l'autorité pénale examine d'office les prétentions du prévenu et peut l'enjoindre de les chiffrer et de les justifier. S'il lui incombe, le cas échéant, d'interpeller le prévenu, elle n'en est pas pour autant tenue d'instruire d'office l'ensemble des faits pertinents concernant les prétentions en indemnisation. C'est au contraire au prévenu (totalement ou partiellement) acquitté qu'il appartient de prouver le bien-fondé de ses prétentions, conformément à la règle générale du droit de la responsabilité civile selon laquelle la preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO; ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1 p. 240 ; TF 6B_19/2018 du 13 juin 2018, consid. 1.6.1). Ce n'est que si les prétentions du prévenu sont imprécises ou peu claires que l'autorité a un devoir d'interpeller (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2016, n. 29 ad art. 429 CPP).

3.4. En l'espèce, la note d'honoraires présentée ne fournit aucun détail concernant le temps consacré aux différents postes listés, pas plus qu'elle ne mentionne le tarif horaire appliqué.

À la lecture du dossier et vu le volume de celui-ci, il apparaît ainsi équitable de retenir 1h15 d'activités au tarif horaire de CHF 450.- (1h d'entretien-client et 15 minutes pour le courrier de constitution au Ministère public). Il convient d'ajouter le même temps au tarif horaire de CHF 150.- (45 minutes d'audience et 30 minutes de préparation à celle-ci) ainsi qu'un forfait de CHF 50.- pour le déplacement de l'avocat stagiaire.

Le poste restant ("Divers entretiens téléphoniques avec le client") sera ramené à 15 minutes au tarif horaire de CHF 450.-. En effet, ce temps paraît adéquat pour fournir au recourant les informations nécessaires relatives à la procédure, étant précisé que celle-ci a été suspendue pendant près de six mois et n'a donc pas commandé d'actes d'instruction particuliers, outre les auditions du prévenu.

Le poste "Téléphones, photocopies, fax, ports" ne sera pas pris en compte, d'une part, parce qu'il n'est pas documenté et, d'autre part, parce que les frais d'entretiens téléphoniques sont déjà pris en considération dans le temps indemnisé.

L'indemnité devant être allouée au recourant pour l'exercice raisonnable de ses droits de procédure de première instance s'élève par conséquent à CHF 912.50, auxquels il convient d'ajouter la TVA à 7.7%.

4.             Partiellement fondé, le recours sera admis; partant, le chiffre 3 de l'ordonnance querellé sera annulé.

5.             Le recourant, qui obtient en grande partie gain de cause, ne supportera pas les frais envers l'État (art. 428 al. 1 et 2 CPP).

6.             Le recourant, prévenu, sollicite le versement d'une indemnité de CHF 1'050.-, hors TVA, au titre de ses frais d'avocat, correspondant à trois heures d'activités au taux horaire collaborateur de CHF 350.-.

6.1. En vertu de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnité dans les procédures de recours sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

Selon l'art. 429 al. 1 let. a CPP, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, cette indemnisation visant les frais de la défense de choix (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2011, n. 12 ad art. 429).

6.2. En l'occurrence, le mémoire de recours comprend six pages, dont deux concernent la partie vouée au développement juridique. La réplique tient quant à elle sur une page. La cause ne présente pas de difficultés juridiques ou factuelles particulières. Partant, eu égard au travail ici fourni et au fait que le recourant n'obtient que partiellement gain de cause, seule 1h30 d'activités au tarif horaire de CHF 350.- sera indemnisée, ce qui correspond à une indemnité de CHF 525.-, à laquelle s'ajoutera la TVA en 7.7%.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours.

Annule le chiffre 3 de l'ordonnance de classement du 21 décembre 2021.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 983.-, TVA à 7.7% incluse, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure en première instance.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 565.-, TVA à 7.7% incluse, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).