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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/35/2022

ACPR/635/2022 du 15.09.2022 ( PSPECI ) , ADMIS

Descripteurs : OPPOSITION TARDIVE;RESTITUTION DU DÉLAI;EMPÊCHEMENT NON FAUTIF;CERTIFICAT MÉDICAL
Normes : CPP.354; CPP.357; CPP.94; LaLDAl.15

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/35/2022 ACPR/635/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 15 septembre 2022

 

Entre

 

A______, domiciliée ______, comparant en personne,

recourante,

 

contre l’ordonnance de refus de restitution de délai rendue le 23 mai 202 par le Chimiste cantonal,

 

et

 

LE CHIMISTE CANTONAL, quai Ernest-Ansermet 22, case postale 76,1211 Genève 4,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 3 juin 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 23 mai 2022, notifiée à une date non précisée par le dossier, par laquelle le Chimiste cantonal a refusé sa demande de restitution de délai pour former opposition à l’ordonnance pénale du 28 septembre 2021.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, principalement, à l’annulation de l’ordonnance querellée et à la restitution du délai d’opposition ; subsidiairement, au renvoi de la cause à l’autorité inférieure pour nouvelle décision dans le sens des considérants ; et, « dans tous les cas », à l’octroi de l’effet suspensif au recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier.

a. Le 21 septembre 2021, le Service de la consommation et des affaires vétérinaires (ci-après : SCAV) a procédé à une inspection de l’établissement B______, dont A______ est la responsable. Le rapport d’inspection, du 23 septembre 2021, a constaté treize manquements à la loi fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels (LDAI ; RS 817.0) et indique, sous la rubrique « suites », que le cas allait être transmis au Chimiste cantonal pour « suites administratives ou pénales éventuelles ».

b. Le 28 septembre 2021, le Chimiste cantonal a rendu une ordonnance pénale (1______) contre A______, expédiée par pli recommandé du même jour.

Selon le suivi postal, A______ a été avisée pour retrait le 29 septembre 2021 et a procédé – le lendemain – à la prolongation du délai de garde. N’ayant pas été retiré dans ce délai, ce pli a été retourné, le 29 octobre 2021, au Chimiste cantonal, qui l’a renvoyé à la concernée, par courrier A, le 2 novembre 2021.

c. Par lettre expédiée le 15 novembre 2021, A______ a formulé une requête en restitution de délai et a formé opposition contre l’ordonnance pénale sus-évoquée.

Elle y expose n'avoir pu faire opposition dans le délai, au motif qu’elle n’avait pu retirer le pli recommandé ni préparer son écriture en raison d’une période d’incapacité de travail du 28 septembre au 31 octobre 2021, attestée par certificat médical du 1er octobre 2021 établi par le Dr C______, spécialiste en médecine interne.

d. Le 22 mars 2022, le Chimiste cantonal a maintenu son ordonnance pénale et transmis le dossier au Tribunal de police pour qu’il statue sur la validité de l’ordonnance pénale et de l’opposition.

e. Par lettre du 26 avril 2022 au Tribunal de Police, A______ a produit un certificat médical, daté du 11 mars 2022, à teneur duquel le Dr C______ attestait qu’entre le 28 septembre et le 31 octobre 2021, puis du 17 novembre au 11 décembre 2021, A______ « n’avait absolument pas [été] en mesure d’effectuer ni un travail de défense administrative ni de s’occuper des tâches et des trajets administratifs ».

f. Par ordonnance du 29 avril 2022, le Tribunal de police a retenu que l’ordonnance pénale du 28 septembre 2021 était réputée avoir été notifiée à A______ le 7 octobre 2021, soit à l’issue du délai de garde postal, de sorte que le délai d’opposition était venu à échéance le 18 octobre 2021. Expédiée le 15 novembre 2021, l’opposition était tardive, partant irrecevable. Le juge a renvoyé la cause au Chimiste cantonal pour qu'il statue sur l’éventuelle demande en restitution du délai d’opposition.

L’ordonnance du Tribunal de police n’a pas fait l’objet d’un recours.

C. Dans la décision querellée, le Chimiste cantonal a retenu que A______ avait produit, dans un premier temps, un certificat médical pour la période du 28 septembre au 31 octobre 2021, sans plus d'explication. Le certificat ultérieur, du 11 mars 2022, attestait qu'elle n'était pas en mesure de s'occuper de ses tâches administratives, mais "taisa[i]t toutefois ladite maladie pour raison de secret médical". Or, A______ devait s'attendre à recevoir une décision à la suite de l'inspection du 21 septembre 2021, puis de la mention figurant au rapport du 23 septembre 2021. La maladie invoquée, du 28 septembre au 31 octobre 2021, n'était pas intervenue juste avant l'échéance du délai d'opposition, le 18 octobre 2021, "de manière à justifier une restitution de ce délai".

D. a. À l’appui de son recours, A______ invoque une violation de l’art. 94 al. 1 CPP et la constatation incomplète et erronée des faits. Elle explique s’être trouvée, entre le 28 septembre et le 31 octobre 2021, non seulement en incapacité de travail, mais aussi dans l’incapacité de se défendre et d’organiser sa défense, comme l’attestait le certificat médical du 11 mars 2022. Ainsi, quand bien même elle aurait eu connaissance plus tôt de l’ordonnance pénale, elle n’aurait pas été en mesure de mandater un tiers pour assurer sa défense. Elle n’avait reçu le pli contenant dite ordonnance que le 3 novembre 2021, date à laquelle elle avait pris les mesures nécessaires et utiles à la défense de ses droits. Empêchée d’observer le délai d’opposition, elle était exposée à un préjudice important et irréparable dès lors que la « mesure pénale » allait indubitablement porter atteinte à sa réputation et à ses autorisations d’exploitation, telles que sa patente. Elle avait ainsi rendu vraisemblable que l’empêchement n’était pas dû à sa faute et avait pris les mesures utiles pour tenter de se déterminer dès que son incapacité avait cessé. Le fait que sa période d’incapacité n’était pas survenue juste avant l’échéance du délai ne remettait pas en cause son droit de demander et d’obtenir la restitution du délai. Le Chimiste cantonal aurait donc dû accepter sa demande de restitution du délai.

b. Dans sa réponse du 1er juillet 2022, le Chimiste cantonal conclut au rejet du recours.

La recourante devait s’attendre à se voir notifier les décisions consécutives à l’inspection du 21 septembre 2021 et avait été fautivement empêchée d’observer le délai d’opposition. Ce dernier était venu à échéance près d’un mois après le début de son incapacité, de sorte que la maladie n’était pas survenue « peu avant l’échéance du délai ». De plus, le certificat médical avait été établi par le Dr C______, ami de la recourante. En sa qualité de personne responsable pour le droit alimentaire d’un restaurant, la recourante était tenue de désigner un remplaçant ou de mettre en place une procédure en cas d’absence de sa part pour la gestion courante de l’établissement – comme la réception du courrier –, ce qu’elle n’avait pas fait. Elle se disait incapable d’effectuer toute démarche administrative et indiquait, sans preuve à l’appui, qu’un tiers avait procédé à la prolongation du délai de garde auprès de la Poste. Or, faute de preuves tangibles ou d’un certificat émis par un psychologue ou un psychiatre, une impossibilité subjective ne pouvait être admise. Enfin, il peinait à comprendre en quoi la réputation et la patente de la recourante auraient été affectées. Elle avait été condamnée, par ordonnance pénale, à une amende de CHF 1’300.-, laquelle n’avait aucune incidence sur sa patente ni sur son casier judiciaire. L’atteinte à sa réputation n’avait quant à elle pas été prouvée ni même rendue vraisemblable.

À l’appui de sa réponse, le Chimiste cantonal produit copie du procès-verbal d’une audience tenue le 13 juin 2022 devant la Chambre administrative de la Cour de justice, dans le cadre d’une autre procédure opposant A______ au SCAV. Le Dr C______ a été entendu en qualité de témoin. Après avoir été rendu attentif aux conséquences pénales du faux témoignage et avoir été délié du secret médical, le précité a déclaré avoir reçu A______, le 1er octobre 2021, aux urgences de l’Hôpital de la Tour, en l’absence du confrère qui la suivait. Lors de cette consultation, il avait constaté un état de détresse psychologique très important, – en raison d’évènements personnels cumulés à une surcharge professionnelle –, ainsi qu’un abus de somnifères et d’anxiolytiques. Il avait craint un geste auto-agressif. Il avait établi un certificat médical – le même jour – visant à la sortir de son milieu « toxique » et lui avait recommandé un psychiatre. Son impression avait été que la patiente n’était plus en mesure de gérer des aspects administratifs, même simples. Son état de santé l’empêchait de prendre en charge de quelque manière que ce soit ses propres affaires. Sur la base des indications de la patiente et de son état, il avait considéré que l’incapacité totale remontait à quelques jours. Il a également précisé que A______ était son amie depuis 2008, mais que leurs liens amicaux n’avaient eu aucune influence sur le regard de médecin qu’il avait porté sur l’état de santé de celle-ci.

c. Dans sa réplique du 9 juillet 2021, A______ persiste en substance dans les termes de son recours.

EN DROIT :

1.             Le recours est formé contre une décision du Chimiste cantonal, compétent pour poursuivre et sanctionner les infractions relatives à la législation sur les denrées alimentaires lorsqu'une amende jusqu'à CHF 20'000.- est envisagée (art. 15 al. 1 de la loi d'application de la législation fédérale sur les denrées alimentaires et les objets usuels [LaLDAI] – K 5 02). Les organes d'exécution du contrôle des denrées alimentaires ont la qualité de fonctionnaires de la police judiciaire (al. 2) et les art. 357ss du CPP sont applicables (al. 3).

La décision querellée est ainsi sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a cum 357 al. 1 CPP). Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits – faute de preuve, dans le dossier, de la notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – et émane de la contrevenante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

Partant, le recours est recevable.

2.             Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit, en fait et en opportunité (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes de la décision querellée auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-dessus.

Partant, le grief y relatif sera rejeté.

3.             La recourante fait grief au Chimiste cantonal de ne pas lui avoir restitué le délai d'opposition.

3.1.  Selon l'art. 94 al. 1 CPP, une partie peut demander la restitution d'un délai imparti pour accomplir un acte de procédure si elle a été empêchée de l'observer et si elle est de ce fait exposée à un préjudice important et irréparable. Elle doit toutefois rendre vraisemblable que le défaut n'est imputable à aucune faute de sa part.

La restitution de délai ne peut intervenir que lorsqu'un événement, par exemple une maladie ou un accident, met la partie objectivement ou subjectivement dans l'impossibilité d'agir par elle-même ou de charger une tierce personne d'agir en son nom dans le délai (arrêts du Tribunal fédéral 6B_401/2019 du 1er juillet 2019 consid. 2.3; 6B_365/2016 du 29 juillet 2016 consid. 2.1 et l'arrêt cité). Elle ne doit être accordée qu'en cas d'absence claire de faute (arrêt 6B_125/2011 du 7 juillet 2011 consid. 1).

Par empêchement non fautif, il faut comprendre toute circonstance qui aurait empêché une partie consciencieuse d’agir dans le délai fixé (ACPR/196/2014 du 8 avril 2014). Il s'agit non seulement de l’impossibilité objective, comme la force majeure, mais également l’impossibilité subjective due à des circonstances personnelles ou à l’erreur (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2019, n. 10 ad art. 94 CPP).

L'impossibilité subjective doit s'apprécier selon des critères objectifs, c'est-à-dire en fonction de ce qui peut raisonnablement être exigé d'un plaideur ou d'un mandataire diligent. En toutes hypothèses, il doit exister un lien de causalité entre le motif invoqué et l’empêchement (F. AUBRY GIRARDIN / J.-M. FRÉSARD / P. FERRARI / A. WURZBURGER / B. CORBOZ, Commentaire de la LTF, Berne 2014, n. 7 ad art. 50).

Il existe un « préjudice important et irréparable » lorsque le fait d’avoir manqué le délai empêche la partie de faire valoir ses droits et que cette inobservation l’empêche également de les faire valoir ultérieurement dans la procédure (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 94).

3.2. Aux termes de l’art. 94 al.3 CP, la demande de restitution n’a d’effet suspensif que si l’autorité compétente l’accorde.

3.3. En l'espèce, l'ordonnance pénale expédiée le 28 septembre 2021 est réputée avoir été notifiée le 7 octobre 2021 à la recourante, qui n’y a formé opposition que le 15 novembre 2021, alors que le délai est venu à échéance le 18 octobre 2021.

Il ressort du certificat médical établi par le Dr C______ le 1er octobre 2021, complété par le certificat du 11 mars 2021, que la recourante était non seulement incapable de travailler, mais également dans l’incapacité de s’occuper des tâches administratives, entre le 28 septembre 2021 et le 31 octobre 2021, soit durant tout le délai de garde postal légal et le délai pour former opposition.

Ce médecin, entendu en qualité de témoin – et dûment rendu attentif aux conséquences pénales du faux témoignage – par la Chambre administrative de la Cour de justice, a expliqué dans quelles circonstances il avait établi ces deux certificats médicaux. Délié du secret médical, il a confirmé que l’état de santé de la recourante empêchait celle-ci de s’occuper de quelque manière que ce soit de ses affaires. Le fait qu’elle ait prolongé le délai de garde postal le lendemain de la réception de l’avis de retrait – soit le 30 septembre 2021 – n’est pas de nature à modifier ce constat, la recourante ne s’étant rendue chez le médecin que le 1er octobre 2021. On peut donc considérer que, la veille, elle était encore en mesure de prolonger elle-même, sur internet, le délai de garde postal, ou de charger un tiers de le faire.

L’intimé semble remettre en question le témoignage du médecin, au motif que celui-ci est un ami de longue date de la recourante. Il n’existe toutefois aucun élément objectif permettant, nonobstant ce lien, de douter de la validité des certificats médicaux établis par le praticien, qui a remplacé, en urgence, le médecin traitant de la recourante.

On doit donc, avec la recourante, admettre qu’elle n’était, dans le délai d’opposition, soit du 7 au 18 octobre 2021, pas en état d’agir, ni de charger quiconque de le faire à sa place.

Dans ces circonstances, la recourante a rendu vraisemblable avoir été empêchée, sans sa faute, de former opposition à l’ordonnance pénale dans le délai légal.

Conformément aux principes sus-évoqués, l’empêchement d’observer le délai d’opposition constitue un préjudice important et irréparable au sens de l’art. 94 al. 1 CPP.

Partant, le délai pour former opposition à l’ordonnance pénale doit être restitué à la recourante, étant précisé que sa demande a été formée dans le délai et conformément aux réquisits de l’art. 94 al. 2 CPP.

4.             Fondé, le recours sera ainsi admis et l'ordonnance querellé, annulée. Le délai pour former opposition à l'ordonnance pénale du 28 septembre 2021 sera restitué à la recourante et la cause retournée au Chimiste cantonal pour qu'il traite ladite opposition.

5.             L’issue du recours rend la requête d’effet suspensif sans objet.

6.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

7.             La recourante, qui agit en personne, a requis l’octroi de « dépens » mais n’a pas allégué avoir dû exposer des frais de défense, de sorte qu’aucune indemnité ne lui sera allouée à ce titre (art. 429 al. 1 let. a CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et restitue à A______ le délai pour former opposition à l'ordonnance pénale du 28 septembre 2021.

Retourne la cause au Chimiste cantonal pour qu'il statue sur l'opposition.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à la recourante et au Chimiste cantonal.

Le communique, pour information, au Tribunal de police et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et
Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).