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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/25273/2018

ACPR/607/2021 du 21.09.2021 sur ONMMP/483/2021 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SOUPÇON
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25273/2018 ACPR/607/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 21 septembre 2021

Entre

A______, sans domicile connu, comparant par Me Laïla BATOU, avocate, Bolivar, de Morawitz, Batou, Bobillier, rue des Pâquis 35, 1201 Genève,

recourant

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 12 février 2021 par le Ministère public

et

B______, comparant par Me Alain BERGER, avocat, BRS Berger Recordon & de Saugy, boulevard des Philosophes 9, 1205 Genève,

C______, comparant par Me Alexandre CAMOLETTI, avocat, AMORUSO & CAMOLETTI, Rue Jean-Gabriel Eynard 6, 1205 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 1er mars 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 février 2021, notifiée sous pli simple, par laquelle le Procureur général a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits dénoncés dans sa plainte pénale du 17 décembre 2018, complétée le 11 février 2019, dirigée contre les policiers matricules 1______ et 2______ – qui s'avéreront être B______ et C______ –, pour abus d'autorité, lésions corporelles simples, menaces et faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques.

Le recourant conclut à l'annulation de cette ordonnance, au renvoi de la cause au Ministère public pour l'ouverture d'une instruction, sous suite de dépens, et à ce qu'il soit ordonné le dépôt d'images de vidéosurveillance et procédé aux auditions du Dr D______ et du commissaire E______.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, citoyen suisse domicilié à Genève, a été convoqué à la police, à la fois par oral (contact téléphonique) et par mandat de comparution, après qu'une plainte pénale eut été déposée contre lui le 5 décembre 2018, en fin de matinée. Selon le mandat de comparution, émis le jour de la plainte, il devait se présenter au poste F______ pour être auditionné en qualité de prévenu le 11 suivant, à 9h. Selon le rapport d'arrestation, il s'était, cependant, présenté ce jour-là à 14h.

b. Sur ces entrefaites, l'interprète en langue arabe, convoqué par la police, a été répudié par A______, au motif qu'il le connaissait. S'en sont suivies des discussions sur la langue qui pourrait être employée pour l'audition et/ou le report de celle-ci. Selon le procès-verbal, l'audition a commencé à 14h.15 et s'est terminée à 15h.20, et le prénommé, de langue maternelle arabe et parlant arabe et anglais, aurait déclaré n'avoir "pas besoin" de traducteur; il avait refusé de répondre à toute question et de signer la déclaration.

c. Dans l'intervalle, selon le journal des opérations de la police, E______, commissaire de service, avait été avisé à 14h.20 déjà – "conformément aux directives", selon le rapport d'arrestation rédigé par C______ (p. 4) –et avait ordonné à 15h. la mise à disposition de A______ au Ministère public. Au pied de l'ordre écrit qu'il a décerné se lit que cette décision fut formellement notifiée à A______ à 17h.52.

Selon un rapport d'intervention médicale, A______ a reçu, à 16h.35, l'injection d'un médicament qu'il prenait habituellement.

Le lendemain, il s'est vu notifier une ordonnance pénale le condamnant à 60 jours-amende à CHF 30.- le jour pour lésions corporelles simples, vol et menaces, puis a été libéré.

d. Le 17 décembre 2018, A______ a déposé plainte pénale contre les policiers matricules 1______ et 2______, qui s'avéreront être B______ et C______.

Il s'était présenté le 11 décembre 2018 à 14h. au poste de police F______. On avait refusé de lui donner les raisons de cette convocation. Un traducteur de langue arabe avait été mandaté et était sur place. Or, il le connaissait personnellement. En conséquence, il avait refusé ses services, tout comme l'intéressé. C______, n'ayant pas pu faire venir d'autre interprète, avait tenté de le forcer à subir l'interrogatoire en français, sous peine d'être placé "en garde à vue". Maîtrisant mal cette langue, il s'y était opposé et avait proposé en vain le report de l'audition. Jusqu'à ce qu'il apprenne être mis à la disposition du Ministère public, vers 15h., il n'avait été question que du problème de traduction, sans qu'aucune audition n'eût lieu.

Il avait ensuite été retenu au poste de police jusqu'à 22h., puis transféré en "prison" jusqu'au lendemain.

Il avait sollicité l'intervention d'un médecin, mais ce dernier ne disposait pas du médicament dont il avait besoin.

Le lendemain, à 15h., un procureur lui avait remis une décision [comprendre : l'ordonnance pénale, annexée au complément du 11 février 2019], au motif qu'il avait refusé de répondre aux questions posées lors de son interrogatoire, lequel pourtant n'avait jamais eu lieu. C'est en recevant cette décision qu'il avait appris le motif de sa convocation. Il n'avait pas été entendu par un procureur.

Des documents qu'il avait avec lui avaient été subtilisés, et il avait été menacé par les policiers. Depuis lors, il craignait pour sa sécurité, étant donné que ces derniers avaient accès à ses données privées et étaient en possession d'une arme.

Il reproche en outre aux deux policiers une privation de liberté arbitraire, qui avait duré plus de vingt-cinq heures.

e. Le 7 janvier 2019, le Procureur général a confié l'enquête à l'Inspection générale des services de police (ci-après : IGS).

f. Le 15 mai 2019, A______ a fait parvenir au Ministère public des observations du Département de la sécurité, de l'emploi et de la santé, du 8 avril 2019 [destinées à la Chambre administrative de la Cour de justice, par suite du recours qu'il avait formé contre la facture de l'intervention d'un médecin au poste de police]. Il en ressort qu'il a été placé en cellule au poste F______ à 15h.47, vu par un médecin à 16h.30, transféré à G______ à 21h.38 et placé aux violons à 21h.57, à disposition d'un procureur. Dans cette lettre, A______ réitère avoir été retenu par la police sans raison valable du 11 décembre 2018, 14h., au 12 décembre 2018, 15h. Les policiers lui avaient dit qu'ils agiraient avec lui comme "avec KASHOGGI dans le consulat à Istanbul".

g. Le 17 septembre 2019, A______ a envoyé une lettre au Procureur général pour lui faire part de son sentiment de détresse et des "nombreuses menaces de mort provenant de deux officiers de police". Il a demandé à ce que son adresse soit occultée des services de police et a mentionné être suivi par un médecin psychiatre.

h. Le 19 mars 2020, l'IGS a rendu un rapport circonstancié, pièces à l'appui, dont il ressort ce qui suit :

h.a. A______ devait être entendu par suite d'une plainte déposée le 5 précédent par son sous-locataire, qu'il aurait frappé et menacé et à qui il aurait volé une plaquette de boîte aux lettres. Il n'avait pas voulu du traducteur arabe requis, avait accepté d'être entendu en anglais, puis fait volte-face avant que ses droits lui fussent notifiés, car il ne voulait pas que son identité et des informations personnelles fussent portées au procès-verbal. Il avait refusé de collaborer et voulu quitter le poste, sans signer sa déposition ni les documents annexes. Le commissaire de service en avait été avisé et avait ordonné que A______ fût mis à la disposition du Ministère public.

h.b. Entendu avec le concours d'un interprète arabe, A______ a, en substance, réitéré ses accusations. C'était l'interprète requis qui, le premier, avait refusé d'effectuer la traduction, et c'était B______ [et non C______] qui avait menacé de l'arrêter s'il n'acceptait pas de s'exprimer en français. Il avait échangé en anglais avec C______, mais refusé de déposer dans cette langue, préférant sa langue maternelle. Sur quoi, C______ avait annoncé qu'il allait appeler un commissaire, avant de revenir lui dire qu'il était désormais arrêté. Il avait été placé "par la suite" dans une pièce, "avec une table ( ) une chaise [et] une ouverture" sur la porte, dans laquelle il avait été fouillé.

Au sujet de sa lettre au Procureur général, il a déclaré que, lors de son arrestation, il s'était couché par terre dans une pièce, que B______ avait ôté la semelle intérieure de sa chaussure et que, dès lors, il n'avait plus eu de stabilité. Il devait porter un corset en raison de problèmes avec sa colonne vertébrale. Or, B______ le lui avait également retiré, lui promettant le même sort que "KASHOGGI à Istanbul".

C______ l'avait menotté de manière trop serrée. Depuis lors, il avait des problèmes aux avant-bras.

A______ a confirmé qu'il déposait plainte contre les deux policiers susmentionnés.

Par ailleurs, il a fourni le résultat d'une échographie pratiquée le 12 septembre 2019, faisant état d'une neuropathie ulnaire au niveau du canal cubital des coudes, plus importante à gauche, et une instabilité avec luxation antérieure du nerf lors de la flexion maximale de l'articulation.

Il a détaillé quels étaient les documents retirés de la mallette qu'il avait avec lui au poste de police.

h.c. C______ a expliqué avoir convoqué par téléphone A______ pour l'entendre en qualité de prévenu, sans qu'il ne lui en eût donné les raisons, hormis qu'une plainte avait été déposée contre lui. Il était possible qu'il lui eût aussi envoyé un mandat de comparution. Il avait également convoqué un interprète de langue arabe. Sur place, A______ avait refusé les services de celui-ci, au motif qu'il le connaissait. Il lui avait proposé d'être entendu en anglais, langue dans laquelle ils avaient communiqué par téléphone. A______ avait accepté. Il n'avait jamais dit au précité n'avoir pas trouvé d'interprète en langue arabe.

Il l'avait conduit en salle d'audition. Au moment où, en anglais, il lui avait notifié ses droits et expliqué qu'une plainte pénale était dirigée contre lui, A______ avait refusé de se laisser interroger si son adresse ou d'autres informations personnelles étaient portées au procès-verbal. Il avait alors pris conseil auprès de B______, qui lui avait répondu d'exposer le cas au commissaire de service. Il ne se rappelait plus qui l'avait fait; toujours est-il que E______ avait ordonné que A______ fût mis à disposition du Ministère public. A______ avait ensuite été fouillé, sans que lui-même n'y participât, et avait pu conserver son corset. A______ avait une nouvelle fois refusé de répondre à ses questions, puis été examiné par le médecin, dans la mesure où il demandait des médicaments.

L'audition avait bien eu lieu, mais A______ ne voulait pas répondre aux questions posées. Il avait refusé de signer tout document qui lui était présenté.

C______ a déclaré ne pas se rappeler avoir procédé au menottage de A______ ni même savoir si l’intéressé avait été menotté; il n’avait pas souvenir que le prénommé se serait plaint du serrage des menottes.

h.d. L'IGS remarque cependant que A______ avait "sûrement" été menotté pour son transfert du poste de police F______ au H______ (rapport p. 18).

h.e. B______ a expliqué que C______, qui avait enregistré une plainte d'un sous-locataire de A______ pour avoir été agressé par celui-ci, était chargé d'auditionner le prévenu.

"À un moment donné", C______ était venu l'informer que A______ souhaitait quitter le poste de police. Il lui avait dit d'aviser le commissaire de service. C______ s'était exécuté, et le commissaire avait "délivré un mandat" contre A______.

C______ l'avait aussi informé que, parce que le prénommé récusait le traducteur présent, il s'était proposé de l'entendre en anglais, mais que, "cette fois", A______ refusait d'être auditionné.

Il avait, ce nonobstant, donné l'ordre à C______ de poser à A______ les questions prévues. Il avait ensuite entendu C______ poser des questions, formellement, en salle d'audition.

A______ avait refusé de signer tous les documents de la procédure. Lui-même s'était rendu dans la salle d'audition afin de discuter avec lui de la procédure d'arrestation. Il lui avait expliqué que la fouille était obligatoire. Le corset de A______ avait été examiné, puis restitué.

Il a démenti avoir déclaré à A______ qu'il serait arrêté, s'il ne s'exprimait pas en français, mais n'excluait pas lui avoir dit que son niveau de français était suffisamment bon pour être entendu dans cette langue. Il a également démenti l'avoir menacé ou injurié.

h.f.I______, gendarme au poste F______, a expliqué ne pas avoir pris part à l'audition de A______, mais avoir établi le formulaire de dépôt de l'intéressé. Il avait aperçu A______ en salle d'audition avec C______. Il n'avait pas entendu de menaces ou d'injure de la part de B______. Interrogé au sujet des pièces manquantes évoquées par A______, il a répondu que cela ne lui évoquait rien, mais que, si ces pièces n'étaient pas répertoriées, cela signifiait que A______ n'était pas en leur possession.

h.g. L'IGS a notamment joint à son rapport l'ordre de service réglant le recours aux interprètes et traducteurs. À teneur de ce document, un policier peut, dans les cas de peu de gravité (lesquels ne sont toutefois ni recensés ni illustrés), officier comme traducteur si tous les participants l'acceptent; leur accord doit être porté au procès-verbal.

i. Le 20 janvier 2021, A______ a envoyé au Procureur général une série de rapports d'échographies, d'IRM, d'infiltrations, d'arthrographie pratiqués par le Dr D______ entre le 18 décembre 2019 et le 22 juillet 2020, ainsi que des ordonnances pour l'ergothérapie des poignets datant des 10 janvier 2019, 29 septembre 2020 et 21 décembre 2020.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que les éléments constitutifs de l'abus d'autorité n'étaient pas réunis. A______, convoqué pour être entendu en qualité de prévenu, avait refusé les services de l'interprète présent. Conformément à l'ordre de service de la police, l'audition avait été menée, avec son accord, en anglais, à savoir une langue qu'il comprenait (art. 68 CPP). Informé de ses droits et des faits qui lui étaient reprochés (art. 107 et 158 CPP), il avait refusé de s'exprimer et de signer le procès-verbal, ce qui y avait été mentionné (art. 78 al. 5 CPP). Ces constatations étant avérées, il n'y avait pas lieu de retenir un faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques. De plus, les policiers étaient en droit de l'arrêter provisoirement, dans la mesure où il était soupçonné d'avoir commis un crime ou délit (art. 217 al. 2 CPP).

Le Procureur général souligne qu'à teneur des faits relatés, aucune lésion découlant de l'usage de menottes n'était établie par les documents médicaux produits par A______, de sorte que l'infraction de lésions corporelles simples devait être écartée.

Il retient également que A______ n'a été victime d'aucune menace de la part de B______ ou d'autres policiers.

D. a. Dans son acte de recours, A______ estime qu'il demeure, en l'état, un fort doute sur les circonstances dans lesquelles se serait déroulée sa "supposée" audition. Le procès-verbal ne mentionnait pas, contrairement à l'ordre de service topique, que C______ aurait fonctionné en qualité d'interprète en anglais avec son accord. Il aurait dès lors été interrogé en français, langue qu'il ne maîtrisait pas. La présence d'un (autre) interprète lui avait été refusée en violation de ses droits. Le Ministère public avait faussement retenu qu'il aurait accepté de déposer en anglais.

Une non-entrée en matière ne saurait être prononcée sans que les images de vidéosurveillance du poste F______ ne soient saisies et versées à la procédure. Ces images permettraient de démontrer qu'aucune audition n'a pu avoir lieu, dans la mesure où il était resté à la réception au poste [et non en salle d'audition] jusqu'à sa mise à disposition du Ministère public.

Son arrestation était constitutive d'abus d'autorité, étant donné qu'il n'avait pas été mis en situation de collaborer et de "s'exculper". Son refus de déposer et de coopérer n'était pas un motif de détention, au sens de l'art. 219 CPP. Il n'avait pas été entendu par le Ministère public, mais s'était vu remettre un avis de mise en liberté, le lendemain à 15h., ainsi qu'une ordonnance pénale. L'enquête préliminaire laissait ainsi supposer qu'il avait été placé en détention sans motif, du seul fait de sa "demande relative à la présence d'un interprète en langue arabe, soit à des fins de pression, d'intimidation voire de représailles pour avoir demandé le respect de ses droits". À tout le moins le Ministère public ne pouvait-il se passer d'entendre le commissaire E______ sur les motifs ayant justifié la décision de mise à disposition.

De plus, sa libération était survenue plus de 24 heures après son arrestation, car il s'était rendu au poste de police la veille à 14h.

Par ailleurs, il était impossible d'affirmer que les éléments constitutifs de l'art. 123 CP n'étaient pas réalisés, étant donné que de nombreux certificats médicaux attestaient de lésions à son poignet gauche. Bien que ces documents n'établissent pas, à ce stade, de lien direct avec l'utilisation de menottes – utilisation que l'IGS semblait admettre –, le Ministère public ne pouvait refuser d'entrer en matière, car ils créaient une présomption de causalité, que l'audition du Dr D______ permettrait vraisemblablement de confirmer ou d'infirmer.

Il en allait de même des griefs de menaces et de faux dans l'exercice de fonctions publiques.

b. Dans ses observations du 17 juin 2021, le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

S'agissant du déroulement de l'audition – à supposer que les faits se soient passés tels que relatés par A______ –, les éléments constitutifs d'un abus d'autorité n'étaient pas réalisés. Il était suffisamment établi que A______ avait refusé les services de l'interprète initialement prévu pour le seul motif qu'il le connaissait. Il ressortait des déclarations de C______ qu'il avait accepté d'être entendu en anglais, langue dans laquelle ils avaient communiqué. Selon B______, qui n'avait pas participé à l'audition, A______ parlait suffisamment bien le français pour être entendu dans cette langue; néanmoins C______ lui avait proposé de l'entendre en anglais. Que cette mention eût été omise sur le procès-verbal d'audition ne suffisait pas à remettre en cause l'existence même de l'audition. À cet égard, l'audition du commissaire E______ ne serait pas utile, dans la mesure où ses déclarations reposeraient uniquement sur celles des policiers, qui ont déjà été formellement entendus par l'IGS. Le recours aux images de vidéosurveillance n'était pas nécessaire, dans la mesure où les trois policiers interrogés par l'IGS ont situé A______ dans la salle d'audition en compagnie de C______.

Aucun abus d'autorité ne pouvait être reproché aux policiers concernant l'arrestation. Ceux-ci étaient en droit d'arrêter provisoirement A______, dans la mesure où il était soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit (art. 217 al. 2 CPP). Savoir si la mise à disposition du Ministère public était justifiée n'avait pas fait l'objet d'une motivation particulière dans la décision attaquée, car le grief était soulevé pour la première fois dans l'acte de recours. Les faits reprochés avaient pris place dans le cadre d'un conflit préexistant opposant depuis plusieurs mois le recourant à son sous-locataire et impliquaient l'existence d'un risque de réitération justifiant une éventuelle mise en détention. L'audition du commissaire E______ s'agissant des éventuels motifs de détention ayant justifié la mise à disposition du Ministère public n'était pas nécessaire, dès lors que ces motifs étaient suffisamment exposés dans le rapport d'arrestation et que les rapports conflictuels entre locataire et sous-locataire étaient voués à perdurer. En outre, A______ présentait des antécédents défavorables, pour avoir déjà été condamné du chef de menaces.

L'abus d'autorité en lien avec la durée de l'arrestation provisoire n'était pas réalisé. Selon le mandat de comparution, A______ a été convoqué au poste de police le 11 décembre 2018 à 9h. et mis à disposition du Ministère public le même jour à 15h. La durée totale maximale de sa privation de liberté, du 11 décembre 2018 à 9h. au 12 décembre 2018 à 15h., avait été de trente heures au maximum. Cette durée était conforme au droit, car elle ne dépassait pas la limite des 48 heures prévue à l'art. 224 CPP.

Au surplus, la durée maximale de la privation de liberté par la police, soit vingt-quatre heures, avait aussi été respectée, dans la mesure où il s'était écoulé au maximum sept heures entre l'heure de la convocation, soit 9h., et la fin de l'audition, aux environs de 16h. (art. 219 al. 4 CPP).

Aucun acte d'instruction n'était susceptible d'établir l'existence de lésions potentiellement liées à l'usage de menottes. Ce grief apparaissait peu crédible, dès lors qu'il avait été évoqué pour la première fois par A______ lors de son audition à l'IGS, près d'un an après les faits. En outre, les diverses pièces médicales produites ne soutenaient pas sa version. Il n'était pas possible d'établir de lien chronologique suffisant avec l'arrestation, en particulier s'agissant des pièces émanant du Dr D______ datant de plus d'un an après les faits; l'audition de ce médecin serait inutile. Pour le surplus, le rapport d'intervention du praticien ayant examiné A______ lors de son arrestation ne mentionnait aucune lésion ou plainte en rapport avec l'usage de menottes.

L'infraction de faux dans les titres commis dans l'exercice de fonctions publiques n'était pas réalisée, car le procès-verbal d'audition attestait uniquement du refus de répondre aux questions et de signer le document. Dans ces circonstances, l'omission de mentionner la langue dans laquelle l'audition avait été "tentée" (sic) ne suffisait pas à réaliser les éléments constitutifs de ladite infraction.

Partant, la version des faits de A______ n'était pas suffisamment plausible et les actes d'instruction proposés n'y changeraient rien. Il n'y avait pas lieu d'administrer des preuves sur des faits non pertinents, notoires, connus de l'autorité pénale ou déjà suffisamment prouvés (art. 139 al. 2 CPP).

c. C______ conclut au rejet du recours et à la confirmation de l'ordonnance querellée, avec suite de frais et dépens. Il conteste les faits exposés par A______, dont la version n'était pas crédible, fondée sur des allégations grotesques et des infractions inventées.

d. B______ conclut au rejet du recours et à la condamnation de A______ aux frais et dépens. Les éléments factuels et juridiques exposés dans l'ordonnance de non-entrée en matière ne laissaient aucune place au principe in dubio pro duriore, et les investigations complémentaires proposées par A______ n'étaient pas de nature à établir sa version des faits.

e. Dans sa réplique, A______ persiste dans ses conclusions et souligne que, conformément à la jurisprudence, le délai de vingt-quatre heures prévu à l'art. 219 al. 4 CPP concernait le temps écoulé entre l'arrestation et l'audition d'un prévenu par le ministère public, et non la mise à disposition de celui-ci. En l'occurrence, le moment de l'arrestation rétroagissait au moment de son arrivée au poste de police pour y être entendu, soit le 11 décembre 2018 à 14h. L'avis de mise en liberté avait été établi le 12 décembre 2018 à 15h., soit plus de vingt-quatre heures après son arrestation, de sorte que l'art. 219 al. 4 CPP avait été violé. Par ailleurs, il n'avait pas été entendu par le Ministère public.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance de non-entrée en matière sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

1.2. Le recourant dispose d'un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de l'ordonnance déférée (art. 382 al. 1 cum art. 115 al. 1CPP), les infractions dénoncées protégeant, d'une part, l'intégrité corporelle et la liberté, soit des intérêts individuels (art. 123 et 180 CP; ATF 139 IV 78 consid. 3.3.3 in fine et, arrêt du Tribunal fédéral 6B_1207/2013 du 14 mai 2014 consid. 3.1.2), et, d'autre part, les devoirs de fonctions et les devoirs professionnels, soit des intérêts collectifs et privés combinés (art. 312 et 317 CP; ATF 127 IV 209; arrêt du Tribunal fédéral 1B_40/2020 du 18 juin 2020 consid. 6.2).

2.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte pénale, alors que des doutes subsistaient quant aux circonstances dans lesquelles s'était déroulée son audition "supposée".

Selon l'art. 310 CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis (let. a). Le ministère public doit être certain que les faits ne sont pas punissables (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 p. 287 et les références citées). En d'autres termes, il doit être évident que les faits dénoncés ne tombent pas sous le coup de la loi pénale (ibid.).

Le principe "in dubio pro duriore" découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 19 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91; arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références). Il signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243; ATF 138 IV 86 consid. 4.1.2 p. 91; ATF 137 IV 285 consid. 2.5 p. 288; arrêts du Tribunal fédéral 6B_417/2017 du 10 janvier 2018 consid. 2.1.2; 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références). En cas de doute, il appartient donc au juge matériellement compétent de se prononcer (arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 20 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références).

Une non-entrée en matière vise aussi des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310; R. PFISTER-LIECHTI (éd.), La procédure pénale fédérale, Fondation pour la formation continue des juges suisses, Berne 2010, p. 62; DCPR/85/2011 du 27 avril 2011).

3.             Le recourant estime avoir été victime d'abus d'autorité. Il ne reprend toutefois pas ses accusations sur la disparition de documents personnels ou le refus d'une médication adéquate, qui ne seront dès lors pas abordées (art. 385 al. 1 let. a CPP).

3.1.       L'art. 312 CP réprime les membres d'une autorité et les fonctionnaires qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, ou dans le dessein de nuire à autrui, auront abusé des pouvoirs de leur charge.

Cette disposition protège, d'une part, l'intérêt de l'État à disposer de fonctionnaires loyaux qui utilisent les pouvoirs qui leur ont été conférés en ayant conscience de leur devoir et, d'autre part, l'intérêt des citoyens à ne pas être exposés à un déploiement de puissance étatique incontrôlé et arbitraire. L'incrimination pénale doit être interprétée restrictivement, compte tenu de la formule très générale qui définit l'acte litigieux. L'auteur n'abuse ainsi de son autorité que lorsqu'il use de manière illicite des pouvoirs qu'il détient de sa charge, c'est-à-dire lorsqu'il décide ou contraint en vertu de sa charge officielle dans un cas où il ne lui était pas permis de le faire. L'infraction peut aussi être réalisée lorsque l'auteur poursuit un but légitime, mais recourt pour l'atteindre à des moyens disproportionnés (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa et b et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1351/2017 du 18 avril 2018 consid. 4.2).

Du point de vue subjectif, l'infraction suppose un comportement intentionnel, au moins sous la forme du dol éventuel, ainsi qu'un dessein spécial, qui peut se présenter sous deux formes alternatives, soit le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou le dessein de nuire à autrui (arrêt du Tribunal fédéral 6B_699/2011 du 26 janvier 2012 consid. 1.1). Il faut admettre que l'auteur nuit à autrui dès qu'il utilise des moyens excessifs, même s'il poursuit un but légitime. Le motif pour lequel l'auteur agit est ainsi sans pertinence sur l'intention, mais a trait à l'examen de la culpabilité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_579/2015 du 7 septembre 2015 consid. 2.2.1 et 6B_699/2011 du 26 janvier 2012 consid. 1.3.3). La jurisprudence retient un dessein de nuire dès que l'auteur cause par dol ou dol éventuel un préjudice non négligeable (arrêts du Tribunal fédéral 6B_987/2015 du 7 mars 2016 consid. 2.6; 6B_831/2011 du 14 février 2012 consid. 1.4.2; 6S_885/2000 du 26 février 2002 consid. 4a/bb; ATF 99 IV 13).

3.2.       À teneur de l'art. 317 CP, les fonctionnaires et les officiers publics qui auront intentionnellement créé un titre faux, falsifié un titre, ou abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, les fonctionnaires et les officiers publics qui auront intentionnellement constaté faussement dans un titre un fait ayant une portée juridique, notamment en certifiant faussement l’authenticité d’une signature ou d’une marque à la main ou l’exactitude d’une copie, seront punis d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire. Un procès-verbal d'audition par la police est un titre, au sens de cette disposition (ATF 106 IV 372, consid.1).

3.3.       En l’espèce, à bien comprendre le recourant, le déroulement et les circonstances de sa "supposée" audition par les policiers mis en cause seraient constitutifs d'un abus d'autorité. Déterminer si et, dans l'affirmative, dans quelles circonstances eut lieu une audition du recourant – qui prétend qu'elle n'a jamais existé – ne peut être dissocié de la question de la nécessité ou non d'un interprète de langue arabe.

À cet égard, le fait que l'intimé C______ ait pris soin d'en convoquer un au préalable montre que ce policier avait compris que la langue de l'audition à venir pourrait poser problème, a fortiori si le recourant lui avait formellement demandé un interprète lors de contacts téléphoniques préalables. Le recourant affirme que, une fois répudiée la personne mandée, les intimés auraient refusé de différer son audition et voulu au contraire l'interroger immédiatement, en français. Son explication est d'autant plus plausible que l'intimé B______ a déclaré à l'IGS que, selon lui, le recourant maîtrisait suffisamment cette langue et qu'il le lui avait possiblement fait remarquer. De fait, le recourant prétend n'avoir "su" les raisons de sa convocation qu'en prenant connaissance de l'ordonnance pénale, laquelle est précisément rédigée en français.

Il est cependant constant que le recourant a refusé d'être entendu en français.

L'intimé C______ soutient avoir, alors, suggéré de conduire l'interrogatoire en anglais, parce que le recourant et lui avaient échangé dans cette langue avant le début de l'audition, voire déjà lors de contacts téléphoniques. De son côté, le recourant n'a semble-t-il jamais prétendu que le recours à l'anglais pût constituer un pis-aller pour l'audition proprement dite – et encore moins qu'il l'aurait expressément accepté –. L'intimé C______ le soutient cependant. Or, dans pareille hypothèse, le procès-verbal eût dû mentionner l'emploi de cette langue avec l'accord du recourant, ainsi que la transcription en français par le policier faisant fonction d'interprète. En effet (en considérant que les infractions dont le recourant devait répondre étaient de peu de gravité, au sens de l'ordre de service sur l'emploi d'interprètes et traducteurs, ce dont aucune des parties ne disconvient), l'intimé C______ ne pouvait pas se passer de l'accord de l'intéressé s'il entendait servir, lui, de traducteur, pas plus qu'il ne pouvait se dispenser de consigner cet accord au procès-verbal.

Or, il n'en a rien été.

La première page du procès-verbal tend à montrer qu'aucune traduction quelconque n'aurait été demandée par le recourant, ce qui suggère que les questions pourraient lui avoir été posées en français ou en anglais. Comme, par ailleurs, les intimés lui avaient fait comprendre qu'ils ne voulaient pas reporter son audition (ce qu'ils ne contestent pas, affirmant tous deux ne pas s'en rappeler), il est ainsi plausible, là encore, que le recourant ait refusé de répondre aux questions, rédigées en français, non traduites en arabe, puis refusé de signer le document qui les comportait, faute d'avoir obtenu le concours d'un (autre) interprète arabe ou accepté l'utilisation de l'anglais.

De ce qui précède, il suit la présomption d'une inobservation de l'ordre de service précité. Cette présomption ne saurait toutefois avoir atteint le seuil de gravité nécessaire pour ouvrir une instruction pénale du chef d'abus d'autorité.

C'est d'autant plus vrai que le refus de répondre manifesté par le recourant a été dûment inscrit en regard de chaque question posée et que ses refus répétés ou ses absences de réponse – qui étaient par ailleurs l'exercice d'un droit, vu la qualité en laquelle il comparaissait (art. 158 al. 1 let. b CPP) – ne lui ont porté aucun préjudice. À cet égard, et contrairement à ce qu'il semble insinuer dans ses plaintes, ce n'est pas l'exercice de ce droit qui fut sanctionné par l'ordonnance pénale, mais bien la réalisation des éléments constitutifs des infractions retenues dans cette décision, que le Ministère public a estimé établis par les autres pièces du dossier (cf. art. 352 al. 1 CPP).

3.4.       Pour les mêmes motifs, le procès-verbal litigieux ne représente pas non plus un faux commis dans l'exercice de fonctions publiques. Son contenu reflète la position prise par le recourant lors de l'audition. Celle-ci n'a, certes, rien apporté à la cause en raison de ses refus de coopérer, mais porter ceux-ci au procès-verbal ne revenait pas à affirmer fallacieusement qu'il aurait répondu autre chose que ce qui a été consigné. Dans ce sens, son audition n'a pas été "inexistante", comme il le prétend. Elle n'a simplement donné aucun résultat.

Cela étant, la précision, en première page du procès-verbal, selon laquelle le recourant n'avait "pas [eu] besoin d'un traducteur" reste erronée, puisque les intimés affirment que l'un d'eux aurait officié comme tel. Cette phrase apparaît de surcroît en contradiction avec la mention, quelques lignes plus haut, que le recourant parlait (uniquement) arabe et anglais. Dans ce sens, la rubrique selon laquelle il n'aurait pas eu "besoin" d'un interprète (arabe) auquel il avait droit semblerait davantage exprimer la conviction des intimés, en particulier de l'intimé B______ sur sa maîtrise suffisante du français, qu'une volonté de ceux-ci de tromper les destinataires du procès-verbal.

Peu importe, toutefois, dans la mesure où, comme on l'a vu, le recourant n'a – en réalité – fait aucune déclaration à sa charge (ni rien signé). On ne voit donc pas quelle portée juridique, préjudiciable à ses intérêts juridiquement protégés, revêtirait la phrase susmentionnée. L'ordonnance pénale constate que le recourant a refusé de s'exprimer, et le Ministère public n'en a tiré aucune conclusion contre lui, se bornant à relever qu'il n'avait fait qu'exercer son droit au silence.

Que la vaine énonciation des questions et réponses ait pu durer un peu plus d'une heure, à teneur du procès-verbal litigieux, ne change rien à ce qui précède.

Les faits étant suffisamment établis, le visionnement d'images de vidéo-surveillance, que l'IGS n'a pas versées au dossier, mais qui seraient, selon le recourant, aptes à démontrer qu'il n'avait pas quitté l'avant-poste et ne s'était pas trouvé en salle d'audition, n'amènerait pas de conclusion différente. Les trois policiers entendus par l'IGS ont affirmé qu'il avait été conduit en salle d'audition. À bien lire les affirmations du recourant à ce sujet, sa présence dans l'avant-poste n'aurait en réalité duré que le temps de la controverse sur la nécessité d'un interprète, puisqu'il avait été placé "par la suite" (déclaration à l'IGS p. 5) dans une pièce "avec une table ( ) une chaise [et] une ouverture" sur la porte, dans laquelle il avait été fouillé.

3.5. Le recourant allègue avoir été victime d’une "privation de liberté arbitraire", pour avoir été détenu à la police durant plus de vingt-cinq heures, reprenant le grief qu'il avait formulé dans sa plainte du 11 février 2019.

À cet égard, sa privation de liberté n'a pas pris effet, comme il le prétend sur le fondement d'une jurisprudence (ATF 137 IV 118 consid. 2.2 p. 121) non applicable en l'espèce, déjà à son arrivée au poste de police (14h.), ni non plus avec le début de son audition formelle (14h.15), mais avec l'ordre de mise à disposition du Ministère public, décerné par le commissaire de service (à 15h.).

Certes, le recourant a dirigé ses accusations contre les intimés, sans mettre en cause le commissaire E______, et l'ordonnance attaquée ne s'est pas prononcée sur ce point.

Il n'en reste pas moins que l'abus d'autorité est une infraction poursuivie d'office et que, dans la mesure où le recourant mettait clairement en cause, dès son complément de plainte, la durée de sa rétention à la police, l'enquête ne pouvait se limiter aux seuls policiers visés, mais devait s'intéresser à tous les participants présumés.

Pour ce qui concerne les intimés, on ne saurait leur reprocher d'avoir contacté l'officier compétent. Pareille démarche – qui n'entraînait pas par elle-même de privation de liberté et entrait dans leurs attributions – n'est pas constitutive d'un abus. Que le commissaire de service ait été avisé rapidement, soit 5 minutes déjà après l'heure du début de l'audition, tendrait à corroborer les explications de l'intimé C______, selon qui le recourant avait fini par accepter de déposer, mais s'était ravisé sitôt qu'il lui avait demandé les informations nécessaires à compléter la rubrique "Identité du prévenu" au procès-verbal. Cet appel rapide au commissaire fait écho à la déclaration de l'intimé B______, selon qui le prénommé était venu l'informer que le recourant "voulait partir" et qu'il avait alors conseillé à son collègue d'avertir le commissaire.

Or, la motivation de l'ordonnance attaquée ne s'accorde pas avec ces faits.

Il apparaîtrait, bien plutôt, que ce n'est pas le risque de réitération qui a conduit sur le moment les intimés à contacter E______, mais bien la controverse sur la langue à utiliser pour l'audition du recourant, ainsi que la volonté subséquente de celui-ci – selon les intimés eux-mêmes – de quitter le poste sans faire de déposition. On peut s'étonner qu'en dépit d'une telle manifestation de volonté, son audition ait été encore tentée pendant plus d'une heure, selon les indications horaires portées sur le procès-verbal du 11 décembre 2018.

Si le risque de réitération des infractions à l'origine de la convocation était patent, on ne voit pas pourquoi la police s'est contentée d'émettre un mandat de comparution pour une audition fixée six jours après le dépôt de la plainte, le recourant étant resté libre de ses mouvements dans l'intervalle. Dès lors que les faits visés dans la plainte n'ont pas été abordés le 11 décembre 2018, puisqu'aucune déclaration du recourant n'a pu être recueillie, on ne pourrait même pas conclure que ce sont les explications données par ce dernier au poste qui auraient dévoilé un risque subit de réitération.

Qui pis est, on ne s'explique pas comment, du point de vue des intimés qui semble partagé par le Procureur général, les faits reprochés ont pu être considérés, tout à la fois, comme suffisamment bénins pour permettre qu'un policier fît fonction de traducteur (au sens de l'ordre de service topique), mais, en revanche, comme suffisamment graves pour imposer une arrestation provisoire (au sens de l'art. 217 CPP). Cette acception différenciée de la notion de gravité ne semble pas avoir de fondement objectif et ne trouve pas d'appui factuel en l'état du dossier.

Dans son rapport d'arrestation, l'intimé C______ écrit que E______ avait été avisé "conformément aux directives". Or, la teneur de celles-ci n'est pas connue. On ignore aussi quelle a été la présentation des faits (possiblement par l'intimé C______, puisque l'intimé B______ lui avait conseillé de prendre langue avec le commissaire de service) à E______. Le dossier ne permet donc pas de comprendre sur quels fondements celui-ci a pris sa décision de mise à disposition du Ministère public.

Dans ces conditions, l'enquête ne peut être considérée comme complète sur les raisons pour lesquelles le recourant a été privé de sa liberté.

Demandée par le recourant, l’audition, à tout le moins, de E______ apparaît utile, si ce n'est indispensable. Il en va de même de l'apport au dossier de toute directive ou tout ordre de service applicables tant en ce qui concerne l'appel au commissaire de service que la "mise à disposition du Ministère public", si l'on veut pouvoir apprécier comme il se doit les motifs qui ont conduit – sur le moment, et non a posteriori – à la rétention du recourant dans les locaux de la police jusqu'à sa remise en liberté après la notification d'une ordonnance pénale.

Sur ce point, le recours est fondé.

4.             Le recourant déclare avoir été menotté de manière trop serrée et, depuis lors, souffrir de problèmes aux avant-bras. Les intimés ne s'en souviennent pas. L'IGS tient le menottage pour probable, sans autre explication.

4.1.       Se rend coupable de lésions corporelles simples celui qui, intentionnellement, aura fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé (art. 123 ch. 1 CP). Le comportement de l'auteur de l'infraction doit être la cause naturelle et adéquate des lésions corporelles simples subies par la victime (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3e éd., Berne 2010, n. 16 ad art. 123 CP).

4.2.       En l’espèce, le recourant a allégué – pour la première fois – lors de son audition par l’IGS avoir souffert de problèmes aux avant-bras. Par la même occasion, il a fourni une première échographie de ses coudes, datée du 12 septembre 2019. C'est neuf mois après le dépôt de sa première plainte pénale. Le résultat de l'échographie relève, certes, une neuropathie ulnaire au niveau du canal cubital des coudes, mais ne constate aucune lésion explicitement compatible avec l’usage de menottes ou explicable par toute autre forme de serrage mécanique ou de contention aux poignets. La brève anamnèse par le médecin qui a requis l'échographie évoque tout au plus une problématique "récente".

Il en est de même des divers documents médicaux – émis entre les 10 janvier 2019 et 21 décembre 2020 – au sujet de lésions au poignet gauche : aucun d’eux n’accrédite un lien de causalité entre ces lésions et l’usage inapproprié de menottes. À vrai dire, aucun ne fait même mention d'une telle possibilité.

Partant, la suspicion de lésions corporelles simples doit être écartée.

Comme, parmi les documents précités, deux ordonnances d'ergothérapie comportent une coche à la case "maladie", mais non à la case "accident", l’audition du Dr D______, auteur d'échographies et d'IRM, et comme tel non amené à poser un diagnostic, n'apparaît pas propre à modifier cette conclusion.

5.             Le recourant affirme sans plus ample argument que ses développements sur les infractions contre les devoirs de fonction et l'intégrité corporelle rendraient aussi plausible sa version sur les menaces qu'il aurait reçues des policiers.

5.1. Selon l’art. 180 al. 1 CP, celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

5.2. En l’espèce, le recourant a déclaré (déjà dans sa plainte) avoir été menacé d'arrestation s'il ne déposait pas en français et (dans sa lettre du 15 mai 2019, puis à l'IGS) de subir "le même sort que KASHOGGI au consulat d’Istanbul".

Les intimés le contestent. Le témoin I______ n'a rien entendu. L'interprète vainement requis avait déjà quitté les lieux.

Par conséquent, les seules allégations du recourant ne suffisent pas pour admettre une prévention de menaces, nonobstant la gravité des propos prêtés, et l'on ne voit pas quelle mesure d'instruction permettrait de les établir. Le recourant n'en suggère d’ailleurs aucune.

6.             Le recours s'avère ainsi partiellement fondé.

7.             Le recourant, qui a partiellement gain de cause, ne supportera pas les frais envers l'État.

8.             Les intimés, prévenus, qui ont conclu au rejet pur et simple des conclusions prises par le recourant, n'ont pas droit à une indemnisation pour leurs frais de défense.

9.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le conseil d'office du recourant (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet partiellement le recours et annule l'ordonnance attaquée.

Renvoie la procédure au Ministère public pour qu'il complète l'instruction sur les circonstances et les raisons pour lesquelles A______ a été mis à disposition du Ministère public le 11 décembre 2018 à 15h., et pour qu'il rende une nouvelle décision sur ce point.

Rejette le recours pour le surplus.

Laisse les frais de l'instance à la charge de l'État.

Invite les Services financiers à restituer à A______ les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux parties (soit, pour elles, leurs conseils respectifs) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ, Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).