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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/36/2022

ACPR/500/2022 du 26.07.2022 ( PSPECI ) , REJETE

Descripteurs : EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES;TRAVAIL D'INTÉRÊT GÉNÉRAL;CONCORDAT(TRAITÉ ENTRE CANTONS);FRANCE
Normes : CP.79a; RTIG

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/36/2022 ACPR/500/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 26 juillet 2022

Entre

A______, domicilié ______, France, comparant par Me Laurine ROCHAT, avocate, ZARB Avocats, rue du Conseil-Général 11, 1205 Genève,

recourant,

contre la décision rendue le 30 mai 2022 par le Service de l'application des peines et mesures,

et

LE SERVICE DE L'APPLICATION DES PEINES ET MESURES, route des Acacias 82, case postale 1629, 1211 Genève 26,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 7 juin 2022, A______ recourt contre la décision du 30 mai 2022, notifiée le lendemain, par laquelle Service de l'application des peines et mesures (ci-après : SAPEM) a refusé l'exécution de sa peine privative de liberté sous la forme d'un travail d'intérêt général (ci-après : TIG).

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de la décision querellée et à pouvoir exécuter sa "condamnation" sous la forme d'un TIG.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Par arrêt du 15 décembre 2020 (AARP/415/2020), en force, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice a déclaré A______ coupable d'abus de confiance, d'escroquerie par métier, de faux dans les titres et de blanchiment d'argent et l'a condamné à une peine privative de liberté de 30 mois, dont six mois sans sursis, le solde étant assorti du sursis avec un délai d'épreuve de trois ans.

S'agissant de sa situation personnelle, cet arrêt retient que A______, de nationalité française, est né le ______ 1949. Il était marié et père de trois enfants majeurs. Il avait travaillé comme indépendant dans le domaine financier et immobilier et avait pris sa retraite en 2010, continuant à faire du conseil pour certains anciens clients, avant de cesser toute activité professionnelle en septembre 2014. Il disposait d'une retraite annuelle de EUR 7'000.-, à laquelle s'ajoutaient des revenus de biens immobiliers d'environ EUR 25'000.- par an. Il vivait dans une maison en France qui appartenait à ses enfants. Il estimait sa fortune brute à environ EUR 5'000'000.-, composée notamment d'œuvres d'art et de biens mobiliers en indivision, tout comme de parts dans une société immobilière. Son épouse avait hérité en 1990 d'environ EUR 4'000'000.-. Il alléguait des dettes pour EUR 3'300'000.-. Depuis 2017, il avait entrepris une thérapie dans son pays, à raison d'une séance tous les quinze jours. Il avait été impliqué dans une procédure pénale économique en France, qui s'était terminée en 1994. Selon ses déclarations, il avait bénéficié d'une amnistie présidentielle. L'extrait de son casier judiciaire suisse ne faisait mention d'aucune condamnation (cf. arrêt précité, let. D.a. p. 26 s.).

b. Le 31 août 2021, le SAPEM a transmis à A______, par l'intermédiaire de son conseil, un formulaire intitulé "Demande d'exécuter une ou plusieurs condamnation(s) sous forme alternative d'exécution de peine". Selon ce formulaire, les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier d'un TIG étaient : (i) devoir exécuter une peine ou un solde de peine de maximum 6 mois ; (ii) pas d'expulsion judiciaire ; (iii) autoriser la communication de l'infraction à l'organisme où le travail sera effectué ; et (iv) être au bénéfice d'une assurance accident.

c. A______ a retourné ce formulaire rempli le 5 octobre 2021, tout en demandant, à titre principal, à pouvoir purger sa peine en France sous forme de TIG ou d'une surveillance électronique, afin de ne pas être éloigné de sa famille et de faciliter sa réinsertion. Si cette demande devait être rejetée, il souhaitait pouvoir exécuter sa peine sous forme de TIG. Il était âgé de 72 ans et bénéficiait d'une parfaite santé, sans maladie ni traitement. Il avait la conviction que l'exécution de sa peine sous la forme d'un TIG prenait plus de sens sur le plan moral et éthique qu'une "période d'oisiveté" sous bracelet électronique ou un "enfermement à caractère uniquement punitif". Pouvoir se rendre utile à la communauté l'aiderait dans son parcours de reconstruction et servirait sa réinsertion. En cas d'éligibilité, il pourrait produire une attestation de mise à disposition d'un logement à Genève ainsi qu'un certificat médical d'aptitude. Il se tenait à disposition pour se présenter à toute convocation qui lui serait adressée.

d. Le 14 octobre 2021, le SAPEM a répondu que l'Office fédéral de la justice n'entrait pas en matière pour le transfèrement à l'étranger de peines aussi courtes que celle de A______ car le temps de traitement était plus long que celui de l'exécution de la peine. Il allait dès lors traiter la demande de TIG sur le territoire genevois.

C. Dans sa décision querellée, prise notamment sur la base de l'art. 8 du Règlement sur l'exécution des peines sous la forme du travail d'intérêt général (RTIG ; E 4 55.09), le SAPEM retient que A______ n'est titulaire d'aucune autorisation de séjour ou de travail sur le territoire suisse. Sa situation administrative était ainsi incompatible avec l'exécution de sa peine sous forme de TIG.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient qu'à la suite de l'ATF 145 IV 10, le Conseil d'État genevois avait supprimé l'art. 6 let. d RTIG, qui posait l'exigence d'un permis de séjour en Suisse pour accéder au TIG. Pourtant, l'art. 8 al. 2 RTIG prévoyait toujours que la personne condamnée devait remettre au SAPEM une attestation de son droit de séjour en Suisse. Cette disposition introduisait une condition cantonale plus stricte que celles posées par le droit fédéral à l'art. 79a CP, ce qui n'était pas admissible. Par ailleurs, il remplissait toutes les autres conditions nécessaires à l'exécution de sa peine sous forme de TIG. En particulier, il ne présentait pas de risque de fuite et avait même annoncé au SAPEM qu'il donnerait suite à toute convocation. Il n'y avait pas non plus de risque de réitération ; il était désormais à la retraite et n'avait plus aucune activité professionnelle. Par ailleurs, il avait noué des amitiés à Genève, et parmi ses contacts figurait une personne disposée à l'accueillir le temps de l'exécution de sa peine.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision rendue par le SAPEM, dans une matière pour laquelle il est compétent (art. 40 al. 1 et 5 al. 2 let. e de la Loi d'application du code pénal suisse du 27 août 2009 [LaCP ; E 4 10]), sujette à recours auprès de la chambre de céans (art. 42 al. 1 LaCP et 52 al. 2 du Règlement sur les formes alternatives d'exécution des peines du 13 décembre 2017 [RFAEP ; E 4 55.13]), les art. 379 à 397 CPP s'appliquant par analogie (art. 42 al. 2 LaCP), et émaner du condamné visé par la décision querellée, qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision entreprise (art. 382 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant fait grief au SAPEM d'avoir refusé l'exécution de sa peine sous forme de TIG.

3.1.       Selon l'art. 79a al. 1 CP, s'il n'y a pas lieu de craindre que le condamné s'enfuie ou commette d'autres infractions, les peines suivantes peuvent, à sa demande, être exécutées sous la forme d'un travail d'intérêt général : une peine privative de liberté de six mois au plus (let. a) ; un solde de peine de six mois au plus après imputation de la détention avant jugement (let. b) ; une peine pécuniaire ou une amende (let. c). Le travail d'intérêt général doit être accompli au profit d'institutions sociales, d'œuvres d’utilité publique ou de personnes dans le besoin. Il n’est pas rémunéré (art. 79a al. 3 CP).

Cette disposition a été introduite avec la réforme du droit des sanctions, entrée en vigueur le 1er janvier 2018 (RO 2016 1249). Auparavant, le TIG n'était pas un mode d'exécution de la peine, mais un type de peine en soi (cf. art. 37 ss aCP). La modification a eu pour conséquence que c'est désormais l'autorité d'exécution, et non plus le juge du fond, qui est compétente pour accorder le TIG (art. 375 CP ; cf. Y. JEANNERET, La réforme de la réforme du droit des sanctions : la peine à la peine?, RPS 133/2015 345 ss, p. 354). Le Message du Conseil fédéral précise que, pour le reste, le TIG reste régi par les mêmes règles que sous l'ancien droit (Message du 4 avril 2012 relatif à la modification du CP et du CPM [réforme du droit des sanctions], FF 2012 4410, ch. 1.4.4 p. 4402).

3.2.       Avant la réforme du droit des sanctions, la jurisprudence retenait que le TIG était une sanction axée sur la prévention individuelle dans une perspective sociale constructive. Il tendait à la privation de loisirs en tenant compte de l'expiation et de la réparation. Le TIG n'était pas une sanction réservée exclusivement aux personnes exerçant une activité lucrative. Contrairement à d'autres ordres juridiques, la loi ne prévoyait pas de motif d'exclusion de certaines catégories d'auteurs déterminées. La peine de travail concernait ainsi toutes les catégories de condamnés pour autant que les conditions en soient réalisées et qu'elle apparaisse adéquate. Le prononcé d'un TIG n'était cependant justifié qu'autant que l'on puisse au moins prévoir que l'intéressé pourrait, cas échéant après l'exécution, poursuivre son évolution en Suisse. Car la réparation en faveur de la collectivité locale ainsi que le maintien du réseau social de l'intéressé étaient l'essence même de la peine de travail. Lorsqu'il était d'avance exclu que l'étranger demeure en Suisse, ce but ne pouvait être atteint. Aussi, lorsqu'il n'existait déjà au moment du jugement, aucun droit de demeurer en Suisse ou lorsqu'il était établi qu'une décision définitive avait été rendue sur son statut en droit des étrangers et qu'il devait quitter la Suisse, le TIG ne constituait pas une sanction adéquate. Il était exclu (ATF 134 IV 97 consid. 6.3.2 et 6.3.3.4 ; 134 IV 60 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_541/2007 du 13 mai 2008 consid. 4.2 et 4.2.4).

En application de ces principes, le Tribunal fédéral a considéré que, lorsque le condamné était au bénéfice du régime de l'admission provisoire (permis F), un TIG pouvait quand même entrer en considération car, si la situation de l'intéressé demeurait précaire, on ne pouvait sur cette seule base exclure une certaine durabilité de sa présence dans le pays (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_128/2011 du 14 juin 2011 consid. 3.5.3 ; 6B_787/2014 du 27 novembre 2014 consid. 1.3.2). En revanche, le TIG a été refusé lorsque la demande d'asile du condamné avait été définitivement rejetée et son renvoi de Suisse prononcé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_819/2008 du 26 décembre 2008 consid. 2.3), lorsque son permis B, échu depuis des années, n'avait jamais été renouvelé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_822/2013 du 20 octobre 2014 consid. 1.3) ou lorsque le condamné, renvoyé de Suisse et se trouvant à l'étranger, avait pour projet de se marier avec sa compagne de nationalité suisse, sans toutefois qu'on puisse retenir de perspective concrète de demeurer en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 6B_546/2008 du 27 novembre 2008 consid. 3.3).

3.3.       Au niveau intercantonal, la Conférence latine des chefs des départements de justice et police (ci-après : CLDJP) a adopté, le 10 avril 2006, le Concordat sur l'exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes dans les cantons latins (ci-après : le Concordat), dont le champ d'application a été élargi à l'exécution du TIG.

La CLDJP a, par ailleurs, adopté, le 30 mars 2017, le Règlement sur l'exécution des peines sous la forme du travail d'intérêt général (Règlement sur le TIG).

À Genève, le Règlement sur le TIG de la CLDJP a été repris au sein du RTIG.

Selon l'art. 6 RTIG – qui correspond à l'art. 6 du Règlement sur le TIG –, les conditions suivantes doivent être remplies pour bénéficier du TIG : une demande de la personne condamnée (let. a) ; pas de crainte qu'elle ne s’enfuie (let. b) ; pas de crainte qu'elle ne commette d'autres infractions (let. c) ; pas d'expulsion en vertu des articles 66a et 66abis CP (let. e) ; l'autorisation de la personne condamnée de communiquer à l'employeur l'infraction qui a conduit à la sanction (let. f) ; et des garanties quant au respect des conditions-cadre posées par l'autorité d'exécution et par l'entreprise d'engagement (let. g).

L'art. 6 let. d RTIG a été supprimé le 4 avril 2019. Auparavant, il prévoyait que le condamné devait être au bénéfice d'une autorisation de séjour en Suisse.

3.4.       Cette modification fait suite à un arrêt du 29 janvier 2019, entretemps publié à l'ATF 145 IV 10, dans lequel le Tribunal fédéral a jugé que la condition d'une autorisation de séjour en Suisse, alors contenue à l'art. 5 let. d du Règlement genevois sur l'exécution des peines sous la forme de la semi-détention (RSD ; E 4 55.07) – comme dans le Règlement correspondant édicté par la CLDJP –, posait une exigence supplémentaire par rapport au droit fédéral, qui réglait exhaustivement la question.

Cet arrêt relève qu'au cours des travaux parlementaires ayant mené à la dernière réforme du droit des sanctions, le rapporteur de la commission des affaires juridiques du Conseil des États avait rappelé que les art. 77b (semi-détention), 79a (TIG) et 79b (surveillance électronique) CP réglaient les trois formes d'exécution alternatives à la simple privation de liberté, ces trois dispositions devant régler les conditions de ces modes d'exécution de la peine de manière uniforme et selon une même structure (cf. BO 2014 CE 642). Avec la réforme du droit des sanctions, le législateur entendait ainsi harmoniser les conditions d'octroi du régime de la semi-détention avec celles prévalant pour le TIG et la surveillance électronique et, par conséquent, régler exhaustivement les critères d'octroi de la semi-détention, sans laisser de place à des conditions plus restrictives de la part des cantons. Une telle interprétation est d'ailleurs confirmée par l'adoption de l'art. 372 al. 3 CP, selon lequel les cantons garantissent l'exécution uniforme des sanctions. À l'appui de son projet relatif à cette disposition, le Conseil fédéral indiquait expressément que s'il devait appartenir aux cantons de fixer les limites de l'uniformité dans l'exécution postulée, il fallait néanmoins que les principes matériels définis par le droit supérieur – notamment le droit fédéral – soient appliqués de manière uniforme (ATF 145 IV 10 consid. 2.3).

Dès lors, aucun règlement cantonal ou intercantonal ne peut subordonner l'octroi du régime de la semi-détention à la jouissance, par le condamné, d'une autorisation de séjour en Suisse, car une telle condition ne ressort pas de l'art. 77b CP. Les autorités d'exécution peuvent tout au plus tenir compte de l'absence d'une autorisation de séjour en Suisse dans l'appréciation du risque de fuite, mais ne sauraient, si les conditions prévues à l'art. 77b CP sont réunies, refuser au condamné le régime de la semi-détention pour ce seul motif. En l'espèce, le recourant était domicilié en France mais travaillait en Suisse, au bénéfice d'une autorisation frontalière (permis G). Tout en renvoyant la cause à la Chambre de céans, le Tribunal fédéral a néanmoins relevé qu'il était concevable qu'un condamné dans cette situation puisse ne pas présenter de risque de fuite d'une certaine importance au sens de la jurisprudence (cf. ATF 145 IV 10 consid. 2.4).

3.5.       Bien que cet arrêt concernait la semi-détention (art. 77b CP), il contient, on l'a vu, des développements qui touchent directement au TIG (art. 79a CP) ou, à tout le moins, qui se laissent aisément transposer à cette forme particulière d'exécution de peine. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la CLDJP et, à sa suite, le Conseil d'État genevois ont, par décision du 4 avril 2019, décidé d'abroger la condition du permis de séjour non seulement dans leurs règlements relatifs à la semi-détention (dont l'art. 5 let. d RSD, litigieux dans l'ATF 145 IV 10), mais aussi dans leurs règlements sur les deux autres formes alternatives d'exécution des peines que sont la surveillance électronique et, pour ce qui nous intéresse ici, le TIG, avec la suppression de l'art. 6 let. d RTIG.

Cependant, on note que d'autres dispositions cantonales font encore référence à la condition du permis de séjour. Ainsi, selon l'art. 8 RTIG, qui fait partie du Chapitre III (procédure), la personne condamnée doit fournir, sur requête de l'autorité d'exécution, tous documents et toutes informations utiles à l'appui de sa demande (al. 1). En particulier, la personne condamnée de nationalité étrangère remet une attestation de son droit de séjour en Suisse (al. 2). Une condition similaire figure à l'art. 18 let. b RFAEP, qui prévoit que le formulaire de demande de TIG doit être accompagné, pour les personnes étrangères, d'une autorisation de séjour en Suisse.

3.6.       À Genève, l'ATF 145 IV 10 a suscité passablement de réactions au niveau politique. Ainsi, le 30 avril 2021, une proposition de motion, intitulée "pour l'évaluation du recours au travail d'intérêt général (TIG), et pour l'augmentation de la proportion des sanctions exécutées sous cette forme", a été présentée au Grand Conseil par un groupe de députés (cf. M 27256). Elle invitait notamment le Conseil d'État à intervenir auprès de la CLDJP pour supprimer les conditions réglementaires intercantonales d'accès au TIG qui n'étaient pas imposées par le droit fédéral et à modifier le RTIG dans la même mesure. Déplorant le faible recours au TIG à Genève en comparaison avec d'autres cantons, la motion retenait ce qui suit (p. 5 s.) :

"il est relativement clair que le TIG est essentiellement accessible aux personnes qui disposent d'un lieu de résidence stable à Genève. Dès lors, parmi les possibilités pour augmenter le nombre de sanctions effectuées sous la forme de TIG dans notre canton, on pourrait envisager la création d'un foyer, qui offrirait un lieu de résidence provisoire aux personnes condamnées.

La question de l’accès au TIG pour les étrangers sans domicile à Genève se pose également sous l'angle de la formulation du règlement RTIG. En effet, suite à l'adoption par le Tribunal fédéral de l'arrêt ATF 145 IV 10, du 29 janvier 2019, le Conseil d'État a supprimé l'art. 6 lit. d RTIG, qui posait l'exigence de la titularité d'un permis de séjour en Suisse pour accéder aux TIG. Pour rappel, le Tribunal fédéral avait condamné la pratique genevoise d'exclure les étrangers, en soulignant que les TIG étaient intégralement réglés par le droit pénal fédéral, qui n'impose nullement la titularité d'un permis de séjour.

Pourtant, le RTIG prévoit encore deux dispositions qui sont des freins très importants à l'accès au TIG pour les étrangers : l'art. 6 lit. e, qui exclut les condamnés qui font l'objet d'une mesure d'expulsion pénale, et l’art. 8 al. 2 qui impose à la personne de nationalité étrangère de remettre au SAPEM une attestation de son droit au séjour en Suisse. Il nous semble que ces deux dispositions introduisent des restrictions cantonales (voire intercantonales, puisqu'elles sont reprises du [Règlement sur le TIG]) plus strictes que celles posées par le droit fédéral, qui ne sont donc pas admissibles."

Cette proposition de motion a été renvoyée sans débat à la commission judiciaire et de la police (MGC [en ligne], Séance du jeudi 20 mai 2021 à 17h, 2e législature - 4e année - 1re session - 1re séance, disponible sur https://ge.ch/grandconseil/memorial/
seances/020401/1/ [consulté le 11 juillet 2022])

Auparavant, soit le 7 juin 2019, le Grand Conseil avait adressé au Conseil d'État une question écrite urgente (QUE 1100-A), lui demandant notamment s'il était exact que les ressortissants français qui pouvaient obtenir une autorisation de travailler en Suisse n'étaient pas admis à purger leurs peines sous la forme de travail d'intérêt général et, le cas échéant, pour quel motif. Dans sa réponse du 30 août suivant, le Conseil d'État a dit qu'il n'était pas exact de considérer que les ressortissants français – au même titre que toutes les personnes de nationalité étrangère – ne pouvaient exécuter une peine sous la forme d'un TIG, a fortiori lorsque ces personnes pouvaient bénéficier d'une autorisation de travailler en Suisse. En effet, les conditions d'octroi du TIG n'étaient pas directement liées à la nationalité d'une personne, mais étaient régies par l'art. 79a CP et le Règlement sur le TIG, plus particulièrement son art. 6, dont la dernière modification datait du 4 avril 2019 (MGC [en ligne], séance du vendredi 30 août 2019 à 14h15, 2e législature - 2e année - 3e session - 15e séance, disponible sur https://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/
020203/15/ [consulté le 11 juillet 2022]).

3.7.       En doctrine, la plupart des auteurs continuent à exiger que le condamné de nationalité étrangère qui demande à pouvoir exécuter sa peine sous forme de TIG soit au bénéfice d'une autorisation de séjourner en Suisse. Les raisons invoquées sont généralement liées à la nécessité de pouvoir maintenir le réseau social de l'intéressé (W. WOHLERS, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Handkommentar, 4e éd., Berne 2020, n. 2 ad art. 79a ; M. NIGGLI/H. WIPRÄCHTIGER [éds], Basler Kommentar, Strafrecht I, 4e éd., Bâle 2019, n. 28 ad art. 79b ; plus sceptiques : G. STRATENWERTH/F. BOMMER, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil II: Strafen und Massnahmen, 3e éd., Berne 2020, § 3 N 58, p. 92). En effet, le TIG n'entraîne généralement pas de désocialisation du condamné, qui continue à vivre chez lui, avec ses proches, et reste en contact avec son cercle de connaissances, ce qui permet d'écarter l'effet de stigmatisation et de favoriser la réinsertion par le maintien des liens sociaux (P. PALAYATHAN, La peine de travail d'intérêt général, in A. Kuhn et al. [éds], La nouvelle partie générale du Code pénal suisse, Berne 2006, p. 186). D'autres auteurs invoquent des raisons plus pratiques, en ce sens que le TIG serait difficilement envisageable pour les auteurs domiciliés à l'étranger, qu'on voit mal accomplir régulièrement de nombreuses heures de déplacement pour se rendre en Suisse, à l'exception peut-être des régions frontalières (Y. JEANNERET, Les peines selon le nouveau Code pénal, in: R. Pfister-Liechti [éd.], Partie générale du Code pénal, Berne, 2007, 35 ss, p. 54 ; plus nuancé : J. RIBORDY, Le travail d'intérêt général : une peine en sursis ? thèse Lausanne 2014, p. 184).

3.8.       On peut enfin noter que, selon les résultats d'une enquête menée en 2021 par le Service de l'exécution des sanctions pénales et de la probation du canton de Fribourg (SESPP), la grande majorité des cantons continue à tenir compte de l'existence d'un titre de séjour valable au moment d'octroyer un TIG, dont plus de la moitié des cantons latins. Lorsque le séjour de l'intéressé en Suisse est seulement toléré par les autorités migratoires (parce que la mise en œuvre de l'expulsion est impossible), la moitié des cantons n'entre pas en matière ; quant aux autres, ils prennent la demande en considération, cas échéant en demandant son accord à l'autorité des migrations. Enfin, les ¾ des cantons entrent en matière sur les demandes provenant des personnes au bénéfice d'un permis de frontalier (cf. 2021 Swiss TIG Survey, p. 7 [questions 36, 37 et 38], disponible sur https://www.fr.ch/sites/default/files/2022-06/2021swisstigsurveyrapportfinalfrpdf_4.pdf [consulté le 11 juillet 2022]).

3.9.       En l'espèce, le SAPEM s'est fondé, pour rendre la décision querellée, sur la situation administrative du recourant, en particulier sur le fait qu'il n'était titulaire d'aucune autorisation de séjour ou de travail sur le territoire suisse. Ce faisant, l'autorité d'exécution paraît avoir refusé le bénéfice du TIG sur la base d'une condition qui ne ressort pas du droit fédéral, mais du droit cantonal et intercantonal, en l'occurrence les art. 8 al. 2 RTIG et 18 let. b RFAEP, qui exigent toujours que le condamné étranger fournisse une attestation de séjour en Suisse. Ces dispositions ne sont que des scories de l'ancien art. 6 let. d RTIG et ne sauraient, sous peine de violer la primauté du droit fédéral et la solution mise en place dans l'ATF 145 IV 10, avoir de portée propre. Une telle interprétation semble d'ailleurs partagée par le Conseil d'État lui-même, pour qui l'octroi du TIG n'est pas directement lié à la nationalité ou au permis du condamné, mais dépend seulement des conditions prévues par les art. 79a CP et 6 RTIG (cf. consid. 3.6. supra). Dès lors, le SAPEM ne pouvait refuser l'exécution de la peine du recourant sous forme de TIG au seul motif que ce dernier n'était pas titulaire d'une autorisation de séjour ou de travail.

Cela étant, il reste que, pour qu'une peine puisse être exécutée sous forme de TIG, il doit être prévisible que l'intéressé puisse, cas échéant après l'exécution de la sanction, poursuivre son évolution en Suisse, en maintenant ses liens sociaux et/ou professionnels avec ce pays. C'est ici la raison d'être du TIG, qui ressort de la jurisprudence rendue en application de l'ancien droit des sanctions (cf. consid. 3.2. supra), laquelle conserve sa pertinence dans le cadre de l'art. 79a CP (cf. consid. 3.1. supra) et ne relève non pas du droit cantonal ou intercantonal, mais fédéral.

Or, il est constant que le recourant, de nationalité française, ne vit pas en Suisse, mais à B______ (C______[département français]), à près de 600 km de Genève, dans une maison appartenant à ses enfants. S'il a certes travaillé en Suisse par le passé, il a toutefois pris sa retraite en 2014. Depuis 2017, il suit une thérapie en France, à raison d'une séance tous les quinze jours. Le centre de sa vie sociale et affective paraît dès lors se situer en France, ce que le recourant admet lui-même puisqu'il a d'abord demandé au SAPEM à pouvoir exécuter sa peine dans ce pays, afin de pas être éloigné de sa famille et de faciliter sa réinsertion. Le seul lien qu'il allègue encore avec la Suisse est la présence d'amis (ou de contacts) à Genève, dont un serait apparemment disposé à l'accueillir le temps de l'exécution de sa peine sous forme de TIG. Cet élément ne permet pas de retenir que, à l'issue de l'exécution de sa peine, le recourant entendrait poursuivre son évolution en Suisse et demeurer dans ce pays, au contraire : il semble que le séjour projeté à Genève ne se prolongera pas au-delà du temps nécessaire à l'exécution de sa peine, le recourant entendant regagner son domicile en France une fois sa prestation de travail accomplie.

Dans ces conditions, il n'apparaît pas qu'il puisse exécuter sa peine privative de liberté sous forme de TIG, faute de perspective de séjour stable et durable en Suisse. On peut du reste relever que, sous l'angle du risque de fuite, la situation personnelle du recourant, qui ne dispose que de très peu d'attaches avec la Suisse, est fondamentalement différente de celle à la base de l'ATF 145 IV 10, dans lequel l'intéressé était certes domicilié en France, mais travaillait en Suisse, au bénéfice d'une autorisation frontalière.

Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.

4.             Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée, par substitution de motifs.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Service de l'application des peines et mesures.

Le communique, pour information, au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/36/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

805.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

900.00