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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7913/2022

ACPR/453/2022 du 24.06.2022 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION;DISJONCTION DE CAUSES
Normes : Cst.29; CPP.29; CPP.30

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7913/2022 ACPR/453/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 24 juin 2022

 

Entre

A______, B______, C______ et D______, comparant tous par
Me Hrant HOVAGEMYAN, avocat, boulevard du Théâtre 3 bis, case postale 5740,
1211 Genève 11,

recourants,

contre l'ordonnance de disjonction rendue le 7 avril 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 avril 2022, A______, B______, C______ et D______ recourent contre l'ordonnance du 7 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a disjoint la procédure P/7913/2022 – ouverte contre [la banque] E______ – de la P/1______/2019 – ouverte contre F______ –.

Les recourants concluent à l'annulation de ladite ordonnance.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 900.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 7 octobre 2019, G______ – substitué, à son décès, par
ses héritiers A______, B______, C______ et D______ (ci-après: les héritiers A___/B___/C___/D______) – a déposé plainte contre F______ pour faux témoignage.

Il a expliqué qu'alors qu'il était employé de E______, il avait été, durant trois ans, l'une des victimes du mobbing exercé par son supérieur hiérarchique, F______. À l'époque, il avait dénoncé ce comportement au département des ressources humaines et changé de service. À la fin de son emploi, il avait déposé une demande devant le Tribunal des prud'hommes contre E______, notamment en raison du harcèlement subi. Au cours de cette procédure – ouverte sous le numéro de cause C/2______/2017 –, le 27 mai 2019, F______, entendu en qualité de témoin et rendu attentif à son obligation de dire la vérité, avait nié avoir fait l'objet d'accusations de la part de plusieurs employés de E______ et, à la suite de ceux-ci, d'enquêtes diligentées par la banque. Or, plusieurs témoignages, entendus lors de la procédure prud'homale, avaient démontré que F______ connaissait les reproches formulés à son encontre pour en avoir discuté tant avec sa hiérarchie qu'avec le département des ressources humaines.

b. Cette plainte fait l'objet de la procédure P/1______/2019.

c. Au cours de la procédure pénale, divers actes d'enquêtes et audiences ont été menés par le Ministère public. Le 17 juin 2021, en réponse à un ordre de dépôt du Ministère public du 28 mai 2021, E______ a expliqué que, malgré ses recherches, elle n'avait pas retrouvé "une quelconque ouverture d'une procédure ou d'une enquête liée à un cas de mobbing, respectivement de harcèlement à l'encontre de Monsieur F______."

d. Le 17 août 2021, les héritiers A___/B___/C___/D______ ont déposé plainte contre E______ pour instigation ou complicité de faux témoignage et tentative "d'escroquerie au procès".

Ils reprochaient, en substance, à E______, d'avoir mis en place une "véritable stratégie – en interne, par l'intermédiaire de son département juridique – pour préparer les auditions de tous les témoins employés de la banque, en vue de leur déposition", en particulier d'avoir contacté F______ aux fins de préparer son témoignage du 27 mai 2019. Ils accusaient également E______ d'avoir dissimulé des moyens de preuves afin de retarder l'élucidation de l'affaire en ne transmettant pas les documents sollicités par l'ordre de dépôt du Ministère public du 28 mai 2021, car "quel que soit le terme sous lequel la banque a[vait] classé ce qui a[vait] été reproché à M. F______ (style de conduite, mobbing, harcèlement, ou autre), la banque sa[vait] que les évidences recherchées par le Ministère public exist[ai]ent".

Ils ont sollicité diverses mesures d'instruction.

e. Cette plainte a été versée à la procédure P/1______/2019.

f. Le 23 décembre 2021, le Ministère public a informé les héritiers A___/B___/C___/D______ qu'elle considérait l'instruction de la procédure "P/1______/2019 – A___/B___/C___/D______ c/ F______" achevée et leur a imparti un délai pour solliciter une indemnité en application de l'art. 433 al. 2 CPP.

g.a. Le 3 janvier 2022, les héritiers A___/B___/C___/D______ ont formé recours contre "l'ordonnance de classement, voire de non-entrée en matière, implicite du Ministère public du 23 décembre 2021".

Ils ont conclu, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance en tant qu'elle classait la procédure P/1______/2019, respectivement n'entrait pas en matière sur les faits dénoncés dans le courrier du 17 août 2021, à la constatation du retard injustifié à statuer sur les requêtes formées dans le courrier précité, et à ce qu'il sait enjoint au Ministère public de poursuivre, sans tarder, l'instruction.

g.b. Par arrêt du 10 mars 2022 (ACPR/171/2022), la Chambre de céans a rejeté le recours, dans la mesure de sa recevabilité. Elle a notamment considéré que le Ministère public n'avait nullement rendu d'ordonnance de classement ou de non-entrée en matière, même implicite, mais un avis de prochaine clôture de l'instruction – communication du 23 décembre 2021 – contre lequel une voie de recours n'était pas ouverte de sorte que le recours était irrecevable sur ce point.

En outre, cet avis constituait une réponse à la requête d'instruction de la recourante, le Ministère public annonçant ainsi qu'il n'entendait pas poursuivre.

h. Par ordonnance pénale du 11 avril 2022, dans le cadre de la procédure P/1______/2019, le Ministère public a déclaré F______ coupable de faux témoignage.

C. La décision querellée est ainsi libellée :

"Vu la procédure P/1______/2019;

Vu l'art. 30 CPP;

Vu la qualité des parties;

Vu l'intérêt à la bonne administration de la justice;

Attendu que la plainte des plaignants [héritiers A___/B___/C___/D______] du 17 août 2021 a été déposée à l'encontre de la banque E______ pour l'infraction d'instigation à faux témoignage et tentative d'escroquerie au procès;

Qu'au vu de ce qui précède, il convient que le sort de la nouvelle plainte soit tranché dans une procédure distincte (P/7913/2022) de la présente procédure;

Le Ministère public ordonne la disjonction de la procédure pénale P/7913/2022 de la P/1______/2019."

D. a. À l'appui de leur recours, les héritiers A___/B___/C___/D______ considèrent que la motivation de la décision querellée, consistant en "l'intérêt de la bonne administration de la justice", était insuffisante de sorte qu'elle consacrait un déni de justice formel et une violation de leur droit d'être entendu. En l'absence de toute référence, ne serait-ce que de manière élusive, aux critères devant être pris en compte pour une disjonction, ils ne pouvaient comprendre pour quelle raison une telle mesure avait été ordonnée et étaient donc dans l'incapacité d'attaquer utilement l'ordonnance entreprise.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4 in fine ad art. 30) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Les recourants se plaignent d'un déni de justice formel et d'une violation de leur droit d'être entendus.

3.1.       La garantie du droit d'être entendu, déduite de l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité de motiver ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 136 I 229 consid. 5.2; 135 I 265 consid. 4.3 et 126 I 97 consid. 2b). Il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs fondant sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause ; l'autorité peut se limiter à ne discuter que les moyens pertinents, sans être tenue de répondre à tous les arguments qui lui sont présentés (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; ATF I 232 consid. 5.1; arrêts du Tribunal fédéral 6B_146/2016 du 22 août 2016 consid. 1.1 et 1B_62/2014 du 4 avril 2014 consid. 2.2). Une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à prendre (ATF 138 IV 125 consid. 2.1 et 133 III 234 consid. 5.2.)

Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_23/2009 du 25 mai 2009 consid. 3.1).

3.2.       En l'espèce, la motivation de l'ordonnance querellée apparaît succincte. Elle permet néanmoins de comprendre que la disjonction est dictée par la plainte du 17 août 2021, laquelle sera traitée dans le cadre d'une procédure séparée. Elle est ainsi suffisante au regard des développements qui suivent.

Partant, ces griefs doivent être rejetés.

4.             Reste à examiner si la disjonction est justifiée.

4.1.       À teneur de l'art. 29 CPP, les infractions sont poursuivies et jugées conjointement lorsqu'un prévenu a commis plusieurs infractions (al. 1 let. a) ou s'il y a plusieurs coauteurs ou participants (al. 1 let. b).

Ce principe, dit de l'unité, tend à éviter les jugements contradictoires et sert l'économie de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_428/2018 du 7 novembre 2018 consid. 3.2).

4.2.       Selon l'art. 30 CPP, si des raisons objectives le justifient, le Ministère public et les tribunaux peuvent ordonner la jonction ou la disjonction de procédures pénales. Elle sert, avant tout, à garantir la rapidité de la procédure et à éviter un retard inutile. Ces raisons objectives excluent en revanche de se fonder sur de simples motifs de commodité (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds.), op. cit., n. 2 ad art. 30).

À titre d'exemples de cas d'application de l'exception de l'art. 30 CPP, l'on peut citer la violation du principe de célérité ou le fait que certains prévenus soient sur le point d'être jugés et pas d'autres (ATF 138 IV 214 consid. 3.2; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale - Petit commentaire, 2ème édition, Bâle 2016, n. 3 ad art. 30 CPP).

4.3.       En l'occurrence, on comprend de l'avis de prochaine clôture du 23 décembre 2021 qu'au moment du dépôt de la plainte contre E______, le 17 août 2021, le Ministère public considérait que l'instruction de celle contre F______ du 7 octobre 2019 était achevée, aucun acte d'instruction complémentaire ayant été mené entre-temps.

Par ailleurs, si la plainte du 17 août 2021 concerne, en partie, les mêmes faits que celle du 7 octobre 2019, elle met en cause E______, et formule à l'encontre de cette dernière des reproches supplémentaires – mise en place d'une véritable stratégie pour préparer les auditions des témoins employés de la banque, dans le cadre de la procédure prud'homale, et dissimulation de moyens de preuves afin de retarder l'élucidation de l'affaire –. L'instruction de cette plainte n'était ainsi qu'à son commencement au moment où celle de la première plainte était achevée.

Il en résulte, au regard de ce qui précède, que la disjonction se justifie en raison de motifs objectifs, à savoir le principe de la célérité et les spécificités de la seconde plainte.

Dès lors, la décision du Ministère public ne prête pas le flanc à la critique.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, qui seront fixés à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______, C______, B______ et D______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants, soit pour eux à leur conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/7913/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00