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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/43/2021

ACPR/160/2022 du 08.03.2022 ( PSPECI ) , ADMIS

Descripteurs : FOUILLE DE PERSONNES;POLICE;ILLICÉITÉ;TORT MORAL;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : CPP.241; CPP.431

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/43/2021 ACPR/160/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 8 mars 2022

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], comparant par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre la fouille corporelle intervenue le 27 août 2021 au poste de police de C______,

 

et

LA POLICE CANTONALE DE GENEVE, Nouvel Hôtel de police, chemin de la Gravière 5, 1211 Genève 8, Case postale 236, 1211 Genève 8, représentée par la Commandante de la Police,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 6 septembre 2021, A______ recourt contre la fouille corporelle intervenue le 27 août 2021 sur sa personne au poste de police de C______.

Il conclut, sous suite de frais, préalablement, à ce qu'il soit procédé à son audition et à la production de tout rapport de police en lien avec la fouille corporelle et, principalement, au constat d'illicéité de la mesure précitée ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité globale de CHF 5'000.-, à titre de réparation de son tort moral et pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 6 septembre 2021, A______ a directement saisi la Chambre de céans d'un recours contre la fouille corporelle qu'il avait subie le 27 août 2021.

Il y a exposé ce qui suit.

Aux alentours de 2h00, il avait été interpellé par une patrouille pour avoir fait crisser les pneus de son véhicule lors d'une manœuvre. À la vue des gyrophares de la voiture de police, il avait immédiatement mis son clignotant et s'était arrêté au bord de la route, conformément aux instructions des agents. Il leur avait expliqué avoir mal apprécié le virage, raison pour laquelle ses pneus avaient crissé, tout en "confirmant" avoir consommé trois bières. Il avait été soumis à l'éthylotest, dont le taux d'alcool dans l'air expiré variait, selon ses souvenirs, entre 0.42 mg/l et 0.45 mg/l.

Au vu de ce résultat, les policiers l'avaient conduit au poste. Avant de prendre place dans le véhicule de service, ils lui avaient demandé s'il détenait des objets tranchants, ce à quoi il avait répondu par la négative, montrant le contenu de ses poches. Les agents avaient ensuite procédé à une fouille par palpation, tout en lui demandant de confirmer qu'il ne détenait pas de couteau.

Arrivé au poste de police, il avait été placé dans une salle d'audition. Sur instructions, il avait vidé le contenu de ses poches, lequel était composé de son porte-monnaie, son téléphone, ses clés et un paquet de cigarettes. Il avait ensuite été contraint de se déshabiller, jusques et y compris son caleçon, de s'accroupir et de tousser dans cette position, intégralement nu, devant le policier.

Durant son interpellation et le contrôle de sécurité, il n'avait montré aucun signe d'agressivité et avait été honnête et coopératif, exécutant toutes les instructions des agents de police.

Après l'examen de ses parties intimes, il avait pu se rhabiller et avait été soumis à un troisième "éthylotest" (sic), lequel avait révélé un taux d'alcool de 0.35 mg/l. Une fois retourné dans une salle d'audition, il avait répondu aux questions sur sa situation personnelle et finalement été libéré aux alentours de 5h30, avec l'information que des "plaintes nominatives" avaient été déposées contre lui pour conduite en état d'ébriété et pour avoir fait crisser ses pneus.

Choqué et offensé par les événements, il était allé consulter, le 3 septembre 2021, la Dre D______ qui a mentionné dans son certificat médical du même jour que l'intéressé l'avait consultée à la suite d'un contrôle de police et qu'il "se di[sai]t humilié et offensé par une fouille au corps qu'il estime injustifiée".

b.a. Selon le rapport de contravention du 2 septembre 2021, A______ a été interpellé le 27 août 2021, à 2h43, pour avoir roulé à vive allure et fait crisser ses pneus. Il n'était, ainsi, pas resté constamment maître de son véhicule. Il s'était légitimé à l'aide de sa carte d'identité suisse et avait, d'emblée, précisé avoir consommé deux bières avant de prendre le volant. De ce fait, il avait été soumis à l'éthylotest, lequel avait révélé un état d'ébriété qualifiée. Il avait ensuite été conduit au poste pour être à nouveau soumis à un éthylomètre, lequel avait révélé un état d'ébriété simple. Pour ces faits, il avait été déclaré en contravention sur-le-champ.

Aucune fouille corporelle n'y est rapportée.

b.b. Le constat d'incapacité de conduire et le résultat de l'éthylomètre, annexés au rapport, mentionnent que l'éthylotest a été effectué à deux reprises, soit à 2h29 présentant une alcoolémie de 0.41mg/l et de 0.42 mg/l à 2h39. L'éthylomètre pratiqué à 3h14 a révélé un taux dans l'air expiré de 0.35 mg/l d'alcool par litre.

b.c. Par ordonnance pénale du 28 septembre 2021 du Service des Contraventions (ci-après, SdC), entrée en force, A______ a été condamné à une amende de CHF 1'310.-, frais et émoluments compris, pour ne pas être resté constamment maître de son véhicule et pour conduite en état d'ébriété, taux d'alcool dans le sang de 0.7 à 0.79‰ et concentration d'alcool dans l'air expiré de 0.35 à 0.39 mg/l.

b.d. Les documents précités ont été produits par A______ dans le cadre de ses observations.

C. a. À l'appui de son recours, A______ considère que son audition et la production des rapports de police relatifs à sa fouille corporelle – seuls moyens de preuve – étaient nécessaires à l'établissement des faits, un simple échange d'écritures étant insuffisant. Les atteintes occasionnées par la mesure querellée à ses droits fondamentaux et le débat sur la licéité des pratiques policières cantonales justifiaient la fixation d'une audience publique par la Chambre de céans.

Il allègue que les policiers avaient violé l'art. 241 al. 4 CPP en lien avec l'interdiction des traitements dégradants (art. 3 CEDH et 10 Cst.) et le principe de proportionnalité (art. 36 Cst.).

Il avait été soumis à une première palpation directement sur les lieux de l'appréhension, laquelle avait permis d'exclure la présence d'objets dangereux ou illicites; sa fouille à nu subséquente ne poursuivait donc aucun but légitime puisqu'il n'avait présenté aucun danger pour lui-même ou pour autrui. Son placement en salle d'audition n'était pas de nature, en tant que tel, à entraîner un danger justifiant une telle mesure. Appréhendé "par surprise" pour infraction à la LCR, la police n'avait aucune raison de le soupçonner de violence ou d'infraction à la LStup ni de dissimuler des objets en lien avec de telles infractions. Il n'avait d'ailleurs fait preuve d'aucune agressivité et la durée de l'intervention avait permis aux policiers d'apprécier son attitude calme, coopérante et transparente. Or, ces derniers avaient procédé à une "fouille intime", s'écartant des procédures standards en la matière, faute de l'avoir effectuée en deux temps. Il avait été contraint de tousser entièrement nu en position accroupie devant le policier. Ce procédé n'avait fait qu'accroître son sentiment d'avilissement.

L'atteinte portée à sa dignité par la fouille intime était en nette disproportion avec le but poursuivi par les autorités, lesquelles fouillaient systématiquement les personnes placées en garde à vue, sans apprécier concrètement chaque situation.

Au vu des circonstances et des souffrances endurées, qui avaient nécessité une consultation médicale, il réclame une indemnité totale de CHF 5'000.-, pour son tort moral et les dépenses occasionnées pour l'exercice raisonnable de ses droits dans le cadre de la procédure de recours, conformément à l'art. 431 CPP.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public considère ne pas être partie intimée dès lors que le recours est dirigé contre une décision de la police dans le cadre d'une procédure au stade de l'investigation policière (art. 306 CPP), lors de laquelle il n'a pas été consulté, aucun rapport ne lui ayant été adressé. Conformément à l'art. 241 al. 4 CPP, la fouille policière litigieuse était de la seule compétence de la police.

c. Dans ses observations, la Commandante de la Police conclut au rejet du recours et à la condamnation du recourant à tous les frais de la procédure. Elle se réfère au rapport de contravention du 2 septembre 2021, estimant qu'il appartenait au recourant de le solliciter auprès du SdC et de le produire à la procédure. L'audition de A______ n'était pas justifiée faute d'être à même d'apporter des éléments nouveaux.

Le recourant, qui présentait un état d'ébriété qualifié (0.40 mg/l), après deux éthylotests, le rendant dès lors passible d'une peine délictuelle, devait être amené au poste de police. Le recourant avait été coopérant. Les policiers lui avaient demandé s'il portait des objets tranchants, ce à quoi il avait répondu par la négative en montrant le contenu de ses poches. Les policiers contestaient cependant avoir procédé à une fouille par palpation sur les lieux de l'arrestation. Placé dans une salle d'audition, A______ avait dû vider le contenu de ses poches et retirer sa ceinture. Le policier chargé de la fouille l'avait réalisée en deux temps, contrairement aux affirmations du recourant, lequel ne s'était jamais retrouvé complètement nu; il lui avait demandé de faire un "squat" mais non de tousser dans cette position. Le prévenu avait ensuite été conduit dans un autre bâtiment pour le test de l'éthylomètre, lequel présentait un résultat d'ébriété simple. Le prévenu n'avait montré aucune agressivité et avait exécuté, de manière coopérative, toutes les instructions des policiers.

La procédure voulait qu'un policier procède au contrôle de sécurité lorsqu'un prévenu se trouvait seul dans les locaux de la police, notamment dans une salle d'audition ou aux violons. La fouille avait été réalisée à des fins de sécurité. Le principe de précaution devait primer car un policier ne pouvait anticiper toutes les réactions des personnes interpellées, quand bien même celles-ci paraissaient calmes et coopérantes. La mesure querellée avait ainsi été exécutée dans le respect des procédures en vigueur en la matière et était, partant, proportionnée et licite.

Aucune indemnité ne devait être octroyée à A______. En tout état de cause, les revendications de ce dernier étaient disproportionnées.

d. Le recourant relève que la police n'avait pas informé le Ministère public de la fouille corporelle qu'il avait subie, contrairement aux art. 76 et 307 al. 3 et 4 a contrario CPP. La Commandante n'ayant pas produit le rapport d'interpellation, il l'avait sollicité auprès du SdC et n'y avait constaté aucune mention de la fouille corporelle, contrairement à la Directive du Procureur général D.4., point 42.4. Il ignore à quelles "procédures en vigueur" se réfèrait la Commandante pour justifier la fouille subie. L'absence de toute mention de cette mesure de contrainte, impliquant tant une atteinte physique que psychique, mettait en évidence une violation de l'obligation pour la police de documenter les actes de procédure et confirmait au surplus le caractère inutile et disproportionné de la fouille. Cela justifiait d'autant plus son audition; la version des faits de la police, ne reposant sur aucun élément probant, ne pouvait être suivie.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP).

Il concerne une décision de fouille de personnes effectuée par la police, au sens des art. 241 al. 4 et 250 CPP, de même qu'un l'examen de la personne au sens de l'art. 241 al. 3 CPP (ATF 146 I 97 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_141/2021 du 21 juin 2021 consid. 2.1; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 393), dans la mesure où il résulte à tout le moins des observations de la Commandante qu'une fouille du recourant a bel et bien été exécuté le 6 septembre 2021, quand bien même aucune décision formelle ni aucune mention au rapport contraventionnel ni aucun avis au Ministère public ne l'ont assortie (ibidem, n. 52 ad. 241).

Le recours émane, en outre, du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé au constat de l'illicéité de la fouille (art. 382 al. 1 CPP). En effet, il peut être renoncé à l'exigence d'un intérêt actuel, notamment en cas de fouilles corporelles, puisque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1; 146 I 97 consid. 1.1). Cette voie permet ainsi de se satisfaire d'un intérêt à la constatation d'une violation du droit (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 11 ad art. 393).

1.2. Le recours, en tant qu'il est donc dirigé contre un acte de procédure de la police au sens de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, est dès lors recevable.

1.3. Les pièces produites par le recourant devant la Chambre de céans sont également recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2 in fine).

2.             Le recourant sollicite préalablement son audition et la production de tout rapport de police en lien avec son interpellation.

2.1.       L'art. 29 al. 2 Cst. ne confère aucun droit à l'oralité de la procédure et ne donne notamment pas aux parties le droit de s'exprimer verbalement devant l'autorité appelée à prendre une décision. Au regard de cette disposition, il suffit que chaque intéressé puisse fournir ses explications ou présenter son point de vue verbalement ou par écrit, en personne ou par l'intermédiaire d'un représentant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_145/2009 du 28 mai 2009 consid. 3, avec références aux ATF 125 I 209 consid. 9b p. 219 et ATF 125 I 113 consid. 2a p. 115). Lorsque le recourant a eu la possibilité de s'exprimer sans limitation par écrit et en dernier lieu, la tenue d'une audience, au sens de l'art. 390 al. 5 CPP, qui n'a aucun caractère impératif (l'autorité "peut" ordonner des débats), ne se justifie pas, dès lors que le droit d'être entendu du prévenu a été pleinement respecté, étant précisé que c'est la forme écrite qui est prescrite pour la procédure de recours (art. 390 al. 1 à 4 CPP; ACPR/422/2012 du 14 octobre 2012).

2.2.       En l'occurrence, le rapport de contravention du 2 septembre 2021 ayant été produit dans le cadre de la présente procédure, la requête du recourant est devenue sans objet sur cet aspect.

Par ailleurs, la Chambre de céans rappelle que la procédure est écrite (art. 397 al. 1 CPP) et se considère suffisamment renseignée sur les circonstances de la fouille corporelle litigieuse, de sorte que l'audition du recourant ne permettrait pas d'apporter d'éléments nouveaux. Ce dernier a d'ailleurs pu exposer sa version des faits et faire valoir ses griefs dans ses écritures, ses droits ayant ainsi été pleinement respectés. Il n'y a donc pas lieu d'appointer d'audience.

3.             Le recourant soutient que la fouille corporelle sur sa personne était illicite et disproportionnée.

3.1.       La police peut fouiller une personne appréhendée ou arrêtée, notamment pour assurer la sécurité de personnes (art. 241 al. 4 CPP).

Selon l'art. 250 al. 1 CPP, la fouille d'une personne comprend l'examen des vêtements portés, des objets et bagages transportés, du véhicule utilisé, de la surface du corps ainsi que des orifices et cavités du corps qu'il est possible d'examiner sans l'aide d'un instrument.

3.2.       Cet acte de contrainte doit respecter le principe de proportionnalité. La fouille sommaire se résout à une palpation alors que la fouille complète implique le déshabillage de la personne aux fins de permettre l'examen de la surface de son corps et de ses cavités naturelles. La fouille doit ainsi se restreindre à la palpation lorsque celle-ci est suffisante par rapport aux buts probatoires poursuivis. Ainsi, une fouille complète n'est proportionnée que lorsque les objets recherchés ne pourraient pas être détectés par une simple palpation par-dessus les habits (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, op. cit., n. 2 ad art. 250).

Une mesure de contrainte est illicite lorsqu'elle est contraire aux règles de procédure pénale, à savoir lorsqu'elle n'a pas été ordonnée correctement ou que son exécution ne s'est pas déroulée de manière conforme. Il s'agit donc des mesures de contrainte au sens des art. 196 et ss CPP qui ne remplissent pas les conditions matérielles et/ou formelles. Elles peuvent s'avérer illicites alors même que le prévenu est condamné (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 1, 3 et 6 ad art. 431).

3.3.       L'obligation de documenter tous les actes de procédure, et ce même au stade de l'investigation de la police, découle de l'art. 76 CPP (Message du 21 décembre 2005 relatif à l'unification du droit de la procédure pénale, FF 2006 1133 ch. 2.2.8.4).

3.4.       Même lorsqu'un danger ne peut être exclu en raison notamment du comportement du prévenu, il peut suffire, pour déterminer si ce dernier est en possession d'armes ou d'autres objets dangereux, de le palper par-dessus ses vêtements, sans qu'il soit nécessaire de le déshabiller complètement (arrêts du Tribunal fédéral 1B_176/2016 du 11 avril 2017 consid. 6.6; 6B_391/2013 du 27 juin 2013 consid. 1.4 et 1P_323/1988 du 15 février 1991 consid. 5c). S'agissant du risque auto-agressif lié au fait que le concerné soit enfermé dans une cellule pendant une courte période, une mise en danger peut également être exclue en procédant de la même manière, et, si besoin, en lui enlevant sa ceinture et ses lacets (arrêt 1B_176/2016 précité consid. 6.6). Si les soupçons en lien avec l'infraction reprochée sont insuffisants et qu'il n'existe aucune raison objective de supposer que le prévenu soit en possession d'objets dangereux, une fouille à nu, voire même en sous-vêtements, ne peut être ordonnée, un contrôle par palpation ou éventuellement à l'aide de moyens techniques habituels étant ainsi suffisant. La fouille corporelle devra être proportionnée et nécessaire au vu du maintien de la sécurité, celle-ci ne justifiant pas systématiquement une fouille complète et/ou intime (ATF 109 Ia 146 consid. 8a et b avec référence à l'arrêt du Tribunal fédéral P_656/1980 du 3 juin 1981 consid. 4).

3.5. Dans un arrêt publié du 18 décembre 2019 (ATF 146 I 97), le Tribunal fédéral a rappelé que pour déterminer si une fouille corporelle avec déshabillage complet est contraire à la dignité humaine et constitue un traitement dégradant, il faut tenir compte des circonstances. La fouille corporelle constitue une ingérence dans le droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection de la sphère privée (art. 13 al. 1 Cst.). Elle doit être proportionnée (art. 36, al. 3, Cst., art. 197 al. 1 let. c et d, CPP) et appropriée pour atteindre le but poursuivi. Ensuite, elle doit être nécessaire; la nécessité fait défaut si des mesures moins contraignantes sont suffisantes pour atteindre le but recherché. Enfin, la mesure doit être raisonnablement exigible de la personne concernée (ATF 146 I 97 consid. 2.3 p. 99 s. et les références).

Ainsi, même si la personne est enfermée dans une cellule, une fouille avec déshabillage complet et obligation pour celle-ci de s'accroupir n'est admissible que s'il existe des indices sérieux et concrets d'une mise en danger pour elle-même ou autrui. De tels indices peuvent résulter de l'infraction reprochée à la personne concernée. Ce n'est pas la même chose si les soupçons portent sur une infraction violente et que l'on a donc affaire à une personne présumée dangereuse ou si une telle infraction fait défaut et qu'il n'y a donc pas d'indices d'une propension à la violence. Il faut ensuite tenir compte du comportement de la personne arrêtée. Si elle se comporte de manière agressive, cela plaide en faveur de l'admissibilité de la fouille corporelle. Il en va autrement si elle se comporte de manière décente et coopérative. Par ailleurs, il est important de savoir si le placement en cellule du prévenu est une surprise pour lui. Dans ce cas, il n'a généralement ni le temps ni la possibilité de dissimuler des armes ou d'autres objets dangereux sous ses vêtements. La situation est différente lorsque l'intéressé, qui se trouve en liberté, sait à l'avance qu'il sera placé en cellule, comme c'est notamment le cas lorsqu'il commence à purger une peine privative de liberté (ibid, consid. 2.7. p. 102 s.).

Concernant le caractère pratique de l'ordre de service, s'il est certainement plus simple pour l'agent de police de toujours soumettre la personne arrêtée à une fouille corporelle avant de la conduire en cellule et de ne pas avoir à se soucier de la proportionnalité, cela n'est pas déterminant. Les considérations de praticabilité ne doivent pas aller à l'encontre d'une protection effective des droits fondamentaux. Les fonctionnaires de police sont tenus de respecter le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.), qui constitue, avec le principe de la légalité, le critère principal de la licéité de toute action policière. Le fait qu'un fonctionnaire de police doive se pencher sur la proportionnalité de son action est donc indissociable de son activité (ibid, consid. 2.9. p. 104).

3.6. En l'espèce, la police conteste avoir pratiqué une palpation sur les vêtements du recourant avant qu'il ne monte dans le véhicule de service et soutient avoir effectué, au poste, la fouille corporelle en deux temps de l'intéressé qui ne s'était jamais trouvé entièrement nu et avait, tout au plus, dû faire un "squat" sans tousser. Elle ne conteste ainsi pas l'existence d'une fouille corporelle, même si le rapport de contravention du 2 septembre 2021 ne la documente pas, contrairement à ce qui semble préconisé à cet égard (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE, loc.cit.)

Si l'on peut s'étonner de l'absence de palpation par les policiers par-dessus les vêtements du prévenu avant de le faire monter dans leur véhicule, cette question comme celle de savoir si la fouille s'est déroulée en un temps ou en deux, peut rester ouverte vu ce qui suit.

Le recourant a été interpellé pour infraction à l'art. 90 LCR et conduit au poste de police pour y être soumis à un test éthylomètre, en raison d'une suspicion d'un état d'ébriété qualifiée. Rien n'indiquait que le recourant était enclin à la violence, ni l'infraction reprochée ni son comportement: la police ne le prétend du reste pas et admet que le précité avait été collaborant durant toute l'interpellation et le contrôle de sécurité. Son appréhension a été effectuée par surprise, si bien que la probabilité qu'il ait dissimulé sur lui des objets dangereux était pratiquement inexistante. Quant à l'éventualité qu'il ait pu cacher, dans les cavités de son corps, des objets susceptibles d'être confisqués (art. 249 CPP), elle paraît difficilement vraisemblable et n'est du reste pas évoquée par la police. Le fait que le recourant ait été placé dans la salle d'audition ne suffit pas à justifier une fouille corporelle à nu – pour sa propre sécurité –, d'autant plus qu'il lui avait été demandé préalablement de remettre ses effets personnels et sa ceinture, et qu'il était collaborant. Il en va de même de son passage dans un autre bâtiment, dans lequel il aurait pu croiser d'autres individus. Une palpation sur les vêtements s'avérait suffisante, faute d'indice concret et sérieux laissant présumer un quelconque danger pour lui-même ou pour un tiers. Il ne saurait par conséquent être question d'un "principe de précaution".

Au vu de ces circonstances, une ou plusieurs palpations par-dessus les habits, en fonction de la durée de l'intervention et des déplacements du prévenu, ainsi que la mise à l'écart temporaire de ses objets personnels auraient été suffisantes.

À teneur des explications de la Commandante, cette fouille de sécurité a été effectuée au motif qu'elle serait exigée des policiers chaque fois qu'un prévenu se trouve seul dans les locaux de la police, quand bien même celui-ci paraît calme et coopérant. Les procédures en vigueur ne sont certes pas détaillées dans la prise de position sur le recours. Dans le cas concret, la fouille dont le recourant a été l'objet apparaît toutefois contraire à la jurisprudence du Tribunal fédéral prohibant la fouille systématique, d'autant plus que la praticabilité, qui paraît sous-tendre les explications données par la Commandante, ne constitue pas une raison suffisante.

Partant, la fouille subie par le recourant, impliquant un déshabillage et un contrôle visuel des orifices de son corps, qu'elle ait été exécutée en un ou deux temps, était disproportionnée.

4. 4.1. Aux termes de l'art. 431 al. 1 CPP, si le prévenu a, de manière illicite, fait l'objet de mesures de contrainte, l'autorité pénale lui alloue une juste indemnité et réparation du tort moral. Le prévenu peut également être indemnisé lorsque la mesure de contrainte est formellement licite mais que le principe de la proportionnalité n'a pas été respecté (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 4 ad art. 431).

Le calcul de l’indemnité et de la réparation pour le tort moral subi par le prévenu se fait conformément aux principes généraux de la responsabilité civile (art. 41 ss CO; ATF 142 IV 237 consid. 1.3.1 p. 239; arrêt 6B_928/2014 du 10 mars 2016 consid. 4.1.2 non publié aux ATF 142 IV 163; Les prétentions du prévenu en indemnités et en réparation du tort moral, in Jusletter 13 février 2012, n° 38, p. 5 et les références citées). La notion de juste indemnité à laquelle se réfère l'art. 431 al. 1 CPP doit être lue à la lumière de l'art. 429 CPP ; l'indemnité devra comprendre la réparation du dommage économique subi (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, op. cit., n. 6 ad art. 431).

Dans le cadre de l'art. 429 CPP, il appartient au prévenu acquitté de prouver le bien-fondé de ses prétentions, conformément à la règle générale du droit de la responsabilité civile selon laquelle la preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO). Il doit ainsi établir non seulement l'existence et l'étendue du dommage mais également le lien de causalité entre celui-ci et l'événement à la base de son action (arrêt du Tribunal fédéral 6B_707/2020 du 28 octobre 2020 consid. 1.1).

4.2. À teneur de l'art. 429 al. 1 let. c CPP, le prévenu a droit à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, au sens des art. 28 al. 2 CC ou 49 CO, notamment en cas de privation de liberté.

L'ampleur de la réparation morale dépend avant tout de la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l'atteinte subie par l'intéressé et de la possibilité d'adoucir sensiblement, par le versement d'une somme d'argent, la douleur morale qui en résulte. Sa détermination relève du pouvoir d'appréciation du juge. En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L'indemnité allouée doit toutefois être équitable (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704 s.; cf. également ATF 141 III 97 consid. 11.2 p. 98). Il incombe au concerné de faire état des circonstances qui font qu'il a ressenti l'atteinte comme étant subjectivement grave (ATF 120 II 97 consid. 2b p. 99, plus récemment arrêt 6B_928/2014 précité consid. 5.1). 

4.3. En l'espèce, l'atteinte à l'intimité causée par la fouille corporelle fonde l'octroi d'une indemnité raisonnable pour tort moral.

La Cour de céans a octroyé une indemnité de CHF 2'000.- pour une mesure similaire, considérant que le cas n'était pas d'une gravité extrême, alors même que celui-ci avait été médiatisé, engendrant nécessairement davantage de souffrances chez l'intéressé qui avait été atteint dans sa santé (ACPR/564/2021 du 24 août 2021 consid. 6.5.8.).

Une indemnité de CHF 1'000.- au titre de réparation du tort moral subi sera donc allouée au recourant. Ce montant est justifié au regard des circonstances.

5. Le recours sera ainsi admis.

6. Vu son issue du recours, les frais seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP).

7. 7.1. Selon les art. 431 al. 1 et 436 al. 1 CPP, le prévenu a droit à une indemnité pour ses frais de défense relatifs à la procédure en constatation de l'illicéité d'une mesure de contrainte et en indemnisation (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 8 ad art. 431).

7.2. L'indemnité n'est due qu'à concurrence des dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable des droits de procédure du prévenu (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1303, p. 1313 ; J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 1349 p. 889). Le juge ne doit pas avaliser purement et simplement les notes d'honoraires qui lui sont soumises, mais examiner si l'assistance d'un conseil était nécessaire puis, dans l'affirmative, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire et, enfin, dire si le montant des honoraires réclamés, même conforme au tarif pratiqué, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi.

7.3. La Chambre de céans applique au chef d'étude un tarif horaire de CHF 450.- (ACPR/109/2020 du 7 février 2020 et les références citées).

7.4. En l'occurrence, l'indemnité réclamée à titre de dépenses occasionnées pour les frais de défense n'a pas été justifiée par le recourant, tant sur le temps d'activité consacré que sur le taux horaire retenu, si bien que la Cour de céans la fixera sur la base de sa propre appréciation du travail effectué. Le recours, auquel est annexé un bordereau de pièces composé de deux documents en sus de la procuration, contient 16 pages (pages de garde et conclusions comprises), dont quatre et demi résumant les faits, ainsi que trois pages et demi consacrées à une analyse en droit, le reste étant composé de recherches jurisprudentielles. Les observations complémentaires de trois pages et demi, ainsi que la réplique, composée de cinq pages – le rapport de contravention du 2 septembre 2021 y étant annexé –, se recoupent en partie et reprennent des arguments déjà invoqués dans le recours. Il convient également de prendre en compte le temps d'une conférence avec le client et des démarches effectuées pour obtenir le rapport de contravention susmentionné, la police n'ayant pas spontanément produit la pièce.

Au vu de ce qui précède, l'indemnité, à la charge de l'État, sera ainsi fixée à CHF 2'907.90 (correspondant à six heures d'activité à CHF 450.-), TVA à 7.7% incluse.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Constate le caractère disproportionné de la fouille corporelle intervenue sur A______ le 27 août 2021 au poste de police de C______.

Alloue à A______ une indemnité de CHF 1'000.-, à titre de réparation du tort moral (art. 431 al. 1 CPP).

Alloue à A______ une indemnité de CHF 2'907.90 TTC, pour ses frais de défense en instance de recours (art. 431 al. 1 et 436 al. 2 CPP).

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil), à la Commandante de la Police et au Ministère public

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).