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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/2790/2020

ACJC/956/2023 du 13.07.2023 sur JTBL/374/2022 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/2790/2020 ACJC/956/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU JEUDI 13 JUILLET 2023

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______[GE], appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 13 mai 2012, comparant par Me Antoine E. BÖHLER, avocat, rue des Battoirs 7, case postale 284, 1211 Genève 4, en l'étude duquel il fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, Azerbaïdjan, et Madame C______, domiciliée ______[GE], intimés, comparant tous deux par Me Andreas FABJAN, avocat, rue Ferdinand-Hodler 13, 1207 Genève, en l'étude duquel ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTBL/374/2022 du 13 mai 2022, expédié pour notification aux parties le 19 mai 2022, le Tribunal des baux et loyers a constaté la nullité partielle, limitée au loyer, du contrat de bail conclu le 8 octobre 2018 entre B______ et C______ et A______, concernant l'appartement de dix pièces au 8ème étage de l'immeuble sis no. ______ route 1______ à Genève (ch. 1), réservé la suite de la procédure (ch. 2) et rappelé que la procédure était gratuite (ch. 3).

B.            Par acte du 22 juin 2002, A______ a formé appel contre la décision précitée. Il a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait à l'irrecevabilité respectivement au rejet de la demande formée par B______ et C______, subsidiairement au renvoi de la cause au Tribunal pour instruction et nouvelle décision, avec suite de frais et dépens; à titre préalable, il a requis l'inspection de l'appartement et l'audition de témoins.

B______ et C______ ont conclu à la confirmation de la décision déférée.

A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions. B______ et C______ ont renoncé à dupliquer.

Par avis du 12 octobre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Les faits pertinents suivant résultent de la procédure :

a. A______ est propriétaire d'un appartement de dix pièces d'une surface approximative de 353 m2, situé au 8ème étage de l'immeuble sis no. ______, route 1______ à Genève.

Cet immeuble a été construit dans les années 1981-1985, dans une zone de développement 3; il donne pour partie sur la route 1______ (bruits routiers diurne et nocturne de 65 et 58 dB respectivement, selon le cadastre dubruit) et pour partie sur le parc D______.

Il est équipé d'un code d'entrée donnant accès à un sas dans lequel se trouve un interphone muni d'une caméra, à côté des boîtes aux lettres, ainsi que d'un système de vidéosurveillance avec une caméra dans le hall d'entrée et une autre dans les parties communes du sous-sol. L'ascenseur est prévu pour huit personnes. Les marches d'escaliers sont revêtues de moquette. Le local poubelles est situé au sous-sol de l'immeuble. L'accès au sous-sol se fait par l'ascenseur au moyen d'une clé spéciale, celui au parking souterrain par une porte basculante automatique, activée par une clé à l'entrée. Un concierge habite au rez-de-chaussée.

L'appartement susmentionné comprend deux entrées, lesquelles ouvrent chacune sur un hall d'entrée comportant un WC visiteur. Il dispose d'un office comprenant une armoire frigo et une armoire congélateur ainsi qu'une armoire de lavage et séchage, lequel ouvre sur une cuisine (environ 13 m2) entièrement équipée (four classique et four combiné vapeur, friteuse encastrée, plaques à induction et évier à deux plonges) et un accès à un balcon, une salle à manger (environ 28 m2) avec un accès à une terrasse donnant sur le parc (environ 13 m2), une bibliothèque, (environ 32 m2) ainsi qu'un grand salon (60 m2 environ) avec cheminée fonctionnelle ouvrant sur une terrasse (environ 13 m2). La partie nuit est composée d'une chambre "parentale" avec salle de bain, donnant sur un balcon, et dressing en suite, ouvrant sur un balcon, ainsi que trois autres chambres et deux salles de bain attenantes.

b. En août 2018, A______ a mandaté une agence immobilière aux fins de mettre en location l'appartement susdécrit; il souhaitait obtenir un loyer mensuel de 14'000 fr.

Les époux B______/C______ se sont intéressés à l'objet. Ils étaient alors locataires d'un logement, au loyer mensuel de 11'000 fr. La propriétaire était E______, une de leurs amies, laquelle souhaitait récupérer le bien pour son propre usage. Les époux B______/C______ ont formulé une offre, qui comprenait la présence d'un garant de nationalité suisse, non nommé.

A______, interpellé par la régie sur ce point dans un échange de courriels de septembre 2018, a signifié que l'identité de ce garant était une "information essentielle pour estimer [la] proposition" des candidats. La régie, après s'être renseignée, a porté à sa connaissance l'identité d'un avocat qui attestait de la solvabilité des candidats, et celle de la personne qui pourrait se porter garante, à savoir F______. Celle-ci a été décrite par le régie comme "amie, conseillère et associée", "artiste et dispo[ant] de sa galerie", s'occupant "actuellement des [époux] B______/C______ et notamment de faire transiter la société G______ SA au nom de Monsieur".

Par courrier du 26 septembre 2018, la régie a transmis à A______ une offre de prise à bail de l'appartement, avec la mention suivante: "Titulaire: M. B______, co-titulaire: Mme C______".

A______ allègue que, "à la même période", il a été contacté téléphoniquement par H______ (professionnel de l'immobilier, actif notamment au travers de I______ SA, membre de l'Association des agences et courtiers immobiliers genevois), qui lui avait recommandé les candidats, lesquels étaient locataires d'un appartement propriété de "sa très proche amie" E______, au no. ______ route 2______ à Genève; selon les informations données par H______ lors de cet entretien téléphonique, E______ se proposait comme garante, étant précisé qu'elle-même entendait récupérer l'appartement qu'elle possédait pour s'y établir à son retour de l'étranger.

c. Le 26 septembre 2018, les époux B______/C______ ont déposé un dossier de candidature. Ce dossier comporte, outre un extrait de non poursuite, une copie de courriel d'un avocat (Me J______) adressé à "F______", considérant que "la meilleure garantie serait de fixer avec le bailleur un paiement anticipé du loyer sur une période à convenir", exposant assister C______ dans le cadre de diverses démarches, et précisant que ses honoraires avaient été payés entièrement à première demande.

A______ allègue que les époux B______/C______ seraient propriétaires d'un bien immobilier en France.

A teneur du Registre du commerce genevois, C______ a été administratrice unique de G______ SA (radiée depuis le ______ 2023), dont le but était ______.

Les époux B______/C______ allèguent qu'ils n'ont pas de connaissances dans le domaine immobilier, et que l'épouse n'est pas une professionnelle de l'immobilier, la société anonyme susmentionnée n'ayant été acquise qu'aux fins de commerce de bijoux. Ils n'avaient pas été en position de négocier le montant du loyer, devant libérer leur précédent logement, ni n'avaient été conseillés, en particulier d'un point de vue juridique par l'avocat auteur du courriel produit dans leur dossier de candidature ni par quiconque d'autre.

d. Par contrat du 8 octobre 2018, l'appartement visé ci-dessus a été remis à bail; la rubrique relative aux parties a été libellée ainsi : "Bailleur : M. A______ […] désigné ci-après par "le bailleur"", locataires: M. B______ et Mme C______ […], "garant : Mme E______ […] désignés ci-après par "le locataire" conjointement et solidairement responsables"; les termes "bailleur, "locataires" et "garant" ainsi que les noms des protagonistes sont imprimés en caractères gras. Trois signatures sont apposées sous la rubrique finale "Le locataire" et une sous la rubrique "le bailleur", de même que trois paraphes. Le contrat comporte des clauses additionnelles au bail, dont toutes les pages portent quatre paraphes, la dernière étant en outre signée de façon similaire, et sous le même libellé de rubriques, au contrat.

Le contrat a été conclu pour une durée de deux ans, du 1er octobre 2018 au 30 septembre 2020, renouvelable ensuite tacitement d'année en année, sauf résiliation signifiée trois mois avant l'échéance.

Le loyer, payable d'avance tous les six mois, a été fixé à 12'000 fr. par mois, incluant le box double et un forfait pour charges de chauffage et eau chaude.

Aucun avis de fixation du loyer initial n'a été remis aux locataires. A______ allègue le caractère luxueux de l'appartement pour soutenir que celui-ci le dispensait de l'établissement d'un tel avis, qui n'avait pas non plus été dressé lorsqu'il avait précédemment mis l'objet en location par le truchement de trois régies successives, actives à Genève.

e. Le loyer a été réglé du 1er octobre 2018 au 31 décembre 2019; il n'a par la suite plus été acquitté.

f. Par courrier de son avocat du 16 décembre 2019, C______ a informé la régie du bailleur de ce qu'elle était séparée de B______, lequel avait quitté la Suisse pour l'Azerbaïdjan; elle a requis d'être libérée du bail pour le 29 février 2020 et fait observer qu'elle n'avait pas reçu d'avis de fixation de loyer, ce au sujet de quoi elle requérait une détermination de A______.

g. Le 10 février 2020, B______ et C______ ont saisi la Commission de conciliation en matière de baux et loyers d'une requête en fixation judiciaire du loyer initial et en restitution du trop-perçu. Non conciliée à l'audience du 11 juin 2020, l'affaire a été portée devant le Tribunal le 22 juillet 2020.

Les précités ont conclu à titre préjudiciel à ce que la nullité du loyer initial prévu dans le contrat de bail liant les parties soit constatée (faute d'avis officiel de fixation du loyer), à ce que le loyer initial du bail liant les parties soit fixé à 5'200 fr. par mois, charges et box double au sous-sol compris, et à que A______ soit condamné à leur restituer le trop-perçu, soit un montant de 102'000 fr., avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 15 mai 2019, sous déduction de 23'400 fr. correspondant à 50% du loyer non acquitté et non abusif des mois de janvier à septembre 2020, soit un montant de 78'600 fr., avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 15 mai 2019.

Ils ont offert en preuve de leurs allégués des titres et l'audition des parties.

Après que le Tribunal avait, par ordonnance du 13 octobre 2020, limité la procédure à la question de la validité du loyer convenu entre les parties, A______ a conclu à l'irrecevabilité de la demande, subsidiairement à son rejet.

Il a offert en preuve de ses allégués des titres, l'audition des parties et l'audition de huit témoins (dont H______, E______, J______ ainsi que des employés des employés de régie, en lien avec les allégués relatifs aux discussions précontractuelles et à la situation des époux B______/C______).

Il a, entre autres pièces produit un plan de l'appartement (montrant les trois expositions de celui-ci), ainsi qu'un avis de droit, établi le 11 mai 2020 par les auteurs et avocats K______ et L______, selon lequel "l'objet loué dégage une impression générale de luxe et la mesure habituelle du confort est clairement dépassée", de sorte que le bail ne serait pas soumis aux dispositions sur la protection contre les loyers abusifs. Y est annexé un dossier photographique, lequel montre en particulier le hall de l'immeuble (garni de marbre), les deux entrées de l'appartement, l'interphone, les balcons avec leur vue dégagée au premier plan sur le parc D______ et au second sur le Jura, le Salève et M______, sans vis-à-vis, l'enfilade des pièces de réception, le dressing, les salles de bains - modernes - dont une dotée d'une baignoire ovale non encastrée et une douche avec parois transparentes, et le double box dans le parking souterrain, notamment.

Le Tribunal a entendu les parties le 18 décembre 2020, audience à l'issue de laquelle il a annoncé qu'il rendrait une ordonnance de preuves; à teneur du dossier, celle-ci n'a pas été émise. C______ a notamment déclaré avoir payé un loyer mensuel de 11'000 fr. (sans avis de fixation de loyer) pour l'appartement loué à la route 2______ à son amie E______, dont le mari, H______, l'avait recommandée auprès de A______. Elle n'avait pas soumis le contrat de bail à Me J______, avocat qui s'occupait de ses questions de permis. Au travers de la société G______ SA dont elle était administratrice, elle ne s'occupait pas d'immobilier mais de joaillerie, elle avait une formation de "business administrator" comme son mari, dont elle vivait alors séparée depuis une année. La route 1______ était bruyante, avec des bus de 4h00 à minuit. Elle vivait alors dans un appartement de sept pièces au loyer de 4'000 fr. par mois. En raison de la séparation du couple, elle avait consulté un avocat aux fins de se départir du bail dont A______ ne voulait pas libérer les locataires avant l'échéance; c'est lors de cette consultation que la question de l'avis officiel avait été abordée.

A______ a déclaré qu'il n'avait été informé du souhait des locataires de remettre l'appartement avant l'échéance du bail, ce qu'il n'avait appris qu'à réception du courrier d'avocat du 16 décembre 2019.

Le Tribunal a ordonné une inspection locale, à laquelle il a procédé le 19 janvier 2021. Le procès-verbal dressé à cette occasion fait notamment état de traces sur le parquet du premier hall d'entrée et du salon, de joints de fenêtre neufs et de cloques sur les murs, de plinthes "pas en très bon état" au salon, de pierres fendues sur la balcon du salon avec de la mousse, et du caractère électrifié de la toile solaire avec télécommande, de traces d'infiltrations sous la fenêtre de la bibliothèque, de murs revêtus de stucco veneziano dans la bibliothèque, d'un plan de travail en matériau composite dans la cuisine, présentant différentes nuances, de joints de fenêtre anciens et abimés dans la cuisine, de poignées d'armoires tournant dans le vide à face tombée et de boutons de poignée "donc collants" dans le dressing, du bruit de la circulation perçu dans les pièces donnant sur la route 1______, de craquelures dans une chambre; il comporte des photographies.

Par ordonnance du 6 avril 2021, le Tribunal a rendu une ordonnance, dans le corps de laquelle il a considéré qu'il avait pu, lors de l'inspection locale, constater l'absence de caractère luxueux du logement. Statuant sur recours de A______, la Cour a annulé l'ordonnance précitée par arrêt du 25 octobre 2021 et renvoyé la cause au Tribunal pour instruction et nouvelle décision.

Lors de l'audience du Tribunal du 11 mars 2022, les parties ont plaidé et persisté dans leurs conclusions, A______ sollicitant l'administration des preuves offertes par témoins.

A l'issue de l'audience, la cause a été gardée à juger sur la question de la validité du loyer convenu entre les parties.

EN DROIT

1. 1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêts du Tribunal fédéral 4A_72/2007 du 22 août 2007 consid. 2; 4C.310/1996 du 16 avril 1997 = SJ 1997 p. 493 consid. 1).

La valeur litigieuse est déterminée par les dernières conclusions de première instance (art. 91 al. 1 CPC; JEANDIN, Commentaire romand CPC, 2ème éd., 2019, n. 13 ad art. 308 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2012 du 28 février 2013).

En l'espèce, ne serait-ce qu'en considération des conclusions pécuniaires des intimés, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Selon l'art. 311 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les trente jours à compter de la notification de la décision.

L'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC; HOHL, Procédure civile, tome II, 2ème éd., 2010, n. 2314 et 2416; RETORNAZ in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 349 ss, n. 121).

2. L'appelant reproche au Tribunal de ne pas avoir donné droit à son argumentation d'irrecevabilité de la demande, faute pour les intimés d'avoir procédé avec E______.

2.1 L'art. 70 al. 1 CPC prévoit que les parties à un rapport de droit qui n'est susceptible que d'une décision unique doivent agir ou être actionnés conjointement.

Selon la jurisprudence, les droits formateurs (résolutoires) liés aux rapports d'obligation, comme la résiliation du bail ou l'action en constatation de la nullité d'un congé, doivent être exercés en commun par toutes les personnes qui constituent une seule et même partie ou contre elles toutes, car le rapport juridique créé par le bail ne peut être annulé qu'une fois et pour tous les cocontractants (arrêt du Tribunal fédéral du 20 juin 1994 paru in SJ 1995 consid. 5b). Il en va de même lors de la contestation d'une majoration de loyer, car celui-ci est nécessairement identique pour tous les colocataires (ATF 136 III 431 consid. 3.3).

Lorsqu'une personne s'engage, à côté du locataire, uniquement comme débitrice solidaire du loyer, en excluant d'occuper elle-même les locaux, elle ne devient pas colocataire mais reprend cumulativement la dette du loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4C.103/2006 du 3 juillet 2006 consid. 3.1, SJ 2007 I 1).

2.2 Selon l'art. 18 al. 1 CO, pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat, il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention.

Le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d'indices; si elle aboutit, cette démarche conduit à une constatation de fait (art. 105 al. 1 LTF; ATF 132 III 268 consid. 2.3.2; 129 III 664 consid. 3.1). S'il ne parvient pas à déterminer cette volonté, ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté manifestée par l'autre, le juge doit découvrir quel sens les parties pouvaient ou devaient donner, de bonne foi, à leurs manifestations de volonté réciproques (principe de la confiance); il s'agit d'une question de droit (ATF 132 III 268 consid. 2.3.2; 129 III 702 consid. 2.4 p.). Cette interprétation objective s'effectue non seulement d'après le texte et le contexte des déclarations, mais également sur le vu des circonstances qui les ont précédées et accompagnées, à l'exclusion des événements postérieurs (ATF 135 III 295 consid. 5.2; 132 III 626 consid. 3.1).

L'interprétation subjective l'emporte sur l'interprétation objective (ATF 123 III 35 consid. 2b). Si, contrairement à ce principe, le juge recherche d'emblée la volonté objective et estime que la volonté subjective divergente d'une partie, pourtant alléguée régulièrement et en temps utile, n'est pas pertinente, il viole les règles du droit fédéral sur la conclusion (art. 1 CO) et l'interprétation (art. 18 CO) du contrat (ATF 125 III 305 consid. 2b p. 308; 123 III 35 consid. 2b p. 40). Le fardeau de l'allégation et le fardeau de la preuve de l'existence et du contenu d'une volonté subjective qui s'écarte du résultat de l'interprétation objective (ou normative) sont à la charge de la partie qui s'en prévaut (ATF 121 III 118 consid. 4b/aa).

2.3 En l'espèce, bien que l'appelant se garde d'évoquer cet élément, il est constant que les rubriques introductives du contrat de bail signé le 8 octobre 2018 portent en caractères gras les indications des qualités de chacun des protagonistes, soit l'appelant en qualité de bailleur, les intimés en celle de locataires, et E______ comme garante, ce qui est parfaitement clair et conforme aux discussions intervenues entre l'appelant et la régie (cf. le courriel du 26 septembre 2018). Certes, après cette mention, diverses imprécisions ont été consignées dans le texte imprimé du contrat, opérant des raccourcis inadéquats, et aucune rubrique spécifiquement imprimée n'était prévue pour que la personne désignée comme garante puisse y apposer sa signature. Celle-ci a donc signé le contrat en-dessous du nom des locataires; en déduire qu'elle aurait ainsi entendu s'engager en qualité de colocataire serait tout aussi audacieux que d'affirmer que les visas apposés en dessous de la signature de l'appelant rendraient leurs auteurs bailleurs de l'objet loué.

L'appelant, qui a lui-même spontanément allégué avoir accepté l'offre des intimés en particulier compte tenu de la recommandation reçue d'un tiers (lequel l'avait expressément porté à sa connaissance l'intention de E______ de s’établir à nouveau dans le logement dont elle était propriétaire) et de la présence d'une garante (soit E______), est ainsi particulièrement malvenu de soutenir qu'il avait conclu le contrat sans avoir été informé que la précitée n'occuperait pas les locaux loués.

Le Tribunal a, à raison, écarté l'argument spécieux de l'appelant, et retenu que la demande avait été déposée conformément aux réquisits de l'art. 70 CPC.

3. L'appelant fait grief aux premiers juges de ne pas avoir qualifié l'appartement de logement de luxe.

3.1 Aux termes de l'art. 253b al. 2 CO, les dispositions sur la protection contre les loyers abusifs (art. 269 ss CO) ne s'appliquent pas aux baux d'appartements et de maisons familiales de luxe comprenant six pièces ou plus (cuisine non comprise). Le nombre minimum de pièces et le caractère luxueux de ces logements constituent des conditions cumulatives. Leurs loyers suivent les seules lois du marché (arrêt du Tribunal fédéral 4C.5/2004 du 16 mars 2004 consid. 4.1, publié in SJ 2004 I).

La notion de "luxe" du logement doit s'interpréter de manière restrictive; elle suppose que la mesure habituelle du confort soit clairement dépassée, l'impression générale étant décisive à cet égard. Constituent, par exemple, des indices de luxe la présence de marbre à l'entrée de l'immeuble, une piscine et/ou un sauna, des sanitaires en surnombre, une surface totale et des pièces particulièrement grandes, un jardin spacieux, un environnement très protégé. La présence d'un seul ou de quelques-uns seulement de ces indices ne suffit pas; il faut que le luxe se dégage de l'ensemble. La notion d'objet de luxe est, par définition, indépendante de l'existence de défauts, susceptibles d'affecter cet objet et qui peuvent être réparés (cf. art. 258 al. 3 CO pour les défauts originels et art. 259a ss CO pour les défauts subséquents). La notion de luxe peut toutefois évoluer avec le temps; un objet luxueux à l'origine peut perdre cette qualité avec les années et, inversement, une habitation peut entrer dans la catégorie des objets de luxe selon les rénovations et les transformations qui y sont réalisées (arrêt du Tribunal fédéral 4C.5/2004 précité consid. 4.2).

Pour décider si un logement est de luxe, le juge doit se fonder sur son impression générale, laquelle dépend de l'examen concret de toutes les caractéristiques du logement en cause, au moment où cet élément doit être apprécié (arrêt du Tribunal fédéral 4C.5/2004 précité consid. 4.2). Le juge du fait dispose à cet égard d'un large pouvoir d'appréciation (art. 4 CC).

3.2 En l'espèce, les premiers juges, qui ont procédé à une inspection locale, ont fondé leur appréciation notamment sur l'état de l'appartement (cloques sur le mures, armoires vétustes et état du balcon), soit un critère irrelevant dans l'examen effectué, comme le rappelle la jurisprudence citée ci-dessus.

L'appelant requiert à titre préalable de la Cour qu'elle procède, à l'instar des premiers juges, à un transport sur place, sans pour autant critiquer le procès-verbal que le Tribunal a dressé de sa propre inspection locale; il affirme par ailleurs que les éléments qui permettent de qualifier le logement résultent du dossier photographique produit. Dès lors que ce dernier point est exact, compte tenu de la précision et de l'exhaustivité des photographies versées à la procédure, en l'absence de griefs spécifiquement adressés aux constatations réalisées par le Tribunal lors de son transport sur place la Cour considère, par appréciation anticipée des preuves, qu'il n'y a pas à donner suite à la requête préalable de l'appelant. Il en va de même s'agissant de l'audition en qualité de témoin du concierge de l'immeuble N______.

En faveur de la qualification de luxe, les premiers juges ont retenu, à juste titre, le nombre de pièces et la surface, la localisation de l'immeuble et la vue dégagée. Ces derniers éléments sont pertinents, et loin d'être négligeables dans le cas d'espèce; les perspectives, sans vis-à-vis, depuis les terrasses sont en effet particulièrement vastes, voire spectaculaires, englobant, outre de nombreuses frondaisons au premier plan, le Salève, le Jura, et M______, tel que ressortant du dossier photographique.

Le Tribunal n'a pas fait mention d'autres points sortant de l'ordinaire, également établis par le dossier photographique, ainsi que les plans produits, soit l'exposition (trois points cardinaux), les cinq balcons (dont deux sont d'une surface d'environ 12m2), les deux entrées, les nombreux sanitaires modernes (y compris une salle de bains dotée, outre d'une douche transparente, d'une baignoire ovale non encastrée et jouissant d'une vue sur le Jura), l'enfilade des pièces de réception, et le dressing.

Il a pris en compte, en défaveur du caractère luxueux, l'absence de rosaces, de climatisation et de stores électriques. Le premier point apparaît anachronique, compte tenu de la date de construction de l'immeuble, et par conséquent sans portée, le deuxième est singulier, puisque comme le relève l'appelant la législation en vigueur n'autorise pas de tels équipements, et le troisième est relativement accessoire. Le raisonnement des premiers juges, en tant qu'il se fonde sur les éléments précités, ne convainc donc pas.

Le Tribunal a cité l'absence de piscine ou de sauna, ainsi que de "conciergerie personnalisée", ce qui n'est pas contesté, et traduit, selon la jurisprudence précitée, une absence de luxe. Il n'a en revanche pas retenu la présence de marbre dans les parties communes de l'immeuble, visible sur les photographies, ni l'existence d'une surveillance vidéo, et de deux entrées à l'appartement, qui penchent en faveur de la qualification de luxe.

Les intimés font valoir que la situation de l'immeuble en zone de développement 3 aurait pour effet que les logements devraient répondre à un besoin prépondérant d'intérêt général (art. 5 LGZD), ce qui exclurait la qualification de logement de luxe. Pareil argument, fondé sur le droit administratif, n'apparaît à lui seul pas pertinent au regard des éléments développés par la jurisprudence rappelée ci-dessus, aux fins de détermination du champ d'application des dispositions du code des obligations relatives à la protection des locataires.

Les intimés relèvent encore les nuisances dues au bruit de la route 1______; celui-ci existe à l'évidence, mais vu la configuration de l'appartement, son exposition et l'étage élevé auquel il est situé, ses effets gênants apparaissent grandement relativisés et peu significatifs dans l'appréciation générale à laquelle il doit être procédé.

Enfin, les revêtements de murs et de sols, ainsi que la hauteur du plafond, sont apparus au Tribunal sans particularités, de même que les fenêtres et les armoires encastrées. De fait, ces éléments ne revêtent pas de caractère extraordinaire, au vu des photographies, les parquets cités par l'appelant au titre d'éléments luxueux, apparaissant banals. Du même ordre est l'impression dégagée par les chambres à coucher, de surface restreinte, la cuisine, sans jour apparent, le hall de l'entrée et les paliers de l'immeuble, exigus. Si cette apparence générale procède sans doute du style architectural de l'époque, aujourd'hui très daté, la Cour considère qu'elle revêt en tout état un poids important sinon prépondérant dans l'appréciation du caractère luxueux de l'ensemble. Peu importe à cet égard l'opinion des auteurs de doctrine exprimée dans l'avis de droit produit par l'appelant, qui n'a valeur que d'allégué de partie (cf. ATF 141 III 433 consid. 2).

En définitive, considéré dans son ensemble, l'appartement ne répond pas à la qualification de luxueux.

Il s'ensuit les dispositions sur la protection contre les loyers abusifs
(art. 269 ss CO) s'appliquent en principe au bail du cas d'espèce.

4. L'appelant reproche encore au Tribunal d'avoir écarté son argumentation liée à l'abus de droit, sans avoir préalablement procédé à l'administration des preuves qu'il avait offertes sur ce point.

4.1 La formule officielle exigée par l'art. 270 al. 2 CO doit être notifiée au locataire au moment de la conclusion du bail ou, au plus tard, le jour de la remise de la chose louée (sur le contenu de la formule, cf. art. 19 al. 1 et 1bis OBLF
[RS 221.213.11], applicable par analogie lors de la conclusion d'un nouveau contrat de bail en vertu de l'art. 19 al. 3 OBLF). Elle a pour but d'informer le locataire, en lui fournissant toutes les indications utiles, de sa possibilité de saisir l'autorité de conciliation afin de contester le montant du loyer initial. Elle sert à empêcher les hausses abusives de loyer lors d'un changement de locataire, de sorte que l'indication du loyer versé par le précédent locataire doit y figurer (ATF 140 III 583 consid. 3.1 et les arrêts cités).

L'ignorance du locataire est présumée (ATF 140 III 583 précité). Le juge du fait doit vérifier, par appréciation des preuves, si le locataire demandeur doit bénéficier de la présomption d'ignorance compte tenu de l'ensemble des circonstances. Tel ne serait notamment pas le cas si le locataire avait des connaissances spécifiques en droit du bail, s'il avait déjà loué un appartement pour lequel il avait reçu la formule officielle, ou s'il avait été impliqué dans une précédente procédure de contestation du loyer initial (ATF 148 III 63 consid. 6).

4.2 Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour le justiciable de produire des preuves pertinentes quant aux faits de nature à influer sur la décision à rendre, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, à moins que le fait à prouver ne soit dépourvu de pertinence ou que le moyen de preuve n'apparaisse manifestement inapte à établir le fait allégué, et de se déterminer à leur propos (ATF 142 II 218 consid. 2.3; 141 I 60 consid. 3.3; 139 II 489 consid. 3.3).

4.3 En l'espèce, il revient à l'appelant de renverser la présomption d'ignorance des intimés.

Il est constant que celui-ci a allégué divers faits, avec des offres de preuves correspondantes notamment par témoins, destinés à asseoir sa thèse selon laquelle les intimés auraient eu des connaissances spécifiques de droit du bail. Il n'a en revanche pas fait valoir que les précités auraient déjà reçu une formule officielle lors de la location de leur appartement précédent (location qu'il connaissait puisqu'il en a allégué les détails de la localisation, de l'identité de la bailleresse et du loyer), ni été parties à une procédure de contestation du loyer initial. S'agissant du premier point, il reproche à raison aux premiers juges d'avoir tenu pour établie l'absence d'une formule officielle, pour le logement précédent des intimés, sur la base de la seule déclaration spontanée de l'intimée; faute, toutefois, d'allégué propre de l'appelant sur l'existence de cette formule, aucune conséquence concrète ne découle de cette motivation du Tribunal, de sorte qu'il n'y a pas lieu de s'y arrêter davantage.

L'appelant a proposé l'audition de H______, dont il n'est pas contesté qu'il est professionnel de l'immobilier et a recommandé les intimés; aucun allégué n'a toutefois été spécifiquement formé sur des conseils que le précité aurait dispensés aux parties au sujet de l'obligation d'établir un avis officiel de fixation de loyer pour le bail objet de la présente procédure. Il en va de même de l'audition de E______, qui en sus ne pourrait pas se prononcer sur le contrat de bail l'ayant liée aux intimés pour la raison exposée ci-dessus. Rien n'indique que F______, présentée certes comme "conseillère" s'occupant d'un transfert de société, mais aussi "artiste" disposant d'une galerie, aurait des connaissances en droit du bail, qui plus est communiquées aux intimés; pour le surplus, dans le corps de son appel, l'appelant a avancé pour la première fois que la précitée aurait accompagné les intimés lors de l'état des lieux d'entrée, ce qui n'est pas recevable (cf. art. 317 CPC). Le courriel de l'avocat J______ ne laisse pas non plus entendre que des conseils au sens précisé ci-avant auraient été donnés aux intimés, ni qu'il aurait spécifiquement été actif dans le cadre des activités commerciales de l'intimée. A ce propos, si le but social de G______ SA comporte le domaine de la construction et de la promotion immobilière, aucun élément allégué ne permet d'en déduire que son animatrice serait familière du droit du bail. Enfin, il n'est pas pertinent que le loyer ait ou non fait l'objet de négociations ou que les précédentes mises en location de l'appartement effectuées par le bailleur aient été accompagnées ou non d'un avis officiel, de sorte que les auditions de représentants de régies seraient sans portée.

Il était donc admissible de renoncer à entendre les témoins requis par l'appelant aux fins de démontrer les connaissances spécifiques des locataires en droit du bail.

Dès lors, le grief est infondé. L'appelant n'est ainsi pas parvenu à renverser la présomption dont bénéficient les intimés.

5. En définitive, au vu de ce qui précède, le jugement attaqué sera confirmé.

6. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé le 22 juin 2022 par A______ contre le jugement JTBL/374/2022 rendu le 13 mai 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/2790/2020.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Jean-Philippe ANTHONIOZ et Monsieur Jean-Philippe FERRERO, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2.