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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/24068/2017

ACJC/683/2020 du 25.05.2020 sur JTBL/1122/2018 ( OBL ) , MODIFIE

Normes : CO.272.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24068/2017 ACJC/683/2020

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

du LUNDI 25 MAI 2020

 

Entre

A______ SARL, sise ______ (GE), appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 14 décembre 2018, comparant par Me Oana STEHLE HALAUCESCU, avocate, rue de la Tour 2, 1205 Genève, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile,

et

1) B______ SA, sise ______ (GE),

2) Monsieur C______ et Monsieur D______, intimés, comparant tous trois par Me Pascal AEBY, avocat, rue Beauregard 9, 1204 Genève, en l'étude duquel ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/1122/2018 du 14 décembre 2018, communiqué pour notification aux parties par plis du même jour, le Tribunal des baux et loyers a accordé à A______ SARL une unique prolongation de bail d'un an venant à échéance le 1er janvier 2020, pour les locaux commerciaux situés chemin 1______ [no.] ______ à E______ [GE] (ch. 1 du dispositif), et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2).

B. a. Par acte expédié le 1er février 2019 à la Cour de justice, A______ SARL (ci-après : la locataire) forme appel contre ce jugement, concluant à l'octroi d'une prolongation de bail de six ans.

b. Dans leur réponse du 7 mars 2019, B______ SA, C______ et D______ (ci-après : les bailleurs), concluent au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement entrepris précisant qu'au jour du dépôt de leur réponse la demande d'autorisation de construire portant sur leur projet n'a pas été déposée auprès du Département cantonal compétent, ayant dû faire face à «certains imprévus».

c. Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions respectives. Dans leur duplique du 11 juin 2019, les bailleurs ont affirmé avoir déposé ladite requête d'autorisation de construire en date du 31 mai 2019, et ont déposé une pièce nouvelle.

d. Les parties ont été avisées le 17 juin 2019 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. En date du 5 février 2004, A______ SARL, en tant que locataire, a conclu un contrat de bail à loyer portant sur des locaux commerciaux situés [no.] ______, chemin 1______ à E______ [GE], les locaux étant destinés à l'exploitation d'un café-restaurant-bar-pub.

b. Conclu pour une durée initiale de dix ans, du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2014, le contrat prévoit, faute d'une résiliation au moins six mois à l'avance, un renouvellement pour une durée de cinq ans et ainsi de suite de cinq ans en cinq ans.

c. Le loyer annuel, charges non comprises, a été fixé à 48'000 fr.

d. Selon le Registre du commerce, A______ SARL a pour but l'exploitation d'un pub avec animation musicale, vente de produits alimentaires et boissons à l'emporter. F______ en est l'associé-gérant avec signature individuelle. G______ est associée sans pouvoir de signature.

e. En octobre 2010, B______ SA, C______ et D______ sont devenus propriétaires de l'immeuble dans lequel se trouvent les locaux litigieux.

f. Par courrier du 28 septembre 2011 adressé à A______ SARL, les bailleurs ont fait quelques clarifications relatives notamment à l'affectation des locaux et à la liste de certains travaux mis à la charge de chacune des parties contractantes. Le montant du nouveau loyer mensuel a été fixé à 3'500 fr. hors charges, avec indexation. Un accord ayant été trouvé entre les parties à ce sujet, il a été résumé en quatre points, au sujet desquels l'associé-gérant de la locataire a manifesté son consentement en contresignant ledit courrier, «bon pour accord», le 5 octobre 2011.

Dans le même courrier daté du 28 septembre 2011, et se référant à leurs précédentes discussions, les bailleurs ont par ailleurs mentionné que le contrat prendrait fin le 1er janvier 2014 car des travaux allaient être entrepris et qu'ils espéraient recevoir une autorisation de construire et de démolir au plus tard le 1er janvier 2014.

Dans ce courrier, également signé par D______, les bailleurs ont ainsi indiqué ce qui suit :

«Nous profitons de la présente pour vous confirmer à l'écrit ce dont nous avons déjà discuté oralement, à savoir que nous avons déposé une demande d'autorisation de construire et démolir pour un nouveau bâtiment (...). C'est pourquoi, d'ores et déjà, nous vous signifions que nous n'allons pas renouveler votre bail qui prendra fin le 1er janvier 2014, comme prévu».

g. Le plan localisé de quartier (ci-après : PLQ), portant notamment sur l'immeuble en cause, a été approuvé le 14 juin 2017 par le Conseil d'Etat.

h. Par avis officiel du 18 septembre 2017, les bailleurs ont résilié le bail pour le 1er janvier 2019, sans indication de motif.

i. A______ SARL a saisi en temps utile la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, concluant principalement à l'annulation du congé et, subsidiairement, à une prolongation de bail pour une durée unique de six ans.

j. Non conciliée, la demande a été portée devant le Tribunal le 22 janvier 2018, la locataire concluant, sur le fond, à l'octroi d'une prolongation de bail de six ans, soit jusqu'au 1er janvier 2025, mais sans contester le congé du 18 septembre 2017.

k. Par mémoire réponse du 23 mars 2018, les bailleurs ont conclu à la confirmation de la résiliation pour le 1er janvier 2019 et à ce que toute prolongation du bail soit refusée. Ils ont précisé que le congé était motivé par leur volonté d'effectuer des travaux sur la parcelle et ont notamment produit un document extrait d'internet selon lequel F______ exploiterait en France l'établissement H______ SARL, qui aurait généré un chiffre d'affaires de 49'400 e au 31 décembre 2016.

l. A l'audience du 3 mai 2018 devant le Tribunal, F______, associé-gérant de la locataire, a indiqué ne plus avoir eu de contact avec un représentant des bailleurs après 2011. Selon lui, il avait contresigné le courrier du 28 septembre 2011, sans avoir lu la clause relative à la fin du bail pour le 1er janvier 2014. En effet, il n'avait jamais discuté de ce point avec D______ et n'avait, par la suite, été au courant que de rumeurs sur d'éventuels travaux à venir sur la parcelle exploitée par A______ SARL. Il a affirmé que sa seule source financière était l'exploitation de cette société qui générait un revenu mensuel brut de 6'000 fr., le chiffre d'affaires du pub étant de 23'000 fr. à 30'000 fr. par mois. H______ SARL était un restaurant exploité en France qui, ne fonctionnant plus, avait fait l'objet d'un compromis de vente. F______ a déclaré qu'avec cette dernière société il n'avait pas réalisé le chiffre d'affaires de 49'400 e au 31 décembre 2016. Âgé de 60 ans, il était divorcé avec quatre enfants dont deux encore à sa charge. A______ SARL étant le seul pub de E______ [GE], la mairie de E______ l'aidait dans ses recherches pour de nouveaux locaux.

I______, directeur financier de B______ SA, a déclaré qu'en 2014 le bail avait été renouvelé pour une période de cinq ans, étant donné qu'à cette époque le PLQ n'avait pas encore été déposé. Ce même PLQ ayant été adopté le 14 juin 2017, une demande d'autorisation de construire devait être déposée au printemps 2018 pour la construction d'un immeuble comprenant des appartements en PPE dont les travaux devraient débuter au printemps 2019.

m. Le 29 mai 2018 les bailleurs ont déposé au Tribunal des documents relatifs à leur projet.

n. A son audience du 12 juin 2018, le Tribunal a entendu D______. Celui-ci a déclaré avoir informé, en automne 2011, F______ qu'une autorisation de construire pourrait être obtenue dans les deux ans, raison pour laquelle la locataire devait s'attendre à quitter les lieux durant cette période. Il avait ensuite tenté de joindre F______ à plusieurs reprises entre 2013 et 2015 pour le tenir informé de l'évolution de la situation, mais sans succès.

A la fin du délai de recours contre le PLQ, les bailleurs avaient écrit à F______ afin de lui notifier l'avis de résiliation pour le 1er janvier 2019. Au jour de l'audience, la demande d'autorisation pour la construction du nouveau bâtiment d'habitation était prête à être déposée. La formulation «autorisation de construire et de démolir» mentionnée dans le courrier des bailleurs du 28 septembre 2011 signifiait selon lui qu'une demande de renseignements en vue de faire adopter un PLQ avait été adressée à l'administration compétente. Il n'était pas envisageable d'inclure un bar dans les locaux commerciaux du projet en raison des nuisances sonores et des heures d'ouverture tardives. D______ a encore précisé que les documents relatifs au projet immobilier et transmis au Tribunal à la demande de ce dernier allait être prochainement déposés auprès du Département chargé des autorisations de construire.

o. Dans son jugement du 14 décembre 2018, le Tribunal a constaté que la validité du congé n'était plus contestée, et que seule restait litigieuse la durée de la prolongation de bail. A ce sujet, il a notamment tenu compte de la situation personnelle de F______, associé-gérant de la locataire, ainsi que du peu de démarches entreprises par celle-ci en vue de rechercher des locaux de remplacement. Les premiers juges ont également mentionné que la locataire était au courant du projet immobilier des bailleurs dès septembre 2011 puisque, représentée par son associé-gérant, elle avait contresigné le courrier qui lui avait été adressé le 28 septembre 2011. Ils ont observé que F______ exploitait également H______ SARL qui aurait généré un chiffre d'affaires au 31 décembre 2016, même si cet établissement devait prochainement être vendu. Par ailleurs, le besoin des bailleurs pouvait être tempéré dans son urgence puisque ces derniers n'avaient pas démontré avoir déposé une demande d'autorisation de construire à ce sujet. Une prolongation de bail d'un an, soit jusqu'au 1er janvier 2020, a été accordée.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91 al. 2 CPC). La détermination de la valeur litigieuse suit les mêmes règles que pour la procédure devant le Tribunal fédéral (Rétornaz in : Procédure civile suisse, Les grands thèmes pour les praticiens, Neuchâtel, 2010, p. 363; Spühler, Basler Kommentar, Schweizeriche Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 9 ad art. 308 CPC).

L'art. 92 al. 2 CPC dispose que si les conclusions ne tendent pas au paiement d'une somme d'argent déterminée, le Tribunal fixe la valeur litigieuse selon son appréciation. La jurisprudence prévoit, s'agissant d'une procédure ayant exclusivement trait à une prolongation de bail, que la valeur litigieuse correspond au loyer à acquitter, par le locataire, de la date de la décision attaquée jusqu'au terme de la prolongation contestée (arrêts du Tribunal fédéral 4A_567/2010 du 16 décembre 2010 consid. 1; 4A_280/2008 du 11 novembre 2008 consid. 1; ATF 113 II 606 consid. 1 p. 407).

1.2 En l'espèce, le loyer annuel du logement, charges non comprises, s'élève à 48'000 fr.

En prenant en compte la date du jugement et la durée totale de la prolongation demandée, soit six ans à compter du 1er janvier 2019, la valeur litigieuse est largement supérieure à 10'000 fr. (48'000 fr. x 6 = 288'000 fr.). Elle l'est également en tenant compte de la partie litigieuse de la prolongation de bail sollicitée, soit cinq ans (48'000 fr. x 5 = 240'000 fr.).

1.3 Dans la mesure où le jugement attaqué a été reçu au domicilie élu de l'appelante le 18 décembre 2018, l'appel a été interjeté dans le délai et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2. Les intimés ont produit une nouvelle pièce et fait valoir de nouveaux faits avec leur duplique du 11 juin 2019.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de la diligence requise (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (Jeandin, Commentaire Romand, Code de procédure civile 2ème éd., 2019, n. 6 ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, les intimés ont produit avec cette écriture du 11 juin 2019 la copie d'un formulaire d'autorisation de construire daté du 31 mai 2019 mentionnant un projet consistant en la « démolition d'une villa et de locaux artisanaux, construction d'un immeuble mixte, rez-de-chaussée commercial et logements aux étages », situés « chemin 2______ [no.] ______ » à E______. Ils affirment que cette pièce correspondrait au dépôt de la demande d'autorisation de construire nécessitant le départ de l'appelante des locaux objets du bail.

Dans la mesure où ce formulaire, vu la date qu'il comporte, n'a pas pu être produit antérieurement à la fin mai 2019 et qu'il apparaît comme pertinent pour statuer dans la présente cause, il est recevable. Il en est de même de l'allégué selon lequel la demande d'autorisation de construire portant sur le projet nécessitant, selon les intimés, la libération des locaux par l'appelante, a été déposée à cette même date auprès de l'Office cantonal des autorisations de construire.

3. L'appelante se plaint tout d'abord de plusieurs constatations inexactes des faits, au sens de l'art. 310 let. a CPC.

3.1 3.1.1 A ce titre, elle reproche tout d'abord aux premiers juges d'avoir retenu que son associé-gérant, F______, ne pouvait ignorer depuis septembre 2011 qu'un nouvel immeuble allait être construit à l'emplacement des locaux loués.

3.1.2 L'affirmation qui précède résulte toutefois incontestablement des éléments de preuve réunis en première instance. En effet, l'intéressé ne conteste pas avoir reçu le courrier du 28 septembre 2011 qu'il a d'ailleurs contresigné. Or, ledit courrier mentionne, après l'énumération des quatre points de l'accord trouvé avec les intimés, l'existence d'un projet impliquant le départ de l'appelante, à une échéance qui était envisagée au 1er janvier 2014. De plus, entendu par le Tribunal, D______ a affirmé avoir informé F______ du projet des intimés et de la nécessité pour l'appelante de quitter les lieux si l'autorisation correspondante était délivrée.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, le Tribunal n'a retenu ni que l'appelante avait exprimé son accord avec un départ au début janvier 2014, ni que les intimés avaient déjà déposé en 2011 une demande d'autorisation de construire auprès de l'administration compétente. En effet, la correspondance du 28 septembre 2011 est inexacte ou imprécise sur ce dernier point lorsqu'il y est allégué qu'une telle démarche aurait déjà été effectuée. En revanche, cette même correspondance est correcte lorsqu'elle annonce un projet dont la réalisation affectera la poursuite de l'exploitation des locaux par la locataire.

3.2 3.2.1 L'appelante se plaint ensuite du fait que le Tribunal a retenu que son associé-gérant exploitait également un autre établissement public en France, sous la raison sociale « H______ Sàrl », lequel aurait généré un chiffre d'affaires au 31 décembre 2016. Si cet établissement devait être vendu, il ne procurerait, selon l'appelante, aucun revenu, contrairement à ce que les premiers juges auraient admis.

3.2.2 A cet égard, les premiers juges se sont limités à constater que l'intéressé, à savoir F______, a exploité jusqu'à fin 2016 au moins un autre établissement en France, et que cet établissement aurait généré un chiffre d'affaires, dont l'importance n'a pas pu être établie. Ce faisant, ils ne se sont pas prononcés sur le bénéfice ou la perte que l'exploitation de cet autre établissement pourrait entraîner. Quant à la vente éventuelle de celui-ci, F______ l'a lui-même évoquée lorsqu'il a été entendu par les juges précédents à l'audience du 3 mai 2018, puisqu'il a indiqué l'existence d'un «compromis de vente» à ce sujet. Or, dans l'hypothèse d'une vente consentie par l'intéressé, il faut s'attendre à ce qu'un prix soit versé au vendeur, sans qu'en l'occurrence l'on ne connaisse ni son montant ni le moment où ce prix serait payé. C'est bien ce que le Tribunal a voulu exprimer en relevant qu'en cas de vente, le produit de ladite vente serait encaissé par F______.

3.3 3.3.1 Enfin, sous l'angle de l'établissement des faits, l'appelante fait grief au Tribunal de n'avoir pas relevé la nature très particulière de l'activité déployée dans les locaux loués, qui rendrait selon elle la recherche de locaux de remplacement particulièrement difficile. Elle évoque à ce sujet l'animation musicale, la vente de produits alimentaires et de boissons, sa clientèle très variée et son emplacement proche de la gare. D'après l'appelante, le Tribunal aurait également omis de tenir compte de l'âge de son associé-gérant et de l'engagement financier important qu'un déménagement impliquerait pour celui-ci.

3.3.2 A nouveau ce reproche est sans fondement. Le jugement mentionne en effet explicitement que le but social de l'appelante consiste en l'exploitation d'un pub avec animation musicale, vente de produits alimentaires et de boissons. Il indique également que le pub ici en cause est le seul de E______, et que les autorités communales appuient l'appelante dans ses recherches de nouveaux locaux, ce qui démontre que l'établissement répond à certains besoins de la population locale. La proximité de la gare de E______ n'a pas davantage été ignorée par le Tribunal qui mentionne l'adresse des locaux. Enfin l'âge de l'associé-gérant et sa situation personnelle sont également repris dans le jugement, tels que l'intéressé les a lui-même évoqués à l'audience du 3 mai 2018 notamment.

4. L'appelante se plaint d'une violation de l'art. 272 CO. Elle souligne les conséquences importantes, et cas échéant définitives, de la résiliation sur la poursuite de ses activités. Selon elle, les pièces produites en première instance par les intimés ne démontreraient pas le caractère réel et concret de leur projet, puisque les plans d'architecte en question porteraient la mention «avant-projet». Au jour du dépôt de l'appel, aucune demande d'autorisation de démolir et de construire n'aurait été déposée auprès du Département compétent. S'agissant de la situation personnelle de son associé-gérant, elle affirme que celui-ci atteindrait l'âge d'une retraite anticipée en août 2021.

Les intimés indiquent dans leur réponse du 7 mars 2019 ne pas avoir à ce jour déposé de demande d'autorisation de construire, «faisant face à certains imprévus». Ils insistent sur le fait que le PLQ adopté le 14 juin 2017 est en vigueur, et qu'en conséquence l'autorisation de démolir et de construire devrait «en principe» être accordée. Avec leur duplique du 11 juin 2019, les mêmes intimés affirment avoir déposé, en date du 31 mai 2019, une demande d'autorisation de démolir et de construire «portant notamment sur les locaux occupés par A______ SARL». Pour étayer leur allégation, ils produisent la copie d'un formulaire d'autorisation de construire, portant le tampon humide de la direction des autorisations de construire, daté du 31 mai 2019, et indiquant que le projet envisagé consiste en la «démolition d'une villa et de locaux artisanaux, construction d'un immeuble mixte, rez-de-chaussée commercial et logements aux étages» à l'adresse chemin 2______ [no.] ______ à E______.

4.1 Selon l'art. 272 al. 1 CO, le locataire peut demander la prolongation du bail lorsque la fin du contrat aurait pour lui ou sa famille des conséquences pénibles sans que les intérêts du bailleur le justifient. Pour trancher la question, le juge doit procéder à une pesée des intérêts en présence, en prenant en considération notamment les critères énumérés à l'alinéa 2 de cette disposition. Lorsqu'il s'agit de locaux commerciaux, la durée maximale de la prolongation est de six ans; dans cette limite, le juge peut accorder une ou deux prolongations (art. 272b al. 1 CO).

Lorsqu'il doit se prononcer sur une prolongation de bail, le juge apprécie librement, selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC), s'il y a lieu de prolonger le bail et, dans l'affirmative, pour quelle durée. Il doit procéder à la pesée des intérêts en présence et tenir compte du but de la prolongation, consistant à donner du temps au locataire pour trouver des locaux de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4b) ou à tout le moins pour adoucir les conséquences pénibles résultant d'une extinction du contrat (ATF 116 II 446 consid. 3b). Il lui incombe de prendre en considération tous les éléments du cas particulier, tels que les circonstances de la conclusion du bail et le contenu du contrat, la durée du bail, la situation personnelle et financière de chaque partie, leur comportement, le besoin du bailleur ou ses proches parents ou alliés, de même que la situation sur le marché locatif local (art. 272 al. 2 CO; ATF 136 III 190 consid. 6 et les arrêts cités; 125 III 226 consid. 4b). Il peut tenir compte du délai qui s'est écoulé entre le moment de la résiliation et celui où elle devait prendre effet, ainsi que du fait que le locataire n'a pas entrepris de démarches sérieuses pour trouver une solution de remplacement (ATF 125 III 226 consid. 4c p. 230). Si le locataire, à ses risques et périls, a procédé à des investissements, la perte de la possibilité de les amortir n'est pas constitutive de conséquences pénibles (arrêts du Tribunal fédéral 4A_129/2015 du 10 juillet 2015 consid. 2.1 et 4A_22/2015 du 11 mai 2015 consid. 5.2).

Le besoin urgent du bailleur n'est qu'une circonstance dont le juge doit tenir compte dans la balance des intérêts. En particulier, l'urgence de ce besoin doit être prise en considération pour statuer tant sur le principe que sur la durée de la prolongation. Le besoin du bailleur ne prime celui du locataire que lorsque celui-là est autorisé, par décision administrative, à commencer les travaux, mais pas avant. Le juge ne saurait toutefois accorder une prolongation du bail jusqu'à une échéance indéterminée, qui serait liée à l'entrée en force exécutoire de l'autorisation de construire. Il ne peut pas non plus accorder sans autres une prolongation du bail de locaux commerciaux pour une durée de six ans (durée maximale; cf. art. 272b al. 1 CO - arrêt du Tribunal fédéral 4A_67/2016 du 7 juin 2016 consid. 7.1).

4.2 En l'espèce, le Tribunal a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes permettant de fixer la durée de la prolongation de bail à octroyer à l'appelante. Ainsi, les premiers juges ont retenu que l'appelante occupe les locaux litigieux depuis 2004, soit depuis quinze ans à l'échéance de la résiliation. Ils n'ont pas omis de tenir compte de l'âge de l'associé-gérant (proche de la retraite), ni de sa situation personnelle, avec notamment quatre enfants dont deux à charge. Comme déjà relevé ci-avant, c'est à juste titre que les juges ont observé que l'intéressé avait été informé dès septembre 2011 de l'existence d'un projet impliquant, à terme, la démolition des locaux objets du bail.

Il est exact que l'appelante n'a pas établi avoir effectué des recherches de locaux de remplacement, mis à part certaines discussions échangées avec les représentants de la Ville de E______ [GE]. Il n'y a toutefois pas lieu de donner un poids excessif à cet élément puisque, compte tenu de l'âge de l'associé-gérant, et des coûts inhérents à tout déménagement d'une activité commerciale, il serait compréhensible que l'appelante décide de ne pas poursuive ses activités commerciales, dans les mêmes conditions, si elle devait être contrainte de les exercer en un autre lieu. De même, s'il est pertinent de tenir compte de la société exploitée en France par l'intéressé, cet élément doit être fortement tempéré puisque ladite société devrait être prochainement vendue, selon les déclarations faites en première instance, et que l'on ignore l'ampleur réelle de son chiffre d'affaires annuel.

D'un autre côté, le projet des intimés n'a donné lieu au dépôt d'une demande d'autorisation de démolir et de construire qu'à la fin mai 2019, soit presque deux ans après la résiliation ici en cause. A teneur de la pièce produite, il n'est pas possible de déterminer avec certitude si cette demande porte réellement sur le bâtiment occupé par l'appelante, dans la mesure où le formulaire déposé auprès du Département compétent mentionne la démolition d'une «villa» ainsi que de «locaux artisanaux» ce qui ne semble pas correspondre aux locaux exploités par l'appelante. Il s'ajoute à cela que l'adresse mentionnée, au chemin 2______, n'est pas la même que celle des surfaces objets du bail. En définitive, et à l'instar des premiers juges, il convient de reconnaître aux intimés un intérêt à disposer des locaux pour procéder, le moment venu, à la démolition de l'immeuble qui les abrite, une fois que toutes les autorisations nécessaires auront été délivrées. En revanche, la pièce déposée à la Cour en juin 2019 demeure imprécise sur la réalité de la procédure d'autorisation de construire portant spécifiquement sur les locaux loués.

La date à laquelle les autorisations nécessaires seront délivrées aux intimés est ainsi à ce stade inconnue. De plus, il existe un doute sur la question de savoir si le projet déposé en mai 2019 implique bien la démolition des locaux objets du bail. Tout bien considéré, la prolongation limitée à un an, octroyée par le Tribunal, apparaît comme courte, au regard de ce qui précède ainsi que des différents intérêts en présence. Une unique prolongation de bail de deux ans et demi, soit jusqu'au 1er juillet 2021, tient compte de manière plus adéquate de la situation respective de chacune des parties. En particulier, elle se concilie mieux avec l'âge d'une éventuelle retraite anticipée de l'associé-gérant de l'appelante, envisageable dès août 2021 selon les allégations de cette dernière.

En conséquence, le jugement entrepris sera réformé en ce sens qu'une unique prolongation sera octroyée jusqu'au 1er juillet 2021.

5. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 1er février 2019 par A______ SARL contre le jugement JTBL/1122/2018 rendu le 14 décembre 2018 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/24068/2017-1-OSB.

Au fond :

Annule ledit jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Accorde à A______ SARL une unique prolongation de bail de deux ans et demi, venant à échéance le 1er juillet 2021, pour les locaux commerciaux situés chemin 1______ [no.] ______, à E______.

Confirme le jugement pour le surplus.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Alain MAUNOIR et Monsieur Grégoire CHAMBAZ, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.