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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/5191/2022

ACJC/1401/2022 du 24.10.2022 sur JTBL/438/2022 ( SBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5191/2022 ACJC/1401/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 24 OCTOBRE 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié c/o Madame B______, ______, Genève, appelant d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 2 juin 2022, comparant en personne,

et

Monsieur C______, domicilié ______[GE], intimé, comparant par Me Pascal PETROZ, avocat, rue du Mont-Blanc 3, case postale, 1211 Genève 1, en l'étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. Le 3 novembre 2015, A______, en qualité de locataire, et C______, en qualité de bailleur, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un appartement de 4.5 pièces situé au 2ème étage de l'immeuble sis 2______[GE].

Le bail a été conclu pour une durée initiale d'une année et quinze jours, du
15 novembre 2015 au 30 novembre 2016, renouvelable "selon l'article 13 des Conditions générales et Règles et usages locatifs".

Le loyer, charges comprises, a été fixé à 2'000 fr. par mois.

b. Dans le courant du mois d'octobre 2019, l'Agence Immobilière D______ SA (ci-après : la Régie) a repris la gérance de l'immeuble concerné. Elle s'est alors rendue compte que A______ n'avait réglé aucun loyer depuis la conclusion du bail. Au 1er novembre 2019, l'arriéré était de 95'000 fr. (2'000 fr. x 47.5 mois).

c. Par courrier du 13 novembre 2019, A______ a informé la Régie qu'il souhaitait résilier son contrat de bail avec effet au 30 novembre 2019. S'agissant de l'arriéré de loyer - s'élevant à cette date à 97'000 fr. -, il proposait de s'acquitter d'un montant de 92'000 fr. "pour solde de tout compte", à verser selon l'échéancier suivant : 87'000 fr. payable d'ici le 26 novembre 2019 et 5'000 fr. payable d'ici le 15 décembre 2019. Selon le locataire, le montant forfaitaire de 92'000 fr. proposé "ten[ait] compte d'une restitution de l'appartement en bon état d'utilisation".

d. Dans sa réponse du 14 novembre 2019, la Régie a accepté la résiliation anticipée du bail pour le 30 novembre 2019, ainsi que le remboursement de l'arriéré de loyer selon les modalités fixées par le locataire dans son courrier du 13 novembre 2019.

e. A______ a libéré l'appartement le 30 novembre 2019. En revanche, il n'a pas soldé l'arriéré de loyer comme prévu.

Les 23 janvier et 6 février 2020, la Régie a sommé le locataire de lui verser la somme convenue de 92'000 fr. (97'000 fr. - 5'000 fr. de "rabais de loyer").

f. Le 13 août 2021, C______ a fait notifier à A______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur la somme de 97'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 15 novembre 2017 (date moyenne), réclamée au titre des loyers impayés pour la période du 15 novembre 2015 au 30 novembre 2019.

Ce commandement de payer a été frappé d'opposition totale.

g. Par requête en protection des cas clairs formée le 18 mars 2022 devant le Tribunal des baux et loyers (ci-après : le Tribunal), C______ a assigné A______ en paiement de 97'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 15 novembre 2017. Il a également conclu au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, et à ce qu'il soit dit que cette poursuite irait sa voie.

h. Le 28 mars 2022, le Tribunal a cité les parties à comparaître à une audience de débats fixée le 28 avril 2022.

Le 26 avril 2022, A______ a sollicité le renvoi de cette audience à une date ultérieure pour des raisons de santé. Il a exposé qu'il devait se soumettre à des examens médicaux durant la semaine du 5 mai 2022, raison pour laquelle il n'était "pas en état de finaliser [s]on dossier et de [s]e présenter à l'audience". Etant lui-même juriste, il gérait seul son dossier, sans l'assistance d'un avocat.

A l'appui de sa demande de renvoi, le locataire a produit un courrier des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) du 22 avril 2022 le convoquant à une consultation fixée le 5 mai 2022.

i. Le 26 avril 2022, le Tribunal a annulé l'audience prévue ce jour-là et cité les parties à comparaître à une nouvelle audience de débats fixée le 2 juin 2022.

Le 1er juin 2022, A______ a sollicité du Tribunal "un dernier report d'audience à un mois", invoquant les mêmes problèmes de santé. Il a produit un courrier des HUG le convoquant à une consultation fixée le 31 mai 2022.

Le jour même, le greffe du Tribunal a informé le locataire par téléphone que l'audience était maintenue.

j. Par courriel du 2 juin 2022 (expédié à 10h53), A______ a avisé le Tribunal et le conseil du bailleur que son état de santé ne lui permettait pas d'assister à l'audience. Il a précisé qu'il "donn[ait] mainlevée partielle à hauteur de
CHF 87'000,00 (quatre-vingt-sept-mille francs) de [s]on opposition
" à la poursuite n° 1______. La différence de 10'000 fr. correspondait au rabais de 5'000 fr. accepté par la Régie dans son courrier du 14 novembre 2019, ainsi qu'à une indemnité de 5'000 fr. "pour troubles de la jouissance de la location en objet, pour cause de travaux et démontrés dans tous les échanges de correspondance entre 2019 et 2020". En raison de ses problèmes médicaux, il "n'a[vait] pas ces courriers à disposition", étant précisé qu'il lui faudrait un mois pour les réunir. Dans ces conditions, il s'en remettait à la décision du Tribunal.

k. Lors de l'audience du 2 juin 2022, C______, représenté par son conseil, a persisté dans ses conclusions. La proposition d'arrangement formulée par A______ dans son courriel du même jour était refusée. L'accord relatif à l'octroi d'un rabais de 5'000 fr. était "tombé", dans la mesure où le locataire n'avait pas respecté son engagement de payer 92'000 fr. d'ici le 15 décembre 2019. Par ailleurs, les "troubles de la jouissance" évoqués par le locataire étaient contestés et non prouvés.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à l'issue de l'audience.

B. a. Par jugement JTBL/438/2022 du 2 juin 2022, reçu par A______ le
8 juin 2021, le Tribunal, statuant par voie de procédure sommaire, a condamné A______ à verser à C______ la somme de 97'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 30 novembre 2017 (chiffre 1 du dispositif), levé l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, à due concurrence (ch. 2), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3) et dit que la procédure était gratuite.

En substance, le Tribunal a considéré que l'état de fait n'était pas litigieux et que la situation juridique était claire, de sorte que les conditions de l'art. 257 CPC étaient remplies dans le cas d'espèce. Le bailleur avait produit un décompte dont il ressortait qu'à ce jour, le locataire restait devoir un montant de 97'000 fr. à titre de loyer pour la période du 15 novembre 2015 au 30 novembre 2019 (2'000 fr. x 48.5 mois). Le rabais de 5'000 fr. octroyé au locataire par courrier du 14 novembre 2019 était conditionné au versement d'un montant total de 92'000 fr., payable à raison de 87'000 fr. d'ici le 26 novembre 2019 et de 5'000 fr. d'ici le 15 décembre 2019. Dans la mesure où l'échéancier fixé n'avait pas été respecté par le locataire, cet accord était devenu caduc. Au surplus, le locataire n'avait produit aucune pièce susceptible d'étayer le prétendu trouble de la jouissance dont il se prévalait pour réclamer une indemnité de 5'000 fr. Le bailleur pouvait donc prétendre au paiement de 97'000 fr., avec intérêts à 5% dès le 30 novembre 2017 (date moyenne), et au prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée à la poursuite n° 1______.

b. Par jugement JTBL/463/2022 du 13 juin 2022, le Tribunal - statuant sur requête en rectification (art. 334 CPC) du bailleur - a rectifié le chiffre 2 du dispositif du jugement JTBL/438/2022 comme suit : "Prononce la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, notifié le 13 août 2021 à A______, et dit que la poursuite n° 1______ ira sa voie".

C. a. Par courrier du 20 juin 2021 adressé à la Cour de justice, A______ a formé appel contre le jugement JTBL/438/2022 du 2 juin 2022. Ce courrier était rédigé en ces termes :

"Par la présente, je déclare faire appel du jugement du Tribunal des baux et loyers rendu [ ] en date du 2 juin 2022, sous les références C/5191/2022, considérant ce qui suit :

-          que, malgré le problème médical auquel je fais face, il n'a pas pu être tenu compte de mes écritures et demandes adressées au Tribunal et aux parties en date du 2 juin 2022 par mail à 10h53;

-          que si je n'ai pas d'avocat à ce jour pour raisons financières, j'entends me faire assister pour la suite à donner.

J'espère que la présente demande pourra être prise en considération malgré sa forme et l'absence d'un avocat pour me représenter à ce stade."

b. Dans sa réponse du 4 juillet 2022, C______ a conclu à l'irrecevabilité de l'appel et à la confirmation du jugement JTBL/438/2022 du 2 juin 2022 tel que rectifié par jugement JTBL/463/2022 du 13 juin 2022.

c. La cause a été gardée à juger le 5 août 2022, ce dont les parties ont été avisées le jour même.

EN DROIT

1. 1.1
1.1.1
L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Lorsque la décision de première instance a été rendue en procédure sommaire, le délai pour l'introduction du recours est de dix jours (art. 321 al. 2 CPC). La procédure sommaire s'applique à la procédure de cas clair (art. 248 let. b CPC).

En l'espèce, la valeur litigieuse est sensiblement supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.1.2 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC).

1.1.3 Selon l'art. 311 al. 1 CPC, l'appel doit être introduit par un acte écrit et motivé.

La motivation est une condition légale de recevabilité qui doit être examinée d'office. Afin de respecter cette exigence, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_61/2016 du 10 mai 2016 consid. 4). Même si l'instance d'appel applique le droit d'office (art. 57 CPC), le procès se présente différemment en seconde instance, vu la décision déjà rendue. L'appelant doit donc tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner à simplement reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais il doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement. Si la motivation de l'appel est identique aux moyens qui avaient déjà été présentés en première instance, avant la reddition de la décision attaquée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_97/2014 du 26 juin 2014 consid. 3.3), ou si elle ne contient que des critiques toutes générales de la décision attaquée ou encore si elle ne fait que renvoyer aux moyens soulevés en première instance, elle ne satisfait pas aux exigences de l'art. 311 al. 1 CPC et l'instance d'appel ne peut entrer en matière (arrêts du Tribunal fédéral 5A_438/2012 du 27 août 2012 consid. 2.2; 4A_97/2014 déjà cité consid. 3.3). Ni la maxime inquisitoire ni le devoir d'interpellation du juge n'interdisent de refuser d'entrer en matière sur un recours irrecevable faute de motivation suffisante (arrêt du Tribunal fédéral 4A_203/2013 du 6 juin 2013 consid. 3.2 et les arrêts cités).

La motivation d'un acte d'appel doit être entièrement contenue dans le mémoire d'appel lui-même. Elle ne saurait dès lors être complétée ou corrigée ultérieurement. Si elle fait défaut, la juridiction d'appel n'entre pas en matière. Le CPC ne prévoit pas qu'en présence d'un mémoire d'appel ne satisfaisant pas aux exigences légales, notamment de motivation, un délai raisonnable devrait être octroyé pour rectification. L'art. 132 al. 1 et 2 CPC (rectification des vices de forme) ne permet pas de compléter ou d'améliorer une motivation insuffisante, même si le mémoire émane d'une personne sans formation juridique, et il ne saurait être appliqué afin de détourner la portée de l'art. 144 al. 1 CPC qui interdit la prolongation des délais fixés par la loi. Il en va de même de l'art. 56 CPC (devoir d'interpellation du juge), qui concerne les allégations de fait et n'est donc pas applicable en cas d'absence de motivation d'un acte d'appel (arrêt du Tribunal fédéral 5A_488/2015 du 21 août 2015 consid. 3.2.2 et les arrêts cités; cf. JEANDIN, CR CPC, 2ème éd. 2019, n. 5 ad art. 311 et les références citées).

Même si l'art. 311 al. 1 CPC ne le mentionne pas, le mémoire d'appel doit contenir des conclusions; en matière pécuniaire, celles-ci doivent être chiffrées. L'interdiction du formalisme excessif commande d'entrer exceptionnellement en matière sur un appel formellement dépourvu de conclusions, si ce que demande l'appelant résulte de sa motivation, cas échéant en relation avec le jugement attaqué. Il n'appartient pas à l'instance d'appel de fixer un délai à l'appelant pour préciser ses conclusions si celles-ci sont déficientes, l'art. 132 CPC ne trouvant pas application dans ce cas (ATF 137 III 617 consid. 4 et 6, SJ 2012 I 373).

1.1.4 La partie est défaillante lorsqu'elle omet d'accomplir un acte de procédure dans le délai prescrit ou ne se présente pas lorsqu'elle est citée à comparaître
(art. 147 al. 1 CPC).

Selon l'art. 148 CPC, le tribunal peut accorder un délai supplémentaire ou citer les parties à une nouvelle audience lorsque la partie défaillante en fait la requête et rend vraisemblable que le défaut ne lui est pas imputable ou n'est imputable qu'à une faute légère (al. 1). La requête est présentée dans les dix jours qui suivent celui où la cause du défaut a disparu (al. 2).

1.2
1.2.1
En l'espèce, l'appel a été interjeté dans le délai utile de dix jours. En revanche, il ne répond pas aux exigences de motivation précitées (cf. consid. 1.1.3), même interprétées avec indulgence vis-à-vis d'un plaideur en personne.

Outre qu'il ne prend aucune conclusion devant la Cour, l'appelant se limite en effet à renvoyer aux arguments qu'il a soulevés en première instance, sans formuler la moindre critique contre la motivation du jugement attaqué. En particulier, il n'expose pas, même succinctement, en quoi ce jugement serait entaché d'erreurs, que ce soit dans l'établissement des faits ou dans l'application du droit.

Le fait que l'appelant - qui indique être juriste de formation - n'est pas assisté d'un avocat ne change rien à ce qui précède, l'appel étant affecté d'un vice irréparable.

Enfin, si l'appelant évoque ses problèmes de santé devant la Cour, il n'en tire aucune conséquence sur le plan juridique. Même à considérer qu'il s'agirait d'une requête (implicite) de restitution, celle-ci devrait être déclarée irrecevable, dès lors qu'elle n'a pas été adressée à la bonne autorité.

1.2.2 Par conséquent, l'appel sera déclaré irrecevable.

2. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

Déclare irrecevable l'appel interjeté le 20 juin 2022 par A______ contre le jugement JTBL/438/2022 rendu le 2 juin 2022 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/5191/2022.

Dit que la procédure est gratuite.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Pauline ERARD, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laurence MIZRAHI, Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure à 15'000 fr.