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Décisions | Chambre civile

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C/3165/2021

ACJC/1396/2022 du 18.10.2022 sur ORTPI/706/2022 ( OO ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.319.letb.ch2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3165/2021 ACJC/1396/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 18 OCTOBRE 2022

 

Entre

Monsieur A______, domicilié ______[GE], recourant contre l'ordonnance ORTPI/706/2022 rendue par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 16 juin 2022, comparant par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______[GE], intimé, comparant par Me Swan MONBARON, avocat, Monbaron Avocats, rue du Purgatoire 1, case postale 3374, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. a. Le 14 juillet 2021, B______ a assigné A______ par devant le Tribunal de première instance en paiement de 296'000 euros, subsidiairement de 321'367 fr. 20, intérêts en sus, ainsi qu'en mainlevée définitive de l'opposition formé par ce dernier au commandement de payer qui lui avait été notifié à hauteur de ce montant.

A l'appui de sa demande, il a notamment allégué que A______ avait été son "homme de confiance" pendant de nombreuses années, qu'à ce titre, il s'occupait de ses affaires, avait procuration sur ses comptes privés et administrait ses sociétés, qu'en août 2015, A______ avait sollicité un prêt urgent de 296'000 euros pour venir en aide à sa sœur, malade et en proie à de graves difficultés financières, que le 20 août 2015, il avait accepté de prêter à A______ cette somme, qu'il avait versée depuis le compte d'une de ses sociétés, C______ LTD, sur le compte de D______ Sàrl, dont A______ était l'unique bénéficiaire économique. Il a en outre allégué que les parties avaient mis un terme à tous leurs rapports en fin d'année 2017 et qu'il était par la suite apparu que la somme prêtée n'avait en réalité jamais bénéficié à la sœur de A______, mais avait été versée à une société française de production de films de cinéma.

B______ fonde ses prétentions d'une part sur l'obligation contractuelle de restitution fondée sur le contrat de prêt, d'autre part sur la responsabilité délictuelle découlant d'un abus de confiance.

En preuve de ses allégués 19, 20 et 23, aux termes desquels A______ n'aurait pas utilisé les fonds empruntés pour venir en aide à sa sœur mais les aurait versés à une société française de production de film de cinéma, les utilisant ainsi à une autre fin que celle qui avait été convenue, il a notamment produit, sous pièce 8 de son chargé, un extrait de compte de D______ Sàrl du mois d'août 2015, qu'il expose avoir découvert après la fin des rapports liant les parties, en fin d'année 2017, parmi les nombreux documents que A______ avait abandonnés dans les locaux qui avaient été mis à sa disposition.

b. Dans sa réponse, A______ a conclu au rejet de la demande. Il a fait valoir en compensation une créance fondée sur les rapports de travail et s'est prévalu d'une convention conclue entre les parties le 3 mars 2018 stipulant qu'il n'existait aucun contentieux entre les parties.

A titre préalable, il a notamment conclu à l'irrecevabilité de la pièce 8 produite par B______, arguant de ce qu'elle avait été obtenue illicitement et devait ainsi être écartée des débats.

c. Lors de l'audience de débats d'instruction tenue par le Tribunal le 7 mars 2022, A______ a persisté dans ses conclusions tendant à ce que cette pièce 8 produite par B______ soit écartée de la procédure. B______ s'est opposé à ce que cette pièce soit déclarée irrecevable, contestant qu'elle ait été obtenue de manière illicite.

B______ a par ailleurs sollicité la production de l'extrait de compte de la société D______ Sàrl du mois d'août 2015, en particulier l'avis créditant la somme de 296'000 euros reçue de la part de B______ par A______. Ce dernier s'est opposé à la production de cette pièce.

B. Par ordonnance ORTPI/706/2022 rendue le 16 juin 2022, le Tribunal a notamment refusé d'écarter la pièce 8 produite par B______ (ch. 2 du dispositif), ordonné à A______ de produire l'extrait de compte de la société D______ Sàrl du mois d'août 2015, en particulier l'avis créditant la somme de 296'000 euros reçue de la part de B______ par A______ (ch. 4b) en lui impartissant un délai au 14 juillet 2002 pour produire ce document (ch. 8).

Il a refusé d'écarter la pièce 8 produite par B______, au motif que ce document n'avait pas été obtenu de manière illicite puisqu'il avait été retrouvé parmi les documents que A______ avait abandonnés dans les locaux d'une des sociétés de B______ après la fin de leurs rapports.

Il a ordonné à A______ de produire l'extrait de compte de la société D______ Sàrl du mois d'août 2015, en particulier l'avis créditant la somme de 296'000 euros reçue par A______ de la part de B______, considérant que cette pièce portait sur des faits allégués, contestés et pertinents.

C. a. Par acte expédié le 29 juin 2022 à la Cour de justice, A______ recourt contre cette ordonnance, qu'il a reçue le 20 juin 2022. Il demande à la Chambre civile d'annuler les chiffres 2, 4b et 8 du dispositif de cette ordonnance et, cela fait, d'écarter de la procédure la pièce 8 produite par B______, subsidiairement de réserver la question de la licéité de cette pièce jusqu'à instruction sur cette question, de constater qu'il n'a pas à produire l'extrait de compte de la société D______ Sàrl du mois d'août 2015, en particulier l'avis qui crédite la somme de 296'000 euros reçue de la part de B______ par A______, d'ordonner la production par B______ de l'original de la pièce 8 qu'il a produite et de débouter ce dernier de toutes autres conclusions, sous suite de frais et dépens.

Le recourant soutient qu'il subirait un préjudice difficilement réparable si le bien-fondé de l'ordonnance de preuve querellée n'était pas examiné dans la présente procédure de recours, au motif que les documents litigieux relèveraient du secret commercial et bancaire et que leur communication à l'intimé dans la présente procédure constituerait une situation irréversible qu'une décision au fond en sa faveur ne permettrait pas de corriger. Le maintien de la pièce 8 produite par sa partie adverse au dossier lui serait également préjudiciable dans la mesure où le refus du premier juge d'écarter cette pièce du dossier le priverait de son droit d'interroger les parties et les témoins sur la question de la licéité de cette pièce.

b. Sa requête tendant à la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance attaquée a été admise s'agissant des chiffres 4b et 8 du dispositif de cette ordonnance par arrêt de la Chambre civile du 12 juillet 2022.

c. Dans sa réponse du 14 juillet 2022, B______ conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet, avec suite de frais et dépens.

d. Par avis du greffe du 7 septembre 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Le recours est recevable contre des décisions et ordonnances d’instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu’elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l’instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision pour les ordonnances d’instruction (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

1.2 En l’espèce, en tant qu’elle refuse d'écarter une pièce produite par l'intimé et ordonne au recourant de produire un titre, l’ordonnance querellée constitue une ordonnance d’instruction.

Interjeté dans le délai imparti et suivant la forme prévue par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 1 et CPC), le recours est recevable sous cet angle.

2.             Il reste à déterminer si l’ordonnance querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable au recourant au sens de l’art. 319 let. b ch. 2 CPC.

2.1 La notion de préjudice difficilement réparable est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3). Constitue un préjudice difficilement réparable toute incidence dommageable, y compris financière ou temporelle, qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive avant d'admettre l'accomplissement de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ACJC/353/2019 du 1er mars 2019 consid. 3.1.1; JEANDIN, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 22 ad art. 319 CPC).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (REICH, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2010, n. 8 ad art. 319 CPC; ATF 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2), ce qui surviendra par exemple lorsque des secrets d'affaires sont révélés ou qu'il y a atteinte à des droits absolus à l'instar de la réputation, de la propriété et du droit à la sphère privée, ou encore, lorsqu'une ordonnance de preuve ordonne une expertise ADN présentant un risque pour la santé ce qui a pour corollaire une atteinte à la personnalité au sens de l'art. 28 CC. De même, le rejet d'une réquisition de preuve par le juge de première instance n'est en principe pas susceptible de générer un préjudice difficilement réparable, sauf dans des cas exceptionnels à l'instar du refus d'entendre un témoin mourant ou du risque que les pièces dont la production est requise soient finalement détruites (JEANDIN, op. cit., ad art. 319 CPC n. 22 a et 22b).

La décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties ne cause en principe pas de préjudice difficilement réparable puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (COLOMBINI, Code de procédure civile, 2018,
p. 1024; arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2, 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (SPÜHLER, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2017, n. 7
ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable (COLOMBINI, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III 131 ss, 155; SPÜHLER, op. cit., n. 8 ad art. 319 CPC). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014
consid. 1.2.1; ACJC/943/2015 du 28 août 2015 consid. 2.2).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (ATF 134 III 426 consid. 1.2 par analogie).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (BRUNNER, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2016, n. 13
ad art. 319 CPC).

2.2 En l'espèce, le recourant reproche au Tribunal de lui avoir ordonné de produire l'extrait de compte de D______ Sàrl du mois d'août 2015, en particulier l'avis qui crédite la somme de 296'000 euros reçue de la part de B______ par A______, ainsi que d'avoir refusé d'écarter de la procédure la pièce 8 produite par l'intimé, consistant en tel extrait de compte de cette société pour le mois d'août 2015.

Le recourant ne démontre pas qu'il subirait un préjudice difficilement réparable justifiant de revoir l'ordonnance de preuve entreprise sans attendre la décision à rendre sur le fond. Il n'expose en particulier pas en quoi les informations contenues dans l'extrait bancaire que le Tribunal lui a ordonné de produire seraient susceptibles de porter atteinte au secret commercial ou bancaire dont il se prévaut.

S'agissant par ailleurs de la pièce 8 produite par l'intimé que le Tribunal a refusé d'écarter de la procédure, le recourant ne saurait être suivi lorsqu'il soutient subir un préjudice difficilement réparable découlant du fait qu'il ne pourrait plus se prévaloir de l'illicéité de cette pièce ni interroger les parties et les témoins sur cette question, puisqu'il conserve la possibilité de requérir que ce titre soit retranché du dossier dans le cadre d'un appel contre la décision à rendre sur le fond.

La condition posée par l'art. 319 let. b ch. 2 CPC n'est ainsi pas réalisée. Partant, le recours est irrecevable.

3. Le recourant, qui succombe, sera condamné aux frais de la procédure (art. 106
al. 1 CPC). Les frais judiciaires de recours seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 13 et 41 RTFMC) et compensés avec l'avance de même montant versée par lui, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il sera condamné à verser la somme de 1'000 fr., débours et TVA inclus, à l'intimé à titre de dépens de recours (art. 23 al. 1, 25 et 26 LaCC; 85, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours interjeté le 29 juin 2022 par A______ contre l'ordonnance ORTPI/706/2022 rendue le 16 juin 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3165/2021.

Arrête les frais judiciaires de recours à 1'200 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance de frais, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ à verser la somme de 1'000 fr. à B______ à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

La présente décision, qui ne constitue pas une décision finale, peut être portée, dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile (art. 72 LTF), aux conditions de
l'art. 93 LTF.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.