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Décisions | Chambre civile

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C/11822/2014

ACJC/433/2020 du 28.02.2020 sur JTPI/5914/2019 ( OO ) , RENVOYE

Recours TF déposé le 22.08.2023, 4A_401/2023
Normes : LREC.2.al1; LREC.9; CO41
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11822/2014 ACJC/433/2020

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 28 FEVRIER 2020

 

Entre

Madame A______, domiciliée _______ (GE), appelante d'un jugement rendu par la 13ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 24 avril 2019, comparant par Me Jacques Roulet, avocat, boulevard des Philosophes 9, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE (HUG), soit pour eux la Direction des affaires juridiques, boulevard de la Cluse 77, 1205 Genève, intimés, comparant par Me Michel Bergmann, avocat, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11, en l'étude duquel ils font élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/5914/2019 du 24 avril 2019, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a débouté A______ de toutes ses conclusions en paiement prises à l'encontre des HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE (ci-après : les HUG) (chiffre 1 du dispositif), condamné celle-ci en tous les frais judiciaires, arrêtés à 49'000 fr., en les laissant, en l'état, à la charge de l'Etat de Genève vu le bénéfice de l'assistance judiciaire (ch. 2), ordonné à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, de restituer 1'500 fr. aux HUG (ch. 3), condamné A______ à leur verser 40'000 fr. à titre de dépens (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B. a. Par acte déposé au greffe de la Cour de justice le 28 mai 2019, A______ forme appel contre ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Cela fait, elle conclut à ce que les HUG soient condamnés à lui verser les sommes de 100'000 fr., 12'881 fr. 70, 9'738 fr. 90, 142'919 fr. 40, 72'660 fr., 18'813 fr. 70 et 1'253'740 fr. 55, avec suite d'intérêts, à titre de dommages et intérêts consécutifs à son hospitalisation du 14 mai 2011. Subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause au Tribunal.

b. LesHUG concluent au déboutement de A______ de toutes ses conclusions et à la confirmation du jugement entrepris.

c. Par réplique et duplique, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

d. Elles ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger par avis du greffe de la Cour du 17 octobre 2019.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 14 mai 2011, peu avant 13h00, alors qu'elle circulait en transports publics en ville de Genève, A______, âgée de 47 ans au moment des faits, a été prise d'un malaise, accompagné d'une perte de force, de vertiges et de vomissements.

Etant en compagnie de son frère, ce dernier l'a aidée à sortir du tram, lui a donné de l'eau et l'a installée en position latérale de sécurité sur le trottoir, en attendant l'ambulance, laquelle est intervenue en première priorité quelques minutes plus tard.

b. A______ a été accueillie aux HUG à 13h37 par l'infirmière responsable de l'accueil et de l'orientation (procédure de tri).

Il a été relevé que la patiente avait eu un malaise d'origine inconnue, sans perte de conscience, qu'elle se souvenait de tout, se plaignait d'une grande fatigue, ne tenant pas debout, et qu'elle avait senti venir le malaise caractérisé par une faiblesse dans les jambes, des nausées et des vomissements. L'infirmière a ensuite mesuré les paramètres vitaux de A______, lesquels se situaient dans la norme, de même que le score de Glasgow (indicateur de l'état de conscience comprenant une échelle de 3 [coma profond] à 15 [personne parfaitement consciente] qui s'évalue selon l'ouverture des yeux, la réponse verbale et la réponse motrice), et a placé la patiente en degré 3 sur l'échelle des urgences (selon l'échelle suisse de tri : "EST").

c. A______ a été installée en salle d'attente, faute de place ailleurs, en position couchée vu son état de fatigue.

c.a A 14h15, A______ s'est rendue aux toilettes, accompagnée de l'aide-soignante du fait qu'elle avait de la peine à se déplacer seule. A ce moment, elle a eu un épisode de vomissements, calmé par la prise de 10 mg de N______ [métoclopramide] prescrit par le médecin "trieur" et administré par une infirmière. A 15h40, l'infirmière est revenue vers A______, qui dormait. A 16h30, cette dernière s'est réveillée avec des céphalées, de sorte qu'on lui a administré du O______ [paracétamol]; elle n'avait pas de nausées. A 17h55, l'infirmière a vérifié ses paramètres vitaux, qui étaient normaux (TA : 120/80; pouls : 74).

c.b Vers 19h00, la famille de A______ a informé l'infirmière que celle-ci n'arrivait plus à s'exprimer et qu'elle ne sentait plus son hémicorps droit. Son frère a confirmé en audience qu'à ce moment-là sa bouche commençait un peu à se déformer.

Le Dr B______, chef de clinique des urgences au moment des faits, s'est rendu auprès de la patiente, après avoir consulté son dossier informatique. Cette dernière souffrait de paresthésies (fourmillements) au niveau de la bouche et des deux membres supérieurs, avait des difficultés à avaler et se plaignait de céphalées en casque, ainsi que d'une grande fatigue. Elle était néanmoins consciente et présentait un résultat de 15/15 sur l'échelle de Glasgow, bien qu'elle n'était pas confortable dans l'expression de son visage, en ce sens qu'elle parlait en gémissant. Elle ne montrait pas de signe de latérisation (différence de force entre le côté droit et le côté gauche) et l'anamnèse ne montrait pas de facteur de risque cardiovasculaire ou thromboembolique.

Dans ses observations consignées le 14 mai 2011, le Dr B______ a relevé que la patiente était calme et collaborante, avec cependant un retard dans l'exécution des manoeuvres du status neurologique. Elle était très crispée avec une augmentation du tonus et l'exécution des épreuves cérébelleuses était difficile, notamment avec une imprécision de l'épreuve doigt-nez, le doigt déviant vers l'oeil gauche lors de la 3ème exécution.

Au regard des symptômes décrits par la patiente et sentant cette dernière tendue et angoissée, le Dr B______ a suspecté une crise d'hyperventilation liée à des troubles anxieux, la patiente ayant eu deux antécédents pour des malaises d'origine psychogène avec des sensations de malaise général, faiblesse sur les jambes, céphalées et paresthésies sur les membres. Il a effectué une gazométrie (prise de sang artérielle), dont le résultat s'est avéré compatible avec l'hyperventilation et a prescrit du P______ [lorazépam] à la patiente, lequel lui a été administré à 19h45.

Il ressort du dossier médical que le Dr B______ a également évoqué une pathologie neurologique, a priori placée au second plan compte tenu de l'absence d'argument d'embolie et d'un tableau clinique aspécifique avec un status neurologique normal - à l'exception de la présence des "mains d'accoucheurs" (manifestation d'hyperventilation) -, sans signe de méningés. Il a préconisé un complément de bilan métabolique et neurologique ainsi qu'une imagerie cérébrale ou une ponction lombaire. Ces instructions n'ont cependant pas été transmises.

c.c A 22h40, une infirmière a relevé les paramètres vitaux de A______, lesquels ne présentaient rien d'anormal (TA : 137/76; pouls : 81; température : 36.5°).

d. A______ a été installée en zone de soins à 1h35.

Lors de son transfert, les infirmières ont relevé qu'elle ne parlait plus, qu'elle avait uriné au lit et que son score de Glasgow était à 9/15. Le Dr C______, médecin interne de nuit, a immédiatement examiné A______ et a mis au courant son supérieur, qui l'a rejoint par la suite. Il a effectué une gazométrie à 2h25 et demandé un CT-scan cérébral en urgence à 2h29, selon le système informatique, en se rendant personnellement vers le radiologue compte tenu de l'urgence. Il a également sollicité une consultation de neurologie auprès de la neurologue de garde, le Dr D______.

La neurologue a examiné A______ à 4h et suspecté une lésion hypoxie-ischémique, voire un problème métabolo-toxique. Elle a préconisé un screening métabolique et toxique large et un CT-scan cérébral pour rechercher une sténose du tronc basilaire. Le CT-scan cérébral a été réalisé à 5h par le Dr E______, radiologue, lequel a conclu à un possible infarctus récent cérébelleux droit par occlusion du tronc basilaire, sans qu'un diagnostic formel ne puisse être arrêté. Une IRM cérébrale a été réalisée à 8h et a confirmé une occlusion du tronc basilaire.

e. Par la suite, A______ a subi une thrombectomie du tronc basilaire puis a été transférée aux soins intensifs le même jour (15 mai 2011), où elle a séjourné jusqu'au 25 mai 2011, avant de rejoindre le service de neurologie. Elle est retournée aux soins intensifs du 8 au 9 juin 2011 en raison d'un sepsis sévère.

f. Le 5 juillet 2011, A______ a été transférée à F______, dans le service de neurorééducation.

Selon le rapport d'examen neuropsychologique du 8 juillet 2011, le fonctionnement cognitif de A______ était préservé, avec une orientation correcte et de bonnes capacités communicationnelles, langagières et mnésiques.

Durant son séjour en neurorééducation, l'évolution de A______ a été favorable. Elle a retrouvé une activité motrice dans tous les groupes musculaires et pu se passer de trachéotomie ainsi que de sonde nasogastrique. Avec une physiothérapie intensive, en fin de séjour, elle a acquis une indépendance aux transferts et pu marcher seule avec un rollator quatripode sur terrain plat, la marche à l'extérieur étant encore limitée par le manque d'endurance et de vitesse. En ergothérapie, son bras gauche est redevenu fonctionnel, malgré une parésie résiduelle distale en particulier; le membre supérieur droit restant plus faible. A______ était indépendante pour les soins d'apparence et l'habillage mais nécessitait une aide pour la douche et les repas. En logopédie, l'évolution a été favorable.

g. A______ a regagné son domicile le 28 novembre 2011. Un passage infirmier a été organisé une fois par semaine. En outre, elle a continué la physiothérapie, l'ergothérapie ainsi que le suivi logopédique en ambulatoire.

h. Selon attestations du 18 décembre 2013 de son médecin traitant, le Dr G______, et du 20 décembre 2013 du Dr H______, neurologue, A______ parvenait progressivement à devenir relativement indépendante pour les gestes de la vie quotidienne, mais toujours avec un rythme très lent. La station debout était possible pendant environ quarante-cinq minutes. A l'extérieur, elle se déplaçait à l'aide d'un rollator. De plus, la patiente nécessitait de l'aide pour le ménage, la cuisine, les courses, les sorties et les activités lourdes et une importante lenteur persistait dans toutes les activités. Elle allait poursuivre sa progression et améliorer son indépendance à court et moyen terme. Cependant, à long terme, il fallait s'attendre à des séquelles nécessitant l'aide de tiers pour les activités de la vie domestique ainsi qu'à une incapacité de rentabilité économique dans le circuit professionnel.

D. a. Par acte du 13 juin 2014, A______ a saisi le Tribunal d'une demande en paiement à l'encontre des HUG pour un montant total arrêté en dernier lieu à 1'610'754 fr., avec suite d'intérêts.

Elle a allégué que sa prise en charge du 14 mai 2011 avait été effectuée en violation des règles de l'art et du devoir de diligence, les HUG ayant commis de nombreuses fautes graves, en particulier dans les délais d'attente. Gravement atteinte dans sa santé, elle a fait valoir un dommage corporel, des indemnités à titre de perte de gain, un dommage ménager, un tort moral, ainsi qu'une indemnité pour ses frais d'honoraires avant procès.

b. Les HUG se sont opposés à cette demande, concluant au déboutement de A______ de toutes ses conclusions prises à leur encontre.

Ils ont contesté toute responsabilité, alléguant qu'aucun manquement à la diligence ou aux règles de l'art ne pouvait leur être reproché. Même à considérer qu'une violation des règles de l'art leur était imputable, le lien de causalité ferait en tout état défaut dans la mesure où, même si le diagnostic avait été posé plus tôt et que A______ avait été opérée plus rapidement, son état de santé aurait néanmoins été, selon toute vraisemblance, similaire à celui qu'elle connaissait aujourd'hui.

c. Lors des audiences de débats principaux des 16 novembre 2015, 25 janvier, 10 mai, 20 juin, 5 septembre, 21 novembre 2016 et 6 février 2017, le Tribunal a procédé à l'audition de différents témoins.

c.a I______, infirmière d'accueil et de tri au moment des faits, a confirmé que les symptômes tels que présentés par A______ lors de son admission correspondaient à une urgence de degré 3. Aujourd'hui, au regard des informations consignées dans le dossier, elle reclasserait la situation en degré 3, expliquant qu'un malaise sans perte de connaissance constituait un motif courant d'urgence et qu'il n'était pas usuel qu'un médecin examine immédiatement ce type de cas, étant relevé qu'à l'époque il n'y avait pas de médecin en salle d'attente. Désormais, il y en avait un.

c.b J______, infirmière, a déclaré que lorsqu'elle avait vu A______ en salle d'attente, celle-ci tenait très difficilement debout. Elle avait averti le médecin "trieur" vers 14h pensant qu'il s'agissait d'un cas chirurgical en raison des vomissements. Ce dernier avait dû lui donner l'ordre de faire une prise de sang, ce qui ne ressort pas des observations mentionnées sur le suivi médical, mais dont les résultats figurent néanmoins dans le rapport d'analyse des HUG. L'infirmière avait ensuite vu la patiente à plusieurs reprises pour effectuer des contrôles.

c.c Le Dr B______ a exposé que le but de son intervention à 19h30 était de faire un réexamen de la situation de A______ afin de déterminer s'il était nécessaire de modifier la catégorie d'urgence, arrêtée à un niveau 3, et non de poser un diagnostic.

Il avait procédé à un examen des signes vitaux de la patiente, qui étaient normaux, puis effectué les tests afin d'évaluer un éventuel problème neurologique pour lequel il avait été appelé, en lui faisant passer des épreuves cérébelleuses, dont un test moteur du visage et des membres. A______ était vigilante et orientée dans l'espace. Elle était parvenue à toucher son nez plusieurs fois avec son doigt, étant toutefois relevé qu'au bout du 3ème essai, elle avait mis la main gauche au niveau de l'oeil. Selon lui, il n'existait pas d'élément objectif qui permettait de changer le degré d'urgence de 3 à 2, les symptômes décrits par la patiente n'étant pas bien différents de ceux mentionnés dès le début de sa prise en charge. Il était clair pour lui que A______ subissait une hyperventilation, étant précisé qu'une hyperventilation n'était pas un diagnostic mais pouvait être secondaire à un autre problème sous-jacent. Il lui avait prescrit du P______ afin de la calmer et traiter la problématique d'hyperventilation, ce qui lui permettait ainsi de revenir à des critères plus objectifs liés à ses sensations de malaise. Il n'avait pas transmis les instructions liées au complément du bilan métabolique, neurologique et imagerie à un autre médecin - bien qu'en pratique une personne qui présentait un problème neurologique était soumise à ces examens complémentaires - car il ignorait à ce moment-là où la patiente allait être placée.

c.d Le Dr C______, intervenu vers 1h30 du matin, a déclaré ne pas avoir pris connaissance des observations du Dr B______. La patiente était dans un état assez critique, présentant des troubles de la conscience, de la parole et de la respiration. Son score de Glasgow était de 9/15, étant précisé que l'état de coma se situe à 8/15. Elle présentait un état de conscience inquiétant, caractérisé par un état de rigidité avec une aptitude des membres en flexion, ce qui faisait soupçonner une atteinte cérébrale. Il était cependant difficile pour lui, non spécialiste, de dire de quel type d'atteinte il s'agissait. Il avait personnellement pressé le radiologue vis-à-vis de l'urgence à laquelle ils faisaient face, mais ce dernier était occupé par des examens en cours et lui avait répondu qu'il traiterait sa demande avec un haut degré d'urgence après les urgences vitales en cours. Le CT-scan cérébral avait finalement été réalisé probablement deux heures après l'arrivée de la patiente en zone de soins. Le résultat n'était pas clair et nécessitait d'effectuer un examen supplémentaire de résonnance magnétique (IRM).

c.e Le Dr K______, spécialiste FMH en neurologie et employé des HUG, a déclaré avoir examiné A______ le lendemain de son arrivée à l'hôpital; il avait confirmé le diagnostic posé préalablement aux urgences.

Il a expliqué que l'occlusion de l'artère basilaire était une affection rare, qui représentait environ 1% des accidents vasculaires cérébraux, soit approximativement 1 nouveau cas pour 100'000 habitants par année. Son diagnostic était difficile car les symptômes pouvaient arriver de manière insidieuse et progressive. En général dans les AVC, les symptômes étaient très brutaux (perte de la parole, paralysie d'un côté). Il arrivait parfois que cela soit plus insidieux en ce sens qu'il n'y avait pas de symptômes brutaux. A la relecture du dossier, les symptômes ressentis par A______ au moment de son arrivée aux urgences n'étaient pas brutaux et leur interprétation était difficile. Ensuite, les signes avaient été plus clairs, à savoir des troubles moteurs clairs qui représentaient des symptômes brutaux, raison pour laquelle des investigations avaient été faites pour confirmer le diagnostic.

Il a exposé, en outre, que le risque de mortalité dans ce type d'affection, telle que subie parA______, était de 85% en l'absence de tout traitement. Si le traitement intervenait dans un laps de temps adéquat, entre six à huit heures, le taux de mortalité diminuait de 80% à 30% et le taux de morbidité (c'est-à-dire de handicap physique et mental) en tout cas de moitié, selon les statistiques. Pour un tiers des patients, l'autonomie n'était pas complète mais permettait à certains de retourner à domicile. Il était considéré en effet que durant les premières heures (jusque dans un délai de huit heures) la lésion n'était pas constituée de manière définitive. Si on extrayait le caillot, on pouvait rétablir la fonction et sauver le tissu cérébral menacé. Si on agissait dans ce délai de huit heures, le patient pouvait s'en sortir sans séquelles. Il pouvait toutefois également arriver que même en prodiguant tous les soins dans ledit délai, le patient conserve des séquelles. Il y avait une variabilité entre les individus, de sorte que certains avaient des séquelles alors qu'ils étaient traités rapidement et d'autres, dont le traitement était tardif, n'en avaient pas.

d. Le 7 novembre 2017, le Tribunal a ordonné une expertise judiciaire aux fins d'apprécier le respect des règles de l'art médical par les HUG et désigné le Dr L______, chef de service de l'Hôpital cantonal de M______, en qualité d'expert.Les points suivants ressortent de son rapport du 28 mars 2018.

-A______ était en bonne santé habituelle avant les faits. Dans ses antécédents médicaux figuraient un status post-épisode d'attaque de panique avec hyperventilation et paresthésie le 5 novembre 2000, ainsi qu'un autre malaise d'origine psychogène probable, caractérisé par une faiblesse généralisée, des paresthésies, une vision floue et une céphalée, le 19 septembre 2005. A______ ne présentait en revanche pas de facteur de risque cardiovasculaire ni thromboembolique connu (comme l'occlusion du tronc basilaire).

- Concernant l'admission aux urgences de A______, la procédure de triage avait été effectuée correctement, étant précisé que ce processus n'était pas un diagnostic, le jugement se faisant à partir des éléments disponibles/signalés à cet instant, et qu'il n'était pas possible de détecter dans chaque cas le risque évolutif inhérent à chaque pathologie/chaque patient.

L'expert a confirmé que le degré d'urgence pour un malaise d'origine indéterminée représentait un degré de tri EST 3, expliquant que cette catégorie nécessitait de procéder à des investigations complémentaires sans mise en danger du pronostic vital et prévoyait une installation du patient en zone de soins dans les 120 minutes. Il s'agissait toutefois d'un indicateur de temps, dont le dépassement ne signifiait pas pour autant une violation des règles de l'art. Dans un tel cas, le patient devait être réévalué durant la phase d'attente. Le 14 mai 2011, les circonstances, notamment les conditions de surcharge du service, rendaient cet objectif impossible. Au moment de l'admission de A______, il était impossible de savoir quelle était la maladie sous-jacente et quel était son risque évolutif. A posteriori, une occlusion de l'artère basilaire représentait une urgence vitale, donc un degré de tri 1, avec une prise en charge immédiate. A cet égard, l'expert a précisé qu'a posteriori, des troubles de la marche étaient un marqueur de gravité mais que sur le moment, il était impossible de saisir qu'il s'agissait d'une occlusion de l'artère basilaire.

- De l'avis de l'expert, le Dr B______ avait correctement évalué les symptômes présentés par A______, en notifiant de manière précise les anomalies du status neurologique, en effectuant une réévaluation du triage et en initiant un diagnostic différentiel incluant une cause centrale. La démarche diagnostique n'avait toutefois pas pu être enclenchée parce qu'il existait à ce moment-là une importante surcharge dans le service due à la présence de plusieurs cas graves utilisant les ressources et prolongeant l'attente. Cependant, à cet instant, il était impossible de saisir qu'il s'agissait d'une occlusion de l'artère basilaire et la saturation du service des urgences empêchait une installation de la patiente dans le service. L'expert a précisé qu'il était correct de la part du Dr B______ de laisser A______ en degré EST 3 et que les mesures adéquates avaient été prises par l'équipe d'infirmiers en effectuant les contrôles cliniques usuels et en les notifiant sur la feuille de surveillance, étant précisé qu'à 22h40 aucune anomalie n'était signalée. La situation complexe et grave de la patiente avait ainsi échappé aux intervenants infirmiers et médicaux car chacun ne possédait qu'une partie du tableau clinique évolutif, lequel était encore incomplet et aspécifique, et que la détérioration qui était survenue aux alentours de 19h30 ne permettait pas de changer de degré de tri ni de faire le diagnostic sous-jacent.

- A la question de savoir s'il était admissible que A______ ait vu un médecin pour la première fois à 19h30, alors qu'elle avait été admise à 13h37, l'expert a répondu par l'affirmative, expliquant que la prise en charge intervenait au moment de l'installation dans la zone de soins et qu'il existait une importante surcharge du service. Cela étant, le médecin "trieur" avait été appelé par l'infirmière responsable du triage et la procédure diagnostique avait été initiée en zone d'attente par une prise de sang effectuée à 14h30, alors même que cela ne faisait pas partie de la phase de triage.

- Quant à l'intervention du Dr C______, aux alentours de 1h35, l'expert a considéré que ce dernier avait également correctement évalué la situation et pris les mesures adéquates, même s'il n'était pas conforme aux recommandations et aux règles de l'art d'attendre 2h29 pour demander d'effectuer un CT-scan cérébral. La demande avait, en effet, été effectuée oralement avant 2h29, heure de notification dans le système informatique. Les mesures prises ultérieurement à l'intervention du Dr C______ étaient conformes aux recommandations et aux règles de l'art.

- En cas de suspicion d'accident vasculaire cérébral, les recommandations étaient d'effectuer rapidement un CT-scan cérébral, une évaluation et la définition d'une stratégie thérapeutique en moins d'une heure. Dans le cas de A______, cet objectif ne pouvait pas être atteint car il y avait un délai diagnostic et une surcharge du service.

- L'expert était d'avis qu'il était difficile de dire précisément à quel moment il était raisonnablement possible d'envisager une lésion vasculaire du tronc basilaire. Il était probable que la dégradation - et la survenance de l'occlusion - se soit produite entre 22h40 et 1h36, étant rappelé qu'à 22h40 les paramètres vitaux étaient normaux. Au vu de l'altération de l'état de conscience de la patiente, qui constituait un signe clinique de gravité, on pouvait émettre l'hypothèse que c'était à cet instant, soit vers 1h30, que l'occlusion s'était produite totalement. La patiente aurait certes dû voir un médecin plus rapidement car le délai de prise en charge en zone de soins atteignait les 12h. Cependant, il était impossible de savoir qu'il s'agissait d'une occlusion de l'artère basilaire car le tableau clinique évoquait un diagnostic différentiel. En principe, dès le moment où il y avait modification brutale de l'état de conscience, il s'agissait d'une urgence neurologique qui déclenchait une prise en charge urgente comprenant un CT-scan cérébral avec séquence angiographique. La suspicion d'occlusion du tronc basilaire pouvait être envisagée à cet instant, étant rappelé qu'il s'agissait d'un diagnostic de spécialiste difficile à poser. En ces circonstances, on posait un diagnostic d'une urgence neurologique comprenant encore un diagnostic différentiel. Le cas de A______ était particulier car il semblait que la maladie se soit déclarée progressivement. Il n'était en l'occurrence pas possible de définir à partir de quand le diagnostic aurait dû être suspecté, le moment exact de l'occlusion étant lui-même impossible à établir. Par conséquent, le retard diagnostic n'était, selon l'expert, pas calculable.

- L'expert a encore exposé que le délai thérapeutique n'était pas un facteur pronostic unique. D'autres facteurs entraient en ligne de compte, à savoir la sévérité initiale de la présentation clinique, l'âge du patient, la localisation et l'ampleur de l'occlusion, ainsi que la présence ou non de vaisseaux collatéraux. Cela signifiait que même si le traitement était effectué très rapidement, l'occlusion de l'artère basilaire demeurait une maladie grevée d'une haute mortalité et morbidité. La littérature médicale montrait qu'avec les méthodes de diagnostic et de traitement modernes, 41% des patients avaient des pronostics favorables (survie et bonne évolution neurologique). La mortalité des patients traités par recanalisation mécanique se situait entre 25% et 50% et la proportion de patients évoluant bien entre 20% et 44%. La relation entre la rapidité de l'intervention et le pronostic n'était pas clairement établie. Il était donc impossible d'établir une chance de traitement dans le cas de A______ ou une quantification de la notion de perte de chance. Si dans le cadre des maladies cérébrovasculaires, la réduction des délais de traitement demeurait un objectif de première importance, l'occlusion de l'artère basilaire échappait à cette règle parce que le facteur temps était masqué par le poids d'autres facteurs
pronostics liés au patient. Il n'était donc pas raisonnable de penser que les lésions dont souffrait A______ auraient pu être évitées en tout ou partie et l'idée qu'une prise en charge immédiate aurait pu changer le diagnostic était une conjecture reposant sur des éventualités hypothétiques, dont la probabilité statistique était difficile à établir.

En définitive, l'expert a relevé "deux événements indésirables", soit un retard diagnostic et un temps d'attente prolongé, tous deux inévitables dans le contexte du service ce jour-là. Il y avait possiblement une perte de chance, car en l'absence de temps d'attente (ou d'un temps d'attente normal), le diagnostic aurait peut-être pu être posé plus rapidement, à condition toutefois qu'un CT-scan cérébral ait été pratiqué rapidement et qu'il ait révélé une thrombose basilaire, laquelle était certainement en cours d'évolution et aurait ainsi rendu le diagnostic par imagerie cérébrale plus difficile à établir. Aux yeux de l'expert, il était donc impossible de définir rétrospectivement dans quelle mesure cet incident critique aurait pu être évité.

e. Entendu devant le Tribunal, l'expert a confirmé les conclusions de son rapport.

Il a précisé que ce n'était pas la surcharge du service qui avait fait que le degré de tri n'avait pas été changé. Le médecin avait détecté une anomalie et avait probablement eu une inquiétude. Cependant, il n'avait pas modifié le degré d'urgence car il n'avait pas de critères pour cela et n'avait pas non plus la possibilité d'installer la patiente en zone de soins. A 19h30, il était impossible de poser un diagnostic. La forme classique d'un AVC, à savoir une attaque cérébrale, était plus facilement reconnaissable qu'une occlusion du tronc basilaire car on pouvait remarquer une paralysie soudaine, notamment du visage ou un trouble soudain du langage. Dans l'optique d'un AVC, tel qu'envisagé par le Dr B______, le degré d'urgence aurait été de 1 ou 2, soit une prise en charge immédiate ou dans les 20 minutes. Il était toutefois correct de laisser A______ en degré 3.

Confirmant que dans le cas d'une lésion du tronc basilaire la relation entre la rapidité d'intervention et le pronostic n'était pas clairement établie, l'expert a ajouté que deux éléments ressortaient des études médicales. Premièrement, si on réussissait à recanaliser, on obtenait un meilleur pronostic et, deuxièmement, l'état clinique initial avait une influence. En ce qui concernait A______, bien que touchée d'une atteinte très grave, elle présentait un état clinique initial plutôt favorable. Il était toutefois impossible d'affirmer et de quantifier la notion de perte de chance par rapport à un délai en cas de lésion basilaire, contrairement à un AVC classique.

f. Dans leurs plaidoiries finales écrites, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

E. Dans le jugement querellé, le Tribunal a considéré, conformément aux conclusions de l'expert, dont il n'y avait pas lieu de s'écarter, qu'aucune violation des règles de l'art n'avait été commise par les HUG et ses auxiliaires. A cet égard, il convenait de relever que le retard diagnostic et le temps d'attente prolongé mis en évidence par l'expert ne constituaient pas des violations des règles de l'art, puisqu'ils étaient inévitables ce jour-là, compte tenu de la surcharge des urgences et de la difficulté à poser le diagnostic d'occlusion de l'artère basilaire. Même à considérer que le retard diagnostic et le temps d'attente prolongé constituaient de telles violations, il convenait de nier tout lien de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par A______, dans la mesure où le diagnostic de l'occlusion de l'artère basilaire ne pouvait en tout état de cause pas être établi plus tôt et que, même si tel avait été le cas, on ne pouvait considérer, selon le cours ordinaire des choses, que A______ n'aurait pas subi les lésions qu'elle avait subies et que celles-ci auraient pu être évitées.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance, si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 CPC), ce qui est le cas en l'espèce vu les prétentions en paiement de plus de 1'600'000 fr. prises par l'appelante.

Interjeté dans le délai utile de trente jours, compte tenu des féries de Pâques (art. 311 al. 1 et 145 al. 1, let. a CPC), et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La Cour dispose d'un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC), dans la limite des griefs qui sont formulés (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4 et les références citées). Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al.1 et 58 al. 1 CPC).

2. L'appelante se plaint d'une constatation incomplète des faits opérée par le Tribunal.

Les critiques de l'appelante ont été prises en compte et l'état de fait complété dans la partie "EN FAIT" ci-dessus, dans la mesure utile à la solution du litige.

3. L'appelante reproche au Tribunal d'avoir écarté toute faute des intimés lors de sa prise en charge médicale, en se ralliant aux conclusions de l'expert sans aucune discussion ou motivation, commettant ainsi, au surplus, une violation du droit d'être entendu et de l'interdiction de l'arbitraire. Elle soutient que les intimés auraient commis plusieurs manquements à leur devoir de diligence et aux règles de l'art, en particulier par un temps d'attente excessif et par des erreurs commises lors de l'examen de 19h30, retardant ainsi tant le diagnostic que le traitement.

Par ailleurs, l'appelante fait grief au premier juge d'avoir nié tout lien de causalité, naturelle et adéquate, entre les manquements reprochés et le préjudice subi.

3.1 La présente cause est régie par la Loi genevoise sur la responsabilité de l'Etat et des communes (LREC; A 2 40), applicable aux intimés en vertu de l'art. 5 al. 2 de la Loi genevoise sur les établissements publics médicaux (LEMP; K 2 05), ainsi que de l'art. 61 CO.

Les corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent ainsi du dommage résultant pour des tiers d'actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l'exercice de leur travail (art. 2 al. 1 et 9 LREC).

La LREC n'institue pas une responsabilité de type objectif ou causal, mais une responsabilité pour faute dont les conditions correspondent à celles de l'art. 41 CO, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes : un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci, un dommage subi par un tiers et un lien de causalité (naturelle et adéquate) entre l'acte illicite et le dommage (arrêts du Tribunal fédéral 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1 et 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1). L'art. 6 LREC précise en outre que le droit civil fédéral s'applique à titre de droit cantonal supplétif.

3.1.1 La notion d'illicéité est la même en droit privé fédéral et en droit public cantonal de la responsabilité.

Le personnel chargé des soins (médecins, infirmiers, sages-femmes, etc.) est tenu de respecter les règles de l'art médical, lesquelles constituent des principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens (ATF 133 III 121 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_487/2016 du 1er février 2017 consid. 2.3).

Il doit observer la diligence requise. Si le propre de l'art médical consiste, pour le médecin, à obtenir le résultat escompté grâce à ses connaissances et à ses capacités, cela n'implique pas pour autant qu'il doive atteindre ce résultat ou même le garantir, car le résultat en tant que tel ne fait pas partie de ses obligations. L'étendue du devoir de diligence qui incombe au médecin se détermine selon des critères objectifs. Les exigences qui doivent être posées à cet égard ne peuvent pas être fixées une fois pour toutes; elles dépendent des particularités de chaque cas, telles que la nature de l'intervention ou du traitement et les risques qu'il comporte, la marge d'appréciation, le temps et les moyens disponibles, la formation et les capacités du médecin. La violation, par celui-ci, de son devoir de diligence - communément, mais improprement, appelée "faute professionnelle" - correspond à la notion d'illicéité propre à la responsabilité délictuelle (ATF 133 III 121 consid. 3.1; arrêts du Tribunal fédéral 4A_487/2016 du 1er février 2017 consid. 2.3; 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 3.1).

Le médecin viole son devoir de diligence lorsqu'il pose un diagnostic ou choisit une thérapie ou une autre méthode qui, selon l'état général des connaissances professionnelles, n'apparaît plus défendable et ne satisfait pas aux exigences objectives de l'art médical (ATF 134 IV 175 consid. 3.2; 130 IV 7 consid. 3.3; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1287/2018 du 11 mars 2019).

Savoir si le médecin a violé son devoir de diligence est une question de droit; dire s'il existe une règle professionnelle communément admise, quel était l'état du patient et comment l'acte s'est déroulé relève du fait (ATF 133 III 121 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_487/2016 du 1er février 2017 consid. 2.3; 6B_999/2015 du 28 septembre 2016 consid. 5.1).

3.1.2 Il existe un lien de causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit du tout ou qu'il ne serait pas survenu de la même manière. Il n'est pas nécessaire que l'événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat: il suffit qu'associé éventuellement à d'autres facteurs, il ait provoqué l'atteinte préjudiciable, c'est-à-dire qu'il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 142 V 435 consid. 1;
133 III 462 consid. 4.4.2 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 8C_540/2018 du 22 juillet 2019 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral à propos de la causalité en cas d'omission (cf. ATF 132 III 715 consid. 2.3), pour retenir une causalité naturelle en pareil cas, il faut admettre par hypothèse que le dommage ne serait pas survenu si l'intéressé avait agi conformément à la loi. Un lien de causalité naturelle ne sera donc pas nécessairement prouvé avec une exactitude scientifique. Le rapport de causalité étant hypothétique, le juge se fonde sur l'expérience générale de la vie et émet un jugement de valeur. En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l'omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité. Ainsi, lorsqu'il s'agit de rechercher l'existence d'un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s'interroger sur le cours hypothétique des événements (arrêts du Tribunal fédéral 4A_543/2016 du 1er novembre 2016 consid. 3.2.3; 4A_297/2015 du 7 octobre 2015 consid. 4.2).

Comme c'est généralement le cas pour la preuve du rapport de causalité, il est difficile d'apporter cette preuve dans certains domaines de la responsabilité, le demandeur se trouvant souvent dans un "état de nécessité en matière de preuve" (ATF 132 III 715 consid. 3.2.1), qui se rencontre lorsque, par la nature même de l'affaire, une preuve stricte n'est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée, en particulier si les faits allégués par la partie qui supporte le fardeau de la preuve ne peuvent être établis qu'indirectement et par des indices (ATF
144 III 264 consid. 5.3; 133 III 81 consid. 4.2.2). La jurisprudence admet depuis longtemps - en accord avec les règles générales concernant les dommages-intérêts - un allégement de la preuve concernant le rapport de causalité. Il n'est pas exigé une preuve stricte et absolue, mais seulement la preuve d'une vraisemblance prépondérante, qui suppose que, d'un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l'exactitude d'une allégation, sans que d'autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n'entrent raisonnablement en considération. Le juge doit se satisfaire de la certitude que l'on peut exiger selon le cours ordinaire des choses et l'expérience générale de la vie (ATF 132 III 715 consid. 3.2.1 et 3.2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_113/2018 du 12 décembre 2018 consid. 6.2.2.1 et les références citées). En effet, la mise en oeuvre du droit ne doit pas échouer en raison de difficultés probatoires qui se présentent de manière récurrente dans certaines situations. Toutefois, un état de nécessité ne peut pas être admis au motif qu'un élément de fait, qui devrait par nature être l'objet d'une preuve directe, ne peut être établi, faute par la partie à qui la preuve incombe de disposer des moyens de preuve nécessaires. De simples difficultés probatoires dans un cas concret ne sauraient conduire à un allègement de la preuve (ATF 144 III 264 consid. 5.3, arrêt du Tribunal fédéral 5A_113/2018 du 12 décembre 2018 consid. 6.2.2.1).

Cet allègement de la preuve n'exerce aucune influence sur le fardeau de la preuve. S'agissant d'une condition de la prétention en responsabilité, le fardeau de la preuve du rapport de causalité incombe au demandeur (ATF 132 III 715 consid. 3.2.2).

3.1.3 Le juge apprécie librement la force probante d'une expertise. Dans un domaine exigeant des connaissances professionnelles particulières, il ne peut toutefois s'écarter de l'opinion de l'expert que pour des motifs importants qu'il lui incombe d'indiquer, par exemple lorsque le rapport d'expertise présente des contradictions ou attribue un sens ou une portée inexacts aux documents et déclarations auxquels il se réfère (ATF 138 III 193 consid. 4.3.1; 136 II 539 consid. 3.2). En l'absence de tels motifs, le juge s'expose au reproche d'arbitraire s'il écarte l'expertise judiciaire (ATF 110 Ib 52 consid. 2; 101 IV 129 consid. 3a). Lorsque les conclusions de l'expertise judiciaire se révèlent douteuses sur des points essentiels, le juge doit recueillir des preuves supplémentaires. Il dispose d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 136 II 539 consid. 3.2; 133 II 384 consid. 4.2.3, JT 2008 I 451; 130 I 337 consid. 5.4.2, JT 2005 I 95).

3.2 En l'espèce, l'appelante a été admise aux urgences à 13h37, présentant un état de fatigue, des nausées et des vomissements. Après avoir été classée en degré d'urgence 3, elle a été placée en salle d'attente et a été vue pour la première fois par un médecin à 19h30, lorsque sa famille a alerté le personnel soignant d'une forte dégradation de son état. Le médecin chargé de l'examen médical à ce moment-là a conclu au maintien de la patiente en urgence 3, la laissant ainsi en zone d'attente, de sorte qu'elle n'a été transférée en zone de soins et prise en charge qu'à 1h36. Il s'ensuit que l'appelante a attendu 6 heures avant d'être examinée par un médecin et 12 heures avant d'être prise en charge.

L'expert a conclu qu'aucun manquement ne pouvait être reproché aux intimés. La procédure de tri avait été effectuée correctement, ce point n'étant du reste plus remis en cause à ce stade, de même que l'évaluation médicale de 19h30 et les mesures prises ultérieurement lors de la prise en charge. Selon l'expert, il était impossible de comprendre plus tôt qu'il s'agissait d'une occlusion basilaire, notamment en raison de son évolution progressive et insidieuse ainsi que de la difficulté particulière d'établir ce type de diagnostic. Par ailleurs la saturation du service des urgences ce jour-là empêchait une installation plus rapide de la patiente en zone de soins. L'attente prolongée ne constituait toutefois pas en soi une violation des règles de l'art et les mesures adéquates avaient été prises durant l'attente. Qualifiés d'"éléments indésirables", le retard diagnostic ainsi que l'attente prolongée étaient, selon l'expert, inévitables dans le contexte du service ce jour-là et ne relevaient pas d'une violation des règles de l'art de la part des intimés.

Le Tribunal a considéré qu'il n'y avait pas de raison de s'écarter de l'expertise. Faisant dès lors siennes les conclusions de l'expert, le premier juge a considéré que les intimés n'avaient, à aucun moment, enfreint leur devoir de diligence. Contrairement à ce que prétend l'appelante, le premier juge n'avait pas l'obligation de discuter plus en détails le contenu de l'expertise. Ce n'est que dans le cas inverse, à savoir lorsque le juge s'écarte de l'opinion de l'expert, qu'il lui incombe d'indiquer les motifs qui l'ont conduit à la solution retenue.

Le premier juge a ainsi suffisamment motivé son jugement, permettant à l'appelante de comprendre la décision et de critiquer l'argumentation du premier juge, ce qu'elle a d'ailleurs fait.

Partant, le jugement ne consacre aucune violation du droit d'être entendu. Ce grief sera donc rejeté. Autre est la question de savoir si le juge était fondé à se rallier aux conclusions de l'expertise.

3.2.1 Concernant le temps d'attente mis en cause par l'appelante avant de voir le premier médecin, les considérations du premier juge, respectivement de l'expert, sont exemptes de critiques.

Bien que cette attente, longue de 6 heures, excède les délais recommandés en la matière, à savoir 120 minutes pour une urgence de degré 3, l'expert a expliqué à plusieurs reprises que le délai préconisé n'est qu'un indicateur de temps, dont le seul dépassement ne signifie pas automatiquement une violation des règles de l'art, l'important étant davantage la gestion de l'attente durant laquelle le patient doit être surveillé et réévalué.

En l'occurrence, l'appelante a été vue à quatre reprises par le personnel soignant durant son attente, soit à 14h15 lorsqu'elle a été prise de vomissements, à 15h40 lorsqu'une infirmière s'est rendue auprès d'elle, constatant qu'elle dormait, à 16h30, lorsqu'elle s'est plainte de céphalées et à 17h55 lorsqu'une infirmière a relevé ses paramètres vitaux, lesquels étaient dans la norme. De plus, son cas a été rapporté au médecin "trieur" lors des vomissements et une prise de sang a été réalisée, bien que cela ne relève pas du processus habituel. L'appelante a de la sorte fait l'objet d'une surveillance sérieuse et régulière. A noter que son état ne présentait pas de signes inquiétants. Ses constantes étaient normales, son Glasgow de 15/15 et ses symptômes (faiblesse, nausées, vomissements), caractéristiques d'un malaise courant, sans perte de connaissance, ne laissaient pas supposer une attaque cérébrale ou un quelconque trouble neurologique. Le fait qu'une infirmière ait pensé qu'il pouvait s'agir d'un cas chirurgical au vu des vomissements n'est pas suffisant pour aboutir à une conclusion différente, ce d'autant plus que la surveillance et les contrôles subséquents n'ont pas révélé d'élément susceptible de confirmer cette hypothèse.

Par conséquent, malgré un temps d'attente supérieur aux recommandations avant que l'appelante ne voie un premier médecin, aucun manquement ne peut être reproché aux intimés dans la mesure où la gestion de l'attente a été effectuée avec diligence.

3.2.2 Concernant l'examen médical réalisé à 19h30, l'expert a conclu que la procédure d'évaluation avait été correctement effectuée, exposant qu'il était impossible à cet instant de déceler une occlusion du tronc basilaire et qu'il n'existait aucun élément concret pour changer le degré d'urgence de l'appelante.

Certes, l'occlusion de l'artère basilaire ne pouvait pas être décelée à cette heure-là, dans la mesure où les symptômes sont apparus de manière progressive, ce qui ressort tant de la chronologie des faits que des déclarations du Dr k______ et de celles de l'expert, avec pour conséquence que le tableau clinique de l'appelante était encore incomplet et aspécifique à ce moment-là, ne laissant ainsi pas présager cette forme rare d'AVC.

Cela étant, l'appelante était alors sujette à des troubles de la parole et à une paralysie de l'hémicorps droit, avec une déformation de la bouche, des difficultés à avaler ainsi que des céphalées, ce qui a été relevé par l'expert. Contrairement à ce qu'a déclaré le Dr B______ en audience, les symptômes présentés par l'appelante différaient de ceux qu'elle présentait à son arrivée aux urgences puisqu'ils comportaient désormais des troubles et des difficultés de type moteur, une paralysie et une déformation faciale. Lors de leurs auditions, l'expert ainsi que le Dr K______ ont tous deux indiqué qu'une paralysie, notamment d'un côté du visage, et un trouble du langage représentaient des signes d'un AVC classique et permettaient de reconnaître une telle pathologie. Le médecin en charge de la patiente à ce moment-là a d'ailleurs évoqué un possible trouble neurologique à titre de diagnostic différentiel, en préconisant des examens complémentaires conformément à ce qui est d'usage en cas d'atteinte neurologique, sans que ces démarches ne soient réalisées, de sorte que ce diagnostic n'a finalement pas été investigué, respectivement n'a pas été exclu. L'examen s'est donc arrêté sur la conclusion d'une hyperventilation pour des raisons anxiogènes, alors même qu'il est admis que l'hyperventilation peut être secondaire à un problème sous-jacent et qu'un trouble d'ordre neurologique était suspecté à ce titre. A cet égard, l'expert a précisé, aussi bien dans son rapport que dans ses déclarations devant le Tribunal, qu'en cas de suspicion d'AVC classique, la prise en charge du patient constitue une urgence de degré 1 ou 2 et doit intervenir dans l'heure.

Il ressort ainsi de l'expertise et des explications de l'expert, que les symptômes que présentait l'appelante lors de l'évaluation de 19h30 étaient, à tout le moins partiellement, caractéristiques et reconnaissables d'un AVC classique, pour lequel eût convenu de retenir une urgence de degré 1 ou 2 avec une prise en charge imminente.

Dans ces circonstances, il faut admettre que l'état de l'appelante présentait des éléments objectifs et concrets suffisamment alarmants pour justifier, ne serait-ce qu'en vertu du principe de précaution, de changer le degré d'urgence en priorité 1 ou 2 et de transférer cette dernière sans délai en zone de soins. Les conclusions inverses de l'expert sur ce point apparaissent ainsi en contradiction avec les constatations de fait relevées dans l'expertise qui font apparaître, de manière objective, une importante dégradation de l'état de la patiente avec la présentation de symptômes brutaux, révélateurs d'un grave trouble neurologique, même si, à ce stade, le diagnostic précis d'occlusion de l'artère basilaire ne pouvait être posé.

A cela s'ajoute le fait que le rapport effectué à 19h30, qui préconisait l'exécution d'examens complémentaires relatifs à une potentielle atteinte neurologique, est resté sans suite pour des raisons inexpliquées, sans être communiqué à un médecin ou à une infirmière et sans que les mesures prescrites ne soient réalisées, alors même qu'elles visaient à exclure un diagnostic relevant d'une urgence vitale.

De plus, malgré son état, tel que décrit ci-dessus et les mesures qu'il nécessitait, l'appelante a enduré une attente supplémentaire de 6 heures avant sa prise en charge en zone de soins, portant ainsi à 12 heures l'attente totale. Il ressort du dossier que l'appelante n'a fait l'objet que d'un seul contrôle à 22h40 entre l'évaluation médicale de 19h30 et sa prise en charge à 1h36, lequel s'est limité à l'examen de ses paramètres vitaux (tension, pouls et température) par le personnel infirmier. Force est ainsi de constater que l'appelante n'a pas été réévaluée et n'a pas bénéficié d'une surveillance adéquate durant cette phase d'attente, contrairement aux mesures de précaution imposées par les règles de l'art en cas d'attente prolongée, telles qu'exposées par l'expert.

Enfin, l'exécution des mesures entreprises à partir de 1h36 laisse, elle aussi, apparaître une prise en charge défaillante, dès lors qu'il a fallu attendre 1h30 pour obtenir l'avis neurologique, 2h30 pour le CT-scan cérébral et 3h pour l'IRM et ce en dépit de l'urgence relevée et invoquée par le médecin en charge de la patiente en zone de soins. Or, selon l'expert lui-même, le cas d'une urgence neurologique devrait déclencher une prise en charge urgente comprenant la réalisation rapide d'un CT-scan cérébral et la définition d'une stratégie thérapeutique en moins d'une heure.

Au regard de ce qui précède, il convient d'admettre que la prise en charge de l'appelante a souffert de plusieurs manquements aux règles de l'art, constitutifs d'une violation du devoir de diligence des intimés. L'expert a d'ailleurs reconnu que l'appelante aurait dû voir un médecin plus rapidement et que le temps de la réalisation du CT-scan n'était pas conforme aux recommandations et aux règles de l'art. Ses conclusions, desquelles la Cour s'écarte, selon lesquelles aucun manquement ne peut être reproché aux intimés reposent essentiellement sur le fait que les objectifs définis par les règles de l'art en matière de temps de prise en charge ne pouvaient pas être atteints ce jour-là en raison d'une importante surcharge du service due à la présence de plusieurs cas graves utilisant les ressources et prolongeant l'attente. L'expert cite à réitérées reprises les conditions de surcharge du service pour justifier l'absence de prise en charge de l'appelante, parvenant à la conclusion que les retards subis (retard diagnostic et temps d'attente prolongé) étaient, dans ces circonstances, inévitables ce jour-là, de sorte que les intimés ne pouvaient en être tenus pour responsables. Or, les conditions de surcharge, dont répondent au demeurant les intimés, ne sauraient les exonérer de toute responsabilité ni de leur obligation d'agir avec la diligence requise. Il appartient en effet aux intimés de mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour faire face à des situations de surcharge et assurer une prise en charge adéquate des patients. Par son argumentation, l'expert a outrepassé son domaine de compétences, confondant les éléments de fait auxquels se limitait sa mission - tels qu'exposer les règles professionnelles, l'état du patient et le déroulement des faits - et les conséquences juridiques en découlant - dont la question de savoir si les intimés avaient manqué à leur devoir de diligence -, lesquelles relèvent du droit et du seul pouvoir d'examen du juge. Il s'ensuit que l'expert ne peut être suivi dans ses conclusions.

En définitive, il se justifie, pour les motifs qui précèdent, de s'écarter de l'expertise. La violation du devoir de diligence de la part des intimés, constituant un acte illicite, sera donc admise.

3.2.3 Reste à examiner le lien de causalité entre les manquements retenus à l'encontre des intimés et le préjudice subi par l'appelante.

Le Tribunal a nié tout lien de causalité, considérant que le diagnostic de l'occlusion de l'artère basilaire ne pouvait en tout état de cause pas être établi plus tôt et que, même si tel avait été le cas, on ne pouvait considérer, selon le cours ordinaire des choses, que A______ n'aurait pas subi les lésions qu'elle avait subies et que celles-ci auraient pu être évitées.

De l'avis de l'expert, il existe possiblement une perte de chance, dans la mesure où, en l'absence de temps d'attente (ou d'un temps normal), le diagnostic aurait peut-être pu être posé plus rapidement, à condition toutefois qu'un CT-scan cérébral ait été pratiqué rapidement et qu'il ait révélé la thrombose basilaire, étant précisé que celle-ci était certainement en cours d'évolution et aurait ainsi rendu le diagnostic par imagerie cérébrale plus difficile à établir. Au vu de ces incertitudes, il était impossible, toujours selon l'expert, de définir rétrospectivement dans quelle mesure cet incident critique aurait pu être évité.

Il ressort toutefois des constatations de l'expert que le moment où l'occlusion est survenue pouvait être estimé entre 22h40, moment où les signes vitaux de l'appelante étaient encore normaux, et 1h30, heure à laquelle une altération de son état de conscience a été constatée. A cet égard, la Cour relèvera que les difficultés pour définir le moment exact de la survenue de l'occlusion résultent en partie des manquements des intimés, dans la mesure où, s'ils avaient procédé à une surveillance régulière et adéquate de la patiente après l'examen de 19h30, conformément aux règles de l'art, la fenêtre de temps lors de laquelle la dégradation de l'état de conscience de l'appelante s'est produite aurait été réduite, ce qui aurait permis de déterminer plus précisément le moment de l'occlusion. Cela étant, bien que l'évolution de celle-ci ait été progressive et insidieuse, l'expert a néanmoins indiqué que c'était probablement vers 1h30, soit lors de l'altération de l'état de conscience de la patiente, que l'occlusion s'était produite totalement et qu'auparavant, elle demeurait suboccluse. L'état de l'appelante n'a du reste pas subi de dégradation supplémentaire par la suite qui permettrait de penser que l'occlusion se serait produite ultérieurement. Ainsi, si les démarches diagnostiques avaient été entreprises sans délai à partir de 1h30, elles auraient vraisemblablement permis de détecter l'occlusion puisque celle-ci s'était a priori totalement déclarée à ce moment-là. Ce constat s'impose d'autant plus que l'occlusion a été immédiatement détectée, ou du moins suspectée, dès que les examens nécessaires ont été entrepris, soit dès l'avis neurologique émis à 4h et le CT-Scan réalisé à 5h, alors que l'état de santé de la patiente demeurait stable depuis 1h30, ce qui tend à démontrer que l'occlusion n'avait plus évolué et était présente depuis lors.

Partant, il y a lieu d'admettre que si les intimés avaient agi de manière diligente, en particulier en assurant une surveillance adéquate de la patiente durant la soirée et en réalisant sans retard les examens diagnostiques dès les premiers symptômes d'altération de l'état de conscience, comme le prévoient les règles de l'art, l'atteinte subie par l'appelante aurait vraisemblablement pu être diagnostiquée et, par voie de conséquence, traitée dans le délai adéquat de huit heures.

S'agissant de la causalité entre la rapidité du traitement et le pronostic du patient, l'expert a exposé que la relation entre ces deux éléments n'était pas clairement établie, contrairement à ce qui pouvait prévaloir pour d'autres maladies cardiovasculaires. Se référant aux statistiques en la matière, il a indiqué que l'occlusion de l'artère basilaire demeurait une maladie grevée d'un taux élevé de mortalité et morbidité, même si le traitement était effectué rapidement. Il était donc impossible d'établir une chance de traitement dans le cas de l'appelante et on ne pouvait affirmer que les lésions dont elle souffrait auraient pu être évitées en tout ou partie par une prise en charge immédiate, ce scénario n'étant qu'une hypothèse dont la probabilité statistique était difficile à établir.

Bien que la relation entre la rapidité d'intervention et le pronostic ne soit pas clairement établie d'un point de vue scientifique s'agissant de l'occlusion de l'artère basilaire, il ressort néanmoins des explications du Dr K______, entendu en tant que spécialiste dans le domaine, qu'une intervention rapide dans un délai de huit heures permettait de diminuer les risques de séquelles, car durant ces premières heures la lésion n'était pas constituée de manière définitive et en extrayant le caillot dans ce laps de temps, on pouvait rétablir la fonction et sauver le tissu cérébral menacé. Ce dernier a précisé qu'en cas de traitement dans un temps adéquat, le taux de mortalité diminuait de 80% à 30% et le taux de morbidité se réduisait en tout cas de 50%, certains patients n'ayant même aucune séquelle. Ces propos ne sont pas contredits par l'expert, lequel a, pour sa part, indiqué qu'avec les méthodes de diagnostics et de traitement, 41% des patients avaient des pronostics favorables, ce par quoi il fallait entendre une survie et une bonne évolution neurologique.

Les statistiques avancées tant par l'expert que par le Dr K______, laissent ainsi apparaître qu'une prise en charge rapide est fortement susceptible de diminuer les risques de morbidité (plus de 50%) et procure des chances non négligeables (plus de 40%) d'obtenir un pronostic favorable avec une bonne évolution. S'il demeure certes une probabilité que l'appelante aurait tout de même subi les séquelles dont elle souffre à ce jour, aucun élément ne permet de retenir que cette hypothèse devrait prévaloir. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit d'hypothèses, dont la probabilité est difficile à établir, sans que les spécialistes ne puissent se prononcer de manière certaine et absolue sur le déroulement théorique des événements. Selon l'expert, plusieurs autres facteurs que celui du délai de traitement jouent également un rôle, à savoir la sévérité initiale de la présentation clinique, l'âge du patient, la localisation et l'ampleur de l'occlusion, la présence ou non de vaisseaux collatéraux et la réussite de la recanalisation. Dans le cas de l'appelante, elle présentait un état clinique plutôt favorable, ce qui a été confirmé par l'expert devant le Tribunal, et la procédure de recanalisation (thrombectomie mécanique) s'est déroulée avec succès. Ces éléments sont autant d'indices qui plaident en faveur d'une possible amélioration de son état si elle avait pu bénéficier du traitement en temps utile. Dans la mesure où il s'agit de prouver un événement qui ne s'est précisément pas produit, on ne saurait exiger de l'appelante une preuve stricte sur ce point. Partant, en dépit du fait que la corrélation entre la rapidité d'intervention et le diagnostic n'est pas scientifiquement prouvée et que l'occlusion basilaire comporte une part aléatoire quant à ses conséquences, il existe une probabilité suffisante, au vu des statistiques, de l'état initial de l'appelante et de la recanalisation qui a été opérée avec succès, pour admettre qu'une prise en charge sans délai aurait au final eu un impact sur le cours des événements. Le lien de causalité entre les retards de diagnostic et de traitement et le préjudice subi par l'appelante ou, à tout le moins, son aggravation est dès lors rendue suffisamment vraisemblable.

Par conséquent, la responsabilité des intimés pour actes illicites doit être admise et le jugement attaqué annulé. La cause sera renvoyée au Tribunal afin qu'il rende une décision sur la question du dommage.

4. 4.1 Le Tribunal statue sur les frais en règle générale dans la décision finale (art. 104 al. 1 CPC).

Dans la mesure où la cause est renvoyée à l'instance inférieure pour suite d'instruction et nouvelle décision, le sort des frais et dépens de première instance sera arrêté avec la décision finale du Tribunal.

4.2 Les frais judiciaires d'appel seront fixés à 20'000 fr., compte tenu de la valeur litigieuse, des intérêts en jeu, de la complexité de la cause et du fait que la procédure s'est limitée au principe de la responsabilité, sans examen des prétentions au fond (art. 5, 17 et 35 RTFMC), et mis à la charge des intimés qui succombent (art. 106 al. 1 CPC). En l'absence d'avance de frais en raison de l'assistance judiciaire dont bénéficie l'appelante, les intimés seront condamnés à verser le montant de 20'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Ils seront en outre condamnés à verser à l'appelante un montant identique de 20'000 fr. au titre de dépens d'appel (art. 85 et 90 RTFMC).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 28 mai 2019 par A______ contre le jugement JTPI/5914/2019 rendu le 24 avril 2019 par le Tribunal de première instance dans la cause C/11822/2014-13.

Au fond :

Annule ce jugement.

Admet la responsabilité pour acte illicite des HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENEVE (HUG).

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour décision sur la question du dommage.

Reserve les sort des frais et dépens de première instance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel:

Arrête les frais judiciaires d'appel à 20'000 fr. et les met à la charge des HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE.

Condamne les HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE à verser 20'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne les HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE à verser 20'000 fr. à A______ à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Mesdames Pauline ERARD et Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.