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Décisions | Chambre civile

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C/5276/2018

ACJC/242/2022 du 22.02.2022 sur JTPI/7961/2021 ( OO ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.308; CPC.236; CPC.237; CPC.319; CPC.125.leta; CPC.323
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/5276/2018 ACJC/242/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 22 FEVRIER 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______[GE], appelante/recourante d'un jugement rendu par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 14 juin 2021, ainsi que intimée sur appel joint, comparant par Me Carlo Lombardini et Me Garen Ucari, avocats, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11, en l'étude desquels elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______ (Petites Antilles britanniques), intimée et appelante sur appel joint, comparant par Me Christian Lüscher et Me Aileen Truttmann, avocats, rue Bovy-Lysberg 2, case postale 5824, 1211 Genève 11, en l'étude desquels elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/7961/2021 du 14 juin 2021, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure ordinaire, a déclaré recevables la modification de la demande formée le 18 décembre 2020 par B______ SA, ainsi que la pièce produite à l'appui (ch. 1 du dispositif), dit que le Tribunal n'examinerait l'existence du dommage invoqué par B______ SA que sous l'angle des opérations faites en CHF et en USD (ch. 2) et réservé la décision finale du Tribunal quant au sort des frais judiciaires (ch. 3).

Au pied du jugement, il est mentionné que conformément aux articles 308 ss CPC il peut être formé appel par-devant la Cour de justice dans un délai de trente jours suivant la notification de la décision.

B. a. Par acte déposé le 28 juin 2021 auprès de la Cour de justice, A______ SA a formé appel, respectivement recours, contre ce jugement, reçu le 17 juin 2021, dont elle a requis l'annulation, concluant principalement à l'irrecevabilité de la modification de la demande formée le 18 décembre 2020 par B______ SA ainsi que de la pièce produite à l'appui et au déboutement de B______ SA de toutes ses conclusions.

b. Aux termes de sa réponse du 22 septembre 2021, B______ SA a conclu à l'irrecevabilité de l'appel et du recours de A______ SA en tant qu'ils visaient le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris, subsidiairement à leur rejet. Elle a conclu au rejet de l'appel de A______ SA en tant qu'il visait le chiffre 2 du dispositif du jugement précité.

B______ SA a par ailleurs déclaré former un appel joint contre le chiffre 2 du dispositif du jugement, dont elle a requis l'annulation. Elle a conclu à ce qu'il soit admis que les conclusions prises l'avaient été dans la monnaie effectivement due, à savoir en CHF, alternativement en USD, sans aucune limitation de l'examen de l'existence d'un dommage.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué persistant dans leurs conclusions.

A______ SA a conclu au rejet de l'appel joint de B______ SA.

d. Les parties ont été informées par avis de la Cour du 7 décembre 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. B______ SA, société incorporée aux Antilles britanniques (BWI), a ouvert le ______ 2006 un compte auprès de A______ SA, établissement bancaire avec siège à Genève.

Ce compte était constitué de sous comptes dans différentes devises, en particulier AUD, CHF, EUR, GBP, USD, NOK, RUB, CAD, HKD, JPY et XAU.

b. Par demande formée le 8 octobre 2018 devant le Tribunal de première instance, B______ SA a assigné A______ SA en paiement de 45'337'527 fr. et 96'282 fr. 75, hors intérêts.

B______ SA a reproché à la banque d'avoir, entre 2007 et 2011, procédé à deux mille deux-cents cinquante-trois transactions non autorisées, lui causant une perte de USD 46'027'945.52, correspondant à 45'337'527 fr., au taux de change applicable à la date de la rédaction de la demande, auquel s'ajoutait un montant de 96'282 fr. 75, correspondant aux coûts générés par l'établissement des rapports rédigés par C______ pour chiffrer le préjudice.

c. Dans sa réponse du 29 mai 2020, A______ SA a conclu au rejet de la demande, avec suite de frais. Elle a notamment soulevé la prescription de toute prétention née avant le 2 mars 2008. Pour le surplus, elle a nié avoir procédé à des opérations en violation de ses obligations contractuelles, précisant que sa cliente avait manifesté sa volonté de procéder aux opérations désormais litigieuses et qu'elle les avait acceptées. Enfin, celle-ci n'apportait pas la preuve de l'existence d'un dommage.

d. Par ordonnance du 15 juin 2020, le Tribunal a ordonné un second échange d'écritures et imparti à B______ SA un délai pour répliquer.

e. Aux termes de sa réplique du 25 septembre 2020, B______ SA a conclu à la condamnation de A______ SA à lui payer 45'337'527 fr., sous déduction de USD 404'000 fr., et 96'282 fr. 75, hors intérêts.

f. Dans sa duplique du 30 novembre 2020, A______ SA a notamment fait valoir que les conclusions prises par B______ SA en francs suisses, alors que les transactions litigieuses avaient été effectuées dans diverses devises et que le rapport de C______ libellait le dommage allégué en USD, ne tenaient pas compte des exigences posées par l'art. 84 CO, ce qui devait aussi conduire au déboutement de la demande.

g. Par écriture du 18 décembre 2020, B______ SA a reproché à A______ SA d'avoir tardé à contester la monnaie dans laquelle étaient exprimées les conclusions, ce qui était contraire au principe de la bonne foi. La banque était du reste en peine d'indiquer dans quelle monnaie, autre que les francs suisses, les conclusions auraient dû être exprimées. La banque avait en effet procédé à près de trois mille opérations, en majorité du churning, dans dix devises différentes, et même en XAU (or) ce qui rendait la "détermination précise de la monnaie du contrat dans chaque cas extrêmement fastidieuse, voire impossible ou même arbitraire". Une conversion en une unique devise était incontournable, les opérations non-autorisées ayant généré des pertes dans certaines devises, mais des profits dans quelques autres. Enfin, les documents contractuels n'établissaient pas la monnaie du contrat.

Pour le surplus, outre le dépôt d'un tableau préparé par C______, B______ SA a formulé des "conclusions alternatives" en USD, comme l'y autorisait l'art. 227 CPC, réclamant la condamnation de A______ SA à lui verser USD 46'027'945.52, sous déduction de USD 404'000.-, plus intérêts.

h. Par courrier du 29 décembre 2020, A______ SA a conclu à l'irrecevabilité de l'acte du 18 décembre 2020, de la pièce qui l'accompagnait et de la modification des conclusions.

i. B______ SA s'est encore déterminée par écriture du 12 janvier 2021.

j. A l'audience de débats d'instruction du 23 mars 2021, avec l'accord des parties, le Tribunal a décidé de limiter la procédure "à la question préalable du bien-fondé du libellé des conclusions en francs suisses prises par la demanderesse, y compris sur la question de la recevabilité des conclusions alternatives en USD du 18 décembre 2020". Après les plaidoiries des parties sur ces points, le Tribunal a gardé à la cause à juger sur "limitation de la procédure".

k. Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que la modification de la demande du 18 décembre 2020 était recevable, aux conditions de l'art. 227 CPC, dès lors qu'elle avait été déposée avant l'ouverture des débats principaux.

Concernant la question de l'application de l'art. 84 CO, le Tribunal a observé que les transactions bancaires litigieuses avaient été effectuées dans plusieurs devises différentes, sans que la demanderesse n'allègue ces opérations dans le détail. Or, la réparation du dommage devait être exprimée dans la même valeur que celle dans laquelle la diminution du patrimoine était intervenue. Pour ce motif, et sans préjuger au fond, il n'était pas possible de tenir pour correct le libellé de conclusions en bloc dans une seule devise, que ce soit en francs suisses ou en dollars américains. Aussi, la demanderesse n'était fondée à prendre des conclusions en CHF ou en USD que pour les opérations effectuées dans ces monnaies, de sorte que le Tribunal n'examinerait l'existence du dommage invoqué que sous l'angle des opérations faites en CHF et USD.

 

EN DROIT

1.             1.1 La Cour examine d'office si les conditions de recevabilité de l'appel ou du recours sont remplies (art. 59 et 60 CPC).

1.2.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC) rendues dans des affaires patrimoniales dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC). La partie adverse peut former un appel joint dans la réponse (art. 313 al. 1 CPC).

Une décision est finale, au sens de l'art. 236 CPC, lorsqu'elle met fin à la procédure, que ce soit par une décision au fond, pour un motif tiré du droit matériel, ou par une décision d'irrecevabilité, pour un motif de procédure. La décision partielle, soit celle qui statue, de manière finale, sur un ou plusieurs chefs d'une demande, mais renvoie l'examen d'un ou plusieurs autres à une décision ultérieure (ATF 132 III 785 consid. 2), est assimilée à une décision finale, dès lors qu'elle met un terme à l'instance relativement aux demandes concernées, mais non à la procédure (l'instance perdure à raison de la partie non tranchée du litige). Le jugement partiel est attaquable immédiatement (ATF 135 III 212 consid. 1.2; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n. 2336; JEANDIN, CR CPC, 2019, n. 8 ad art. 308 CPC).

La décision est incidente, au sens de l'art. 237 al. 1 CPC, si l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable. Une telle décision ne statue pas définitivement sur l'action, mais elle préjuge de la décision finale en ce sens qu'elle influe sur celle-ci au point qu'une décision contraire pourrait entraîner une décision finale immédiate et qu'elle lie l'instance qui l'a rendue de telle sorte que celle-ci ne la reverra plus lorsqu'elle rendra sa décision finale. Il s'agit normalement de décisions rendues sur des conditions de recevabilité de la demande ou de la reconvention, ou sur des questions de fond jugées séparément, à la condition que l'instance de recours puisse mettre fin à l'action elle-même et que cela permette d'économiser du temps et des frais. L'art. 237 al. 1 CPC ne s'applique donc pas chaque fois que le tribunal a décidé, pour simplifier le procès, de limiter d'abord la procédure à des questions ou des conclusions déterminées conformément à l'art. 125 let. a CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_545/2014 du 10 avril 2015 consid. 2.1).

Le jugement qui admet l'irrecevabilité (p.ex. pour incompétence ratione loci) ou retient la prescription est une décision finale. Le jugement contraire (refus du juge de se déclarer incompétent; rejet du moyen tiré de la prescription) est une décision incidente qui doit être attaquée immédiatement (art. 237 al. 2 CPC; Jeandin, op. cit., n. 9 ad art. 308 CPC).

Une décision partielle incidente (Teilzwischenentscheid) est assimilée à une décision incidente si l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait (partiellement) fin au procès sur l'aspect considéré. Tel est par exemple le cas de la décision qui rejette le moyen tiré de la prescription soulevé à l'encontre d'une partie des prétentions élevées dans la même demande.

1.2.2 Le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

Les "autres décisions" se rapportent aux décisions dont le prononcé marque définitivement le cours des débats et déploie - dans cette seule mesure - autorité et force de chose jugée. Il s'agit notamment des décisions par lesquelles le juge statue sur l'admission de faits et moyens de preuve nouveaux (art. 229 CPC), une suspension (art. 126 al. 2 CPC), une "simplification du procès", telle que la jonction de causes (art. 125 CPC) ou la fixation et la répartition des frais
(art. 110 CPC) (Jeandin, op. cit., n. 15 ad art. 319 CPC).

Lorsque le tribunal tranche, selon l'art. 125 let. a CPC, une question qui n’a pas d’incidence sur l’existence de l’instance, comme la qualification d'un contrat, il s'agit d'une "autre décision" au sens de l'art. 319 let. b CPC. En effet, une telle décision ne peut pas être qualifiée d'incidente au sens de l'art. 237 CPC, car son renversement par l'instance de recours ne mettrait pas fin au procès (ACJC/456/2016 du 8 avril 2016 consid. 1.2; Tappy, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 7 ad art. 237 CPC; Haldy, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 5 ad art. 125 CPC).

Les décisions par lesquelles le juge statue sur l’admission de faits et moyens de preuve nouveaux (art. 229 CPC) ou sur l’admission de conclusions modifiées
(art. 227 et 230 CPC) sont des "autres décisions" au sens de l'art. 319 let. b CPC (Jeandin, CR CPC, n° 15 ad art. 319 CPC et Colombini, Code de procédure civile, 2018, § 4.4.18, p. 1036, ad art. 319 CPC).

En matière arbitrale, le tribunal qui statue d'abord sur le principe de la dette et l'admet rend un jugement incident, et non un jugement partiel, car seul un fondement de la prétention, et non une prétention indépendante, a été entièrement jugé (ATF 130 III 76 consid. 3.2.2 en lien avec l'art. 190 LDIP).

1.2.3 L'intitulé erroné d'un acte de recours - au sens large - ne saurait influencer sa recevabilité, pour autant qu'il remplisse les conditions formelles de la voie de droit en cause (ATF 138 I 367 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_198/2019 du 29 mars 2019 consid. 3).

1.3. En l'espèce, il convient dans un premier temps de procéder à la qualification des deux décisions prises par le Tribunal aux termes du jugement attaqué, afin de déterminer, pour chacune d'elles, si c'est la voie de l'appel ou du recours qui est ouverte.

1.3.1 Le chiffre 1 du dispositif jugement querellé a déclaré recevable la modification de la demande du 18 décembre 2020 (et la pièce qui l'accompagne), déposée après le double échange d'écritures ordonné par le Tribunal. Cette décision n'est pas une décision incidente au sens de l'art. 237 CPC, dans la mesure où la solution inverse, à savoir l'irrecevabilité de la modification de la demande, ne mettrait pas un terme à la procédure. Elle n'est pas non plus une décision partielle, puisqu'elle ne tranche pas une partie des prétentions. Quand bien même l'écriture de la demanderesse déclarée recevable contient de nouvelles conclusions alternatives exprimées en USD, le Tribunal n'a, aux termes de son dispositif, pas statué sur les prétentions en tant que telles. Il s'est prononcé sur la recevabilité de la modification de la demande, en se fondant sur les règles relatives à l'admissibilité d'une telle modification en fonction du stade de la procédure (cf. art. 227 et 230 CPC). Sa décision relève donc de la conduite du procès et rentre dans la catégorie des "autres décisions et ordonnances d'instruction", qui ne peuvent être attaquées que par la voie du recours au sens de l'art. 319 let. b CPC.

1.3.2 Le chiffre 2 du dispositif du jugement attaqué indique que le Tribunal n'examinera l'existence du dommage invoqué par la partie demanderesse que sous l'angle des opérations faites en CHF et en USD. Cette décision ne peut pas être qualifiée d'incidente au sens de l'art. 237 CPC, car son renversement par l'instance de recours ne mettrait pas fin au procès. Elle n'est pas non plus une décision partielle. En effet, le Tribunal n'a pas formellement statué sur une partie des conclusions formulées par la partie demanderesse mais a tranché, selon l'art. 125 let. a CPC, une question préjudicielle concernant l'étendue de l'examen de l'existence du dommage allégué en relation avec les devises des opérations litigieuses. Cette décision n’a pas d’incidence sur l’existence de l’instance, de sorte qu'il s'agit d'une "autre décision" au sens de l'art. 319 let. b CPC.

1.4.1 Eu égard aux considérations qui précèdent, seule la voie du recours est ouverte contre les décisions prises par le Tribunal aux termes de la décision attaquée.

Le fait que la recourante ait intitulé son acte "appel/recours" ne fait pas obstacle à sa recevabilité, celui-ci pouvant être traité comme un recours, dès lors qu'il remplit les conditions formelles de cette voie de droit (art. 130 al. 1 et 131 CPC; ATF 134 III 379 consid. 1.2; ATF 131 I 291 consid. 1.3).

Introduit dans le délai de dix jours dès la notification de la décision attaquée échéant le 28 juin 2021 (le 27 juin 2021 étant un dimanche), le recours "principal" a par ailleurs été formé en temps utile, indépendamment de la qualification des décisions attaquées (ordonnances d'instruction ou autres décisions; art. 321 al. 1 et 2 CPC).

Il reste à examiner si ces décisions causent un préjudice difficilement réparable.

1.4.2 Faute d'appel principal recevable, l'appel joint de l'intimée est irrecevable, étant observé qu'il n'y a pas de place pour un recours joint dans la procédure de recours (art. 323 CPC).

2. 2.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" vise toute incidence dommageable, pourvu qu'elle soit difficilement réparable. Il y a lieu de se montrer restrictif avant d'admettre la réalisation de cette condition (Jeandin, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC; Hohl, op. cit., n. 2485), qu'il appartient au recourant d'alléguer et d'établir, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2; ACJC/353/2019 du 1er mars 2019 consid. 3.1.1; ACJC/1827/2018 du 13 décembre 2018 consid. 2.1.2; arrêt de l'Obergericht du canton de Zurich PC130056 du 6 février 2014 consid. 8.1).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (ACJC/1454/2019 précité consid. 1.1.1; ACJC/890/2018 du 5 juillet 2018 consid. 3.1.1; ACJC/580/2017 du 19 mai 2017 consid. 2.1).

Lorsque la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, la décision ne pourra être attaquée qu'avec le jugement rendu au fond (ACJC/1454/2019 précité consid. 1.1.1; Message du Conseil fédéral relatif au Code de procédure civile suisse, FF 2006 6841, p. 6984).

2.2.1 En l'espèce, la recourante allègue qu'en admettant la modification de la demande et la nouvelle pièce produite, après le second échange d'écritures, la décision entreprise (ch. 1 du dispositif) a porté atteinte à son droit d'être entendue. Selon la recourante en effet, cette décision a permis à sa partie adverse de bénéficier d'une occasion supplémentaire de s'exprimer (et d'introduire des allégués nouveaux) alors qu'elle-même n'a pu se déterminer qu'à deux reprises. Or, quand bien même l'ordonnance entreprise consacrerait une violation des droits procéduraux de la recourante, celle-ci conserve tous ses moyens au fond et pourra remettre en cause la décision finale en invoquant une violation de l'art. 227 CPC.

Il en va de même de la décision relative à l'admission de la pièce jointe à l'écriture du 18 décembre 2020, la recourante pouvant faire valoir une éventuelle violation des art. 227 et 229 CPC à l'occasion d'un appel contre le jugement au fond, dans l'hypothèse où celui-ci lui serait défavorable. La recourante n'allègue d'ailleurs pas, ni ne rend vraisemblable, que cette pièce (un tableau Excel préparé à la demande de la partie demanderesse) contiendrait des secrets d'affaires ou d'autres informations sensibles dont la divulgation pourrait lui porter préjudice, de sorte que l'on ne discerne pas en quoi la décision qui admet la recevabilité de cette pièce serait susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable.

Aussi, le recours dirigé contre le chiffre 1 du jugement entrepris est irrecevable.

2.2.2 La recourante n'a pas allégué que le chiffre 2 de la décision entreprise, qui a limité l'examen par le Tribunal du dommage allégué par la demanderesse aux opérations en USD et en CHF, lui causerait un préjudice difficilement réparable. Un tel préjudice n'est par ailleurs pas évident, cette décision ayant été prise par le Tribunal aux fins de limiter la procédure à des questions déterminées, dans la perspective de simplifier le procès.

La recourante fait valoir que le premier juge aurait dû "tout simplement" débouter la demanderesse de l'ensemble de ses conclusions, plutôt que de rendre la décision attaquée. Or, le Tribunal a décidé d'aborder la question de la devise des conclusions de la demande par le biais d'une décision de limitation de la procédure, relevant de la conduite du procès, "sans préjuger au fond". Une telle décision ne cause pas un préjudice difficilement réparable au sens de la loi et la jurisprudence.

Partant, le recours est aussi irrecevable en tant qu'il vise le chiffre 2 du jugement entrepris.

3. Les frais judiciaires du recours seront fixés à 1'000 fr. (art. 105 al. 1 CPC; art. 5, 17, 38 RTFMC et art. 19 al. 4 LaCC) et mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de même montant fournie par cette dernière (art. 111 al. 1 CPC), qui reste acquise à l'Etat de Genève.

La recourante sera également condamnée à verser à l'intimée la somme de 2'000 fr. à titre de dépens (art. 84, 85 et 90 RTFMC), débours compris mais hors TVA, vu le domicile à l'étranger de l'intimée (art. 25 et 26 LaCC).

En ce qui concerne les frais de l'appel joint, ils seront arrêtés à 500 fr. afin de tenir compte du fait que cet acte a été d'emblée déclaré irrecevable (art. 7 RTFMC) et mis à la charge de l'intimée, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés, à concurrence de l'avance de frais de 1'000 fr. fournie par cette dernière, laquelle reste dans cette mesure acquise à l'Etat de Genève (art. 111
al. 1 CPC). Le solde de cette avance sera restitué à l'intimée.

L'intimée sera, en outre, condamnée à s'acquitter des dépens de la recourante pour la rédaction de sa réponse à l'appel joint, lesquels seront arrêtés à 800 fr. (art. 84, 85 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevables l'appel et le recours interjetés le 28 juin 2021 par A______ SA contre le jugement JTPI/7961/2021 rendu le 14 juin 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/5276/2018.

Déclare irrecevable l'appel joint interjeté le 22 septembre 2021 par B______ SA.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'000 fr., les met à la charge de A______ SA et les compense avec l'avance de même montant fournie par cette dernière, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA à verser à B______ SA la somme de 2'000 fr. à titre de dépens de recours.

Arrête les frais judiciaires de l'appel joint à 500 fr., les met à la charge de B______ SA et les compense avec l'avance fournie par cette dernière, qui reste acquise à l'Etat de Genève à due concurrence.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à B______ SA la somme de 500 fr. à titre de remboursement de l'avance de frais.

Condamne B______ SA à verser à A______ SA la somme de 800 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.