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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3904/2023

DCSO/149/2024 du 18.04.2024 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : LP.88; LP.159; CC.2.al2; LP.22
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3904/2023-CS DCSO/149/24

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 18 AVRIL 2024

 

Plainte 17 LP (A/3904/2023-CS) formée en date du 23 novembre 2023 par A______ SA, représenté par Me Luca Bozzo, avocat.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______ SA

c/o Me BOZZO Luca

Etude Borel & Barbey

Rue de Jargonnant 2

Case postale 6045

1211 Genève 6.

- B______ SA

c/o Me CHESEAUX Marc

Case postale 1119

1260 Nyon 1.

- Office cantonal des poursuites.


EN FAIT

A. a. Le 5 juin 2023, B______ SA a requis la poursuite de A______ SA, en paiement de 727'312 fr. 65, 1'750 fr. et 1'500 fr., plus intérêts, réclamés au titre de "montant dû selon troisième situation (demande d'acompte n° 1______) du 25 avril 2022 et avis de paiement n° 15 du 26 avril 2022", "avance de frais judiciaires à rembourser selon ch. 5 du dispositif de l'ordonnance de mesures provisionnelles rendue le 24 avril 2023 par le Tribunal de première instance (cause C/2______/2022 – 25 SP)" et de "dépens dus selon ch. 6 du dispositif de l'ordonnance de mesures provisionnelles rendue le 24 avril 2023 par le Tribunal de première instance (cause C/2______/2022 – 25 SP)".

b. Le ______ septembre 2023, l'Office cantonal des poursuites (ci-après: l'Office) a établi le commandement de payer, poursuite n° 3______, dont la notification est intervenue par publication dans la FAO et la FOSC du ______ 2023. Le commandement de payer n'a pas été frappé d'opposition.

c. Le 11 octobre 2023, B______ SA a requis la continuation de la poursuite n° 3______.

d. Le 23 octobre 2023, l'Office a établi une commination de faillite, qui a été notifiée en mains de l'administrateur de A______ SA le 13 novembre 2023.

B. a. Par acte posté le 23 novembre 2023, A______ SA a formé plainte auprès de la Chambre de surveillance contre la commination de faillite reçue le 13 novembre 2023. A______ SA fait valoir que la commination de faillite serait nulle, au motif que la poursuivante avait décidé de continuer la poursuite, alors qu'elle savait que la capacité de paiement de la poursuivie était paralysée par le gel de ses avoirs et qu'une solution était sur le point d'être trouvée; la notification de la commination de faillite était donc inopportune car elle ne tenait pas compte des intérêts en présence. De plus, la poursuite était abusive. En effet, le rachat autorisé par le SECO de la totalité des actions de A______ SA par une entreprise suisse solvable était imminent. B______ SA, qui était au courant de cette procédure, avait décidé de requérir la continuation de la poursuite, agissant ainsi de manière chicanière. Selon l'exposé en fait de la plainte, B______ SA et A______ SA étaient liées par un contrat d'entreprise, la première ayant pour tâche d'exécuter divers travaux de gros-œuvre, tels que démolition, désamiantage, terrassement et autres, dans le contexte d'un projet d'envergure, soit la construction d'un immeuble d'activités et hôtel, avec garage souterrain. En raison de la situation géopolitique liée à la guerre en Ukraine, A______ SA faisait l'objet de sanctions, ses avoirs ayant été gelés. Ce blocage avait généré un manque de trésorerie conduisant à un arrêt brutal du chantier. B______ SA était le seul créancier ayant refusé la signature d'une reconnaissance de dette ou tout autre accord lui permettant de sécuriser sa créance.

b. Par décision du 24 novembre 2023, la Chambre de surveillance a refusé l'effet suspensif à la plainte.

c. Dans ses déterminations du 8 décembre 2023, B______ SA conclut au rejet de la plainte.

d. Aux termes de son rapport, l'Office conclut aussi au rejet de la plainte. Conformément à l'art. 159 LP, il lui appartenait d'adresser sans retard la commination de faillite, dès réception de la réquisition de continuer la poursuite. C'était donc à bon droit qu'il avait notifié la commination de faillite. Pour l'Office, sur la base des explications de la plaignante, il n'était pas possible de retenir un cas d'abus de droit.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

2. 2.1.1 Dès réception de la réquisition de continuer la poursuite, l'office des poursuites adresse sans retard la commination de faillite au débiteur, s'il est sujet à la poursuite par voie de faillite (art. 159 LP).

La commination de faillite n'est qu'une itérative sommation de payer au poursuivant la prétention déduite en poursuite, en capital, intérêts et frais, qui fait courir, dès sa notification au poursuivi, un nouveau délai d'atermoiement de vingt jours, à l'issue duquel la poursuivant pourra requérir la faillite du poursuivi (Gillieron, Commentaire LP, n. 6 ad art. 160 LP).

2.1.2 La voie de la plainte est ouverte contre une commination de faillite, qui est un acte de poursuite (Cometta, CR LP, n. 1 ad art. 161 LP), par exemple lorsque le poursuivi excipe de l'ouverture d'une action en libération de dette (Gillieron, op. cit., n. 19 ad art. 159 LP), s'il estime qu'il n'est pas sujet à la poursuite par voie de faillite ou que la poursuite par voie de faillite est exclue (Gillieron, op. cit., n. 18 ad art. 160 LP), s'il considère que la commination de faillite émane d'un office des poursuites incompétent à raison du lieu (ATF 96 III 31 consid. 2, JdT 1973 II 27), ou encore si la commination de faillite est irrégulière (par ex. erreurs relatives au montant de la prétention déduite en poursuite ou du découvert précédemment constaté; erreur relative à la nouvelle conversion en monnaie légale suisse; autres inexactitudes; Gillieron, op. cit., n. 8 ad art. 159-176 LP).

2.2 En l'espèce, la plaignante ne conteste pas le fait que l'Office, dûment saisi par la créancière poursuivante d'une réquisition de continuer la poursuite fondée sur un commandement de payer exécutoire, était tenu d'y donner suite. Elle ne critique pas davantage le choix de l'Office de continuer la poursuite par la voie de la faillite, imposé par l'art. 39 al. 1 ch. 8 LP et n'adresse aucun grief d'irrégularité à l'égard des indications figurant dans la commination de faillite. Les difficultés et inconvénients générés par la décision entreprise, allégués par la plaignante, sont inhérents au processus d'exécution forcée et ne procèdent pas d'une violation par l'Office des dispositions légales applicables.

C'est donc à bon droit que l'Office a donné suite à la réquisition de continuer la poursuite et a notifié à la plaignante la commination de faillite entreprise.

3. 3.1 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1). La nullité doit être constatée en tout temps et indépendamment de toute plainte par l'autorité de surveillance (art. 22 al. 1 LP).

La nullité d'une poursuite pour abus de droit (art. 2 al. 2 CC) ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; 115 III 18 consid. 3b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1020/2018 du 11 février 2019; 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, in Pra 2016 p. 53 n° 7; 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3).

La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le grief pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la réclamation litigieuse, la décision à ce sujet étant réservée au juge ordinaire. En effet, c'est une particularité du droit suisse que de permettre l'introduction d'une poursuite sans devoir prouver l'existence de la créance; le titre exécutoire n'est pas la créance elle-même ni le titre qui l'incorpore éventuellement, mais seulement le commandement de payer passé en force (ATF 113 III 2 consid. 2b; cf. ég., parmi plusieurs: arrêt du Tribunal fédéral 5A_838/2016 du 13 mars 2017 consid. 2.1).

3.2 En l'espèce, il résulte des explications des parties que celles-ci sont liées par un contrat d'entreprise, dans le cadre duquel des travaux ont été exécutés. La plaignante reconnaît qu'elle n'a pas pu honorer ses engagements à l'égard de l'intimée, en raison de problèmes de trésorerie, ses avoirs ayant été bloqués dans le contexte des sanctions liées à la situation en Ukraine. Il découle de ces indications que la poursuivante a emprunté la voie de l'exécution forcée pour recouvrer une créance qu'elle estime due, ce qui est conforme au but de la LP, qui tend à permettre aux créanciers de recouvrer des sommes d'argent. Aucun élément ne permet de considérer que la poursuivante agit par esprit de chicane ou pour tourmenter la plaignante, qui ne formule aucun grief à l'encontre des sommes réclamées, qui mises en relation avec l'exécution de travaux de gros-œuvre s'inscrivant dans un projet immobilier d'envergure apparaissent plausibles et cohérentes. Le fait que l'intimée ait décidé, contrairement à d'autres créanciers selon les allégations de la plaignante, de ne pas patienter et de requérir la continuation de la poursuite, relève de sa stratégie commerciale et ne constitue pas un indice du caractère abusif de la poursuite. D'ailleurs, ce n'est pas tant le dépôt de la réquisition de poursuite qui est critiqué en l'espèce mais davantage le dépôt de la réquisition de continuer la poursuite. Or, le grief tiré du recours abusif à la poursuite est en principe dirigé contre le commandement de payer et pas contre les étapes ultérieures du processus de poursuite.

Au regard des motifs qui précèdent, les circonstances - exceptionnelles - permettant de conclure à l'existence d'une poursuite abusive ne sont manifestement pas réunies.

Enfin, la plaignante n'allègue à juste titre pas que les conditions d'application des règles sur la suspension des poursuites ou sur le sursis extraordinaire (art. 62 et 337 LP) seraient réunies.

Mal fondée, la plainte sera ainsi rejetée.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 23 novembre 2023 par A______ SA contre la commination de faillite du 23 octobre 2023 dans la poursuite n° 3______.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, présidente; Mme Ekaterine BLINOVA et M. Mathieu HOWALD, juges assesseurs ; Madame Elise CAIRUS, greffière.

 

La présidente :

Verena PEDRAZZINI RIZZI

 

La greffière :

Elise CAIRUS

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.