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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3440/2023

DCSO/69/2024 du 07.03.2024 ( PLAINT ) , PARTIELMNT ADMIS

Normes : LP.221
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3440/2023-CS DCSO/69/24

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 7 MARS 2024

 

Plainte 17 LP (A/3440/2023-CS) formée en date du 19 octobre 2023 par A______, représenté par Me Christian PIRKER, avocat.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par pli recommandé du greffier du 8 mars 2024
à :

-       A______

c/o Me PIRKER Christian

Pirker & Partners

Rue des Maraîchers 36

1205 Genève.

- Office cantonal des faillites
B
______ Sàrl, en liquidation
Faillite n° 2022 1______.

 


EN FAIT

A. a. La société de droit suisse B______ Sàrl a été inscrite le ______ 1999 au Registre du commerce de Genève. Ayant pour but social l'exploitation d'un ou de plusieurs restaurants, elle a exploité jusqu'en 2022 le [restaurant] C______, sis no. ______ rue 2______ à Genève.

Depuis novembre 2011, la totalité des parts de B______ Sàrl a appartenu à la société D______ SA, dont les actionnaires sont E______ et F______.

E______ et F______ ont été directeurs de B______ Sàrl de novembre 2011 à novembre 2022. Leur fils G______ en a été directeur de novembre 2011 à mai 2013 puis gérant jusqu'en décembre 2022.

La faillite de B______ Sàrl a été déclarée le 15 décembre 2022 en application des art. 725 al. 2 (dépôt de bilan) et 725a al. 1 anciens CO. Elle est liquidée en la forme sommaire par l'Office cantonal des faillites (ci-après : l'Office).

b. G______ a été entendu le 16 janvier 2023 par l'Office. Selon lui, la société n'avait plus d'activité depuis 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Interrogé sur les actifs de la société, il a mentionné le mobilier d'exploitation (tables, chaises, équipement de cuisine, etc.) et indiqué qu'un véhicule (H______/3______ [marque, modèle] immatriculée GE 4______) avait été vendu "je ne sais pas à qui ni pour quelle somme". Les liquidités, qui atteignaient environ 65'000 fr. selon le bilan intermédiaire arrêté au 30 septembre 2022, ne s'élevaient plus qu'à 20'000 fr. environ, le solde ayant été consacré à acquitter son propre salaire du mois d'octobre 2022 ainsi qu'à payer des factures de fournisseurs datant d'avant la pandémie. Il n'existait plus de stock de marchandises et la société ne disposait pas de créances à l'encontre de tiers.

G______ a en outre indiqué que, au terme d'une longue procédure prud'homale s'étant terminée en septembre 2022, un ancien employé, A______, avait obtenu la condamnation de la société à lui verser un montant de l'ordre de 100'000 fr. au titre de créances salariales.

c. Par courrier adressé le 6 février 2023 à l'Office, A______ a attiré son attention sur le fait que B______ Sàrl serait en possession d'un important stock de vins, entreposé dans un local situé au no. ______ rue 2______. L'Office s'est alors rendu sur place, mais a constaté que le local était vide.

d. Le 24 avril 2023, l'Office a réentendu G______.

Celui-ci a indiqué que le véhicule H______/3______ avait été vendu à F______ pour un montant de 12'000 fr., correspondant au prix du marché. Il s'est engagé à fournir à l'Office les pièces justificatives du paiement du prix et de son utilisation.

Selon les déclarations de G______, les vins et champagnes s'étant trouvés en possession de B______ Sàrl ne lui appartenaient pas. Ils étaient en réalité la propriété de "l'un de ses actionnaires" qui les lui mettait à disposition contre remboursement à prix coûtant.

e. Donnant suite, par courriel du 10 mai 2023, à sa réaudition du 24 avril 2023, G______ a communiqué à l'Office copie d'une facture établie le 7 octobre 2022 par B______ Sàrl et relative à la vente à F______, pour un montant de 12'000 fr. TTC, du véhicule H______/3______. Selon ses indications, ce prix avait été payé "à travers le compte courant associé, de sorte qu'il n'y a pas eu de transfert d'argent".

G______ a également transmis à l'Office copie d'une facture établie le 24 septembre 2020 par B______ Sàrl, relative à la vente par celle-ci à la société I______ SA, pour un montant de 4'589 fr. 88 TTC, d'un stock de vins. Selon G______, "le reste de la cave à vins appartenait à M. E______ qui avait personnellement financer [sic] son achat".

f. Le ______ 2023, l'Office a déposé l'inventaire et l'état de collocation dans la faillite de B______ Sàrl, une publication étant effectuée le même jour dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (FAO).

Il ressort du premier de ces documents que les actifs de la société faillie s'élevaient, selon les estimations de l'Office, à 3'642 fr. 70, soit 2'642 fr. 70 de créances (correspondant à des comptes bancaires auprès de J______) et 1'000 fr. de biens mobiliers. Lesdits biens mobiliers, divisés en quatre lots d'une valeur estimée de 100 à 300 fr. pour un total de 1'000 fr., étaient constitués de chaises, bancs, tables, matériel de cuisine, ustensiles, etc.; considérant toutefois que leur valeur de réalisation serait inférieure ou n'excéderait que peu les frais (art. 92 LP), l'Office a renoncé à les incorporer à la masse active. Il a par ailleurs mentionné à l'inventaire que ces biens mobiliers faisaient l'objet d'un droit de rétention en faveur de E______ et de F______, en leur qualité de bailleurs des locaux occupés par B______ Sàrl.

Aucun actif correspondant au véhicule H______/3______, au stock de vin ou à leurs contreparties n'a été inventorié.

B. a. Par acte adressé le 19 octobre 2023 à la Chambre de surveillance, A______ – admis à l'état de collocation pour ses créances salariales – a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre l'inventaire, concluant à son annulation, à ce que le droit de rétention invoqué par E______ et F______ ne soit pas mentionné et à ce que la cause soit renvoyée à l'Office avec instructions à celui-ci de procéder à des investigations complémentaires dans le sens des considérants.

A l'appui de ces conclusions, A______ a émis plusieurs griefs à l'encontre de l'activité de l'Office.

D'une part, l'Office n'avait pas motivé son opinion relative à la valeur des biens mobiliers inventoriés, de telle sorte qu'il était impossible de savoir s'ils étaient véritablement "sans valeur".

D'autre part, l'Office n'avait pas suffisamment tenu compte du caractère confus et contradictoire des déclarations de G______, qui auraient dû le conduire à refuser de tenir compte du droit de rétention invoqué par E______ et F______ ainsi qu'à approfondir ses investigations sur, notamment, le sort de la H______/3______ et du stock de vins. Sur ce dernier point, A______ a fait valoir que le stock de vins figurait au bilan de B______ Sàrl arrêté au 31 décembre 2019 pour un montant de 178'993 fr. 58 et que des écritures comptables effectuées en 2021 faisaient état d'une variation du stock correspondant à une vente pour un montant de 272'295 fr., ce qui paraissait difficilement conciliable avec les déclarations de G______ selon lesquelles la plus grande partie du stock aurait en réalité appartenu à son père et que les vins restants auraient été vendus à I______ SA pour un montant de 4'589 fr. 88 TTC.

b. Dans ses observations du 30 novembre 2023, l'Office a conclu à ce qu'il soit constaté que la plainte était devenue sans objet en tant qu'elle tendait à l'annulation, respectivement au complètement de l'inventaire. L'inventaire pouvait être complété et modifié après son dépôt et jusqu'à la clôture de la faillite. Après avoir pris connaissance des reproches formulés par le plaignant, l'Office avait du reste immédiatement pris des mesures complémentaires, notamment en adressant à F______ une facture de 12'000 fr. au titre du prix de la H______/3______ dès lors que, n'étant pas elle-même associée, elle n'avait pu s'acquitter de ce montant par le débit du "compte courant associé". L'Office entendait par la suite poursuivre ses recherches et, le cas échéant, compléter l'inventaire. S'agissant du droit de rétention invoqué par E______ et F______ en leur qualité de bailleurs, il avait été valablement invoqué et il convenait donc d'en tenir compte.

c. Par réplique spontanée du 14 décembre 2023, A______ a préalablement requis la suspension de la procédure de plainte, expliquant à cet égard avoir déposé une action en contestation de l'état de collocation visant à faire écarter de l'état de collocation la production en paiement de loyers produite par E______ et F______, et persisté pour le surplus dans ses conclusions.

Selon lui, l'invocation par E______ et F______ d'un droit de rétention en relation avec un arriéré de loyers se heurtait à l'interdiction de l'abus de droit, dans la mesure où, en application du principe de la transparence, il fallait considérer qu'ils ne formaient qu'un avec la faillie.

L'Office devait pour le surplus être invité à poursuivre ses investigations, au besoin avec l'assistance d'un expert-comptable, sur la vente du véhicule H______/3______, le stock de vins, l'inscription au bilan d'une provision correspondant aux créances salariales du plaignant, aux salaires versés au-delà du 20 juin 2020 et au prêt COVID octroyé à la faillie.

d. En l'absence de duplique spontanée de la part de l'Office, la cause a été gardée à juger le 16 janvier 2024.


 

EN DROIT

1. 1.1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

La qualité pour porter plainte selon l'art. 17 LP est reconnue à toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés ou, à tout le moins, atteinte dans ses intérêts de fait par une mesure ou une omission d'un organe de la poursuite. Le plaignant doit dans tous les cas poursuivre un but concret; il doit être matériellement lésé par les effets de la décision attaquée et avoir un intérêt digne de protection à sa modification ou à son annulation (ATF 139 III 384 consid. 2.1; 138 III 219 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_48/2022 du 10 mai 2022 consid. 4.2.1 et les références).

Sous réserve de griefs devant conduire à la constatation de la nullité absolue d'une mesure, invocables en tout temps (art. 22 al. 1 LP), l'intégralité des moyens et conclusions du plaignant doivent être à tout le moins sommairement exposés et motivés dans le délai de plainte, sous peine d'irrecevabilité; la motivation peut être sommaire mais doit permettre à l'autorité de surveillance de comprendre les griefs soulevés par la partie plaignante ainsi que ce qu'elle demande (ATF 142 III 234 consid. 2.2; 126 III 30 consid. 1b; 114 III 5 consid. 3, JdT 1990 II 80; arrêt du Tribunal fédéral 5A_237/2012 du 10 septembre 2012 consid. 2.2; Erard, Commentaire Romand, Poursuite et faillite, 2005, n° 32, 33 et 44 ad art. 17 LP).

1.1.2 L'établissement de l'inventaire est une mesure interne de l'administration de la faillite, qui n'a aucun effet sur la situation juridique des tiers (ATF 114 III 21 cons. 5b; 90 III 18 cons. 1). En particulier, le fait de porter à l'inventaire un actif ne faisant pas déjà partie de la masse n'a pour effet ni de le soumettre à la mainmise de l'administration de la faillite ni de trancher la question de son appartenance à la masse (Lustenberger/Schenker, in BSK SchKG II, 2021, N 24 ad art. 221 LP; Vouilloz, Commentaire Romand, 2005, N. 14 et 15 ad art. 221 LP). Il en découle que les tiers n'ont en principe pas qualité pour porter plainte contre l'inscription d'un actif à l'inventaire (arrêt du Tribunal fédéral 5A_352/2008 du 13 novembre 2008, cons. 2.3.3; DSCO/255/2015 du 20 août 2015, consid. 1.3 et 1.4; Schober, in Kommentar SchKG, 4ème édition, 2017, Kren Kostkiewicz/Vock [éd.], N 12 ad art. 221 LP). Les créanciers pour leur part, du fait qu'ils ont un intérêt manifeste à ce que tout l'actif soit effectivement considéré comme appartenant à la masse active et soit réalisé pour les désintéresser, ont qualité pour attaquer, par la voie de la plainte, le refus ou l'omission de porter certains droits patrimoniaux à l'inventaire, alors qu'ils ne peuvent, en principe, faire retrancher, par cette voie, un droit patrimonial inventorié (ATF 114 III 22 consid. 5b; 104 III 23 consid. 1; 64 III 35, p. 36;
38 I 734 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_517/2012 précité et les réf. Citées; Lustenberger/Schenker, op. cit., N 33a ad art. 221 LP et N 11 ad art. 224 LP).

1.2.1 La plainte a en l'espèce été formée en temps utile et dans les formes prévues par la loi. Elle est dirigée contre une mesure de l'Office pouvant être contestée par cette voie et émane d'un créancier de la faillie disposant, de ce fait, de la qualité pour contester le fait qu'un actif soit écarté de l'inventaire ou que des actifs potentiels n'y soient, malgré une demande de sa part, pas mentionnés. Elle est donc en principe recevable, sous réserve de l'examen de la recevabilité des griefs spécifiques invoqués.

1.2.2 Le plaignant déplore dans sa plainte que l'Office n'ait motivé ni son estimation de la valeur de réalisation des quatre lots d'objets mobiliers, pour un montant total de 1'000 fr., ni sa décision de renoncer à les incorporer dans la masse active par une application analogique de l'art. 92 al. 2 LP. Il ne développe toutefois aucune motivation sur ce point, n'expliquant en particulier pas en quoi l'inventaire aurait dû comporter une motivation à cet égard ni pour quelle raison la valeur retenue serait incorrecte ni enfin pourquoi il aurait été erroné de considérer que les frais prévisibles liés à la prise en charge, à l'entreposage et à la vente des lots de biens mobiliers excédait ou n'était que de très peu inférieure à leur valeur de réalisation présumée. Il ne formule par ailleurs aucune conclusion expresse tendant à la réintégration de ces actifs dans la masse active. Le grief est donc irrecevable.

Cette irrecevabilité rend sans objet la conclusion du plaignant relative à la mention à l'inventaire du droit de rétention des bailleurs : dans la mesure en effet où les actifs mobiliers ont été considérés comme insaisissables, qu'ils ne font donc pas partie de la masse active et ne seront en conséquence pas réalisés au profit des créanciers, le fait qu'ils soient ou non frappés d'un droit de rétention au bénéfice de tiers ne touche en rien la situation du plaignant. Il faut pour le surplus relever qu'un litige relatif à l'existence et au montant d'un droit de rétention frappant un actif tombant dans la masse doit en principe être résolu dans le cadre d'une action en contestation de l'état de collocation : or, de ce point de vue, force est de constater que, de manière cohérente, l'Office a colloqué en troisième classe – et non comme créance garantie par un droit de gage – la créance de loyers invoquée par E______ et F______.

2. L'art. 14 LPA, applicable à la procédure de plainte par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP, donne à l'autorité administrative, respectivement au juge, la possibilité de suspendre la procédure jusqu'à droit jugé sur une question préjudicielle de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d'une autre autorité (al. 1). Si la suspension est ordonnée, l'autorité est ensuite liée par la décision rendue sur la question préjudicielle par l'autorité compétente (al. 2).

Il n'y a pas lieu en l'occurrence de suspendre la procédure de plainte dans l'attente de l'issue de l'action en contestation de l'état de collocation engagée par le plaignant : comme expliqué ci-dessus, en effet, la conclusion du plaignant relative au droit de rétention des bailleurs mentionné à l'inventaire en regard des biens mobiliers est sans objet, du fait que ces biens ne font pas partie de la masse active. A cela s'ajoute que, dans la mesure où ce droit de rétention n'a pas été admis à l'état de collocation (faute pour les actifs visés de tomber dans la masse active), la décision du juge civil ne devrait, faute de litige sur ce point, pas trancher cette question.

3. 3.1.1 Dès que l'office a reçu communication de l'ouverture de la faillite, il procède à l'inventaire des biens du failli et prend les mesures nécessaires pour leur conservation (art. 221 LP; art. 25 ss OAOF; Gilliéron, Commentaire, n. 1 ss ad Remarques introductives aux art. 221-231 LP).

Pour dresser l'inventaire, l'office se fonde, notamment, sur les livres comptables et les papiers d'affaires qu'il a pris sous sa garde (art. 223 al. 2 LP), l'interrogatoire du failli (art. 37 let. a OAOF), les envois postaux adressés au failli ou expédiés par lui (art. 38 OAOF), les allégations des soi-disant créanciers, sans égard à l'opinion qu'il peut avoir sur l'appartenance du droit patrimonial à la masse active (Gilliéron, Commentaire, n. 11 ss ad art. 221 LP et n. 9 ad art. 242 LP; cf. ég. Vouilloz, in CR-LP, n. 3 et n. 16 ss ad art. 221 LP). L'office doit, en tous les cas, mener des investigations sérieuses et diligentes, afin de déterminer la situation réelle du failli (DCSO/551/03 du 28 novembre 2003 consid. 3; DCSO/78/2005 du 2 février 2005 consid. 2c). Lors de l'établissement de l'inventaire, la vigilance de l'office doit être d'autant plus grande que des indices révéleraient que des prétentions pourraient être émises à l'encontre d'organe ou de tiers. En cas de faillite d'une société, l'office doit être attentif aux causes effectives de la faillite et s'intéresser à l'évolution de la situation financière de la société dans les mois sinon les années ayant précédé la mise en faillite, afin de savoir s'il y a lieu d'inventorier de telles prétentions (DCSO/78/2005 du 2 février 2005).

L'inventaire ne détermine pas quels biens du failli seront réalisés pour désintéresser les créanciers, ni même ne préjuge de la composition du patrimoine du failli au jour de la faillite (Gilliéron, Commentaire, n. 35 ad art. 221 LP et n. 9 ad art. 242; Lustenberger, in BaK SchKG-II, 2ème éd., 2010, n. 7ss ad art. 221 LP; Ammon/Walther, Grundriss, 8ème éd., 2008, § 44 n. 2 s.). Il ne fixe pas non plus définitivement l'appartenance des biens à la masse; il n'a d'autre but et d'autre conséquence que d'énumérer et d'établir les biens et les droits que la masse considère comme appartenant au failli (ATF 90 III 18 consid. 1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_517/2012 du 24 août 2012 consid. 4.1.2; 5A_543/2011 du 14 novembre 2011 consid. 2.1; 5A_352/2008 du 13 novembre 2008 consid. 2.3.3). Le fait d'inventorier une créance ne préjuge donc nullement de son existence (ATF 36 I 102 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5C_140/2003 du 23 février 2004 consid. 3.3.1).

3.1.2 La loi fixe le moment auquel l'office doit "procéder" à l'inventaire, c'est-à-dire commencer la procédure d'établissement, à la communication par le juge de l'ouverture de la faillite (art. 221 al. 1 LP). La procédure d'établissement doit être conduite avec diligence, afin notamment que les mesures de sûreté nécessaires à la sauvegarde des actifs puissent être prises en temps utile et que les créanciers puissent se déterminer sur la réalisation des actifs.

Lorsque la faillite est liquidée en la forme ordinaire, l'inventaire doit être communiqué aux créanciers lors de la première assemblée des créanciers (art. 237 al. 1 LP); en cas de liquidation sommaire, il est déposé en même temps que l'état de collocation (art. 231 al. 3 ch. 3 LP). Il n'en résulte cependant pas que l'inventaire ne puisse plus être complété après ces dates : l'office peut en effet, jusqu'à la clôture de la faillite, modifier ou compléter l'inventaire afin de tenir compte de la découverte de nouveaux actifs ou de circonstances affectant la substance ou la valeur d'actifs déjà inventoriés (Lustenberger/Schenker, op. cit., N 29 ad art. 221 LP; Rüetschi/Schober, KOV Kommentar, 2016, Milani/Wohlgemuth [éd.], N 16 et 19 ad art. 25 OAOF).

La possibilité pour l'administration de la faillite de compléter et de modifier l'inventaire après la première assemblée des créanciers ou le dépôt de l'état de collocation ne doit toutefois pas la conduire à se borner dans un premier temps à n'inventorier que les actifs dont l'existence est évidente ou reconnue par le failli pour, dans un second temps seulement et une fois l'inventaire déposé, donner suite à d'éventuelles demandes d'investigations complémentaires ou d'inventaire d'actifs supplémentaires de la part de créanciers. L'existence, à un stade précoce de la liquidation, d'un inventaire le plus complet possible est en effet indispensable à un déroulement correct de la procédure de liquidation (cf. à cet égard Rüetschi/Schober, op. cit., N 19 ad art. 25 OAOF). A cela s'ajoute que, au contraire de l'inventaire lui-même qui doit être communiqué aux créanciers ou déposé, ses compléments ou modifications postérieurs n'ont pas à l'être, ce qui rend plus difficile l'exercice par les créanciers de leurs droits dans cette phase postérieure au dépôt proprement dit de l'inventaire; ce sera d'autant plus le cas lorsque, comme cela peut est de plus en plus fréquent, l'inventaire est tenu sous forme digitale, et ne peut donc aisément être consulté par les créanciers.

3.2 Le plaignant formule, sous une forme plus ou moins motivée, de nombreux griefs relatifs à l'établissement de l'inventaire. Il reproche principalement à l'Office le caractère insuffisant de ses investigations et suggère le recours à un expert comptable.

3.2.1 Le plaignant fait en premier lieu grief à l'Office d'avoir insuffisamment investigué les conditions de la vente à F______, pour le prix de 12'000 fr., du véhicule H______/3______ ayant appartenu à la faillie.

Il résulte à cet égard des déclarations du gérant de la faillie et des pièces et explications qu'il a ensuite – sur demande expresse de l'Office – fournies que ce véhicule – qui, selon le gérant, accusait alors un kilométrage de 79'000 km. – a été vendu le 7 octobre 2022 à un tiers – soit la mère du gérant et, au travers d'une société holding, l'une des ayant-droits économique de la faillie – pour le prix de 12'000 fr., lequel aurait été payé par compensation avec une créance (le "compte courant associé") dont disposait ladite société holding à l'encontre de la faillie.

Ces constatations étaient suffisantes pour retenir, comme l'a du reste fait l'Office dans le cadre de sa réponse à la plainte et par le courrier qu'il a adressé le 30 novembre 2023 à l'acquéreuse, que le prix convenu n'avait pas été valablement acquitté puisque sa débitrice, bien qu'ayant droit indirecte de la faillie, n'était pas personnellement titulaire de la créance faisant l'objet du "compte courant associé". F______ a certes fait valoir, à la suite de l'appel aux créanciers de la faillie, qu'elle disposait personnellement à l'encontre de celle-ci, conjointement avec E______, d'une prétention en paiement de loyers mais il ne ressort pas de sa production, admise par l'Office à l'état de collocation, qu'il aurait été tenu compte d'une compensation pour un montant de 12'000 fr.

Une créance d'un montant de 12'000 fr. en paiement du prix de vente du véhicule H______/3______ aurait donc dû être inventoriée à l'encontre de F______ : la plainte sera dès lors admise sur ce point et il sera ordonné à l'Office de compléter l'inventaire à cet égard.

Des investigations complémentaires n'apparaissent en revanche pas utiles. Aucun élément du dossier ne permet en effet de penser que le prix convenu serait notablement inférieur à la valeur du véhicule, ce qui aurait pu justifier de porter à l'inventaire une prétention révocatoire au sens de l'art. 286 al. 2 ch. 1 LP, et il paraît probable que le coût d'éventuelles investigations sur cette question excède le montant de la prétention que de telles recherches pourraient fonder.

3.2.2 En deuxième lieu, le plaignant reproche à l'Office d'avoir insuffisamment investigué les circonstances ayant entouré la disparition du stock de vins qui, au début de l'année 2020, se trouvait en possession de la faillie.

Ce reproche apparaît fondé.

Il ressort en effet du bilan de la faillie arrêté au 31 décembre 2021, qui mentionne pour comparaison les chiffres de l'année précédente, qu'au 31 décembre 2020 un poste "stock de vins" figurait à l'actif du bilan pour un montant de 272'295 fr. alors que ce montant était nul au 31 décembre 2021; le compte de résultat des comptes 2021 fait pour sa part état, sous la rubrique "autres produits d'exploitation", d'un montant de 275'500 fr. obtenu par la "vente de matériel et vins". Il paraît ainsi résulter des documents comptables que la faillie était propriétaire au 31 décembre 2020 d'un stock de vins d'une valeur comptable non négligeable, qu'elle a aliéné dans le courant de l'année 2021 pour un montant global correspondant plus ou moins à sa valeur comptable. Or cette version "comptable" des faits ne correspond en rien à celle soutenue par le gérant de la faillie, selon lequel la plus grande partie du stock de vins dont disposait celle-ci ne lui appartenait pas – auquel cas il n'aurait pas dû être comptabilisé – et le solde avait été vendu le 24 septembre 2020 (soit avant l'année 2021 au cours de laquelle, selon la comptabilité, le stock de vins aurait été aliéné dans sa totalité) à une société tierce.

En présence de cette contradiction, résultant de documents en possession de l'Office dès le mois d'avril 2023, il incombait à celui-ci d'éclaircir dans la mesure du possible les circonstances dans lesquelles la faillie avait perdu la possession du stock de vins dont elle disposait avant de devoir mettre un terme à l'exploitation du C______. A cette fin, il aurait dû inviter le gérant à lui remettre un inventaire des bouteilles constituant le stock de vins au 31 décembre 2020 ainsi que les pièces justificatives relatives aux aliénations intervenues au cours de l'année 2021. Se fondant sur ces pièces, il aurait ensuite dû examiner si la faillie avait bien reçu les contre-prestations promises – une créance en paiement devant être inventoriée dans le cas contraire – et si ces contre-prestations correspondaient à la valeur de la prestation, la question de l'inventaire d'une prétention révocatoire au sens de l'art. 288 LP pouvant se poser dans le cas contraire.

La plainte doit donc être déclarée bien fondée sur ce point également; l'Office sera donc invité à poursuivre ses investigations relatives aux opérations de liquidation du stock de vins.

En l'absence de toute critique de la part du plaignant sur le prix de vente des vins cédés en 2020 – avant la période de liquidation du stock – à I______ SA, des investigations complémentaires sur ce point ne se justifient en revanche pas.

3.2.3 Le plaignant souhaite en troisième lieu que l'Office conduise des investigations sur l'existence d'une éventuelle provision au bilan en relation avec ses créances salariales, litigieuses jusqu'à la fin de la procédure prud'homale en août 2022. Elle n'explique toutefois pas – et l'on ne comprend pas – en quoi cette question pourrait conduire à une modification de l'inventaire, dans la mesure où une provision comptable ne constitue pas un actif.

La plainte est donc mal fondée à cet égard.

3.2.4 En quatrième lieu, le plaignant demande que des investigations complémentaires soient conduites sur le versement par la faillie de salaires pour la période postérieure à la date du 20 juin 2020.

Il résulte à cet égard du dossier, en particulier des comptes relatifs aux exercices 2019 à 2022, que les charges de personnel se sont élevées à 1'017'577 fr. en 2019, à 490'389 fr. en 2020, à 220'543 fr. en 2021 et à 72'438 fr. en 2022, ce qui paraît compatible avec les déclarations du gérant selon lesquelles les collaborateurs ont été licenciés pour le 30 juin 2020, lui-même conservant ses fonctions – et son salaire – jusqu'à la faillite. Il n'existe donc, a priori, pas de motif de procéder à des investigations complémentaires.

La plainte est donc mal fondée sur ce point, étant rappelé que le plaignant conserve la possibilité de solliciter qu'une prétention soit inventoriée, par exemple une prétention révocatoire au sens de l'art. 288 LP fondée sur le fait que le gérant, peu avant la déclaration de faillite, a apparemment préféré consacrer les liquidités encore à disposition de la société au règlement de son propre salaire plutôt qu'à celui des prétentions salariales du plaignant.

3.2.5 En cinquième et dernier lieu, le plaignant considère que des investigations complémentaires devraient être conduites sur l'utilisation faite par la faillie du crédit COVID dont elle a bénéficié. Il n'explique toutefois nullement de quelle manière ces investigations pourraient conduire à l'adjonction d'un actif à l'inventaire; en particulier, il n'allègue en particulier pas que les montants versés à la société au titre de prêt COVID auraient été détournés au profit de tiers, ce qui aurait pu donner lieu à des prétentions pouvant être inventoriées. Sous l'angle de l'identification des actifs réalisables, il importe peu pour le surplus de déterminer si c'est à tort ou à raison que, nonobstant sa cessation d'activité, la société a pu bénéficier d'un crédit COVID.

C'est le lieu de souligner que l'établissement diligent de l'inventaire dans la faillite n'implique pas l'obligation pour l'Office de procéder systématiquement à un audit de la comptabilité du débiteur failli. Comme relevé ci-dessus, le but de l'inventaire consiste à identifier et énumérer les actifs susceptibles d'être réalisés au profit des créanciers, de manière notamment à ce que ceux-ci puissent ensuite décider de renoncer ou non à faire valoir une prétention (art. 260 al. 1 LP). Si elles doivent certes être sérieuses et diligentes, les investigations de l'Office n'en doivent pas moins demeurer orientées vers cet objectif d'identification des actifs pouvant être considérés comme tombant dans la masse active : il ne s'agit donc pas de rechercher d'éventuelles irrégularités, comptables ou autres, dont l'Office peut d'emblée réaliser qu'elles ne permettront pas d'identifier un éventuel actif. Les recherches de l'Office doivent par ailleurs être proportionnées aux circonstances, ce qui signifie en particulier qu'il pourra s'abstenir de mesures d'investigation coûteuses si les éléments à sa disposition – déclarations du débiteur ou de son représentant, comptabilité et correspondance du failli, informations données par les créanciers ou les tiers, etc. – paraissent cohérents et vraisemblables. De la même manière, le recours à un expert-comptable ne se justifiera en principe que si l'Office ne dispose pas lui-même des compétences requises, ce qui ne sera souvent pas le cas pour des entreprises commerciales de moyenne importance.

La plainte doit donc être rejetée sur ce point également.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 19 octobre 2023 par A______ contre l'inventaire établi par l'Office cantonal des faillites dans la faillite de B______ Sàrl.

Au fond :

L'admet partiellement.

Ordonne à l'Office cantonal des faillites de porter à l'inventaire une créance de 12'000 fr. à l'encontre de F______ au titre de prix de vente du véhicule H______/3______ ayant appartenu à la faillie.

Invite l'Office cantonal des faillites à procéder à des investigations supplémentaires, au sens des considérants, sur le sort du stock de vins ayant été en possession de la faillie.

Rejette la plainte pour le surplus.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Messieurs Luca MINOTTI et
Anthony HUGUENIN, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

Le président : La greffière :

 

Patrick CHENAUX Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.