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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/1997/2023

DCSO/46/2024 du 15.02.2024 ( PLAINT ) , IRRECEVABLE

Normes : CC.2.al2; LP.22.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1997/2023-CS DCSO/46/2024

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 15 FEVRIER 2024

 

Plainte 17 LP (A/1997/2023-CS) formée en date du 13 juin 2023 par A______.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

______

______ [GE].

- B______

c/o Me C______

______

______ [GE].

- Office cantonal des poursuites.

 

Et par courrier interne à :

- Ministère public.

 

 


EN FAIT

A. a. C______, au bénéfice d'une formation d'avocat et inscrit en cette qualité au Registre cantonal des avocats, et son épouse B______ étaient titulaires auprès de [la banque] D______ d'un compte sur lequel était déposé un montant de quelque 510'000 fr. provenant, selon leurs explications, de dévolutions successorales.

b. En mai 2019, D______ a informé les époux B______/C______ de sa volonté de mettre un terme à leurs relations d'affaires. Selon les explications de ces derniers, cette décision était liée à leur refus, pour des raisons de protection de leurs données personnelles, de remettre à D______ un avis de taxation.

D______ a en conséquence invité les époux B______/C______ à lui communiquer leurs coordonnées bancaires en vue du transfert du montant alors déposé sur leur compte.

c. Ne souhaitant pas que le montant déposé sur leur compte auprès de D______ soit transféré auprès d'un autre établissement financier, les époux B______/C______ ont mandaté A______, avocat, afin que celui-ci dépose à l'encontre de D______ une action tendant au paiement en espèces dudit montant.

Préalablement au dépôt d'une telle action, A______, pour le compte de ses clients les époux B______/C______, a toutefois fait notifier à D______ un commandement de payer (poursuite n° 1______ de l'Office des poursuites de E______ [BE]) portant sur un montant de 510'291 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 28 mai 2019, allégué être dû au titre de solde positif du compte détenu par les époux B______/C______. D______ s'est alors acquitté de la quasi-totalité du montant réclamé en mains de l'Office des poursuites de E______ qui, le 16 septembre 2019, a viré sur le compte professionnel de A______ (lequel se trouvait être ouvert auprès de D______) la somme de 509'779 fr. 66.

Par courrier du 16 septembre 2019, A______ a informé les époux B______/C______ de la réception de ce montant, ce qui rendait sans objet l'introduction d'une action judiciaire et mettait donc un terme à son intervention; il les a invités à lui communiquer leurs "coordonnées de paiement".

d. Les relations entre les époux B______/C______ et leur avocat se sont ensuite détériorées, ceux-ci reprochant à celui-là une mauvaise exécution du mandat qu'ils lui avaient confié. Un litige relatif au principe et au montant des honoraires du mandataire s'en est suivi.

e. A la suite de la fin du mandat, un second litige est apparu entre les époux B______/C______ et leur ex-avocat, portant sur les modalités de l'exécution par celui-ci de son obligation de restitution à ceux-là du montant recouvré pour leur compte.

Sur ce point, A______ a offert à de multiples reprises à ses ex-clients de leur verser le montant leur revenant selon lui après imputation de ses frais et honoraires (soit environ 505'000 fr.) sur un compte bancaire de leur choix. Les époux B______/C______, pour leur part, se sont opposés avec constance à un tel mode de versement et, dans un premier temps, ont insisté pour que le montant dû leur soit remis en espèces; ils n'ont en conséquence jamais communiqué à leur ex-avocat les coordonnées d'un compte sur lequel le montant que celui-ci déclarait vouloir leur remettre aurait pu leur être versé.

Après que A______, en mars 2020, eut évoqué un versement en mains de la Caisse de consignation de l'Etat, B______, à laquelle C______ avait dans l'intervalle déclaré céder ses prétentions, l'a invité en mai 2021 à lui confirmer qu'il était disposé à s'acquitter de sa dette sous forme de six versements séparés, chacun d'un montant de 85'000 fr. environ, sur six comptes bancaires ouverts par celle-ci auprès de six banques différentes, dont les coordonnées lui seraient transmises une fois son accord de principe donné. A______ n'ayant pas répondu à cette requête, B______ ne lui a transmis aucune référence bancaire.

f. Le 23 février 2022, B______ a engagé à l'encontre de A______ six poursuites ordinaires (poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______, 6______ et 7______) tendant chacune au recouvrement d'un montant de 84'963 fr. 25 allégué être dû au titre d'"argent viré au bénéfice de la créancière poursuivante sur le compte du débiteur poursuivi alors qu'il était son représentant vis-à-vis d'une banque débitrice de la créancière poursuivante".

A réception des réquisitions de poursuite, l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) a pris contact téléphoniquement avec B______ afin de vérifier qu'il s'agissait bien de six créances différentes, ce que celle-ci a confirmé.

g. Les commandements de payer établis dans les six poursuites engagées le 23 février 2022 ont été notifiés le 4 mars 2022 à A______, qui a formé opposition totale.

h. Malgré ces oppositions, A______ a versé à l'Office, le 23 mars 2022, le montant de 505'422 fr. 86 qu'il reconnaissait devoir à la poursuivante, correspondant au montant de 509'779 fr. 66 reçu le 16 septembre 2019 de l'Office des poursuites de E______ sous déduction du solde des honoraires, frais et débours auxquels il prétendait.

Interpellé par l'Office sur la manière dont le versement effectué devait être réparti entre les six poursuites engagées par B______, A______, par courriel du 4 avril 2022, a répondu ce qui suit :

"Pour des raisons qui n'ont manifestement rien à voir avec le droit des poursuites, le créancier qui refuse de fournir ses coordonnées bancaires a procédé au saucissonage artificiel d'une créance unique. Cela étant, le plus simple serait de solder complètement les 5 premières poursuites et de reporter le solde sur la 6ème, par exemple la 7______".

Se fondant sur ce courriel, et en l'absence d'autres indications de la part de A______, l'Office a alors considéré que le paiement de 505'422 fr. 86 effectué le 23 mars 2022 soldait complètement, en capital et frais, les poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______ et 6______, ce qui entraînait leur extinction. Le solde disponible de 77'952 fr. 86 a été affecté à la poursuite n° 7______, laquelle poursuit son cours pour le solde.

i. Interpellée par l'Office sur le compte sur lequel les montants recouvrés dans le cadre des poursuites engagées le 23 février 2022 devaient lui être transférés, B______ lui a donné pour instructions, par six courriers séparés (un par poursuite) du 25 avril 2022, de lui virer lesdits montants sur six comptes bancaires distincts auprès de six banques différentes, à hauteur de la somme recouvrée dans chacune des poursuites (soit 85'494 fr. plus les frais de poursuite dans les poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______ et 6______ et 77'563 fr. 11 dans la poursuite n° 7______).

L'Office a donné suite à ces instructions de paiement.

j. Par courrier adressé le 19 mai 2023 à l'Office, A______ a invité l'Office à constater la nullité des poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______, 6______ et 7______. Selon lui, celles-ci avaient été introduites par la créancière dans le seul but de le contraindre à fractionner artificiellement la somme qu'il admettait lui devoir, alors qu'elle rendait impossible l'exécution de son obligation de restitution en refusant de lui communiquer ses coordonnées de paiement. L'objectif réel poursuivi par B______ consistait donc à le contraindre à verser le montant selon des modalités aboutissant à son fractionnement artificiel, ce de manière à ce que chaque fraction soit inférieure à la limite autorisée de 100'000 fr. pour les opérations en espèces hors contrôle LBA, ainsi que dans un but chicanier. Cet objectif étant dénué de relation avec le but poursuivi par l'exécution forcée, les poursuites litigieuses devaient être considérées comme nulles.

k. Par courrier adressé le 6 juin 2023 à A______, l'Office lui a indiqué que les poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______ et 6______, soldées, ne pouvaient plus être annulées. Quant à la poursuite n° 7______, encore en cours, il ne paraissait pas que les prétentions invoquées par la poursuivante, qui avait au demeurant engagé une procédure en vue de la mainlevée de l'opposition, soient dénuées de tout fondement, de telle sorte qu'elle ne pouvait être considérée comme nulle.

B. a. Par acte adressé le 13 juin 2023 à la Chambre de surveillance, A______ a déclaré former une plainte au sens de l'art. 17 LP contre le courrier de l'Office du 6 juin 2023, concluant à son annulation et à la constatation de la nullité, subsidiairement à l'annulation, des poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______, 6______ et 7______. Reprenant pour l'essentiel l'argumentation présentée dans son courrier à l'Office du 19 mai 2023, il a pour le surplus soutenu que, contrairement à ce qu'indiquait l'Office, les poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______ et 6______ n'avaient pas été soldées : il avait en effet utilisé l'Office comme domicile de paiement "de nécessité" en effectuant un versement unique pour le montant qu'il estimait devoir, et c'est l'Office qui, par un acte unilatéral interne, avait décidé d'affecter ce versement à l'extinction complète de cinq des six poursuites engagées par la poursuivante et à l'extinction partielle de la sixième.

b. Dans ses observations du 28 juin 2023, l'Office a conclu à l'irrecevabilité de la plainte en tant qu'elle visait les poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______ et 6______ et à son rejet en tant qu'elle visait la poursuite n° 7______. En l'absence d'indication de la part du plaignant sur l'affectation du montant de 505'422 fr. 86 versé le 23 mars 2022, l'Office était en droit de l'attribuer à l'extinction complète de cinq des six poursuites engagées et à l'extinction partielle de la sixième. Les cinq premières poursuites étaient ainsi irrévocablement éteintes depuis le 23 mars 2022, avec pour conséquence que la constatation de leur éventuelle nullité ne pourrait produire aucun effet sur le plan de l'exécution forcée. La sixième poursuite (n° 7______), toujours en cours, portait pour sa part sur un montant (ou solde) véritablement litigieux entre les parties, et les prétentions de la poursuivante n'apparaissaient pas dénuées de tout fondement.

c. Par détermination du 28 août 2023, B______, représentée par son époux C______, a conclu principalement à l'irrecevabilité de la plainte et subsidiairement à son rejet.

Selon la plaignante, les décisions de la Commission du barreau déliant le plaignant, avocat intervenu dans l'exercice de sa profession, de son secret professionnel à l'égard de l'intimée n'étaient pas définitives, de telle sorte que sa plainte, portant sur des faits soumis au secret, devait être déclarée irrecevable.

Sur le fond, l'intimée a émis diverses critiques relatives à l'accomplissement par le plaignant de son mandat d'avocat et fustigé son attitude après la fin du mandat, contestant notamment la légitimité de l'imputation faite par celui-ci au titre de frais et honoraires sur le montant reçu de l'Office des poursuites de E______. Elle a pour le surplus expliqué qu'elle avait considéré comme injustifiée la requête de D______ qu'elle lui remette un avis de taxation, en raison des données confidentielles que contient un tel document. Son refus de le produire avait conduit D______ à prendre la décision de mettre fin à la relation, et elle s'était alors adressée au plaignant pour que celui-ci obtienne un versement en espèces. Ce dernier n'avait toutefois pas respecté les instructions qui lui avaient été données, avec pour conséquence que le montant réclamé avait été versé sur son compte bancaire. Elle en avait vainement sollicité le versement en espèces, avant de requérir de la part du plaignant – pour des raisons de garantie bancaire, celle-ci étant limitée à 100'000 fr. par client – qu'il s'acquitte de sa dette par six versements d'un montant inférieur à 100'000 fr. sur six comptes bancaires différents, ce qu'il n'avait toutefois pas accepté. Elle n'avait donc eu d'autre choix que d'engager les poursuites litigieuses, dans le cadre desquelles le plaignant avait volontairement payé la somme de 505'422 fr. 86, insuffisante pour solder les six poursuites, y compris les frais de poursuite.

Selon l'intimée, les poursuites s'inscrivaient dans l'objectif de la règlementation relative à l'exécution forcée dans la mesure où le plaignant, à tort, refusait de lui transférer le montant dû "par virement dans les conditions légitimes de sécurité bancaire demandées".

L'intimée s'est pour le surplus ralliée à l'argumentation soutenue par l'Office dans ses observations.

d. Une audience a été tenue le 14 novembre 2023, lors de laquelle les parties ont pour l'essentiel persisté dans leur argumentation.

A______ a indiqué que le fait de partager un versement unique d'un montant supérieur à 500'000 fr. en six versements d'un montant inférieur à 100'000 fr. dans six banques différentes lui avait paru constituer une opération insolite au sens de la LBA. A son sens l'engagement des poursuites litigieuses était constitutif d'une tentative de contrainte à son encontre, visant à l'obliger à procéder de la sorte, contre sa volonté. Il avait toutefois saisi l'occasion d'avoir un domicile de paiement – l'Office – pour s'acquitter du montant unique de 505'422 fr. 86 qu'il reconnaissait devoir. Devant la menace de l'Office de lui retourner les fonds en l'absence d'indication de sa part sur leur affectation précise, il avait choisi l'une des deux possibilités proposées, soit l'extinction des cinq premières poursuites.

C______, s'exprimant en sa qualité de mandataire de son épouse, a exposé que selon cette dernière A______, à qui les justificatifs établissant l'origine licite des fonds avaient été soumis, n'aurait violé aucune disposition légale en transférant à l'intimée, selon les modalités exigées par celle-ci, le montant dû. Interrogé sur la raison d'être de ces modalités – l'objectif exprimé, soit le souhait de bénéficier de six garanties légales de 100'000 fr. chacune, pouvant également être obtenu par un partage intervenant après la réception d'un versement unique – il a indiqué que son épouse/cliente ne connaissait rien aux transactions financières et que lui-même était souvent absent avant d'ajouter que le "transfert sur 6 comptes bancaires avait pour but d'éviter les formalités bancaires. D______ nous avait en effet indiqué qu'elle ne pouvait plus nous conserver comme clients car nous avions refusé de lui remettre un avis de taxation, lequel comporte des données personnelles qu'aucune banque ne devrait connaître".

A l'issue de l'audience, un délai a été imparti à l'Office et aux parties pour déposer des pièces et des explications supplémentaires.

e. Par pli du 28 novembre 2023, l'Office a déposé des pièces supplémentaires.

f. Par détermination du 29 novembre 2023, accompagnée de pièces, B______ a persisté dans ses conclusions, relevant notamment, en référence aux faits décrits sous lettre A.h ci-dessus, que le plaignant avait décidé en toute connaissance de cause de solder cinq des six poursuites engagées à son encontre. Il en résultait selon elle l'irrévocabilité de l'extinction des poursuites et donc l'irrecevabilité de la plainte, alors même qu'un motif de nullité était invoqué.

g. En l'absence de déterminations spontanées supplémentaires, la cause a été gardée à juger le 18 janvier 2024.

 

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

Même en l'absence d'une plainte, ou en cas d'irrecevabilité de la plainte, la Chambre de surveillance doit constater d'office la nullité des mesures de l'office contraires à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure (art. 22 al. 1 LP).

1.2.1 Le plaignant soulève deux griefs dans sa plainte.

D'une part, les six poursuites litigieuses seraient constitutives d'un abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC et donc nulles au sens de l'art. 22 al. 1 LP. La décision de l'Office de donner suite aux réquisitions de poursuite de l'intimée était cependant connue du plaignant depuis la notification, le 4 mars 2022, des commandements de payer, de sorte que la plainte est à cet égard tardive et donc irrecevable.

Le plaignant conteste d'autre part la décision de l'Office d'attribuer le versement unique de 505'422 fr. 86 qu'il a effectué le 23 mars 2022 à l'extinction complète de cinq des six poursuites engagées par l'intimée et d'attribuer le solde disponible à la sixième. Il résulte cela étant du courrier adressé le 18 mai 2023 à l'Office par le plaignant que cette décision lui était déjà connue à cette date, de telle sorte que sa plainte du 13 juin 2023 est, sur ce point également, tardive et partant irrecevable.

Il sera pour le surplus relevé que, à supposer que la plainte ait été recevable sur ce second point, elle aurait dû être rejetée. Par son courriel du 4 avril 2022 (cf. let. A.h ci-dessus), le plaignant a en effet à tout le moins acquiescé à l'attribution du montant versé selon les modalités par la suite exécutées.

En définitive, la plainte doit ainsi être déclarée irrecevable en raison de sa tardiveté. Il n'est dès lors pas nécessaire d'examiner si cette irrecevabilité devrait également résulter d'autres motifs, notamment du fait que le plaignant allègue des faits qui, selon l'intimée, seraient couverts par son secret professionnel, lequel n'aurait pas été définitivement levé.

1.2.2 Les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC, sont atteintes de nullité au sens de l'art. 22 al. 1 LP (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1). En application de cette disposition, il y a donc en principe lieu d'entrer en matière sur la question de la nullité des poursuites litigieuses nonobstant l'irrecevabilité de la plainte.

L'Office et l'intimée soutiennent toutefois, se fondant sur la jurisprudence du Tribunal fédéral (ATF 99 III 58 consid. 2 et arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 7B.25/2004 du 19 avril 2004 consid. 2.3), que, dans la mesure où le montant versé – volontairement – par le poursuivi avait été distribué à la poursuivante et que cette mesure était irrévocable, une éventuelle constatation de sa nullité serait dépourvue de tout effet concret, ce qui justifierait que cette question ne soit pas examinée.

Il est exact à cet égard que l'éventuelle constatation de la nullité de tout ou partie des poursuites litigieuses demeurerait sans effet immédiat sur une partie des mesures accomplies par l'Office – soit l'encaissement du montant de 505'422 fr. 86 versé par le poursuivi et sa distribution, sous déduction des frais de poursuite, à la poursuivante – et que celles-ci sont, dans cette mesure, irrévocables. Il ressort du reste du dossier qu'une restitution du montant payé puis distribué n'est souhaitée par aucune des parties.

Il ne résulte cependant pas de ce qui précède qu'une éventuelle constatation de la nullité de tout ou partie des poursuites litigieuses serait dénuée de portée concrète. Une telle constatation aurait ainsi notamment pour effet que, contrairement à ce qui est le cas aujourd'hui, les poursuites dont la nullité serait constatée ne seraient, en application de l'art. 8a al. 3 let. a LP, plus portées à la connaissance des tiers au sens de l'art. 8a al. 1 LP, ce qui, au vu de la profession du plaignant, ne paraît pas dénué de pertinence. De la même manière, les émolument, débours et frais prélevés indûment par l'Office sur le versement effectué par le plaignant pour des activités déployées dans une poursuite déclarée nulle devraient être soit restitués soit affectés à une poursuite non atteinte de nullité.

Il sera donc entré en matière sur la question de la nullité des poursuites engagées par l'intimée.

1.2.3 Il n'y a pour le surplus pas lieu d'examiner si le plaignant – dont la plainte est déclarée irrecevable – pouvait ou non, compte tenu de son secret professionnel, porter à la connaissance de la Chambre de céans les faits allégués dans sa plainte et les pièces annexées, et donc s'il peut être tenu compte de ces faits et pièces dans l'examen de l'éventuelle nullité des poursuites litigieuses. Les faits pertinents résultent en effet suffisamment des explications et pièces fournies par l'Office ainsi que des écritures et pièces produites par l'intimée et son mandataire, lesquels n'étaient pas tenus au secret.

2. 2.1 La nullité d'une poursuite pour abus de droit (art. 2 al. 2 CC) ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; 115 III 18 consid. 3b; arrêts 5A_1020/2018 du 11 février 2019; 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, in Pra 2016 p. 53 n° 7; 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3).

La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le grief pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la réclamation litigieuse, la décision à ce sujet étant réservée au juge ordinaire. En effet, c'est une particularité du droit suisse que de permettre l'introduction d'une poursuite sans devoir prouver l'existence de la créance (ATF 113 III 2 consid. 2b; cf. ég., parmi plusieurs: arrêts 5A_838/2016 du 13 mars 2017 consid. 2.1).

2.2 Il convient ainsi en l'espèce de rechercher quel était le but poursuivi par l'intimée lors de l'introduction des poursuites litigieuses. La situation doit à cet égard être analysée de manière différente pour les cinq "premières" poursuites, éteintes par le paiement effectué le 23 mars 2022 par le plaignant, et la sixième, toujours en cours à ce jour.

2.2.1 Il résulte du dossier que, dès réception pour le compte de l'intimée et de son époux du montant de 509'779 fr. 66, le plaignant a déclaré vouloir le leur remettre et qu'il n'a eu de cesse depuis lors de tenter d'obtenir de ceux-ci, en vain, les coordonnées d'un compte bancaire sur lequel il pourrait leur verser la somme leur revenant. Au moment d'introduire les poursuites litigieuses, l'intimée ne pouvait donc ignorer que, dans une très large mesure – couvrant largement les montants réclamés dans les cinq premières poursuites – son débiteur ne contestait ni l'existence de sa dette ni son exigibilité, disposait a priori des moyens de s'en acquitter et était désireux de le faire. Il s'ensuit qu'il ne peut être considéré que son objectif en engageant les poursuites litigieuses était – conformément au but de la procédure d'exécution forcée – d'obtenir d'un débiteur récalcitrant ou impécunieux l'exécution d'une dette d'argent.

Il ressort de même du dossier, en particulier de la demande exprimée en mai 2021 par l'intimée que le plaignant s'acquitte du montant total de sa dette par six versements d'environ 85'000 fr. chacun sur six comptes bancaires différents (cf. ci-dessus let. A.e) et de l'introduction en février 2022 de six poursuites distinctes, chacune pour un montant correspondant approximativement à un sixième de la dette totale, mentionnant la même cause de l'obligation et dont le produit devait lui être versé sur six comptes bancaires séparés, que le véritable motif poursuivi par elle consistait à obtenir que le montant lui revenant lui soit versé selon des modalités particulières, à savoir à raison de virements inférieurs à 100'000 fr. effectués sur six comptes distincts ouverts auprès de six établissements bancaires différents.

Dans la correspondance échangée avec le plaignant, puis dans la présente procédure, l'intimée a motivé ce souhait par sa volonté de bénéficier sur chaque compte de la "garantie légale" de 100'000 fr. Cette explication est toutefois dénuée de crédibilité, dès lors que le même résultat aurait pu être obtenu plus rapidement, plus simplement et à moindres frais en acceptant un versement unique de la part du plaignant puis en répartissant le montant ainsi reçu sur différents comptes.

Il apparaît en réalité que le véritable but poursuivi par l'intimée en fragmentant le montant de l'ordre de 510'000 fr. devant lui être versé en six montants partiels inférieurs à 100'000 fr. consistait à éviter de devoir répondre à des demandes d'éclaircissement de la part de l'établissement bancaire récipiendaire du montant total. Selon la législation applicable en matière de lutte contre le blanchiment d'argent en effet, les établissements bancaires sont tenus de clarifier, de manière proportionnée aux circonstances, les transactions "comportant des risques accrus" (art. 14 à 16 OBA-FINMA), au nombre desquelles, notamment, "les transactions dans le cadre desquelles, au début d'une relation d'affaires, des valeurs patrimoniales d'une contre-valeur supérieure à 100'000 fr. sont apportées physiquement en une fois ou de manière échelonnée" (art. 14 al. 3 let. b OBA-FINMA); ces clarifications peuvent porter sur différents aspects de la transaction et impliquer l'obtention d'informations supplémentaires de la part des cocontractants ou de tiers (art. 15 al. 2 et 16 al. 1 OBA-FINMA). Dans le cas d'espèce, il ne fait ainsi guère de doute que la réception par l'intimée d'un montant de l'ordre de 510'000 fr. sur un compte bancaire ouvert à son nom aurait entraîné de la part de l'établissement bancaire concerné (à l'instar de ce qui avait été le cas de D______) une demande de clarification, ce que l'intimée – invoquant à cet égard des motifs de protection de sa personnalité – entendait éviter.

Quelles que soient les raisons pour lesquelles la plaignante et son époux souhaitaient éviter de devoir répondre à des demandes d'informations de la part d'établissements bancaires, il faut constater que ce but, qui a seul dicté la décision de l'intimée d'engager des poursuites, est totalement étranger aux objectifs poursuivis par la législation relative à l'exécution forcée des dettes d'argent. L'utilisation d'une procédure de poursuite à cette seule fin est donc constitutive d'un abus de droit au sens de l'art. 2 al. 2 CC et, partant, nulle en application de l'art. 22 al. 1 LP, ce qui sera constaté.

2.2.2 La sixième poursuite engagée contre le plaignant porte d'une part, comme les cinq premières, sur un montant reconnu, mais également, d'autre part, sur un montant que l'intimée estime avoir été imputé de manière injustifiée au titre de frais et honoraires sur la somme lui revenant. Elle concerne ainsi, en tout cas pour partie, une dette dont l'existence et/ou la quotité est contestée et dont le débiteur allégué n'entend pas s'acquitter volontairement. Le recours à une procédure de poursuite en vue de recouvrer cette créance correspond ainsi à l'objectif de la législation en la matière, avec pour conséquence que ladite poursuite ne saurait être qualifiée d'abusive; le fait qu'elle porte, pour l'essentiel, sur une créance non contestée n'y change rien.

3. Selon l'art. 33 al. 1 LACP, toute autorité ou membre d'une autorité acquérant, dans l'exercice de ses fonctions, connaissance d'un crime ou d'un délit poursuivi d'office est tenu d'en aviser sur le champs la police ou le Ministère public.

En l'occurrence, il n'est pas exclu que la notification au plaignant, avocat de profession, de six commandements de payer aux fins d'obtenir de sa part qu'il s'acquitte de sa dette reconnue non pas en un seul versement, comme il s'y était montré disposé, mais par fractions de moins de 100'000 fr., comme il s'y refusait, doive être qualifiée de contrainte ou de tentative de contrainte au sens de l'art. 181 CP. La présente décision sera donc communiquée au Ministère public.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare irrecevable la plainte formée le 13 juin 2023 par A______ contre les poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______, 6______ et 7______.

Au fond :

Constate la nullité des poursuites n° 2______, 3______, 4______, 5______ et 6______.

Constate que la poursuite n° 7______ n'est pas nulle au sens de l'art. 22 al. 1 LP.

Communique, en application de l'art. 33 al. 1 LACP, la présente décision au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et
Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Elise CAIRUS, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Elise CAIRUS

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.