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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/4025/2023

DCSO/44/2024 du 15.02.2024 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : LP.50.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4025/2023-CS DCSO/44/24

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 15 FEVRIER 2024

 

Plainte 17 LP (A/4025/2023-CS) formée en date du 1er décembre 2023 par A______ SA, représenté par Me David BENSIMON, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par pli recommandé du greffier du 15 février 2024
à :

-       A______ SA

c/o Me BENSIMON David

Rhône Avocat.e.s SA

Rue du Rhône 100

1204 Genève.

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. La société à responsabilité limitée de droit suisse B______ SARL, active dans le secteur de la restauration et de la gastronomie, est inscrite au Registre du commerce de Genève depuis le ______ 2014.

C______ et D______ en sont les associés et les gérants, chacun disposant de la signature individuelle.

b. Le 15 novembre 2023, A______ SA a adressé à l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) une réquisition de poursuite dirigée contre D______ en vue du recouvrement des montants de 85'970 fr. 30 plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 15 novembre 2021 et de 10'061 fr. 40 plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 15 novembre 2021, allégués être dus au titre d'arriérés de loyers selon un contrat de bail et accord d'exploitation du 9 avril 2019, modifié par avenant du 12 juin 2019 et transféré le 15 novembre 2021.

La poursuivante a indiqué dans sa réquisition de poursuite que le débiteur poursuivi était domicilié en Espagne. Selon elle, il existait toutefois un for de poursuite à Genève en vertu de l'art. 50 al. 1 LP dès lors que le poursuivi était inscrit au Registre du commerce en qualité d'associé gérant de la société B______ SARL, dont le siège se trouvait à Genève.

c. Par décision adressée le 17 novembre 2023 au mandataire de A______ SA, reçue le 21 novembre 2023 par celui-ci, l'Office a refusé de donner suite à la réquisition de poursuite du 15 novembre 2023 au motif qu'il n'existait pas de for de la poursuite à Genève. Le poursuivi était, selon les déclarations de la poursuivante elle-même, domicilié à l'étranger, et son inscription au Registre du commerce en qualité d'associé gérant d'une société à responsabilité limitée dont le siège se trouvait à Genève n'était pas constitutive d'un for spécial au sens de l'art. 50 al. 1 LP.

B. a. Par acte déposé le 1er décembre 2023 au greffe de la Chambre de surveillance, A______ SA a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre la décision de rejet de sa réquisition rendue le 17 novembre 2023 par l'Office, concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à celui-ci de donner suite à ladite réquisition en notifiant à D______, à l'adresse de la société B______ SARL, un commandement de payer conforme à la réquisition.

A l'appui de sa plainte, A______ SA a fait valoir que toutes les conditions permettant d'admettre l'existence d'un for spécial au sens de l'art. 50 al. 1 LP étaient réalisées en l'espèce. Il était notamment constant que le débiteur était domicilié à l'étranger et la prétention déduite en poursuite était en relation avec l'activité de la société B______ SARL. L'existence d'un établissement du débiteur en Suisse, au sens de l'art. 50 al. 1 LP, devait par ailleurs être retenue au vu de sa qualité – résultant du Registre du commerce – d'associé gérant de la société B______ SARL.

b. Dans ses observations du 22 janvier 2024, l'Office a conclu au rejet de la plainte. Se référant à une décision de la Chambre de céans (DCSO/182/2018 du 15 mars 2018 consid. 2), il a réitéré que l'existence d'un établissement à Genève, au sens de l'art. 50 al. 1 LP, ne pouvait être admise sur la seule base de l'inscription du débiteur au Registre du commerce en qualité d'associé gérant d'une société à responsabilité limitée ayant son siège dans le canton.

c. En l'absence de réplique spontanée de la part de la plaignante, la cause a été gardée à juger le 6 février 2024.

 

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

2. 2.1.1 L'engagement et le déroulement d'une procédure d'exécution forcée supposent l'existence d'un for de la poursuite, lequel désigne l'organe de poursuite territorialement compétent à qui le créancier doit s'adresser pour introduire la poursuite. La LP définit le for ordinaire de la poursuite (art. 46 LP), qui, pour les personnes physiques, se trouve au domicile du débiteur, ainsi qu'un nombre très limité de fors spéciaux (art. 48 à 52 LP).

2.1.2 L'art. 50 al. 1 LP prévoit que le débiteur domicilié à l'étranger qui possède un établissement en Suisse peut y être poursuivi pour les dettes de celui-ci. Le for spécial prévu par cette disposition ne dépend pas d'une inscription au registre du commerce mais est subordonné seulement à l'existence d'un établissement en Suisse du débiteur domicilié à l'étranger (ATF 114 III 6 consid.; 98 Ib 100 consid. 3; Schmid, in BAK SchKG I, 2ème éd. 2010, n. 9 ad art. 50 LP; Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, 1999, n. 29 ss ad art. 50 LP).

La notion d'établissement s'entend de tout lieu d'opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains, des biens et des services (Schüpbach, in CR-LP, 2005, n. 8 ad art. 50 LP). L’établissement en Suisse auquel l’art. 50 al. 1 LP fait référence peut être soit un établissement principal, notamment pour des débiteurs domiciliés à l’étranger dans une zone frontalière mais exploitant en Suisse une entreprise, soit un établissement secondaire (ATF 114 III 6; Schmid, op. cit., n. 9 ad art. 50; Gilliéron, op. cit., n. 12 et 29 ss ad art. 50). Il n'a pas de personnalité juridique propre : c'est le débiteur domicilié à l'étranger qui demeure propriétaire, respectivement titulaire, des actifs affectés à son exploitation et débiteur des dettes nées de celle-ci (Gilliéron, op. cit., n. 36 et 39 ad art. 50 LP; Schüpbach, op. cit., n° 10 et 15 ad art. 50 LP).

2.1.3 Dans une décision rendue en 2018 (DCSO/182/2018 rendue le 15 mars 2018 dans la cause A/4096/2017), la Chambre de céans a considéré que la société à responsabilité limitée sise à Genève dont le débiteur était associé gérant ne pouvait être qualifiée d'établissement au sens de l'art. 50 al. 1 LP; quand bien même, dans le cas examiné alors, elle appartenait économiquement au débiteur, elle jouissait en effet d'une personnalité juridique propre et distincte; son patrimoine ne se confondait juridiquement pas avec celui du débiteur et, ayant son siège à Genève, elle pouvait y faire l'objet de poursuites au for ordinaire de l'art. 46 al. 2 LP. Quant au débiteur lui-même, l'activité qu'il déployait à Genève en qualité d'associé gérant d'une société sise dans le canton ne satisfaisait pas aux critères exigés par la jurisprudence pour retenir l'existence d'un établissement : au même titre que celle d'un employé, l'activité de l'organe d'une société était en effet dépourvue de caractère propre car exercée pour le seul compte de la personne morale, dont il exprimait la volonté et qu'il obligeait par ses actes (art. 55 al. 1 et 2 CC).

2.2.1 Il est admis dans le cas d'espèce que le débiteur n'a pas de domicile en Suisse, de telle sorte qu'il n'existe pas de for ordinaire de la poursuite à Genève. Il est de même admis par la plaignante que le seul for spécial susceptible d'entrer en considération est celui de l'art. 50 al. 1 LP. Pour la plaignante, le fait que le poursuivi soit associé gérant d'une société à responsabilité limitée ayant son siège dans le canton de Genève devrait à cet égard permettre de considérer qu'il y dispose d'un établissement au sens de cette disposition, ce que l'Office, se référant à la jurisprudence résumée sous consid. 2.1.3 ci-dessus, conteste.

La situation du cas d'espèce est effectivement la même – sous réserve de l'étendue de la domination économique exercée par le poursuivi sur la société genevoise, totale dans le cas tranché en 2018 et partielle dans celui considéré dans la présente décision – que celle examinée dans la décision DCSO/182/2018, avec pour conséquence que l'existence d'un établissement du débiteur à Genève doit en principe être niée pour les mêmes motifs, à savoir que la société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce de Genève est une entité juridique distincte et indépendante, déployant une activité propre, disposant de ses propres actifs, répondant de ses dettes sur son patrimoine et pouvant être poursuivie pour ces dettes au for de son siège. Au contraire, l'activité déployée par le débiteur en sa qualité d'associé gérant l'est pour le compte et dans l'intérêt de la société, dont il n'est que l'organe : elle ne revêt donc aucun caractère propre.

2.2.2 Sans critiquer expressément le raisonnement conduit dans la décision DCSO/182/2018, la plaignante fait valoir que, dans une décision rendue en 2015 (ASSLP.2015.6 consid. 4), l'Autorité supérieure de surveillance de Neuchâtel avait adopté une solution contraire et retenu que le fait pour le débiteur de revêtir la qualité d'associé gérant d'une société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce de la commune de V. permettait d'admettre qu'il y disposait d'un établissement au sens de l'art. 50 al. 1 LP.

Il paraît effectivement résulter d'un obiter dictum (l'existence d'un for au sens de l'art. 50 al. 1 LP ayant finalement été niée pour un autre motif) de la décision citée que l'Autorité supérieure de surveillance neuchâteloise, invoquant à cet égard une opinion doctrinale et une jurisprudence du Tribunal fédéral, a estimé que l'existence d'un établissement au sens de l'art. 50 al. 1 LP pouvait être déduite de la qualité d'associé gérant d'une société à responsabilité limitée inscrite au Registre du commerce du ressort de la poursuite.

Tant la jurisprudence fédérale (ATF 37 I 472) que l'opinion doctrinale (Schmid, in BSK SchKG I, 3ème édition, 2021, N 15 ad art. 50 LP) auxquelles se réfère l'Autorité supérieure de surveillance neuchâteloise ne concernent toutefois pas une société à responsabilité limitée mais une société en nom collectif (Kollektivgesellschaft). Or cette forme d'organisation sociale se distingue de la société à responsabilité limitée sur plusieurs points essentiels. C'est ainsi en particulier que, quand bien même une société en nom collectif peut acquérir des droits, s'engager, actionner en justice et être actionnée sous sa propre raison sociale (art. 562 CO), son patrimoine ne lui appartient pas en propre mais, en propriété commune, aux associés (ATF 116 II 651), lesquels sont en conséquence personnellement et solidairement responsables sur tout leur patrimoine des engagements de la société (art. 568 al. 1 et 2 CO, alors que les dettes d'une société à responsabilité limitée ne sont garanties que par l'actif social : art. 794 CO). Au vu de ces particularités, la doctrine suisse refuse presque unanimement la personnalité juridique à la société en nom collectif, préférant l'analyser comme une communauté en main commune traitée à maints égards comme une personne morale (Meier-Hayoz/Forstmoser, Droit suisse des sociétés, 2015, § 13 N 18).

Ce sont ces particularités qui, dans l'ATF 37 I 472 cité par l'Autorité supérieure de surveillance neuchâteloise, ont conduit le Tribunal fédéral à admettre que le siège suisse d'une société en nom collectif pouvait être considéré comme un établissement – au sens de l'art. 50 al. 1 LP – des associés domiciliés à l'étranger, dès lors que c'étaient ces associés – et non une entité juridique distincte – qui étaient les véritables titulaires des droits et obligations acquis par la société et qu'ils répondaient solidairement, personnellement et sur tout leur patrimoine des engagements de celle-ci (ATF 37 I 472, 474).

Au contraire de la société en nom collectif, la société à responsabilité limitée est juridiquement distincte de ses associés, lesquels n'ont aucun droit direct sur ses actifs et ne répondent pas personnellement de ses dettes. De la même manière, alors que les associés d'une société en nom collectif poursuivent une entreprise commerciale propre (mais commune) (Meier-Hayoz/Forstmoser, op. cit., § 13 N 3), les associés gérants d'une société à responsabilité limitée déploient leur activité dans l'intérêt de celle-ci, et non dans le leur propre. Si la première de ces activités peut être constitutive d'un établissement au sens de l'art. 50 al. 1 LP, il n'en va pas de même de la seconde, exercée pour le compte et dans l'intérêt d'une personne juridique distincte.

La jurisprudence de la Chambre de céans doit ainsi être confirmée, avec pour conséquence que la plainte doit être rejetée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 1er décembre 2023 par A______ SA contre la décision rendue le 17 novembre 2023 par l'Office cantonal des poursuites dans la poursuite n° 1______.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Natalie OPPATJA et
Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président : La greffière :

 

Patrick CHENAUX Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.