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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/4096/2017

DCSO/182/2018 du 15.03.2018 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : LP.17.al4; LP.50.al1
Résumé : L'exercice par le débiteur domicilié à l'étranger d'une activité de gérant au sein d'une SARL genevoise dont il est propriétaire économique ne constitue pas, à lui seul, un for de poursuite au sens de l'art. 50 al. 1 LP. L'incompétence à raison du lieu de l'Office ayant procédé à la notification d'un commandement de payer n'entraîne pas à elle seule la nullité de cette notification, même si le débiteur est domicilié à l'étranger. L'Office ne peut révoquer une notification annulable (et non nulle) que pendant la durée du délai de plainte.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4096/2017-CS DCSO/182/18

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 15 MARS 2018

 

Plainte 17 LP (A/4096/2017-CS) formée en date du 20 septembre 2017 par la VILLE DE LAUSANNE.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par pli recommandé du greffier du 16 mars 2018
à :

- VILLE DE LAUSANNE
Direction des finances
et de la mobilité
Office du contentieux
Case postale 5032
1002 Lausanne.

- Office des poursuites.

 

 


EN FAIT

A.           a. A______ est domicilié à B______, en France. Il est inscrit au Registre du commerce de Genève en qualité d'associé-gérant avec pouvoir de signature individuelle de la société à responsabilité limitée C______ SARL, active dans le domaine de la climatisation et du chauffage, dont il détient l'intégralité des parts sociales.

b. Le 6 juin 2017, la VILLE DE LAUSANNE a adressé à l'Office des poursuites (ci-après : l'Office) une réquisition de poursuite dirigée à l'encontre de A______ en vue du recouvrement des montants de 200 fr. et de 35 fr. allégués être dus aux titres, respectivement, d'une ordonnance pénale rendue le 18 novembre 2016 et des frais et émoluments y relatifs.

Sous la rubrique "débiteur", la réquisition de poursuite indique l'adresse genevoise de C______ SARL.

c. Donnant suite à la réquisition de poursuite, l'Office a établi le 7 juin 2017 un commandement de payer, poursuite n° 17 xxxx05 R, et l'a notifié le 12 juin 2017 en mains de D______, comptable employée par C______ SARL, dans les bureaux occupés à Genève par cette société.

A ce jour, aucune plainte n'a été formée contre cette notification. Aucune opposition au commandement de payer n'a par ailleurs été formée.

d. Le 12 septembre 2017, l'Office a rendu une "décision d'annulation" par laquelle, constatant que le débiteur était domicilié en France et qu'il n'existait en conséquence aucun for de poursuite ordinaire en Suisse, au sens de l'art. 46 al. 1 LP, il a annulé la notification du commandement de payer, poursuite
n° 17 xxxx05 R, et déclaré ladite poursuite "nulle et de nul effet".

Cette décision a été reçue le 13 septembre 2017 par la VILLE DE LAUSANNE.

B. a. Par courrier adressé le 20 septembre 2017 à l'Office, la VILLE DE LAUSANNE a contesté la décision datée du 12 septembre 2017. Selon elle, A______ pouvait être poursuivi à Genève en application de l'art. 50 al. 1 LP : il y exerçait en effet l'activité d'associé-gérant avec pouvoir de signature individuelle de la société C______ SARL et la créance faisant l'objet de la poursuite était en relation avec l'exploitation de cette activité.

Dans son courrier, la VILLE DE LAUSANNE indiquait que, si l'Office n'entendait pas revenir sur sa décision, il devait être considéré comme une plainte.

b. Ayant décidé de maintenir sa décision datée du 12 septembre 2017, l'Office a transmis le 3 octobre 2017 à la Chambre de surveillance le courrier de la VILLE DE LAUSANNE daté du 20 septembre 2017.

c. Dans ses observations datées du 9 novembre 2017, l'Office a conclu au rejet de la plainte au motif que l'art. 50 al. 1 LP n'était pas applicable à l'associé gérant d'une société à responsabilité limitée, dès lors qu'il ne répondait pas des dettes de celle-ci, et que l'absence de for de poursuite à Genève, et donc son incompétence à raison du lieu, entraînait la nullité du commandement de payer notifié le 12 juin 2017.

d. La cause a été gardée à juger le 10 novembre 2017, ce dont les parties ont été informées par avis du même jour.

EN DROIT

1.      1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ;
art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP).

A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4;
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). C'est en principe toujours le cas du débiteur poursuivi et du créancier poursuivant (Erard, in CR LP, 2005, Dallèves/Foëx/Jeandin [éd.], n° 25 et 26 ad art. 17 LP; Dieth/ Wohl in KUKO SchKG, 2ème édition, 2014, Hunkeler [éd.], n° 11 et 12 ad art. 17 LP).

La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). Elle peut également être déposée en tout temps en cas de nullité de l'acte contesté (art. 22 al. 1 LP).

1.2 La plainte a en l'espèce été formée en temps utile auprès de l'Office, qui l'a transmise à la Chambre de céans en application de l'art. 32 al. 2 LP. Elle émane d'une personne directement touchée par la décision attaquée, laquelle ne peut être contestée par la voie judiciaire. Elle respecte enfin les conditions de forme prévues par la loi, dans la mesure où l'on peut comprendre à sa lecture quels sont les griefs soulevés à l'encontre de la décision contestée et qu'il en résulte de manière suffisamment claire que la plaignante souhaite l'annulation de cette décision et la constatation de l'existence à Genève d'un for de poursuite au sens de l'art. 50 al. 1 LP.

Elle est ainsi recevable.

2. 2.1.1 L'engagement et le déroulement d'une procédure d'exécution forcée supposent l'existence d'un for de la poursuite, lequel désigne l'organe de poursuite territorialement compétent à qui le créancier doit s'adresser pour introduire la poursuite. La LP définit le for ordinaire de la poursuite (art. 46 LP), qui, pour les personnes physiques, se trouve au domicile du débiteur, ainsi qu'un nombre très limité de fors spéciaux (art. 48 à 52 LP).

2.1.2 L'art. 50 al. 1 LP prévoit que le débiteur domicilié à l'étranger qui possède un établissement en Suisse peut y être poursuivi pour les dettes de celui-ci. Le for spécial prévu par cette disposition ne dépend pas d'une inscription au registre du commerce mais est subordonné seulement à l'existence d'un établissement en Suisse du débiteur domicilié à l'étranger (ATF 114 III 6 consid.; 98 Ib 100
consid. 3; Schmid, in BAK SchKG I, 2ème éd. 2010, n. 9 ad art. 50 LP; Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, 1999, n. 29 ss ad art. 50 LP).

La notion d'établissement s'entend de tout lieu d'opérations où le débiteur exerce de façon non transitoire une activité économique avec des moyens humains, des biens et des services (Schüpbach, in CR-LP, 2005, n. 8 ad art. 50 LP). L’établissement en Suisse auquel l’art. 50 al. 1 LP fait référence peut être soit un établissement principal, notamment pour des débiteurs domiciliés à l’étranger dans une zone frontalière mais exploitant en Suisse une entreprise, soit un établissement secondaire (ATF 114 III 6; Schmid, op. cit., n. 9 ad art. 50; Gilliéron, op. cit., n. 12 et 29 ss ad art. 50). Il n'a pas de personnalité juridique propre : c'est le débiteur domicilié à l'étranger qui demeure propriétaire, respectivement titulaire, des actifs affectés à son exploitation et débiteur des dettes nées de celle-ci (Gilliéron, op. cit., n. 36 et 39 ad art. 50 LP; Schüpbach, op. cit., n° 10 et 15 ad art. 50 LP).

2.2 Il est constant dans le cas d'espèce que le débiteur est domicilié en France, avec pour conséquence qu'il n'existe pas de for ordinaire de poursuite en Suisse.

C'est par ailleurs à juste titre que l'Office a considéré que la société à responsabilité limitée sise à Genève dont le débiteur est associé gérant ne peut être qualifiée d'établissement au sens de l'art. 50 al. 1 LP. Quand bien même elle appartient économiquement au débiteur, elle jouit en effet d'une personnalité juridique propre et distincte. Son patrimoine ne se confond juridiquement pas avec celui du débiteur et, ayant son siège à Genève, elle peut y faire l'objet de poursuites au for ordinaire (art. 46 al. 2 LP).

Quant au débiteur lui-même, il n'est pas établi qu'il dispose à Genève d'un établissement au sens de l'art. 50 al. 1 LP. En particulier, l'activité qu'il déploie en qualité d'associé gérant d'une société sise à Genève ne satisfait pas aux critères exigés par la jurisprudence pour retenir l'existence d'un établissement. Au même titre que celle d'un employé, l'activité de l'organe d'une société est en effet dépourvue de caractère propre : elle se fond dans celle de la société, dont il exprime la volonté et qu'il oblige par ses actes (art. 55 al. 1 et 2 CC).

C'est donc à juste titre que l'Office a nié l'existence à Genève d'un for de poursuite fondé sur l'art. 50 al. 1 LP. Aucun autre for spécial n'entrant en considération, l'Office n'était effectivement pas compétent à raison du lieu pour diligenter une procédure de poursuite contre le débiteur, et en particulier pour lui notifier un commandement de payer. Le grief soulevé par la plaignante est ainsi mal fondé.

3. 3.1.1 Selon la jurisprudence, les autorités de poursuite peuvent révoquer – soit annuler – librement leurs propres décisions pendant le délai de plainte. Une fois ce délai expiré, la révocation n'est plus possible qu'en cas de nullité de la mesure (art. 22 al. 2 LP; ATF 97 III 3 consid. 2; 110 III 57 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_67/2007 consid. 4.1; Gilliéron, op. cit., n° 256 ad art. 17 LP; Cometta/Möckli, in BAK SchKG I, n° 60 ad art. 17 LP; Erard, op. cit., n° 64 ad art. 17 LP).

Si une plainte est déposée, l'Office peut encore reconsidérer – soit révoquer ou modifier – sa décision jusqu'à l'envoi de sa réponse (art. 17 al. 4 LP). La révocation par l'Office de la décision contestée après l'envoi de sa réponse est nulle, même si ladite décision est elle-même nulle (ATF 97 III 3 consid. 2).

3.1.2 L'inobservation des règles sur le for de la poursuite, lesquelles sont de droit impératif, n'entraîne la nullité de plein droit des actes concernés que dans le cas où elle lèse l'intérêt public ou les intérêts de tiers (art. 22 al. 1 LP). La notification d'un commandement de payer par un Office incompétent à raison du lieu ne satisfait pas à cette condition (ATF 69 II 162 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 5A_362/2013 du 14 octobre 2013 consid. 4). Un commandement de payer délivré par un Office incompétent à raison du lieu ne peut ainsi qu'être annulé à la suite d'une plainte formée en temps utile (arrêt du Tribunal fédéral 5A_489/2013 consid. 3 et références citées).

Selon la jurisprudence de la Chambre de céans (DCSO/207/2007 consid. 1b et références citées), ce principe devrait toutefois souffrir une exception en cas de domicile ou de siège du poursuivi à l’étranger (et non pas dans un autre arrondissement de poursuite). Cette jurisprudence se fonde sur la considération que, dans une telle hypothèse, l’intérêt public en jeu, lié au respect de la souveraineté étatique, ainsi que l’intérêt des poursuivants, qui ne peuvent pas même se fonder sur le commandement de payer notifié pour requérir avec succès une continuation de la poursuite en Suisse ou à l’étranger, justifient la sanction de la nullité de la poursuite même au stade de la notification du commandement de payer. Dans un arrêt rendu le 4 août 2017, le Tribunal fédéral a toutefois retenu, de manière à lier la Chambre de céans, que la plainte formée hors délai par un poursuivi se prétendant domicilié à l'étranger contre la notification du commandement de payer était irrecevable, l'éventuelle incompétence à raison du lieu de l'Office ne pouvant entraîner que l'annulabilité de cette notification, et non sa nullité (arrêt du Tribunal fédéral 5A_333/2017 consid. 3).

3.2 Il faut en l'espèce retenir, au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral citée ci-dessus, que la notification le 12 juin 2017 au poursuivi du commandement de payer n'était, nonobstant l'incompétence à raison du lieu de l'Office (cf. consid. 2 ci-dessus), pas nulle mais uniquement annulable, sur plainte formée en temps utile.

Il en découle que l'Office ne pouvait révoquer cette décision que dans le délai de plainte. Or ce dernier avait expiré depuis longtemps lorsque l'Office, par sa décision du 12 septembre 2017, a annulé la notification du commandement de payer intervenue le 12 juin 2017.

La plainte doit donc être admise pour ce motif et la décision attaquée annulée.

Il n'est pas totalement exclu que le commandement de payer soit ultérieurement annulé, ou que sa nullité soit constatée, sur requête du poursuivi, si celui-ci n'en a eu connaissance que tardivement ou pas du tout en raison d'un éventuel vice affectant la procédure de notification. Sous cette réserve, ledit commandement de payer, qui n'a pas été frappé d'opposition, demeure en force et permet à la plaignante de solliciter que la poursuite soit continuée à un for de poursuite en Suisse. Au cas où la continuation de la poursuite serait requise à Genève, il appartiendra à l'Office de vérifier si, en raison d'une modification des circonstances (p. ex. installation du poursuivi à Genève), un for de poursuite en l'état inexistant y a été créé. Dans la négative, il devra refuser de donner suite à la réquisition.

4. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 20 septembre 2017 par la VILLE DE LAUSANNE contre la décision rendue le 12 septembre 2017 par l'Office des poursuites dans la poursuite n° 17 xxxx05 R.

Au fond :

L'admet.

Annule en conséquence la décision rendue le 12 septembre 2017 par l'Office des poursuites dans la poursuite n° 17 xxxx05 R.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Marilyn NAHMANI et Monsieur Christian CHAVAZ, juges assesseur(e)s; Madame Véronique PISCETTA, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Véronique PISCETTA

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.