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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3854/2022

DCSO/19/2023 du 20.01.2023 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : LP.46.al1; LP.53; LP.90.al1; LP.22.al1
Résumé : Nullité de la continuation de la poursuite par voie de saisie à un for inexistant.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3854/2022-CS DCSO/19/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 19 JANVIER 2023

 

Plainte 17 LP (A/3854/2022-CS) formée en date du 21 novembre 2022 par A______, élisant domicile en l'étude de Me François ROULLET, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

c/o Me ROULLET François

Roullet & Associés

Rue Ferdinand-Hodler 11

1207 Genève.

- L'ETAT DE GENEVE, SOIT POUR LUI L'ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

Service du contentieux

Rue du Stand 26

Case postale 3937

1211 Genève 3.

- Office cantonal des poursuites.

 

 


EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1950, fait depuis le 9 mars 2022 l'objet d'une mesure de curatelle de représentation sans limitation de ses droits civils au sens des art. 394 et 395 CC.

b. Selon les registres de l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) du canton de Genève, A______ a été domicilié dans ce canton du 26 septembre 1969 au 11 mars 2022. Du 19 mai 2020 au 11 mars 2022, son adresse se trouvait au chemin 1______ no. ______ à B______ [GE].

Depuis le 1er octobre 2019, A______ dispose par ailleurs d'une résidence dans le canton de Neuchâtel, à la rue 2______ no. ______ à C______ [NE].

c. Par réquisition adressée le 7 octobre 2020 à l'office des poursuites du canton de Neuchâtel, la banque D______ a engagé à l'encontre de A______ la poursuite n° 3______, tendant au recouvrement d'un montant de 89'952 fr. 13 plus intérêts. Elle a indiqué que le débiteur était domicilié à C______.

Le commandement de payer établi le 8 octobre 2020 par l'office des poursuites du canton de Neuchâtel a été notifié le 15 octobre 2020 à A______, qui a formé opposition.

Par décisions des 8 et 14 juin 2021, le Tribunal régional [de] E______ [NE], statuant sur demande de D______, a condamné A______ à payer à cette dernière la somme de 89'401 fr. 33 plus intérêts et écarté l'opposition formée à la poursuite n° 3______.

Le 31 août 2021, D______ a requis la continuation de la poursuite.

A une date ne résultant pas du dossier – mais se situant nécessairement entre les 1er et 7 septembre 2021 – l'office des poursuites du canton de Neuchâtel a avisé (art. 90 LP) A______ de la saisie, fixée au 8 septembre 2021. A cette date, il a procédé à la saisie de la quotité saisissable de la rente versée à A______ par la Caisse de prévoyance F______; le 20 octobre 2021, il a porté la saisie à la connaissance de cette dernière (art. 99 LP).

d. Le 5 novembre 2021, A______ a formé auprès de l'autorité cantonale inférieure de surveillance des offices des poursuites et des faillites du canton de Neuchâtel une plainte contre la saisie exécutée dans la poursuite n° 3______, faisant valoir qu'il était domicilié dans le canton de Genève et que, par voie de conséquence, l'office des poursuites du canton de Neuchâtel n'était pas compétent pour exécuter une saisie à son encontre.

Cette plainte a été rejetée par décision de l'autorité cantonale inférieure de surveillance des offices des poursuites et des faillites du canton de Neuchâtel du 29 mars 2022. Contre cette décision, A______ a formé, le 5 avril 2022, un recours auprès de l'autorité supérieure de surveillance en matière de poursuites et faillites du canton de Neuchâtel, lequel a toutefois été rejeté par arrêt du 1er juillet 2022. Le recours interjeté par A______ le 12 juillet 2021 contre cet arrêt auprès du Tribunal fédéral a de même été rejeté par arrêt 5A_539/2022 du 13 septembre 2022.

Selon ces trois décisions, l'appréciation de l'office des poursuites du canton de Neuchâtel selon laquelle, au moment déterminant de l'avis de saisie (art. 53 LP), A______ avait son domicile à C______ devait être confirmée. Les registres de l'OCPM, qui se limitaient à attester de l'existence d'une résidence du poursuivi à Genève, ne permettaient pas à eux seuls de retenir l'existence d'un domicile dans ce canton; la résidence occupée à C______ par le poursuivi était spacieuse et son loyer, important au regard de ses revenus, était plus élevé que celui dû pour sa résidence genevoise; alors que les autorités de poursuite genevoises avaient éprouvé des difficultés à notifier au poursuivi des actes de poursuite à son adresse genevoise, cela n'avait pas été le cas des actes de poursuite notifiés par l'office des poursuites du canton de Neuchâtel à l'adresse neuchâteloise; le poursuivi s'était abstenu d'invoquer un prétendu domicile genevois dans la procédure de poursuite antérieure à la saisie, y compris dans le cadre de la procédure judiciaire; la société genevoise anciennement exploitée par le poursuivi, radiée du Registre du commerce au début de l'année 2021, n'avait plus d'activité; les explications du poursuivi relatives aux activité professionnelles qu'il aurait encore exercées à Genève, ainsi qu'aux contacts personnels qu'il y aurait entretenus avec ses amis, n'avaient pas été rendues vraisemblables. Enfin, le fait que le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant du canton de Genève ait admis sa compétence pour instaurer, par décision du 9 mars 2022, une curatelle de représentation ne permettait pas de tirer une conclusion sur le domicile du poursuivi en septembre 2021.

e. Parallèlement à la poursuite n° 3______ conduite à son encontre dans le canton de Neuchâtel, A______ faisait l'objet de plusieurs poursuites dans le canton de Genève, diligentées par l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office).

Deux avis de saisie pour le 2 décembre 2021 ont ainsi été adressés à A______ le 29 septembre 2021 (poursuites n° 4______ et 5______) et quatre autres, pour la même date, le 21 octobre 2021 (poursuites n° 6______, 7______, 8______ et 9______).

Selon le procès-verbal de saisie, série n° 10______, établi le 10 juin 2022 et adressé le même jour au curateur de A______, qui l'a reçu le 14 juin 2022, la saisie portait à hauteur d'un montant mensuel de 2'426 fr. 40 sur la rente versée à ce dernier par F______ du 29 avril 2022 au 29 avril 2023. Aucune plainte n'a été formée contre cet acte.

Par avis au sens de l'art. 99 LP adressé le 29 avril 2022 à F______, l'Office l'a informée de la saisie en ses mains, à hauteur d'un montant mensuel de 2'426 fr. 40, de la rente versée à A______, ce depuis le mois de novembre 2022.

B. a. Par acte adressé le 21 novembre 2022, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre l'avis du 29 avril 2022, dont il indiquait avoir eu connaissance le 11 novembre 2022 par le biais d'une communication de F______. Il a conclu à l'annulation de la saisie et, "de manière plus générale", à la constatation de la nullité des actes de poursuite exécutés à son encontre par l'Office à compter du 7 octobre 2020. Selon lui en effet, il résultait des décisions des autorités de surveillance inférieure et supérieure du canton de Neuchâtel, confirmées par l'arrêt du Tribunal fédéral du 13 septembre 2022, qu'il était domicilié à C______ à tout le moins depuis le 7 (recte : 8) octobre 2020, soit la date de la notification du commandement de payer, poursuite n° 3______.

b. Par ordonnance du 22 novembre 2022, la Chambre de surveillance a rejeté la requête d'effet suspensif formulée à titre préalable par le plaignant.

Le recours interjeté au Tribunal fédéral par le plaignant contre cette décision, auquel l'effet suspensif a été octroyé, n'a pas encore été tranché (cause 5A_934/2022).

c. Dans ses observations du 12 décembre 2022, l'Office a conclu au rejet de la plainte. Selon lui, celle-ci était tardive dès lors que le plaignant avait eu connaissance de la saisie par la communication, le 14 juin 2022, du procès-verbal de saisie, série n° 10______. Il fallait par ailleurs retenir que le plaignant était domicilié dans le canton de Genève au moment de la communication des avis de saisie, de telle sorte que celle-ci n'était pas nulle.

d. La cause a été gardée à juger le 10 janvier 2023.

EN DROIT

1. Le litige porte en l'espèce sur la compétence à raison du lieu de l'Office pour exécuter la saisie. Comme exposé ci-dessous (consid. 2.1.1), l'absence de cette compétence conduirait, dès lors qu'il existait des biens saisissables au moment de l'exécution de la saisie, à la nullité au sens de l'art. 22 LP de la continuation par la voie de la saisie des poursuites participant à la saisie litigieuse. Cette nullité devrait être constatée par la Chambre de céans indépendamment de l'existence d'une plainte recevable (art. 22 al. 1 LP, deuxième phrase).

Il est donc superflu de statuer sur la question de la recevabilité de la plainte déposée le 21 novembre 2022.

2. 2.1.1 Les règles régissant le for de la poursuite sont impératives. Les sanctions attachées à leur violation sont cependant différentes selon qu'il s'agit de la notification du commandement de payer dans la poursuite ordinaire ou de la continuation de la poursuite par voie de saisie. La notification du commandement de payer par un office des poursuites incompétent à raison du lieu n'entraîne ainsi que l'annulabilité, sur plainte de cet acte : dans cette hypothèse en effet, il n'y a pas de lésion de l'intérêt public ou de l'intérêt de tiers au sens de l'art. 22 al. 1 LP. En revanche, la continuation de la poursuite par un office des poursuites incompétent à raison du lieu entraîne, à moins qu'il n'existe aucun bien saisissable, la nullité des avis de saisie et des opérations ultérieures : dans ce cas en effet, la violation des règles sur le for de la poursuite lèse les intérêts des créanciers qui pourraient, le cas échéant, participer à la saisie (arrêt du Tribunal fédéral 5A_539/2022 du 13 septembre 2022 consid. 3.1 et références citées).

2.1.2 Sous réserve des fors spéciaux prévus par les art. 48 à 52 LP, le for de la poursuite est au domicile du débiteur (art. 46 LP).

La notion de domicile au sens de l'art. 46 LP correspond à celle de l'art. 23 al. 1 CC. Il s'agit du lieu où l'intéressé réside avec l'intention de s'établir, ce qui suppose qu'il fasse de ce lieu le centre de ses intérêts personnels et professionnels (ATF 125 III 100 consid. 3; 120 III 7 consid. 2a). La notion de domicile comporte deux éléments: l'un objectif, la présence physique dans un endroit donné; l'autre subjectif, l'intention d'y demeurer de façon durable (ATF 141 V 530 consid. 5.2; 137 II 122 consid. 3.6; 136 II 405 consid. 4.3). La loi n'exige pas qu'une personne ait l'intention de demeurer pour toujours dans un certain endroit; il suffit qu'elle fasse de ce lieu le centre de son existence, quand bien même elle voudrait transférer plus tard son domicile ailleurs (arrêts 5A_419/2020 du 16 avril 2021 consid. 3.2.2; 5A_725/2010 du 12 mai 2011 consid. 2.3). Lorsque plusieurs endroits entrent en ligne de compte, parce que la personne a des attaches avec chacun d'eux, le principe de l'unité du domicile (art. 23 al. 2 CC et 20 al. 2 B______) impose un choix; le domicile se trouve au lieu avec lequel l'intéressé entretient les relations les plus étroites, cette question étant résolue sur la base de l'ensemble des circonstances (ATF 136 II 405 consid. 4.3; arrêt 5A_653/2020 du 2 février 2022 consid. 3.3).

Si, dans le cadre d'une poursuite ordinaire devant être continuée par voie de saisie, le débiteur change de domicile après l'avis de saisie prévu par l'art. 90 LP, la poursuite se continue à l'ancien domicile (art. 53 LP).

2.2.1 Dans le cas d'espèce, l'office des poursuites du canton de Neuchâtel, invité le 1er septembre 2021 à continuer la poursuite n° 3______ engagée contre le plaignant et tenu d'examiner une nouvelle fois sa compétence (arrêt du Tribunal fédéral 5A_539/2022 précité consid. 3.2), a considéré que celle-ci demeurait acquise en raison du domicile du plaignant dans ce canton et lui a donc adressé, entre les 1er et 7 septembre 2021, un avis de saisie. Sa décision relative à sa compétence a été confirmée par les autorités de surveillance cantonales inférieure et supérieure et, en dernier lieu, par le Tribunal fédéral : elle s'impose donc à l'Office et à la Chambre de céans, sous peine de violer le principe de l'unité du domicile.

Reste à examiner s'il ressort du dossier que, entre l'avis de saisie communiqué au début du mois de septembre 2021 au plaignant dans la poursuite n° 3______ et les avis de saisie adressés au plaignant par l'Office les 29 septembre et 21 octobre 2021, celui-ci aurait déplacé son domicile du canton de Neuchâtel dans celui de Genève.

Tel n'est pas le cas. Aucun élément du dossier ne permet au contraire de penser que la situation de fait se serait modifiées entre le début du mois de septembre 2021 et la fin du même mois, voire la fin du mois d'octobre 2021. Les éléments invoqués par l'Office à l'appui de l'existence d'un domicile genevois à la date des avis de saisie (contenu des registres de l'OCPM, domiciliation officielle du débiteur à Genève et conséquences en matière administrative et fiscale, allégations et comportement du débiteur lui-même et admission de sa compétence par le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant dans le cadre de sa décision du 9 mars 2022) sont en effet soit préexistants au mois de novembre 2021, et ont été pris en compte par les autorités de surveillance neuchâteloises et le Tribunal fédéral, soit postérieurs aux avis de saisie, et ne permettent donc de tirer aucune conclusion sur la situation existant à ce moment.

Il faut ainsi retenir que, lors de la communication au plaignant des avis de saisie des 29 septembre et 21 octobre 2021, le plaignant était toujours domicilié dans le canton de Neuchâtel. L'Office n'était donc pas compétent à raison du lieu pour continuer la poursuite. Il en résulte, conformément aux principes rappelés ci-dessus (consid. 2.1.1), que lesdits avis de saisie sont atteints de nullité au sens de l'art. 22 al. 1 LP, de même que les actes de poursuite postérieurs, en particulier l'exécution de la saisie et le procès-verbal de saisie, ce qui sera constaté.

2.2.2 Il n'y a en revanche pas lieu, contrairement à ce qu'aurait souhaité le plaignant, de constater de manière générale la nullité des actes de poursuite intervenus depuis une certaine date, devant selon lui être arrêtée au 7 octobre 2020. Comme exposé ci-dessus, en effet, l'incompétence à raison du lieu de l'Office n'entraîne la nullité que de la continuation des poursuites concernées, soit de celles ayant participé à la saisie litigieuse. Les actes de poursuite accomplis dans ces poursuites antérieurement à la continuation de la poursuite n'étaient pour leur part qu'annulables sur plainte, et leur nullité ne saurait donc être constatée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

Au fond :

Constate la nullité des avis de saisie expédiés les 29 septembre et 21 octobre 2021 par l'Office cantonal des poursuites dans les poursuites n° 4______, 5______, 6______, 7______, 8______ et 9______ ainsi que des actes de poursuite exécutés postérieurement, soit notamment la saisie, série n° 10______, le procès-verbal de saisie du 10 juin 2022, les avis de participation à la saisie et les avis aux tiers débiteurs.

Invite l'Office cantonal des poursuites à restituer à A______, sans frais pour lui, les valeurs éventuellement saisies.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Ekaterine BLINOVA et
Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.