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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/755/2021

DCSO/399/2021 du 21.10.2021 ( DEM ) , ADMIS

Normes : lp.132.al1
Résumé : Réalisation d'un usufruit
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/755/2021-CS DCSO/399/21

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU MERCREDI 20 OCTOBRE 2021

 

Requête en fixation du mode de réalisation d'un actif (art. 132 al. 1 LP)(A/755/2021-CS) formée en date du 25 février 2021 par l'OFFICE CANTONAL DES POURSUITES.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du à :

- OFFICE CANTONAL DES POURSUITES

Rue du Stand 46

Case postale 208

1211 Genève 8.

- A______

______

______ Genève.

- B______ CAISSE-MALADIE

c/o Me Yves BONARD

BAZ Legal

Rue Monnier 1

Case postale 205

1211 Genève 12.

 

 

- C______ [Caisse AVS]

Rue ______

______

______ [GE].

- CONFEDERATION SUISSE

Administration fiscale cantonale AFC

Rue du Stand 26

1211 Genève 3.

- ETAT DE GENEVE, ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

Service du contentieux

Rue du Stand 26

Case postale 3937

1211 Genève 3.

- D______ et E______

c/o Me Audrey PION

Locca Pion & Ryser

Promenade du Pin 1

Case postale

1211 Genève 3.

 


EN FAIT

A. a. A______, né en 1940, et E______, née en 1941, aujourd'hui divorcés, sont les parents de D______, née en 1967.

b. D______ est nue-propriétaire des parts de copropriété immobilière inscrites sous n° 1______ et 2______ du Registre foncier de F______ [GE], lesquelles constituent à elles deux la part de copropriété par étages inscrite sous n° 3______ du Registre foncier de F______ [GE]. Ses parents A______ et E______ sont pour leur part conjointement titulaires d'une servitude d'usufruit sur cette part de copropriété par étages.

Ladite part de copropriété par étages correspond à un appartement de cinq pièces et balcon d'une surface de 135 m² situé au 4ème étage d'un bâtiment sis 4______ à F______ (GE).

c. L'appartement de 4______ a été acquis par les époux A/E pour en faire leur domicile conjugal. A______ l'a ensuite quitté lors de la séparation du couple, intervenue il y a environ une vingtaine d'années, et E______ y est alors demeurée avec leurs deux enfants communs. Il est aujourd'hui occupé (sans versement d'aucune redevance à A______) par E______ et D______, A______ ayant son propre logement.

Selon les déclarations des ex-époux A/E______ et de leur fille D______, les premiers avaient décidé, quelques années après leur divorce, de faire donation à la seconde de l'appartement de l'avenue 4______. Il s'agissait pour eux de procéder à une avance d'hoirie, étant précisé qu'à la même époque leur seconde fille avait elle aussi bénéficié d'une libéralité similaire. Ni les ex-époux A/E______ ni D______ n'ont pu se souvenir avec précision des raisons pour lesquelles seule la nue-propriété avait été transférée, les parents conservant un usufruit conjoint sur la part de copropriété par étages correspondant à l'appartement de l'avenue 4______.

d. Selon une expertise réalisée en septembre 2020 sur mandat de l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office), la valeur vénale de l'usufruit dont est titulaire A______ sur l'appartement de l'avenue 4______ s'élevait à cette date à 135'000 fr.

Pour arriver à ce résultat, l'expert a dans un premier temps estimé à 950'000 fr. la valeur vénale de la part de copropriété par étages n° 3______; il a par ailleurs admis une valeur locative nette annuelle de 29'580 fr. Retenant que l'usufruit de A______ portait sur une moitié de cette part, représentant donc une valeur vénale de 475'000 fr. et une valeur locative nette annuelle de 14'790 fr., il a capitalisé ces valeurs en tenant compte de l'âge de A______ (80 ans au moment de l'expertise) pour aboutir à des valeurs de 132'100 fr. sur la base de la valeur vénale et de 137'105 fr. sur la base de la valeur locative nette, soit une moyenne de 135'000 fr.

B. a. A______ fait l'objet de nombreuses poursuites.

La part d'usufruit dont il est titulaire sur l'appartement de l'avenue 4______ (soit la part de copropriété par étages n° 3______), a été saisie par l'Office dans les séries suivantes (indiquées par ordre chronologique) :

·         Série n° 5______, à laquelle participent 27 poursuites engagées par B______ CAISSE MALADIE et consorts (ci-après : B______; 1 poursuite), la Confédération suisse (13 poursuites) et l'Etat de Genève (13 poursuites) pour un solde ouvert, arrêté au
8 septembre 2021, de 1'331'229 fr. 81;

·         Série n° 6______, à laquelle participent 9 poursuites engagées par la Confédération suisse (5 poursuites) et l'Etat de Genève
(4 poursuites) pour un solde ouvert, arrêté au 8 septembre 2021, de 508'615 fr.;

·         Série n° 7______, à laquelle participent 2 poursuites engagées par la C______ (ci-après : la C______ [Caisse AVS]) pour un solde ouvert, arrêté au 8 septembre 2021, de 32'345 fr. 55.

b. Plusieurs créanciers participant à l'une ou l'autre de ces trois séries ont requis en temps utile la réalisation des biens saisis.

C. a. Par courrier du 25 février 2021, l'Office a requis la Chambre de surveillance de fixer le mode de réalisation de la part d'usufruit saisie.

b. Dans le délai fixé aux intéressés (créanciers participant aux saisies, débiteur, co-titulaire de l'usufruit et nue-propriétaire de l'immeuble grevé), A______, la Confédération suisse et l'Etat de Genève ne se sont pas déterminés alors que B______ et la C______ [Caisse AVS] s'en sont rapportés à justice.

Par courrier du 17 mars 2021, E______ et D______ ont estimé qu'au vu des particularités du cas d'espèce, en particulier du fait que le droit saisi était un co-usufruit portant sur un logement occupé par la co-titulaire du droit et la
nue-propriétaire, ni la nomination d'un gérant ni la vente aux enchères n'étaient dans l'intérêt du débiteur ou des créanciers. Il convenait donc selon elle de renoncer à la réalisation. Dans un souci de pragmatisme, D______ proposait cela étant de racheter la part d'usufruit pour le prix de 1'000 fr.

c. La Chambre de surveillance a tenu une audience le 8 septembre 2021.

A cette occasion, D______ a offert de racheter la part d'usufruit de son père pour le prix de 10'000 fr.

La Confédération suisse, l'Etat de Genève et la C______ [Caisse AVS] ont déclaré accepter le principe d'une vente de gré à gré de la part d'usufruit saisie ainsi que le prix proposé par D______.

Sans remettre en cause le principe d'une vente de gré à gré, B______ a considéré le prix offert comme insuffisant et a elle-même formulé une offre de 10'005 fr., laquelle devait être confirmée dans les cinq jours.

A______ n'a pas pris de conclusion.

d. Par courrier adressé le 13 septembre 2021 à la Chambre de surveillance, B______ a toutefois indiqué ne pas confirmer son offre et ne plus avoir d'objection à ce que la part d'usufruit saisie soit cédée à D______ pour un montant de 10'000 fr.

e. La cause a été gardée à juger le 24 septembre 2021.

 

EN DROIT

1.                  1.1 L'art. 132 al. 1 LP prévoit que, lorsqu'il doit réaliser des biens non spécifiés aux art. 122 ss., tels qu'un usufruit, une part dans une succession indivise, dans une indivision de famille, dans une société ou dans une autre communauté, l'Office demande à l'autorité de surveillance de fixer le mode de réalisation.

1.2 Le droit devant être réalisé consistant en l'espèce en une part d'usufruit, c'est à juste titre que l'Office a requis la Chambre de céans d'en fixer le mode de réalisation.

Il y a donc lieu d'entrer en matière.

2.                  Il convient dans un premier temps d'établir plus précisément la nature du droit à réaliser, celle-ci déterminant les règles applicables.

2.1.1 Selon la jurisprudence de la Chambre de céans, la saisie et la réalisation d'un usufruit sont possibles – contrairement à ce que soutient une partie de la doctrine – pour autant qu'il ne soit pas éminemment personnel (décision de la Chambre de surveillance DCSO/598/2007 du 20 décembre 2007 consid. 2). Une telle saisie est toutefois subsidiaire à celle des fruits futurs de l'usufruit, laquelle est limitée à une année en application de l'art. 93 al. 2 LP (même référence).

2.1.2 Dans le cas d'espèce, l'usufruit ne produit aucun fruit de telle sorte qu'une saisie de ses fruits futurs n'entrait pas en considération. C'est donc à juste titre que l'Office a saisi l'usufruit lui-même, dont ni le débiteur ni les membres de sa famille n'ont jamais soutenu qu'il revêtirait un caractère éminemment personnel.

2.2.1 Dans l'hypothèse où plusieurs personnes bénéficient ensemble d'un usufruit, il convient de leur appliquer par analogie les règles sur la copropriété (art. 646 à 651 CC) lorsqu'elles n’ont pas entre elles un lien juridique faisant naître une propriété commune selon l’art. 652 CC (communauté héréditaire, société simple), ou les règles sur la propriété commune (art. 652 à 654 CC) lorsque les titulaires sont liés entre eux par un tel rapport de communauté. La doctrine romande parle, par analogie avec la propriété, de co-usufruit dans le premier cas et d’usufruit commun dans le second (ATF 133 III 311 consid. 4.2.2 et les auteurs cités, notamment Alexandra Farine Fabbro, L’usufruit immobilier, thèse Fribourg 2000, p. 9 ss.; DCSO/598/2007 précité consid. 4a).

2.2.2 Dans le cas d'espèce, l'usufruit sur la part de copropriété par étages a été constitué plusieurs années après le divorce des ex-époux A/E______, au moment où ceux-ci ont fait donation à leur fille D______ de leurs parts de copropriété respectives de cette part de copropriété par étages. Ils n'étaient donc plus liés à ce moment par aucun rapport juridique spécial susceptible de donner naissance à une propriété commune, avec pour conséquence que le droit saisi constitue une part de co-usufruit et non d'usufruit commun.

Cette qualification a pour conséquence que les règles régissant la réalisation des parts de communauté (art. 1 et ss. OPC) ne lui sont pas applicables.

2.3 Bien que le co-usufruit porte sur un bien immobilier, il ne constitue pas lui-même un immeuble (art. 655 CC, a contrario), de telle sorte que les art. 133 ss. LP et 1 ss. ORFI ne sont pas non plus directement applicables à sa réalisation.

3. 3.1 Selon l'art. 132 al. 3 LP, l'autorité de surveillance requise de fixer le mode de réalisation d'un actif visé par l'al. 1 de cette disposition peut, après consultation des intéressés, en ordonner la vente aux enchères, en confier la réalisation à un gérant ou prendre toute autre mesures.

L'autorité de surveillance dispose d'une large marge d'appréciation (Amberg, in KUKO SchKG, 2ème édition, N 32 ad art. 132 LP). Elle peut en particulier ordonner la vente de gré à gré du droit saisi et ce, en dérogation à l'art. 130 ch. 1 LP, quand bien même un tel mode de réalisation n'aurait pas recueilli le consentement exprès de tous les créanciers (Rutz/Roth, in BAK SchKG I, 2ème édition, N 47 ad art. 132 LP).

3.2 Dans le cas d'espèce, la Chambre de surveillance a procédé à l'audition de l'ensemble des intéressés lors de l'audience tenue le 8 septembre 2021.

A cette occasion, la nue-propriétaire de l'immeuble grevé du co-usufruit a offert d'acquérir ce dernier de gré à gré pour un montant de 10'000 fr. Les créanciers ont pour leur part, lors de l'audience ou par courrier adressé à la Chambre de céans dans les jours qui l'ont suivie, expressément consenti à cette aliénation.

Au vu de l'offre d'ores et déjà formulée par la nue-propriétaire, il convient effectivement de retenir que la vente de gré à gré constitue le mode de réalisation le plus adapté à la configuration du cas d'espèce, en ce qu'il permettra d'obtenir un produit de réalisation supérieur aux autres possibilités et que la cession du droit à la nue-propriétaire évitera des difficultés dans son exercice. Le seul autre mode de réalisation a priori envisageable, soit la vente aux enchères publiques, serait non seulement plus coûteux à mettre sur pied mais, selon toute vraisemblance, ne permettrait pas l'obtention d'un produit de réalisation supérieur, ou même égal : même si la valeur vénale théorique du droit a été estimée à plus de 100'000 fr., on conçoit mal en effet qu'un tiers soit disposé à payer plus de 10'000 fr. pour acquérir un co-usufruit (soit un droit limité dans le temps par sa nature) alors que l'immeuble sur lequel il porte est occupé par l'autre co-usufruitière et la nue-propriétaire; il est au contraire à craindre que les potentiels acquéreurs soient dissuadés par les difficultés liées à l'exercice concret du droit.

Instruction sera dès lors donnée à l'Office de réaliser la part d'usufruit du débiteur par sa vente de gré à gré pour un prix minimum de 10'000 fr. Si contre toute attente une telle vente devait échouer, il appartiendra à l'Office de saisir à nouveau la Chambre de céans afin qu'un autre mode de réalisation puisse être fixé.

4.                  Il n'y a pas lieu à perception d'un émolument ni à l'allocation de dépens.

 

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la requête en fixation du mode de réalisation formée le
25 février 2021 par l'Office cantonal des poursuites.

Au fond :

Instruit l'Office cantonal des poursuites de réaliser la part d'usufruit saisie au préjudice de A______ dans les séries n° 5______, 6______ et 7______ par sa vente de gré à gré pour un prix minimum de 10'000 fr.

Invite l'Office cantonal des poursuites, si ce mode de réalisation devait s'avérer impossible, à saisir derechef la Chambre de surveillance d'une nouvelle requête en fixation du mode de réalisation.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI et Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.