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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/2830/2020

DCSO/143/2021 du 15.04.2021 ( PLAINT ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : masse active; exécution d'un contrat bilatéral par l'administration de la faillite; exécution d'une créance non pécuniaire; reprise d'un contrat par la masse en faillite
Normes : lp.197.al1; lp.204.al1; lp.240; co.740.al5; lp.211.al1; lp.211.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2830/2020-CS DCSO/143/21

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 15 AVRIL 2021

 

Plainte 17 LP (A/2830/2020-CS) formée en date du 14 septembre 2020 par A______ (BERMUDA) LTD, élisant domicile en l'étude de Me Julien WAEBER, avocat.

 

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par pli recommandé du greffier du à :

-       A______ (BERMUDA) LTD

c/o Me WAEBER Julien

WAEBER MAITRE

Quai Gustave-Ador 2

Case postale 3021

1211 Genève 3.

- B______, EN LIQUIDATION
p.a. Office cantonal des faillites
Faillite n° 1______

 

 

 


EN FAIT

A. a. La faillite de B______
(ci-après : B______), liquidée par voie de procédure sommaire, a été prononcée par jugement du Tribunal de première instance du ______ 2018.

Cette société, inscrite au Registre du commerce de Genève le ______ 2007, était active dans le négoce international de matières premières, le transport maritime et l'affrètement de bateaux, ainsi que les opérations financières y afférentes.

C______ était l'administrateur unique de la société.

L'état de collocation dans la faillite a été déposée le 18 décembre 2018, puis redéposé le 8 juillet 2020. Il en ressort que le dividende escompté est de 59.54% pour les créanciers colloqués 1ère classe et de 0% pour les créanciers colloqués en 3ème classe. A ce jour, A______ (BERMUDA) LTD n'a produit aucune créance dans la faillite de B______.

b. A______ (BERMUDA) LTD (ci-après : A______) est une société incorporée aux Bermudes (Territoire britannique d'outre-mer) où se trouve son siège. Elle est active, notamment, dans l'assurance de bâtiments maritimes et de transports maritimes. A______ exploite une succursale en Norvège ("A______ (Bermuda) Ltd., Norwegian Branch").

c. Le 2 février 2016, B______ a conclu avec la succursale norvégienne de A______ un contrat d'assurance intitulé "Certificate of entry - Comprehensive Charterer's liability insurance", aux fins d'assurer son activité commerciale de transporteur/affréteur maritime (la couverture d'assurance portant, notamment, sur les éventuels dommages causés à la cargaison et/ou aux bateaux affrétés par la société). Ce contrat, soumis au droit norvégien, a été conclu pour une durée d'une année, du 20 février 2016 au 20 février 2017, la couverture d'assurance étant limitée à 350'000'000 USD par événement assuré (art. IV et V du contrat).

Les conditions générales de A______, intitulées "Rules for ______ Defense Cover for Ships and other Floating Structures" (ci-après : les Conditions générales ou CG), sont également applicables à ce contrat.

L'art. 82.1(b) CG - libellé "Obligations within respect to claims" - a la teneur suivante : "[B______] shall (...) upon the occurrence of any event which may give rise to a claim upon [A______], take and continue to take all such steps as may be reasonable, including the preservation of any right of recourse against a third party, for the purpose of averting or minimising any liability, loss, cost or expense in the respect whereof he may be insured by [A______]".

L'art. 84 CG est rédigé en ces termes : "When [B______] has a right of recourse against a third party for any liability, loss, cost or expense covered by [A______], [A______] shall be subrogated to [B______]'s right of recourse upon payment by [A______] to [B______] in respect of the liability, loss, cost or expense"
(84.1 CG). "Where [A______] has made a payment in respect of any liability, loss, cost or expense to or on behalf of [B______], the whole of any recovery from a third party in respect of that liability, loss, cost or expense shall be credited and paid to [A______] up to an amount corresponding to the sum paid by [A______] together with any interest element on that sum comprised in the recovery (...)"
(84.2 CG).

L'art. 88.3 CG a la teneur suivante : "[B______] shall indemnify [A______] for any liability [A______] may incur to a third party under or in connection with any security issued by [A______] for or on behalf of [B______] and for any payment made by [A______] to a third party for or on behalf of [B______] (...), save to the extent that, had that third party pursued its claims in respect of the relevant liability against [B______] rather than against [A______], or had the payment been made by [B______] rather than [A______], [B______] would have been entitled to reimbursement pursuant to these Rules".

Les art. 90 et 91 CG prévoient l'application du droit norvégien et une clause d'arbitrage (la procédure d'arbitrage devant se dérouler à Oslo).

d. En juin 2016, B______ a conclu un contrat d'affrètement ("charterparty") avec D______ (ci-après : D______) et E______ (ci-après : E______), aux termes duquel la première a pris en location le navire M/V D______, propriété des secondes, pour transporter de la marchandise depuis l'Argentine jusqu'en Egypte.

Ce contrat était soumis au droit anglais.

e. Par contrat de sous-affrètement ("subcharterparty") du 13 juin 2016, également soumis au droit anglais, B______ a sous-affrété le navire M/V D______ à F______ (ci-après : F______), société sise à J______ (USA), laquelle a organisé le transport d'une cargaison de soja jaune depuis K______ (Argentine) jusqu'à L______ (Egypte).

f. En novembre 2016, le navire M/V D______ a accosté sur le territoire égyptien. En raison d'une suspicion de "Sclerotinia Sclerotiorum" (champignons parasites à l'origine de la sclérotiniose, ou "pourriture blanche", maladie affectant diverses plantes, dont le soja), les autorités locales n'ont pas autorisé F______ à décharger la marchandise, ce qui a contraint le navire à se rendre à M______ (Espagne) où la cargaison a été revendue.

Selon les explications fournies par A______, l'impossibilité de décharger le stock de soja en Egypte à la date convenue, puis la nécessité de transporter la marchandise jusqu'en Espagne ont "occasionné un dommage à la cargaison qui a été revendue à un tiers". Ce tiers a ensuite réclamé réparation de ce dommage - via F______ - aux propriétaires du navire, D______ et E______. Celles-ci ont alors demandé des comptes à B______.

g. Le 23 mars 2017, A______ a émis une garantie ("Security" ou "Letter of undertaking") en faveur de D______, pour un montant maximal de 4'200'000 USD, en couverture de toute somme que B______ serait condamnée à verser à cette dernière - sur la base d'un jugement (ou sentence) définitif et sans appel rendu par un tribunal compétent ("by a final and unappealable judgement/award of a competent court/tribunal") ou de l'accord écrit des parties -, en relation avec toute réclamation soulevée concernant l'affrètement du navire M/V D______ et le transport de la marchandise ("any and all claim arising out of or in connection with the Voyage and the Cargo and its carriage on bord the Vessel, including any and all claims for alleged damage(s) to the Cargo and/or any alleged losses [including but non limited to mould damage, fungal sclerotia, sweat and self-heating]"), respectivement avec toute réclamation liée au rejet de la marchandise ("rejection of the Cargo") par les autorités égyptiennes.

Cette garantie est soumise au droit anglais.

B. a. Par pli du 18 janvier 2019, A______ a informé l'Office cantonal des poursuites
(ci-après : l'Office) qu'elle était l'assureur maritime de B______ et qu'elle avait, à ce titre, émis une garantie en faveur des propriétaires du navire M/V D______ pour couvrir les montants que B______ pourrait être condamnée à verser à ces derniers. Dans la mesure où elle "jou[ait] ainsi un rôle de caution de la faillie", A______ souhaitait consulter l'inventaire dressé dans la faillite de B______ "pour examiner si la créance contre [F______] [était] inventoriée et accéder à l'état de collocation pour estimer le total des dettes et leur fondement". Au surplus, A______ "examin[ait] l'opportunité de solliciter l'administration de la masse afin d'acquérir les droits de [B______] découlant du contrat de sous-location du 13 juin 2016 avec [F______], pour s'en servir au besoin comme moyen de défense ou récursoire". Aussi, elle priait l'Office de lui "indiquer les conditions auxquelles cette réalisation pourrait intervenir".

b. Le 2 avril 2019, A______ a transmis à l'Office les Conditions générales applicables au contrat d'assurance du 2 février 2016.

Elle a fait valoir que l'art. 82.1(b) CG imposait à l'assuré (i.e. B______) de minimiser son dommage et, notamment, de préserver tout droit de recours de l'assureur (i.e. A______) contre un tiers. L'art. 84 CG prévoyait par ailleurs qu'en cas de paiement d'une indemnité d'assurance (à l'assuré ou pour le compte de l'assuré), l'assureur était subrogé dans les droits de recours de l'assuré envers les tiers, à concurrence de l'indemnité versée. Enfin, conformément à l'art. 88.3 CG, lorsque l'assureur avait émis, sur une base volontaire, une garantie en faveur d'un tiers, l'assuré était tenu d'indemniser l'assureur de tout paiement décaissé en vertu de cette garantie.

Selon A______, la cession à elle-même des prétentions découlant du contrat de sous-affrètement du 13 juin 2016 s'imposait au regard des Conditions générales, afin qu'elle puisse - si besoin - exercer le droit de recours de B______ envers F______. Aussi, elle invitait l'Office à faire le nécessaire pour que l'action récursoire de la faillie contre F______ puisse lui être cédée. Elle sollicitait cette cession à titre gratuit, dans la mesure où celle-ci représentait un devoir contractuel de B______ envers A______ qu'il revenait désormais à l'Office d'assumer.

c. Le 2 août 2019, A______ a relancé l'Office au sujet de sa demande de cession des droits de la faillie envers F______.

Elle a exposé qu'en date du 13 janvier 2017, les propriétaires du navire avaient émis, par l'intermédiaire de leur assureur maritime (N______ LLC), une lettre de réclamation ("notice of claim") à l'encontre de B______, qui l'avait fait suivre à A______. Selon les propriétaires du navire, la prétention de F______ à leur égard - qualifiée de "scandaleuse" et "complètement fausse" - était à l'évidence infondée. Ils contestaient toute responsabilité pour le dommage dont F______ réclamait réparation et ils entendaient, si nécessaire, se retourner contre toutes les parties concernées (notamment contre B______, pour avoir accepté de charger une marchandise avariée sur le navire) afin d'être indemnisés pour toutes pertes subies en lien avec cette réclamation. Selon N______ LLC, qui avait demandé à A______ de lui fournir une garantie de 4'200'000 USD, il était dans l'intérêt de B______ de coopérer avec les propriétaires pour défendre le cas contre F______ afin de limiter d'autant le recours « circulaire » des propriétaires contre B______. Selon A______, "mieux les propriétaires se défend[aient], plus le montant qui ser[ait] ensuite réclamé à B______ ser[ait] faible et plus la prestation de A______ ser[ait] corrélativement basse. Au travers de son obligation de mitiger le dommage, B______ [devait] favoriser cette circonstance. C'est pour cette raison que A______ a[vait] instruit B______ de lui céder « tous les droits qui pourraient [lui] échoir en vertu du contrat de subcharterparty du 13 juin 2016 ». Cette cession [était] requise aussi rapidement que possible, pour donner à A______ la faculté d'intervenir maintenant déjà pour soutenir la position des propriétaires contre F______".

En annexe à son courrier, A______ a transmis à l'Office un projet de contrat de cession (à conclure entre A______ et "B______ SA, a company incorporated and existing under the laws of Switzerland whose adress is at 2______, Genève"), rédigé en anglais et intitulé "Assignment of cause of action", prévoyant notamment l'application du droit anglais et une élection de for en faveur des juridictions anglaises.

d. Par courrier du 21 août 2019, l'Office a informé A______ que la prétention de B______ à l'encontre de F______ devait être inventoriée et qu'il avait besoin d'informations complémentaires à ce sujet. En particulier, l'Office souhaitait savoir si A______ (ou B______) avait engagé des pourparlers avec F______ avant ou après le prononcé de la faillite. Le cas échéant, A______ était priée de lui faire parvenir un résumé de ces pourparlers, ainsi qu'une copie des courriers faisant état des prétentions émises à l'encontre de F______.

Au surplus, la cession requise ne pourrait pas intervenir à titre gratuit, puisque A______ n'était ni créancière (art. 260 LP) ni actionnaire de la faillie (art. 224 LP). En conséquence, la créance litigieuse devrait faire l'objet d'une vente et A______ était invitée à faire parvenir une offre d'achat à l'Office. L'attention de A______ était par ailleurs attirée sur le fait que l'acte de vente serait soumis au droit du for de la faillite, de sorte que l'Office ne pouvait pas contresigner le projet de contrat de cession proposé par A______.

e. Dans sa réponse du 10 septembre 2019, A______ a informé l'Office qu'elle "pourrait entrer en matière à concurrence d'une somme de 3'000 fr., moyennant que l'acte de cession précise que [B______], cas échéant [par l'intermédiaire de l'Office], collaborer[ait] à l'occasion de toute procédure afin d'en favoriser l'issue, notamment en produisant tout document qui pourrait s'avérer utile et en témoignant".

A______ a précisé que le montant maximum de la créance litigieuse était celui que F______ avait annoncé réclamer aux propriétaires du navire M/V D______, soit 10'637'177 USD, intérêts et frais en sus. La prétention dirigée contre F______ serait, cas échéant, fondée sur le contrat de sous-affrètement du 13 juin 2016. Il s'agissait d'une prétention récursoire, qui dépendrait (i) du résultat - inconnu à ce jour - du litige opposant F______ aux propriétaires du bateau, puis (ii) du résultat de la procédure - elle-même récursoire - des propriétaires du navire contre B______. Le résultat de cette seconde procédure déterminerait l'objet de l'action récursoire contre F______, "bouclant ainsi la boucle". Selon A______, la nature récursoire de cette action empêchait de qualifier la cession envisagée comme celle d'un "actif" au sens de l'art. 197 LP : il s'agissait de neutraliser de potentiels dommages futurs, et non d'augmenter la masse active de la faillite. A______ ne partageait donc pas l'analyse juridique de l'Office à ce sujet. Au surplus, A______ n'avait pas entamé des négociations avec F______ pour le moment; à sa connaissance, il en allait de même pour B______. Toutes les discussions entre A______ et la faillie au sujet de la cession des droits contre F______ avaient été menées via l'Office, conformément à l'art. 240 LP. Au surplus, A______ n'avait aucun contact avec l'administrateur de la faillie.

f. Le 25 octobre 2019, A______ a versé la somme de 3'000 fr. sur le compte bancaire de l'Office.

g. Par pli du 17 décembre 2019, l'Office a informé A______ qu'un créancier de la faillie (i.e. G______) avait offert d'acquérir la prétention contre F______ au prix de 3'200 fr. A______ avait la possibilité de renoncer à surenchérir, auquel cas l'Office lui rembourserait son avance, ou de faire une offre supérieure, auquel cas des enchères privées seraient organisées dans les locaux de l'Office.

h. Par courriel du 15 janvier 2020, G______ a directement contacté A______ pour lui proposer de retirer son enchère moyennant le versement d'une somme de 30'000 USD.

Cette proposition ayant été refusée, les enchères privées organisées par l'Office ont été annulées.

i. S'en sont suivies des discussions entre l'Office et A______. Dans ce cadre, l'Office a invité cette dernière à produire sa créance (conditionnelle) contre F______ dans la faillite, conformément à l'art. 210 LP, et à solliciter la cession de cette créance selon l'art. 260 LP. A______ a refusé de procéder de la sorte, exposant que la cession devait intervenir à titre gratuit, l'Office étant tenu de l'exécuter en vertu du contrat d'assurance du 2 février 2016.

Dans le cadre de ces discussions, A______ a proposé d'amender le projet de contrat de cession (cf. supra let. B.c in fine) pour tenir compte des observations formulées par l'Office; un projet modifié a notamment été transmis à l'Office par courriel du 27 mars 2020.

j. Par courriel du 27 mai 2020, l'Office a informé A______ que, selon lui, la réalisation des actifs de la faillie devait intervenir conformément aux art. 256 ss LP. Sur la base des indications de A______, l'Office avait porté à l'inventaire - sous le poste C9 - la prétention suivante, d'un montant de 10'637'177 USD : "Tous droits et prétentions dont la faillie pourrait se prévaloir, découlant du contrat de "subercharterparty" conclu le 13 juin 2016 avec [F______]". Afin qu'elle puisse solliciter la cession de cette prétention conformément à l'art. 260 LP, A______ était invitée à produire dans la faillite sa créance conditionnelle à l'encontre de B______.

k. Dans sa réponse du 30 juillet 2020, A______ a fait valoir que la créance récursoire contre F______ n'était pas un actif de la masse au sens de l'art. 197 LP, de sorte qu'aucune réalisation (selon les art. 256 ss LP) ou cession (selon l'art. 260 LP) n'était possible. Selon elle, la cession réclamée n'avait aucune valeur économique intrinsèque, dans la mesure où elle constituait l'exécution d'une obligation légale et contractuelle de B______, à laquelle l'Office pouvait (selon l'art. 240 LP) et devait (en exécution du contrat d'assurance) consentir sans contrepartie. Dans l'hypothèse où il décidait de maintenir sa position, l'Office était prié de rendre une décision formelle sujette à plainte auprès de l'autorité de surveillance.

En annexe à son courrier, A______ a produit un avis de droit du 29 juillet 2020, rédigé en anglais par H______, avocat norvégien au sein de l'étude I______, ayant pour objet le contenu du contrat d'assurance du 2 février 2016. Cet avis de droit retient, en substance, ce qui suit :

-          en vertu de l'art. 82.1(b) CG, l'assuré (i.e. B______) est tenu de prendre toutes les mesures raisonnables, y compris la préservation de tout droit de recours contre un tiers, dans le but d'éviter ou de minimiser toute responsabilité, tout coût ou toute dépense que l'assureur (i.e. A______) devrait assumer en faveur de B______ sur la base du contrat d'assurance du 2 février 2016 et des Conditions générales;

-          le droit de recours de B______ envers F______, fondé sur le contrat de sous-affrètement du 13 juin 2016, est un « droit de recours contre un tiers » au sens de l'art. 82.1(b) CG que l'assuré se doit de préserver;

-          afin d'éviter que ce droit de recours ne soit mis en échec en raison de la faillite de B______, A______ est en droit d'exiger qu'il lui soit cédé : une telle cession fait partie des obligations à charge de B______, selon l'art. 82.1(b) CG, celle-ci étant tenue de prendre « toutes les mesures raisonnables » pour préserver son droit de recours contre F______;

-          cette obligation à charge de B______ découle de l'art. 84.1 CG, lequel stipule que l'assureur est automatiquement subrogé dans les droits de l'assuré envers les tiers, dans la mesure des prestations d'assurance versées; aussi, en cas de paiement fondé sur la garantie du 23 mars 2017, A______ serait automatiquement subrogée dans les droits de B______ contre F______ en vertu du contrat de sous-affrètement; en effet, un tel paiement interviendrait pour le compte de B______, à titre des prestations d'assurance couvertes par A______;

-          selon le droit norvégien, le droit de subrogation automatique de l'assureur est opposable à la masse de la faillite ("has priority in the bankruptcy estate, meaning that it must be respected by the bankruptcy estate"); par conséquent, le droit de recours de B______ contre F______ ne peut pas être vendu ni transféré à un tiers; en outre, seule A______ est autorisée à exercer le droit de recours contre F______, à concurrence des paiements qu'elle aura effectués pour le compte de B______; il s'ensuit que les prétentions de B______ contre F______, résultant du contrat de sous-affrètement, ne constituent pas un actif que la masse en faillite serait en droit de réaliser, respectivement de céder ou transférer à qui que ce soit d'autre que A______;

-          dans l'hypothèse où le droit de recours contre F______ était réalisé ou cédé à un tiers (respectivement si A______ était empêchée d'en obtenir la cession), ce qui constituerait une violation des Conditions générales, A______ n'aurait d'autre alternative que de sauvegarder ses intérêts, en exigeant de la masse en faillite (voire de l'Office, en sa qualité de "liquidator") qu'elle l'indemnise pour toutes pertes qu'elle subirait de ce fait.

l. Par courrier du 2 septembre 2020, reçu par A______ le lendemain, l'Office a informé A______ qu'il ne pouvait pas donner suite à sa demande de cession des droits de B______ contre F______, résultant du contrat de sous-affrètement, à titre gratuit. Cette décision était motivée par le fait que A______, assureur maritime de la faillie, n'était pas créancière de la faillie malgré l'existence d'une créance conditionnelle en sa faveur. Par ailleurs, l'éventuel lésé (soit les propriétaires du navire M/V D______) n'avait pas non plus produit de créance dans la faillite. Enfin, la masse en faillite de B______ n'était ni débitrice ni créancière dans le cadre du litige opposant F______ aux propriétaires du navire, dont l'Office ignorait les tenants et aboutissants.

L'Office a précisé que son courrier constituait une décision sujette à plainte auprès de l'autorité de surveillance.

C. a. Par acte expédié au greffe de la Chambre de surveillance le 14 septembre 2020, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre cette décision, concluant (implicitement) à son annulation et, cela fait, à ce qu'il soit ordonné à l'Office (i) de céder à A______, sans contrepartie, la créance récursoire contre F______ résultant du contrat de sous-affrètement, (ii) de conclure le contrat intitulé "Assignment of cause of action" dans sa version transmise à l'Office le 27 mars 2020, dans un délai de dix jours dès la notification de la décision à rendre, et (iii) de lui rembourser l'avance de 3'000 fr. versée en octobre 2019.

A______ a fait valoir que sa démarche visait uniquement à sauvegarder ses intérêts : ainsi, dans le cas où elle devrait prester en vertu du contrat d'assurance du 2 février 2016 et/ou de la garantie du 23 mars 2017, elle serait alors subrogée aux droits de B______ contre F______, conformément à l'art. 84 CG. Or, cette subrogation pourrait être mise en échec si B______ avait cessé d'exister juridiquement (suite à sa radiation du registre du commerce une fois la faillite clôturée) au moment où A______ devrait prester. Selon la plaignante, la nature récursoire de la créance contre F______ lui ôtait toute valeur économique indépendante et toute valeur de réalisation. En effet, la créance récursoire ne visait, par nature, qu'à compenser un dommage subi : en l'occurrence, la prétention des propriétaires du navire contre B______ en vertu du contrat d'affrètement. Tout montant qui devrait être payé de ce chef serait couvert par A______ en vertu du contrat d'assurance (ou de la garantie), raison pour laquelle celle-ci avait besoin d'être subrogée à B______ dans son droit de recours contre les tiers. Seule A______ était intrinsèquement intéressée par cette opération, que B______ pouvait (selon les art. 211 et 240 LP) et devait (en vertu du contrat d'assurance) exécuter. En d'autres termes, le "bilan" de la faillie n'était pas concerné par cette opération, puisqu'aucune perte (A______ ayant payé à sa place) ou profit (A______ se chargeant de l'action récursoire) n'en résultait pour B______. Puisque la faillie ne pouvait en aucun cas s'enrichir, il était absurde de conférer une quelconque valeur économique ou de réalisation à cette créance récursoire.

b. Dans son rapport explicatif du 23 octobre 2020, l'Office a conclu au rejet de la plainte, persistant dans ses précédentes explications. Il a relevé qu'il était dans l'impossibilité de signer le contrat intitulé "Assignment of cause of action", dans la mesure où ce contrat prévoyait des obligations positives à la charge de la faillie qui étaient incompatibles avec la LP. L'Office ne pouvait pas "engager la faillie à de telles obligations, très larges et très lourdes pour certaines", d'autant qu'elles n'étaient pas limitées dans le temps et qu'elles pourraient éventuellement engager la responsabilité de l'Etat de Genève. Le contrat prévoyait une clause de confidentialité qui n'incluait pas les créanciers de la faillie, ce qui n'était pas acceptable. Il était par ailleurs soumis au droit anglais, avec une élection de for en faveur des tribunaux anglais. Or, l'Office, qui était chargé d'appliquer la LP, ne pouvait pas s'engager à se soumettre à une juridiction étrangère. De manière générale, l'Office ne disposait pas d'informations suffisantes pour apprécier la portée de la requête de la plaignante, respectivement de ses conséquences éventuelles pour les créanciers de la faillie - et, surtout, pour déterminer précisément le mode approprié de "transfert" des droits découlant du contrat de sous-affrètement (cession des droits de la masse, abandon d'une prétention litigieuse, vente d'un actif, etc.).

En définitive, l'Office ne pouvait pas donner suite à la demande de la plaignante pour les motifs suivants : (i) A______ n'était pas créancière dans la faillite, de sorte que la cession des droits de la masse selon l'art. 260 LP n'était pas envisageable; (ii) dans la mesure où l'Office n'était "pas en possession des éléments de fait pertinents permettant l'évaluation financière de la prétention de B______ contre F______, un abandon de prétentions en faveur de la plaignante ne [pouvait] pas être proposé à ce stade puisque les créanciers n'aur[aient] pas la possibilité de se déterminer en toute connaissance de cause à cet égard"; (iii) pour la même raison, "une vente de [cette prétention] n'était pas envisageable dès lors que le prix n'[était] pas déterminable à ce stade".

L'Office a encore précisé que l'avance de 3'000 fr. avait été remboursée à A______ le 18 septembre 2020.

c. Dans sa réplique spontanée du 9 novembre 2020, A______ a réitéré que, selon elle, le contrat de sous-affrètement du 13 juin 2016 était "dénué de toute valeur de réalisation dans le contexte d'une action récursoire, dont il [était] de notoriété publique qu'elle ne permet[tait] à personne de s'enrichir, son but étant de neutraliser un dommage/une perte". En outre, la cession requise n'était pas préjudiciable aux créanciers de la faillie, puisque ceux-ci ne pouvaient pas espérer réaliser un quelconque gain en lien avec cette action récursoire vu sa nature. Au surplus, A______ était disposée à apporter des modifications au contrat de cession ("Assignment of cause of action"), étant précisé que les obligations à charge de la faillie étaient déjà limitées dans le temps (le projet modifié du 27 mars 2020 stipulant que celles-ci s'éteindraient automatiquement une fois la société radiée du registre du commerce). Elle était également disposée à soumettre le contrat au droit suisse et à prévoir une élection de for à Genève. Finalement, A______ a précisé qu'elle ne cherchait rien d'autre qu'à faire exécuter le contrat d'assurance et à préserver son droit de recours contractuel. Il n'était aucunement question de nuire aux droits des créanciers de la faillie.

Au vu des observations de l'Office, A______ a déclaré compléter ses conclusions, en ce sens qu'elle concluait, sous le chef de conclusion (ii bis), à ce qu'il soit ordonné à l'Office de lui soumettre le contrat intitulé "Assignment of cause of action" dans la version qu'il était disposé à signer, dans un délai de dix jours dès la notification de la décision à rendre. Au surplus, A______ retirait son chef de conclusion (iii), l'avance de 3'000 fr. lui ayant été restituée suite au dépôt de la plainte.

d. Dans sa duplique du 18 novembre 2020, l'Office a persisté dans ses conclusions.

 

EN DROIT

1. 1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de la LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre des mesures prises par l'Office qui ne peuvent être attaquées par la voie judiciaire (art. 17 al. 1 LP). La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP).

La qualité pour porter plainte selon l'art. 17 LP est reconnue à toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés ou, à tout le moins, atteinte dans ses intérêts de fait par une mesure ou une omission d'un organe de la poursuite (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3). Ainsi, les créanciers ont, de manière générale, le droit de se plaindre de ce que les actes de l'administration de la faillite n'ont pas été accomplis conformément à la loi (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 119 III 81 consid. 2). En revanche, les tiers à la procédure d'exécution forcée n'ont en principe pas la qualité pour former une plainte à moins qu'un acte de poursuite ne leur soit directement préjudiciable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_483/2012 du 23 août 2012 consid. 5.3.1 et les références citées). Le plaignant doit dans tous les cas poursuivre un but concret; il doit être matériellement lésé par les effets de la décision attaquée et avoir un intérêt digne de protection à sa modification ou à son annulation (ATF 138 III 219 consid. 2.3; 120 II 5 consid. 2a).

1.2 La plainte vise en l'espèce une décision pouvant être attaquée par cette voie et a été formée auprès de l'autorité compétente pour en connaître dans le délai et les formes prévus par la loi.

Quand bien même elle n'est (du moins à ce stade) pas créancière de la faillie, la Chambre de céans considère que A______ dispose d'un intérêt digne de protection à contester la décision de l'Office, en tant que celle-ci retient que la prétention récursoire de B______ contre F______ est un actif de la masse, au sens de l'art. 197 LP, et qu'elle doit, à ce titre, être réalisée conformément aux art. 256 ss LP. La plaignante conteste en effet cette analyse et soutient que l'action récursoire de la faillie à l'encontre de F______ devrait lui être cédée, sans contrepartie, en exécution du contrat d'assurance conclu le 2 février 2016.

La plainte est dès lors recevable.

En revanche, la recevabilité des conclusions nouvelles prises par la plaignante dans sa réplique du 9 novembre 2020 paraît douteuse, une augmentation des conclusions après l'expiration du délai pour porter plainte n'étant pas admissible, sous peine d'éluder la nature péremptoire du délai prévu à l'art. 17 al. 2 LP (arrêt du Tribunal fédéral A_326/2015 du14 janvier 2016 consid. 2.2). Cette question peut toutefois demeurer indécise compte tenu de la solution retenue ci-après.

2. La plaignante reproche à l'Office de ne pas avoir donné suite à sa demande de cession en sa faveur, sans contrepartie, du droit de recours de B______ contre F______ fondé sur le contrat de sous-affrètement du 13 juin 2016. Selon elle, une telle cession entre dans les actes de liquidation ressortant de la compétence de l'administration de la masse.

2.1.1 A teneur de l'art. 197 LP, tous les biens saisissables du failli au moment de l'ouverture de la faillite forment une seule masse, quel que soit le lieu où ils se trouvent, et sont affectés au paiement des créanciers (al. 1). Les biens qui échoient au failli jusqu'à la clôture de la faillite rentrent dans la masse (al. 2).

Dès que l'ouverture de la faillite lui a été communiquée, l'office des faillites est tenu de constituer la "masse active" (ou "masse") et de porter tous les biens qui la composent à l'inventaire (art. 221 ss LP et 25 ss OAOF). La masse active comprend tous les droits patrimoniaux saisissables du failli existant à l'ouverture de la faillite ou qui échoient au failli après cette date, quel que soit leur lieu où ils se trouvent (en Suisse ou à l'étranger). Elle servira à désintéresser les créanciers (ROMY, in CR LP, 2005, n. 1 ad art. 197 LP).

Avec le prononcé de la faillite, le failli perd son droit de disposition sur les biens composant la masse active (art. 204 LP; c'est le "dessaisissement" du failli, ce qui signifie que le pouvoir de disposer des biens de la masse passe à l'administration de la faillite). La masse active est soumise à une mainmise de droit public qui confère aux créanciers le droit d'être désintéressés, dans les limites fixées par la loi, sur le produit de réalisation de ces biens. La composition de la masse active est régie par les principes généraux énumérés à l'art. 197 LP. Ce régime est complété par les exceptions posées aux art. 198 à 203 LP, ainsi que par des dispositions de droit commun et de lois spéciales qui accordent à certains créanciers le droit de revendiquer des biens entrant sinon dans la masse active. Par ailleurs, la procédure à suivre pour constituer la masse et les compétences en la matière sont définies aux art. 221 ss LP. La masse active est constituée, gérée et réalisée par l'administration de la faillite, qui distribuera le produit de la réalisation aux créanciers (ROMY,
op. cit., n. 2 et 3 ad art 197 LP, n. 1 ad art. 204 LP).

2.1.2 Seuls tombent dans la masse active les biens appartenant au failli qui sont saisissables selon les critères généraux des art. 91 à 93 LP. Par biens saisissables, il faut entendre les droits patrimoniaux dont le failli est titulaire, qu'ils soient liquides ou litigieux, corporels ou incorporels, absolus (droit de propriété immobilière ou mobilière, droit de propriété immatérielle) ou relatifs (créances) (ROMY, op. cit.,
n. 6 ad art. 197 LP). Sont exclus de la masse les droits patrimoniaux non soumis à l'exécution forcée parce qu'ils n'ont pas de valeur de réalisation, parce que leur valeur ne peut pas être déterminée ou parce que leur valeur dépend de l'avènement hypothétique d'une condition suspensive (GILLIERON, Commentaire LP, n. 13
ad art. 197 LP).

Les créances et autres droits n'ont pas de valeur de réalisation lorsqu'ils présentent un caractère - et par conséquent une valeur de réalisation - aléatoire, notamment le droit qui ne constitue pour le failli qu'un actif conditionnel purement hypothétique. Ainsi, les simples espérances de gain ne sont pas saisissables. A la différence des expectatives incertaines (c'est-à-dire lorsque le nombre et l'importance des obstacles à l'avènement ou à la défaillance de la condition rendent impossible l'estimation de la valeur de réalisation de la créance future), les créances dont seule l'exigibilité - et non la naissance - est soumise à condition suspensive, sont saisissables, car leur valeur de réalisation est plus aisément déterminable. Tel est le cas, par exemple, de la créance contre une institution de prévoyance. Tel est également le cas des rapports d'obligation qui se subdivisent en créances ayant pour objet des prestations périodiques (contrat de bail, contrat de travail) (GILLIERON, op. cit., n. 17 à 22 ad. art. 92 LP; cf. ég. ROMY, op. cit., n. 7 ad art. 97 LP).

Les contestations au sujet de l'appartenance d'un bien à la masse ou de sa saisissabilité sont tranchées par les offices ou les autorités de surveillance par la voie de la plainte de l'art. 17 LP. En revanche, les conflits entre la masse et un tiers qui sont relatifs à la propriété d'un bien relèvent du droit matériel et sont portés devant le juge ordinaire (ROMY, op. cit., n. 5 ad art. 197 LP).

2.2.1 Après que le mode de liquidation de la faillite a été déterminé et que l'ouverture de la faillite a été publiée (art. 232 LP), c'est l'administration qui est chargée des intérêts de la masse, qui pourvoit à sa liquidation et qui représente la masse en justice (art. 240 LP).

En cas de liquidation ordinaire, les créanciers, réunis en assemblée ou consultés par circulaire, peuvent prendre des décisions concernant la continuation du commerce ou de l'industrie du failli, l'ouverture de ses ateliers, magasins ou débits, les procès pendants et les ventes de gré à gré (art. 238 LP); s'il en est établi une, une commission de surveillance est compétente, en principe, pour surveiller l'administration de la faillite, lui donner des avis, s'opposer à toute mesure qui lui paraîtrait contraire aux intérêts des créanciers, autoriser la continuation du commerce ou de l'industrie du failli et en régler les conditions, et prendre diverses autres décisions (art. 237 al. 3 LP). La réalisation des biens du failli intervient après le dépôt de l'état de collocation et la deuxième assemblée des créanciers, qui prend souverainement toutes les décisions qu'elle juge nécessaire dans l'intérêt de la masse (art. 252 al. 1 et art. 253 al. 2 LP). Les biens appartenant à la masse sont réalisés par les soins de l'administration aux enchères publiques ou de gré à gré si les créanciers le jugent préférable (art. 256 al. 1 LP); les biens sur lesquels il existe des droits de gage ne peuvent être réalisés de gré à gré qu'avec l'assentiment des créanciers gagistes (art. 256 al. 2 LP); les biens de valeur élevée et les immeubles ne sont réalisés de gré à gré que si l'occasion a été donnée aux créanciers de formuler des offres supérieures (art. 256 al. 3 LP); les prétentions révocatoires, fondées sur les art. 286 à 288 LP, ne doivent ni faire l'objet d'enchères ni être aliénées (art. 256 al. 4 LP).

En cas de liquidation sommaire, soit en pratique dans la très grande majorité des cas, la faillite est administrée uniquement par l'Office, qui la liquide selon les règles de la procédure ordinaire, toutefois assouplies et simplifiées, en règle générale sans convoquer d'assemblée des créanciers mais en les consultant au besoin par voie de circulaire, et en procédant à la réalisation des actifs à l'expiration du délai de production au mieux des intérêts des créanciers et en observant les art. 256 al. 2 à 4 LP (STOFFEL/CHABLOZ, Voies d'exécution, 3ème éd., 2016, § 11 n. 39 ss).

2.2.2 L'administration de la faillite est "l'organe propre de l'exécution par voie de faillite", auquel il incombe de mener la procédure de faillite jusqu'à son terme en respectant le cadre légal imposé par la LP (JEANDIN/FISCHER, in CR LP, 2005 n. 1 ad art. 240 LP).

Les compétences de l'administration de la faillite, telles qu'énumérées dans la clause générale de l'art. 240 LP se décomposent en deux faisceaux : la défense des intérêts de la masse et la liquidation de celle-ci. Le législateur ayant renoncé à définir les compétences de l'administration sous forme d'un catalogue, l'art. 240 LP doit être compris comme une norme-cadre qui autorise l'administration à prendre toute les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts de la masse et pour procéder à la liquidation dans les meilleures conditions possibles, dans une mesure certes limitée par les prérogatives de l'assemblée des créanciers et, le cas échéant, de la commission de surveillance (JEANDIN/FISCHER, op. cit., n. 5 et 7 ad art. 240 LP).

Le pouvoir donné à l'administration de la faillite de représenter la masse en justice (art. 240 2ème phrase LP) est la conséquence logique de la clause générale lui attribuant la tâche de sauvegarder les intérêts de la masse. Ce pouvoir de représentation légal en faveur de l'administration lui permet de faire valoir tous les droits du failli, sans qu'une procuration formelle soit nécessaire puisque l'administration tient ses pouvoirs de la loi. Le droit de représenter en justice comprend l'exercice de tous les droits attachés à la conduite d'un procès, à savoir notamment le retrait d'une demande en justice ou la conclusion d'une transaction. L'administration peut aussi représenter la masse devant les autorités administratives, les autorités pénales (par ex. constitution de la masse comme partie civile à l'encontre d'anciens organes de la société faillie) ou dans le cadre d'une procédure de plainte (par ex. pour se déterminer à l'égard d'une plainte d'un créancier) au sens des art. 17 et 239 LP. L'administration peut prendre toutes les mesures utiles à la mise en oeuvre de procédures judiciaires liées à la sauvegarde des intérêts de la masse, y compris le recours à un avocat et le paiement de ses honoraires au titre de dette de la masse (JEANDIN/FISCHER, op. cit., n. 9 et 10
ad art. 240 LP).

C'est l'intérêt de la masse, c'est-à-dire l'intérêt des créanciers à obtenir le meilleur désintéressement possible, qui doit guider l'administration de la faillite dans tous ses choix, tant pour la gestion que pour la réalisation des actifs de la masse, dans les limites fixées par la loi (DCSO/600/2004 du 16 décembre 2004 consid. 3.a; JEANDIN/FISCHER, op. cit., n. 4 ad art. 240 LP).

Cette norme directrice de l'action de l'administration se trouve exprimée notamment à l'art. 240 LP, aux termes duquel l'administration "est chargée des intérêts de la masse", à l'art. 231 al. 3 ch. 2 LP, selon lequel l'office des faillites procède à la réalisation des biens du failli "au mieux des intérêts des créanciers" à l'expiration du délai de production en procédure sommaire, ainsi qu'à l'art. 256 al. 1 LP, qui laisse les créanciers choisir le mode des enchères publiques ou de la vente de gré à gré selon ce qu'ils "jugent préférable". Elle vaut plus largement pour l'application des dispositions conférant à l'administration de la masse un pouvoir d'appréciation, comme pour la continuation d'un commerce ou l'ouverture d'un magasin du failli (art. 223 al. 1, art. 238 al. 1 LP), ou une latitude d'interprétation, par exemple de la notion de biens sujets à dépréciation rapide (art. 243 al. 2 LP) (DCSO/600/2004 précitée consid. 3.b et les références citées).

Quant aux limites que la loi assigne au pouvoir d'appréciation de l'administration, elles résultent déjà de règles de procédure visant à sauvegarder les intérêts de personnes déterminées. Ces dernières sont d'ailleurs souvent des créanciers (comme les créanciers gagistes, dont l'assentiment est en principe requis pour des réalisations de gré à gré d'objets gagés, selon l'art. 256 al. 2 LP, ou chacun des créanciers pris individuellement, qui doivent avoir l'occasion de formuler une offre supérieure en cas de vente de gré à gré de biens de valeur élevée ou d'immeubles, d'après l'art. 256 al. 3 LP), mais il peut s'agir aussi du failli ou de tiers, comme des enchérisseurs (DCSO/600/2004 précitée consid. 3.c).

D'autres limites à l'action de l'administration tiennent de façon plus diffuse à la vocation légale qui lui échoit de liquider la faillite, soit de mener avec diligence la réalisation forcée de tous les biens du failli pour le meilleur désintéressement possible de tous ses créanciers et, s'agissant de personnes morales, de concrétiser l'effet de dissolution que la faillite produit à leur égard (art. 77 al. 1 CC, art. 574 al. 1, art. 619 al. 1, art. 736 ch. 3, art. 770 al. 1, art. 821 ch. 3 et art. 911 ch. 3 CO). L'optique n'est pas de permettre un assainissement, comme dans certaines procédures concordataires. La gestion des actifs du failli n'est pas une fin en soi, mais une conséquence du dessaisissement du failli et du changement fondamental d'affectation de son patrimoine (art. 197 LP); elle doit être assumée dans une perspective de liquidation, qui n'implique pas mais tend plutôt à exclure des actions de valorisation des actifs inventoriés (DCSO/600/2004 précitée consid. 3.c).

L'administration de la faillite dispose par ailleurs de moyens limités; elle se doit d'en faire un emploi économe et de ne contracter des dettes de masse (à savoir les dettes occasionnées par la liquidation de la faillite, qui doivent être couvertes en premier lieu, par prélèvement sur les actifs, avant toute distribution en faveur des créanciers colloqués) qu'avec prudence. Elle doit veiller à ne pas causer de dommage susceptible d'engager la responsabilité du canton (art. 5 LP) (Ibidem).

2.2.3 La société anonyme ne perd pas sa personnalité juridique avec l'ouverture de la procédure de faillite; son existence juridique ne cesse que lorsque - à l'issue de la liquidation (art. 746 CO) - la société est radiée du registre du commerce. Toutefois, avec l'ouverture de la faillite, la société entre immédiatement en phase de liquidation (art. 736 ch. 3 CO). La liquidation se fait par l'administration de la masse, en conformité avec les règles de la faillite. Les organes de la société ne conservent le pouvoir de la représenter que dans la mesure où - toujours en vue de la liquidation - leur intervention est encore nécessaire (art. 739 al. 2 et art. 740
al. 5 CO) (ATF 117 III 39 consid. 3b, JdT 1994 II 12).

L'art. 740 al. 5 CO restreint de façon drastique les compétences des organes sociaux en cas de faillite, la liquidation ayant en principe lieu par l'administration de la faillite. Lorsqu'il s'agit de déterminer qui - de la société faillie (par ses organes) ou de la masse en faillite, représentée par l'administration de la faillite, agissant en tant qu'organe officiel de la masse - peut disposer d'un (prétendu) droit, l'interprétation de l'art. 740 al. 5 CO est indissociable de celle portant sur l'art. 204 LP (incapacité du failli de disposer). La société faillie, par ses organes sociaux, ne peut plus disposer des droits qui appartiennent à la masse et qui doivent être liquidés conformément aux règles de la faillite (arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2013 du
22 janvier 2014 consid. 1.3).

Si le droit litigieux n'appartient effectivement pas à la masse en faillite (cf. art. 204 al. 1 LP), la société faillie peut alors (par ses organes sociaux) en disposer, également en procédure. Titulaire du droit, elle conserve également la faculté de conduire un éventuel procès. Dans la perspective de l'art. 740 al. 5 CO, ses organes sociaux gardent, pour le droit concerné, le pouvoir de représenter la société faillie (soit le pouvoir d'exercer les droits civils dont jouit cette dernière). Dans l'hypothèse inverse (droit litigieux appartenant à la masse en faillite), le débiteur failli - titulaire du droit, mais ne pouvant plus en disposer, également en procédure - ne pourra retrouver sa faculté de conduire un procès en cours (dans lequel il est demandeur) que si la masse en faillite renonce à le poursuivre et qu'aucun créancier ne demande la cession du droit d'agir selon l'art. 260 LP. Il n'importe à ce sujet que le failli soit une personne physique ou une personne morale. Dans ce dernier cas également, même si l'hypothèse apparaît plutôt théorique, la société faillie, qui continue d'exister malgré sa dissolution, retrouve sa faculté de conduire le procès (arrêt du Tribunal fédéral 4A_87/2013 précité consid. 1.3.1 et 1.3.2).

2.3 L'administration de la faillite procède à la réalisation des biens saisissables appartenant au failli - à savoir des biens composant la masse active. Outre la vente aux enchères et la vente de gré à gré (art. 256 al. 1 LP), l'Office peut également proposer aux créanciers de renoncer à faire valoir une prétention de la masse et leur en proposer la cession, aux conditions de l'art. 260 al. 2 LP (VOUILLOZ, in CR LP, 2005, n. 31 ad art. 231 LP).

La cession selon l'art. 260 LP n'est pas une cession au sens des art. 164 ss CO. Il s'agit d'une institution du droit de la faillite et du droit de procédure sui generis qui peut être considérée comme une sorte de "Prozessstandschaft", permettant au cessionnaire d'entamer un procès en son propre nom et pour son propre compte ou de reprendre celui-ci dans les mêmes conditions, sans qu'il devienne pour autant, par la cession, le titulaire de la prétention litigieuse; ne lui est cédé que le droit d'agir à la place de la masse (ATF 140 IV 155 consid. 3.4.4 et les arrêts cités; 139 III 391 consid. 5.1). Ainsi, les créanciers de la masse ne poursuivent pas le recouvrement de créances dont ils sont titulaires, mais de créances du failli qui tombent dans la masse. Ils disposent toutefois d'un droit préférentiel au moment de la répartition du produit du procès (art. 260 al. 2 LP).

Le droit d'obtenir une cession des droits de la masse au sens de l'art. 260 LP est lié ex lege à la qualité d'intervenant du créancier colloqué (ATF 55 III 65 consid. 2; GILLIERON, op. cit., n. 15 ad art. 260 LP) : chaque créancier porté à l'état de collocation a le droit de requérir et d'obtenir la cession des droits de la masse aussi longtemps que sa créance n'a pas été définitivement écartée de l'état de collocation, pour autant qu'il ne soit pas lui-même débiteur de la prétention cédée (ATF 145 III 101 consid. 4.1.1 et 4.2.2.1).

2.4 L'art. 208 al. 1 LP prévoit que l'ouverture de la faillite rend exigible les dettes du failli, à l'exception de celles qui sont garanties par des gages sur les immeubles du failli. En sus du capital, le créancier peut faire valoir l'intérêt courant jusqu'au jour de l'ouverture de la faillite et les frais.

Selon l'art. 211 LP, la réclamation dont l'objet n'est pas une somme d'argent se transforme en une créance de valeur équivalente (al. 1). Toutefois, lorsque la réclamation résulte d'un contrat bilatéral, qui n'est pas encore exécuté au moment de l'ouverture de la faillite ou qui ne l'est que partiellement, l'administration de la faillite peut se charger de l'effectuer en nature à la place du débiteur. Le contractant peut exiger des sûretés (al. 2). Sont réservées les dispositions d'autres lois fédérales relatives à la résiliation des contrats dans le cadre de la faillite ainsi que les dispositions relatives à la réserve de propriété (art. 715 et 716 CC) (al. 3).

2.4.1 La faillite est un mode d'exécution forcée générale : elle réunit tous les actifs du débiteur (art. 197 LP) pour les réaliser (art. 256 à 260 LP) afin de désintéresser tous les créanciers (art. 244 à 251 LP) avec le produit de liquidation, selon un ordre déterminé (art. 219 à 220 LP). Le principal but de la procédure d'exécution générale est de garantir l'égalité de traitement entre les créanciers. Si des pertes doivent être subies, ce qui est généralement le cas, chacun doit les supporter proportionnellement à sa créance. La faillite déploie dès lors ses effets pour tous les créanciers. L'égalité de traitement présuppose des situations identiques ou similaires. Afin de rendre comparables toutes les créances, la loi transforme en argent toutes les créances qui ne sont pas déjà libellées en argent (art. 211 LP), rend exigibles toutes les dettes du failli non encore exigibles (art. 208 LP), arrête le cours des intérêts des créances (art. 209 LP) et limite les possibilités de compensation (art. 213 ss LP) (STOFFEL/CHABLOZ, op. cit., § 9 n. 1, 6 et 7).

La plupart des créances de la faillite (i.e. les créances dont le failli était débiteur au moment de l'ouverture de la faillite) constituent des créances pécuniaires et sont en tout point comparables entre elles. Il en va différemment des obligations du failli de fournir une prestation en nature (par ex. livrer la chose vendue). D'une part, une prestation en nature ne peut pas être réduite proportionnellement comme un dividende de faillite. D'autre part, le failli ne peut plus honorer son obligation, puisqu'il a perdu le droit de disposer de ses biens (art. 204 LP). La loi règle ces difficultés en prévoyant la transformation des créances non pécuniaires en créances d'argent : l'art. 211 al. 1 LP a été édicté afin que les créances qui ne portent pas sur une prestation en espèces puissent être recouvrées dans le cadre de la faillite du débiteur. Le principe de la transformation s'applique aux créances issues de contrats exécutés par le cocontractant. Celui-ci a fourni sa prestation (en général pécuniaire) et aurait, hors faillite, maintenant le droit de toucher la contre-prestation en nature. Ces prestations en nature contre le failli peuvent être notamment la créance de l'acheteur en livraison de la chose achetée (art. 184 CO), la créance du locataire en mise à disposition de la chose louée (art. 256 CO), ou encore la créance en exécution du mandat contre le mandataire (STOFFEL/CHABLOZ, op. cit., § 10 n. 87, 88; JEANNERET, in CR LP, 2005, n. 4 ad art. 211 LP).

La valeur de la créance pécuniaire résultant de cette conversion légale correspond à l'intérêt du créancier à l'exécution de la prestation. Il s'agit donc d'un intérêt positif (JEANNNERET, op. cit., n. 8 ad art. 211 LP et l'arrêt cité). La production de la créance en nature est soumise aux règles de l'art. 232 ch. 2 LP qui dispose que les créanciers du failli doivent produire leurs créances ou revendications dans le mois qui suit la publication de l'ouverture de la faillite. La créance en nature, une fois transformée, sera portée à l'état de collocation conformément aux art. 219 et 220 LP. L'administration de la faillite réduit les prétentions exagérées; d'éventuels litiges doivent être réglés dans la procédure de collocation (art. 250 LP) (JEANNNERET, op. cit., n. 11 ad art. 211 LP; STOFFEL/CHABLOZ, op. cit., § 10 n. 91).

Si l'art. 211 al. 1 LP consacre le principe de la transformation, l'art. 211 al. 2 LP prévoit en quelque sorte une exception générale à ce principe. En effet, ce deuxième alinéa donne à l'administration de la faillite le droit de choisir, en relation avec les contrats bilatéraux, entre une transformation en créance pécuniaire et l'exécution en nature. La décision de l'administration de se charger d'effectuer l'exécution en nature d'une obligation dont l'objet n'est pas une somme d'argent peut être expresse ou résulter d'actes concluants (ATF 107 III 106 consid. 3c; JEANNNERET, op. cit., n. 16 ad art. 211 LP). L'administration ne peut toutefois suivre cette deuxième voie que si le contrat bilatéral (i.e. un contrat liant deux parties qui se doivent chacune une prestation, que ces prestations interviennent dans un rapport d'échange ou non, de façon simultanée ou non) n'est pas encore exécuté ou ne l'est que partiellement au moment de l'ouverture de la faillite. Par ailleurs, l'application de l'art. 211 al. 2 LP n'est envisageable qu'en ce qui concernent les contrats bilatéraux qui subsistent malgré la faillite de l'un des cocontractants (JEANNNERET, op. cit., n. 16, 19 et 23 ad art. 211 LP).

2.4.2 De manière générale, le droit suisse ne contient aucune disposition générale selon laquelle la faillite met automatiquement fin aux contrats auxquels le failli est partie, mais seulement quelques dispositions particulières prévoyant la caducité de certains contrats, voire la possibilité pour l'autre partie de le résilier que l'art. 211 al. 3 LP réserve expressément (arrêt du Tribunal fédéral 4C.252/2005 du 6 février 2006 consid. 5.1 et les références citées).

Le contrat d'assurance figure parmi les contrats qui deviennent caducs de plein droit, par l'effet de la faillite, en vertu du droit matériel : en cas de faillite du preneur d'assurance, l'art. 55 al. 1 LCA prévoit en effet que le contrat prend fin à la date d'ouverture de la faillite (GILLIERON, Poursuites pour dettes, faillite et concordat, 5ème éd. 2012, n. 1742, p. 411). La caducité du contrat étant un effet de la loi, le cocontractant du failli n'a pas droit à des dommages-intérêts. Le contrat prend fin ex nunc. Par conséquent, les prestations déjà échangées subsistent, sous réserve de répétition en cas d'enrichissement illégitime (JEANNERET, op. cit., n. 22 ad art. 211 LP et l'arrêt cité; STOFFEL/CHABLOZ, op. cit., § 10 n. 95).

Certains contrats ne deviennent pas caducs du fait de la faillite, mais peuvent être résiliés par le cocontractant du failli. Tel est notamment le cas du bail à loyer en cas de faillite du locataire (art. 266h CO), du prêt de consommation (art. 316 al. 1 CO) et du contrat de travail (art. 337a CO). Si le cocontractant fait usage de ce droit de résiliation, le contrat cesse de déployer ses effets ex nunc. Les créances nées jusqu'à cette résiliation deviennent des créances de faillite, soumises au régime légal ordinaire, à savoir celui de la production et de la collocation (art. 219, 220, 232
ch. 2 et 244 ss LP) (JEANNERET, op. cit., n. 24 ad art. 211 LP; STOFFEL/CHABLOZ, op. cit., § 10 n. 80 et 95).

2.4.3 S'agissant des contrats bilatéraux qui subsistent malgré la faillite de l'un des cocontractants, la masse peut choisir de poursuivre elle-même les contrats en cours. Cette faculté est prévue expressément par l'art. 211 al. 2 LP lorsque le failli doit fournir une prestation en nature. La jurisprudence a admis qu'elle existait également lorsqu'il doit fournir une prestation en argent, comme c'est le cas pour le locataire, qui est tenu de payer le loyer. La reprise du contrat est une possibilité et non une obligation (arrêt du Tribunal fédéral 4C.252/2005 précité consid. 5.2 et les références citées).

La masse en faillite peut avoir intérêt à maintenir le contrat, afin de recevoir la contre-prestation du cocontractant. Dans un tel cas, elle peut "reprendre" le contrat et l'exécuter en nature à la place du débiteur (on dit dans ce cas que l'administration "entre dans la contrat", qu'elle "prend la place du failli dans le contrat", "se substitue au failli" ou "reprend le contrat à son compte") : l'administration succède alors dans les droits et obligations du failli; le cocontractant, qui cesse d'être le créancier du failli en tant que tel, dispose d'une prétention à l'exécution qui constitue alors une dette de masse (art. 262 al. 1 CO) et non d'une simple créance de faillite (JEANNERET, op. cit., n. 29 ad art. 211 LP).

A l'inverse, la masse peut décider de ne pas exécuter le contrat, auquel cas la créance en nature du cocontractant envers le failli est convertie en une prétention pécuniaire de valeur équivalente (art. 211 al. 1 LP). Celle-ci tombe dans la masse et sera colloquée comme toute autre créance pécuniaire, ouvrant de la sorte la voie à une action en contestation de l'état de collocation au sens de l'art. 250 LP. Le choix d'exécuter le contrat en nature en application de l'art. 211 al. 2 LP ou d'y renoncer relève de la compétence exclusive de l'administration de la faillite. Sa décision en la matière n'est pas une décision sujette à plainte selon l'art. 17 LP (JEANNERET,
op. cit., n. 30 ad art. 211 LP et les arrêts cités).

Dans la majorité des cas, la masse en faillite n'exécutera pas le contrat, celle-ci n'étant jamais tenue juridiquement de le faire. Dans ce cas, les règles générales du code des obligations sur l'inexécution du contrat s'appliquent et le créancier pourra produire sa créance dans le cadre de la faillite. Le cocontractant pourra donc soit maintenir le contrat et produire dans la faillite une créance correspondant à son intérêt à l'exécution du contrat (intérêt positif; art. 107 al. 2 CO, 211 al. 1 LP), soit résoudre le contrat et produire dans la faillite une créance correspondant à l'intérêt négatif (art. 107 al. 2 et 109 CO). En tous les cas, sa créance ne sera honorée qu'à concurrence du dividende de faillite disponible (JEANNERET, op. cit., n. 35-37
ad art. 211 LP et les références cités).

Cependant, en cas de renonciation de la masse à exécuter le contrat, le failli est en droit de l'exécuter lui-même au moyen de ses biens libres (par ex. son salaire), dans la mesure du moins où le cocontractant n'est pas fondé à refuser cette exécution pour un motif de droit matériel. Le failli recouvre son droit d'exécution personnelle dès la renonciation de l'administration et avant même la fin de la procédure de faillite; la renonciation de l'administration porte non seulement sur le droit d'exécution, mais aussi sur la prestation qui en est l'objet. Même si la prestation en faveur du failli consiste en une chose susceptible d'appropriation, elle échappera à la mainmise des créanciers (GILLIERON, Poursuites pour dettes, faillite et concordat, op. cit., n. 1746, p. 412; JEANNERET, op. cit., n. 36 ad art. 211 LP). Il découle de ce qui précède que ce n'est que lorsque ni la masse ni le failli n'exécute le contrat que le cocontractant pourra maintenir le contrat et faire valoir son intérêt positif ou se départir du contrat et faire valoir son intérêt négatif (JEANNERET,
op. cit., n. 37 ad art. 211 LP).

2.5.1 En l'espèce, la plaignante reproche à l'Office d'avoir considéré que la prétention de B______ envers F______ entrait dans la masse active.

Il ressort des explications de la plaignante - non contestées par l'Office - que cette prétention, découlant d'un droit récursoire, n'est pas définie ni exigible, mais seulement future et éventuelle. En effet, l'existence de cette prétention est soumise à l'avènement hypothétique de plusieurs conditions suspensives. Elle nécessiterait, dans un premier temps, la condamnation des propriétaires du navire M/V D______ à payer une somme d'argent - d'un montant indéterminé, compris entre 0 USD et 10'637'177 USD en capital - à F______ et, dans un deuxième temps, la condamnation de la faillie (si tant est qu'elle n'ait pas déjà été radiée du registre du commerce à l'issue de ce premier procès; à noter qu'il ne ressort pas du dossier que les propriétaires du navire disposeraient d'un droit de recours direct contre A______; dans sa plainte, celle-ci s'est limitée à évoquer la possibilité d'une action directe des propriétaires à son endroit, sans étayer cette assertion) à verser une somme d'argent - d'un montant également indéterminé - aux propriétaires du navire. Ce n'est donc qu'à l'issue de cet hypothétique deuxième procès que la quotité de l'action récursoire de la faillie envers F______ pourrait enfin être estimée.

A cela s'ajoute que le fondement juridique (responsabilité contractuelle, acte illicite, autre) de la prétention de F______ contre les propriétaires du navire n'est pas connue (la plaignante a exposé qu'elle ne disposait pas des informations pertinentes à ce sujet, faute d'être partie au procès opposant ces derniers). De plus, ainsi que l'a relevé l'Office, il ne résulte pas du dossier que la prétention émise par F______ serait liée à une mauvaise exécution du contrat de sous-affrètement par la faillie, puisque F______ n'a produit aucune créance dans la faillite de B______ - à l'instar des propriétaires du navire. Dans ces circonstances, l'on peine à discerner quel serait l'objet et la portée d'un (éventuel) droit de recours de B______ à l'encontre de F______, en lien avec le dommage dont celle-ci serait fondée à obtenir réparation de la part des propriétaires du navire.

En définitive, compte tenu de son caractère aléatoire, la prétention récursoire dont la plaignante sollicite la cession ne constitue pour la faillie qu'un actif conditionnel purement hypothétique. Il s'agit d'une expectative incertaine dont la valeur de réalisation ne peut pas être déterminée, que ce soit à la date d'ouverture de la faillite ou à ce jour. L'Office a d'ailleurs relevé, dans son rapport explicatif du 23 octobre 2020, qu'il n'était pas en mesure d'estimer la valeur de cette prétention. En conséquence, le droit de recours de B______ contre F______, fondé sur le contrat de sous-affrètement du 13 juin 2016, ne saurait être assimilé à un droit patrimonial de la faillie soumis à l'exécution forcée, qu'il y aurait lieu d'inventorier. Faute d'entrer dans la masse active, cette prétention n'est pas susceptible d'être réalisée selon les art. 256 LP ss ni de faire l'objet d'une cession selon l'art. 260 LP.

Il suit de là que la décision attaquée, qui part de la prémisse erronée que l'action récursoire de la faillie contre F______ est un actif de la masse, est mal fondée.

2.5.2 La plaignante fait valoir qu'en application de l'art. 82.1(b) CG, l'assuré
(i.e. la faillie) doit prendre toutes les mesures utiles pour minimiser tout dommage que l'assureur (i.e. A______) serait tenu d'indemniser en vertu du contrat d'assurance du 2 février 2016. Elle relève que cette obligation contractuelle inclut le devoir de l'assuré de préserver tout droit de recours contre les tiers (in casu l'éventuel droit de recours de la faillie contre F______ en vertu du contrat de sous-affrètement), à hauteur des prestations d'assurance versées, l'assureur étant subrogé dans les droits de l'assuré à due concurrence, conformément à l'art. 84 CG. Se référant à l'avis de droit du 29 juillet 2020, elle souligne que la faillite de B______ pourrait faire obstacle à une telle subrogation, dans la mesure où la société risque de cesser d'exister avant que A______ n'ait à prester en vertu du contrat d'assurance et/ou de la garantie émise le 23 mars 2017. C'est dans le but de pallier ce risque que A______ avait demandé à l'Office de lui céder l'action récursoire de B______ envers F______ à titre gratuit. Dans sa réplique spontanée du 9 novembre 2020, la plaignante a ajouré qu'il "y avait lieu de rappeler à l'Office que [cette action récursoire] n'est pas un actif au sens de la LP et de lui ordonner d'exécuter l'obligation contractuelle de la faillie résultant de [l'art. 82.1(b) CG]".

Il résulte de ce qui précède que la plaignante entend obtenir de l'Office qu'il exécute le contrat la liant à B______ - contrat qui continue à déployer des effets au-delà de l'ouverture de la faillie, dans le mesure où A______ pourrait être tenue, à l'avenir, de verser des prestations d'assurance en faveur de la faillie, en lien avec le sinistre annoncé par F______ (à savoir l'impossibilité de décharger le navire M/V D______ en Egypte, pour suspicion d'avarie de la cargaison de soja jaune, et la nécessité de transporter la marchandise en Espagne où elle a été revendue à perte) - en lieu et place de la faillie, ainsi que le prévoit l'art. 211 al. 2 LP. En d'autres termes, A______ demande à ce que l'administration de la faillite entre dans le contrat d'assurance du 2 février 2016 et qu'elle fournisse la prestation (de nature non pécuniaire) découlant de l'art. 82.1 CG, en signant une convention stipulant que le droit récursoire de la faillie envers F______ lui est cédé sans contrepartie.

Dans la mesure où la reprise du contrat par la masse est une possibilité et non une obligation (cf. supra consid. 2.4.1 et 2.4.3), il incombe à l'administration de la faillite, en l'occurrence à l'Office, de décider soit de reprendre le contrat à son compte (dans le but de bénéficier de la contre-prestation due à la faillie par A______, soit des prestations d'assurance liées au sinistre annoncé par F______) soit d'y renoncer. Cette décision - qui doit être prise dans l'intérêt bien compris de la masse - relève de la compétence exclusive de l'administration de la faillite, de sorte que la Chambre de surveillance n'est pas habilitée à opérer ce choix à sa place. En outre, il ne ressort pas du dossier que l'Office aurait déjà pris une décision à ce sujet, que ce soit expressément ou par actes concluants, ce que la plaignante ne soutient du reste pas. L'Office étant parti du principe que la prétention récursoire contre F______ devait être réalisée selon les art. 256 ss LP, il n'a en effet pas examiné la question sous l'angle de l'art. 211 LP.

A titre préalable, l'Office devra s'assurer que la faillite de B______ n'a pas eu pour effet d'entraîner la caducité du contrat d'assurance, avec effet ex nunc à la date d'ouverture de la faillite, à l'instar de ce que prévoit l'art. 55 al. 1 LCA en droit suisse (cf. supra consid. 2.4.2). En effet, dans un tel cas, une reprise du contrat par la masse n'entre pas en considération. Il s'agira de trancher cette question à l'aune des documents contractuels et du droit applicable au contrat d'assurance, à savoir le droit norvégien - dont le contenu devra être établi en premier lieu par la plaignante, tâche qu'elle est mieux à même d'effectuer que l'Office.

En prenant sa décision, l'Office devra être guidé par la mission qui lui échoit de défendre les intérêts de la masse, ce qui implique, en particulier, de maximiser le dividende obtenu par les créanciers et de limiter les dettes de masse, afin de pouvoir affecter la plus grande part possible du produit de réalisation au désintéressement des créanciers; il devra également veiller à ne pas causer de dommage susceptible d'engager la responsabilité du canton. Au vu de la complexité du cas et des enjeux en présence, l'Office pourra, s'il l'estime nécessaire, s'entourer des conseils d'un mandataire professionnel spécialisé en droit commercial international et/ou en droit international de la faillite (cf. supra consid. 2.2.2, 3ème § in fine). Si ce n'est déjà fait, il serait judicieux que l'Office consulte l'administrateur de la faillie, C______, afin de recueillir ses déterminations et remarques à ce sujet.

Dans l'hypothèse où il décidait d'exécuter le contrat, il appartiendra à l'Office
(en sa qualité d'administration de la faillite) d'établir et de conclure une convention de cession avec la plaignante (sans frais pour celle-ci), stipulant, en référence aux art. 82 ss CG, que la masse cède à A______ l'ensemble des droits de la faillie contre F______, fondés sur le contrat de sous-affrètement (y compris la faculté de faire valoir ces droits en justice, aux frais de A______), en relation avec le sinistre annoncé par F______, dans la mesure des prestations d'assurance que A______ pourrait être tenue de verser pour le compte de la faillie, en vertu du contrat d'assurance et/ou de la garantie du 23 mars 2017 (le but étant de préserver le droit de subrogation de A______ dans les droits de B______ contre F______, dans l'éventualité où la faillie aurait cessé d'exister le jour où A______ devra prester). Cette convention devra respecter le cadre légal fixé par la LP, de sorte qu'elle ne saurait contenir une clause de confidentialité opposable à la masse (ce qui serait contraire à l'art. 8a LP), pas plus qu'elle ne saurait prévoir l'application du droit anglais et/ou une élection de for en faveur des tribunaux anglais (l'on ne saurait contraindre la masse à mener/subir un procès à l'étranger à ses frais, ni à se soumettre à un droit étranger). Quant à l'obligation de la faillie de "collaborer à l'occasion de tout procès afin d'en favoriser l'issue", telle qu'évoquée par A______ dans son courriel du 10 septembre 2019 (cf. supra EN FAIT, let. B.e), l'on peut certes attendre de l'Office qu'il autorise la plaignante à consulter ses registres et à en lever copie, aux frais de la masse, dans la mesure utile pour exercer l'action récursoire contre F______. Cela étant, vu les impératifs liés à la procédure de faillite, l'on voit mal que la masse puisse s'engager à autre chose que de permettre à A______ d'accéder au dossier de faillite, ainsi que le prévoit l'art. 8a LP, et de ne rien faire qui puisse entraver la plaignante dans l'exercice du droit récursoire contre F______.

Dans l'hypothèse où l'Office décidait de renoncer à exécuter le contrat d'assurance, la plaignante aura la possibilité d'en obtenir l'exécution par la faillie elle-même, par l'intermédiaire de ses organes sociaux (cf. supra consid. 2.2.3 et 2.4.3). En effet, B______ - qui continue d'exister jusqu'à sa radiation du registre du commerce - sera en droit d'exécuter personnellement la prestation découlant de l'art. 82.1 CG et, sur cette base, de conclure une convention de cession en faveur de sa cocontractante. Faute d'exécution par la faillie, la plaignante aura alors la possibilité de produire sa créance dans la faillite, conformément à l'art. 211 al. 1 LP.

2.5.3 Au vu des considérations qui précèdent, la plainte sera admise partiellement : la décision attaquée sera annulée et l'Office sera invité à procéder dans le sens des considérants de la présente décision.

La plainte sera rejetée pour le surplus.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP; art. 61 al. 2 let. a OELP) et ne donne pas lieu à l'allocation de dépens (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 14 septembre 2020 par A______ (BERMUDA) LTD contre la décision rendue le 2 septembre 2020 par l'Office cantonal des faillites dans la faillite de B______, EN LIQUIDATION.

Au fond :

Annule cette décision.

Invite l'Office cantonal des faillites à procéder dans le sens des considérants de la présente décision (cf. consid. 2.5.2).

Rejette la plainte pour le surplus.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Natalie OPPATJA et
Monsieur Mathieu HOWALD, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

La présidente :

Nathalie RAPP

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l'art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.