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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1469/2024

JTAPI/1214/2024 du 11.12.2024 ( LDTR ) , ADMIS

Descripteurs : LOGEMENT DE LUXE;TRAVAUX SOUMIS À AUTORISATION
Normes : LDTR.10.al2.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1469/2024 LDTR

JTAPI/1214/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 décembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par BESSON, DUMONT, DELAUNAY & CIE SA, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Le 10 octobre 2023, la régie ______ a déposé une requête en autorisation de construire portant sur la rénovation d'un appartement situé au 2ème étage d'un immeuble érigé sur la parcelle n° 1______ de la commune de B______, sis ______[GE], en zone 2, qui a été enregistrée sous APA 2______.

2.             Dans le cadre de l’instruction de cette demande, les préavis suivants ont notamment été émis :

-               Le 23 octobre 2023, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) a rendu un préavis favorable sous conditions, notamment le maintien et la restauration soignées des éléments caractéristiques et dignes de protection au sens de l’art. 83 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), ainsi qu’une cohérence dans le choix du revêtement de la cuisine et un assainissement des fenêtres en conformité aux bonne pratiques dans les bâtiments protégés, rappelant que le bâtiment se trouvait dans la zone protégée « secteur sud des anciennes fortifications » ;

-               Le 22 mars 2024, l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après: l'OCLPF) a rendu un préavis favorable sous conditions, fixant notamment le loyer de l'appartement de 9 pièces après travaux au montant de CHF 79'371.- par an, soit CHF 8’819.- la pièce par an, sur une durée de trois ans.

3.             Le 7 mars 2024, Monsieur A______ est devenu propriétaire, par pacte successoral, de l’appartement précité.

4.             Par décision du ______ 2024, le département du territoire (ci-après : DT ou le département) a délivré l'autorisation de construire sollicitée, intégrant notamment les conditions contenues dans le préavis de l’OCLPF du 22 mars 2024 et fixant ainsi le loyer de l'appartement après travaux au montant de CHF 79'371.- par an, soit CHF 8’819.- la pièce par an, sur une durée de trois ans.

5.             Par acte du 30 avril 2024, sous la plume de la régie, M. A______ (ci-après : le recourant) a formé recours à l'encontre de cette décision par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant préalablement au retrait de l’effet suspensif sous réserve du ch. 7 de la décision et principalement à l’annulation de l’APA 2______/1 en ce qu’elle prononce le contrôle du loyer du logement après travaux.

Il était difficile de retenir que l'appartement objet du présent litige correspondait effectivement aux besoins prépondérants de la population que la LDTR visait à maintenir dans le marché locatif à des loyers abordables. En effet, le loyer avant travaux fixé par l'autorité dans sa décision litigieuse était de CHF 7'702.00.- la pièce, soit plus de deux fois plus élevé que la limite supérieure fixée dans l'ArRLoyers. Pire, le loyer après travaux avait été fixé à CHF 8’819.00 la pièce, soit juste en-dessous du seuil des 2,5 fois la limite supérieure des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population. Cela signifiait très clairement que, même durant la période de contrôle, le loyer serait déjà situé très au-dessus des moyens de l'immense majorité de la population genevoise. Ce d'autant plus que le loyer avant travaux de CHF 7'702.00.- la pièce avait été fixé sur la base d'un calcul de rendement qui retenait un prix d'acquisition de CHF 1’412’339.00.-. Or, suite au partage de la succession qui avait eu lieu en mars 2024, le nouveau prix d'acquisition qui devrait être pris en compte était celui figurant dans le partage successoral, soit CHF 4’310'000.00.-, ce qui, conformément à l'art. 10 al. 2 let. b LDTR sortirait très nettement le loyer des besoins prépondérants de la population, et du contrôle dans la mesure où il serait supérieur de plus de 2,5 fois à la valeur maximale des loyers correspondant aux BPP prévus dans l'ArRLoyers.

Dans tous les cas, l'article 10 al. 2 let. b LDTR prévoyait également que le département renonçait à la fixation des loyers prévue en cas de transformation d'un appartement (art. 10 al. 1 LDTR) lorsque cette mesure apparaissait disproportionnée, notamment lorsque les logements à transformer étaient des logements de luxe. Ainsi, la légitimité de la fixation du loyer dans la décision litigieuse dépendait de savoir si l'appartement concerné devait être considéré comme un appartement de luxe ou non. Il s'agissait d'une notion indéterminée qui avait été précisée par la jurisprudence. Ainsi, pour être qualifié de luxueux, le logement devait avoir six pièces au moins, cuisine non comprise, c'est-à-dire à Genève sept pièces ou plus ; avoir des surfaces inhabituellement grandes ; avoir des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire, ces conditions étant cumulatives. Le Tribunal fédéral avait relevé que la notion de logement luxueux devait être interprétée de manière restrictive et qu'elle supposait que la mesure habituelle du confort était clairement dépassée ; l'impression générale était décisive à ce sujet.

En l'espèce, les trois conditions cumulatives étaient clairement remplies pour le logement objet du présent litige.

Premièrement, celui-ci disposait de 9 pièces, ce qui n'était pas remis en cause par le département.

Deuxièmement, selon l'article 1 al. 5 et 6 du règlement d'exécution de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 24 août 1992 (RGL - I 4 05.01), la surface minimum pour un logement de 9 pièces devait être de 99 m2. Or, la surface nette de l'appartement litigieux était de plus de 279 m2, soit pratiquement le triple de la surface minimum requise pour un logement de 9 pièces. De plus, la surface brut moyenne des pièces était de 31 m2, les pièces d'accueil et de réception mesurant à elles seules 133 m2, soit plus d'un tiers de la surface du logement. Le caractère particulièrement spacieux ne pouvait également pas être nié.

Troisièmement, l'immeuble se situait dans le quartier C______ et faisait partie d'une zone protégée, Il s'agissait d'un immeuble cossu dont la façade donnait tout de suite l'impression de somptuosité. L'appartement en lui-même dégageait cette même impression, ses caractéristiques, notamment les cinq cheminées en marbre, les moulures, les boiseries, les grandes fenêtres offrant une bonne luminosité, ainsi que sa hauteur sous plafond particulièrement imposante étaient d'autant d'éléments qui permettaient de déterminer qu'il s'agissait bien d'un appartement luxueux. La condition d'impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire était donc également remplie dans le cas d'espèce. Enfin, la détermination du SMS dans son préavis demandant le maintien et la restauration soignée des éléments caractéristiques et dignes de protection des boiseries, des parquets, des plafonds avec corniches moulurées, des portes et des armoires à panneaux, des cheminées, des fenêtres, de la porte palière, etc. confirmait, si besoin était, les éléments particulièrement riches qui ornaient cet appartement et qui démontraient son caractère luxueux.

Le recourant a produit un chargé de pièces contenant notamment un plan et des photographies de l’appartement litigieux, de même que le pacte successoral du 7 mars 2024.

6.             Par courrier du 3 mai 2024, le tribunal a invité le recourant à faire établir et lui faire parvenir un rapport d'une historienne ou d'un historien de l'architecture au sujet des intentions du constructeur de l'immeuble et des catégories sociales auxquelles il était destiné. Ce rapport devrait en outre mentionner les qualités architecturales et patrimoniales de l'immeuble, respectivement de l'appartement en cause, ainsi que des indications sur l'historique du quartier à la date de la construction de l'immeuble.

7.             Le 31 mai 2024, le recourant a transmis un rapport de Madame D______, historienne de l’art et de l’architecture, portant la date du mois de mai 2024. En substance, les éléments historiques et matériels de l'immeuble, sis ______[GE], témoignaient des bâtiments de haut standing édifiés durant la deuxième moitié du siècle par et pour des familles importantes dans la Genève de l'époque. Il faisait partie de la ceinture urbaine, dite ceinture fazyste, qui s'était développée à la suite de la démolition des fortifications qui enserraient la Vieille-Ville. Le propriétaire constructeur, comme ceux au début du XXème siècle, avait habité des appartements de cet immeuble, parfois en alternance avec leur propriété de campagne durant la période estivale. Le langage architectural appliqué aux trois façades soulignait le soin apporté à la mise en valeur du volume. Un souci de l'ornementation et de l'agencement qui se retrouvait dans les appartements : un par étage, des pièces de réception en enfilade, une distinction entre les parties de sociabilité de vie et de service encore bien perceptibles. Autant d'éléments qui faisaient de cet immeuble et de ces appartements des témoins des logements recherchés par les plus hautes catégories sociales, et ce dès sa construction.

8.             En date du 17 juin 2024, le tribunal a procédé à un transport sur place en présence du TAPI et des parties. Ses constatations au sujet des matériaux présents dans l'immeuble et l'appartement, ainsi que sur les éléments décoratifs, relèvent des commentaires émis par les juges assesseurs spécialisés qui ont participé au transport sur place.

a)             Pénétrant dans le hall d'entrée de l'immeuble, le tribunal a constaté la présence au sol, avant l'escalier, d'une mosaïque de six couleurs, puis d'un escalier en pierre naturelle bordé des deux côtés d'une rambarde en bois soutenue par des piliers en fonte. La hauteur sous plafond à l'entrée de l'immeuble était d'environ 4,5 mètres à 5 mètres de haut et la porte d'entrée avait une hauteur d'environ 3,50 mètres de haut, voire légèrement supérieure.

Cette porte semblait être en chêne et les rambardes d'escalier probablement en noyer. Le hall d'entrée était également pourvu de nombreuses moulures qui constituaient des sortes de panneaux.

b)             Au sommet de l'escalier, la deuxième porte était encadrée par des pilastres. Le bas de la cage d'escalier était également constituée d'un sol en mosaïque de six couleurs, d'une surface d'environ 15 m2, possiblement de style vénitien. Une photographie numérotée 1 a été prise de cette mosaïque et de la montée d'escalier à l'entrée de l'immeuble.

c)             Dans le hall d'entrée de l'appartement, le tribunal a constaté que la pièce était un peu défraîchie. Au sol était posé un parquet en chêne disposé en fougère. La régie a mentionné le fait que la dernière propriétaire était décédée à l'âge de 102 ans et que les travaux d'entretien n'avaient pas été faits régulièrement durant les dernières années.

d)             La visite a été organisée selon le plan figurant dans le chargé de pièces du recourant, commençant par la chambre n° 1 se trouvant sur la gauche de l’entrée puis effectuant dans le sens horaire un tour des pièces disposées tout autour du hall d’entrée.

e)             Se déplaçant du côté de la pièce de la chambre n°1, le tribunal est passé devant un petit WC ainsi qu'une petite salle de bain d'environ 4 m2 adjacente. Les installations étaient très simples et ne témoignaient d'aucun luxe particulier.

f)              La chambre n° 1 était dans un état très vétuste. Le sol était constitué d'un plancher standard en lames de sapin qui avait été recouvert depuis lors d'une moquette. La pièce était pourvue d'une penderie à trois portes d'environ 2,5 mètres de haut. Face à la fenêtre se trouvait une cheminée en marbre à côté de laquelle se trouvait un radiateur en fonte. La fenêtre, qui avait été déposée, était en chêne. Elle avait été doublée d'une deuxième fenêtre à des fins d'isolation.

g)             Dans la chambre n° 2, le tribunal a constaté la présence de fenêtres en chêne également doublées ainsi que la présence d'un lavabo. Le représentant de la régie a expliqué qu'il s'agissait de la pièce médicalisée de l'ancienne propriétaire, d'où la présence du lavabo. D'après le représentant de la régie, le sol, entièrement recouvert de moquette, était également constitué de lames de sapin.

h)             La cuisine était recouverte actuellement d'une double couche de linoléum sous laquelle se trouvait un carrelage qui n'était pas d'origine. La pièce était pourvue d'une grande hotte qui avait vraisemblablement été posée à des fins purement décoratives. Elle était également pourvue de placards, armoires s'ouvrant par trois portes d'une hauteur de 3,5 mètres. On trouvait encore contre un mur un appareil permettant d'appeler dans les différentes pièces (correspondant à la photographie n° 2 prise durant le transport sur place). L'état de la cuisine était assez vétuste. Il y avait des trous au plafond suite à l'arrachage du néon. Les meubles de cuisine en zinc étaient extrêmement simples, voire très vétustes. Le carrelage qui était collé au mur au-dessus avait été enlevé afin d'effectuer des sondages, d'après le représentant de la régie, mais aussi à des fins de désamiantage. Dans la cuisine, les fenêtres étaient également en chêne.

i)              La pièce décrite sur le plan comme buanderie était sans particularité, sinon la présence au sol d'un carrelage des années 30. Cette pièce était munie d'un passe-plat communiquant avec la salle à manger.

j)              Dans la salle à manger, le tribunal a constaté que le passe-plat communiquait horizontalement d'une pièce à l'autre et non pas d'un étage à l'autre. Dans la salle à manger, l'emplacement du passe-plat avait été condamné. À la place, une niche vitrée avait été créée. Il fallait noter le caractère remarquable des moulures qui relevaient apparemment du travail d'un staffeur professionnel. Le sol était un plancher de chêne assemblé en carreaux. La pièce bénéficiait de trois baies vitrées sur les deux façades d'angles de l'immeuble côté boulevard C______ et était en outre pourvue de cimaises hautes.

k)             Le tribunal a constaté la présence, à côté de l'ancienne buanderie, d'un petit WC dans lequel la cuvette avait été retirée. Le sol était constitué de grandes tommettes très abîmées.

l)              La pièce de séjour était pourvue de deux communications, l'une donnant dans le hall de distribution et l'autre dans la pièce bibliothèque. Ces deux passages étaient constitués de portes à deux battants d'une hauteur d'environ 2,5 mètres et la pièce était pourvue en outre d'armoires hautes. Toutes les portes étaient moulurées, aussi bien celles de communication que celles des placards. Le centre du plafond dans cette pièce ne disposait pas d'une rosette.

m)          Dans la pièce mentionnée en tant que séjour 1, le sol était aussi constitué de chêne disposé en damier. Cette pièce disposait d'une cheminée en marbre noir et vraisemblablement d'origine en excellent état. Après vérification plus attentive, le tribunal s'est demandé si le matériau de la cheminée n'était pas une pierre recouverte de laque noire. Les moulures au plafond étaient plus simples dans cette pièce. Face à la fenêtre donnant sur le boulevard C______ se trouvait également une communication sur le hall de distribution à l'aide d'une porte à deux battants.

n)             Se déplaçant dans le séjour 2 par une porte de communication à deux battants, le tribunal a constaté que la pièce disposait de moulures vraisemblablement réalisées par des artisans, ainsi que d'une rosette au centre de la pièce également réalisée par un artisan. Le sol était constitué d'un plancher mélangeant chêne et ébène en damier. La pièce disposait de trois ouvertures vers l'extérieur sur les deux façades d'angle de l'immeuble, ainsi que d'une cheminée en marbre blanc qui était vraisemblablement d'origine. L'intérieur de la cheminée était habillé de panneaux en cuivre repoussé. La cheminée était surmontée d'un grand miroir encadré d'un travail de moulures en staff sur bois (correspondant à la photographie n° 3 prise durant le transport sur place). Cette pièce était également décorée d'une cimaise sur son pourtour à environ 60 centimètres de haut. Les cimaises étaient moulurées. Plus globalement, la visite permettait de constater les apports techniques qui s’étaient succédés au fil du temps, tel que l'apport de l'électricité, tandis que les matériaux d'origine étaient demeurés, à l'exception de quelques détails comme le sol de la buanderie ou, vraisemblablement, la création du WC d'entrée dans ce qui devait être une ancienne armoire.

o)             Dans la chambre 3, les moulures faisant le tour du plafond étaient également de facture plus simple que dans le séjour. Le plancher était constitué de chêne disposé en damier. La pièce disposait de deux grandes armoires s'ouvrant à l'aide de deux portes à double-battant. Une troisième armoire avait probablement été réalisée dans ce qui était précédemment l'espace de communication avec le hall de distribution. Cette pièce disposait d'une seule fenêtre en direction de la place F______, face à laquelle se trouvait une cheminée en marbre noir veiné d'ocre, là aussi surmontée d'un grand miroir encadré de moulures réalisées par un artisan.

p)             La chambre 4 disposait d'un petit balcon. Le plancher était en sapin ordinaire disposé en lames parallèles. On pouvait mentionner, sur le mur opposé à la fenêtre, la présence d'ouvertures pour la lumière de la pièce située de l'autre côté. La pièce disposait d'une armoire s'ouvrant par des portes à deux battants. Les fenêtres étaient là aussi en chêne et avaient été doublées. Le plafond de la pièce était mouluré de façon ordinaire. Le tribunal a relevé le caractère vétuste de la pièce au niveau des peintures et du plâtre du plafond.

q)             Dans la chambre 5, le sol était recouvert de lames de chêne disposées en fougère. La pièce disposait d'une grande armoire s'ouvrant par deux portes simples. Dans l'angle de la pièce se trouvait une cheminée en marbre brun-rouge foncé vraisemblablement d'origine. On pouvait signaler sur le pourtour du plafond une moulure ordinaire, mais l'absence de rosace dans cette pièce.

r)              La salle de bain située en face, de l'autre côté d'un petit passage, avait vraisemblablement été réalisée dans les années 1950. Les appareils de la salle de bain étaient tout à fait ordinaires, ainsi que les carreaux au sol et aux murs.

s)             La longue pièce d'entrée était suivie par un hall de distribution au centre duquel se trouvait une rosette réalisée par un artisan staffeur. Les pourtours du plafond de ce hall étaient pourvus d'une corniche ordinaire. L'un des juges assesseurs relevait que toutes les portes du logement étaient les portes d'origine à panneau plein, hormis une ou deux portes concernant par exemple les petites salles de bain. Le tribunal a constaté, par une fenêtre située dans le hall d'entrée et ouverte sur l'intérieur de l'immeuble, la présence d'un escalier de liaison entre cet appartement et l'étage supérieur qui devait peut-être permettre la communication avec les logements du personnel de maison. Il s'agissait simplement d'une hypothèse. Il pourrait également s'agir d'un escalier d'accès à des greniers.

9.             Par courrier du 24 juin 2024, le tribunal a informé le département qu'à la suite du transport sur place, le juge assesseur architecte avait effectué une recherche et indiqué au tribunal que la cheminée d'abord considérée comme du marbre noir, puis peut-être comme de la pierre recouverte de laque, semblait en réalité être plutôt une pierre noire dite de Belgique, au sujet de laquelle une référence internet était indiquée au département. Sauf à ce que ce dernier conteste cette information, le tribunal considérerait qu'il s'agissait d'un fait établi.

10.         Dans ses observations du 2 juillet 2024, le département a conclu au rejet du recours.

S’il fallait certes admettre que l'appartement concerné présentait certains atouts, à savoir un nombre de pièces supérieur à sept, une surface totale importante et quelques éléments décoratifs, il n'en demeurait pas moins que ces éléments ne sauraient à eux seuls lui conférer le caractère de luxueux, aucune impression générale de luxe ne se dégageant de lui. En effet, ainsi que l'OCLPF l'avait relevé dans son préavis du 22 mars 2024, la surface des chambres et de la cuisine n'était pas particulièrement importante. Le hall d'entrée se présentait comme un couloir élargi d'une largeur de 2.48m, asymétrique et peu lumineux, l'entrée du logement était unique, sans porte de service et les trois pièces qui faisaient face à la rue G______ étaient en enfilade. Les salles d'eau étaient en outre de taille modeste, aucune salle de bain n'était privative. Lors du transport sur place, le tribunal avait en outre constaté que le hall d'entrée était défraîchi. S'agissant des sanitaires, le petit WC et la petite salle de bain comportaient des installations très simples et ne témoignaient d'aucun luxe particulier. Les appareils de la seconde salle de bain étaient quant à eux tout à fait ordinaires, à l'instar des carreaux au sol et aux murs. Les sanitaires n’étaient également clairement pas en surnombre. La cuisine ne présentait en outre aucune particularité. Le tribunal avait d'ailleurs eu l'occasion de constater que le carrelage n'était pas d'origine et que le plafond faisait état de trous. Les meubles de la cuisine en zinc étaient extrêmement simples, voire très vétustes, comme la pièce en général. Le sol des chambres nos 1 et 2 était habillé de moquette posée directement sur du plancher standard en lames de sapin et la chambre n° 4 disposait d'un plancher en sapin ordinaire. Pour la plupart des chambres, le tribunal avait constaté leur caractère très vétuste. Le tribunal avait également relevé que la pièce décrite comme buanderie était sans particularité. Au vu des éléments relevés ci-dessus, le transport sur place avait clairement permis de constater que l'agencement intérieur des pièces était pour l'essentiel standard et sans particularité. Malgré quelques éléments de décoration d'un niveau supérieur, l'appartement ne dégageait dans son ensemble aucune impression de somptuosité ni ne comportait d'éléments de commodité hors du commun. Quant aux éléments extérieurs à l'appartement, l'entrée de l'immeuble comportait certes de la mosaïque, mais elle restait toutefois modeste. L'escalier était en outre recouvert d'une pierre qui n'était pas de marbre. Enfin, le transport sur place avait permis de constater que les fenêtres et balcons n'offraient aucune vue hors du commun.

À supposer que cet appartement avait, à l'origine, été conçu comme un appartement présentant un certain degré de luxe, il s'avérait, au vu de son état actuel, qu'il en avait perdu les qualités avec les années, ce qui expliquait qu'il présente des qualités contrastées. Ces contrastes contredisaient d'ailleurs toute impression générale de somptuosité qu'il pourrait laisser.

11.         Par réplique du 25 juillet 2024, le recourant a persisté dans ses conclusions.

Mme D______ indiquait dans son rapport que le quartier C______ s’était créé suite à la démolition des fortifications, et les terrains alors mis aux enchères avaient séduit une clientèle aisée. L’immeuble concerné s’inscrivait plus dans le schéma des hôtels particuliers plutôt que dans la catégorie des immeubles locatifs. Les pièces de réception communiquaient entre elles par un jeu de portes formant une enfilade dans la tradition des hôtels particuliers. Les espaces de sociabilité, vie privée et vie domestique étaient également bien différenciés. Elle précisait encore que l’appartement répondait aux codes de l’ornementation de la fin du XIXème pour les édifices de haut standing destinés au logement. Il découlait donc de ce rapport que l’appartement et l’immeuble en général, depuis sa construction, étaient expressément destinés à séduire une clientèle aisée en lui offrant un cadre prestigieux.

Le tribunal avait pu constater notamment les mosaïques, la hauteur sous plafond, un tableau d'appel pour domestique, les nombreuses moulures ou rosettes qui relevaient d’un staffeur professionnel, les planchers d’origine ainsi que les cheminées et leurs miroirs. Il ne faisait aucun doute que le logement avait été conçu dès sa construction comme un objet de luxe. Certes en raison du fait que l’ancienne propriétaire y avait vécu jusqu’à son décès à l’âge de 102 ans, certaines pièces n’avaient pas bénéficié d’un entretien récent, car elle n’était plus en mesure de les réaliser. Cela étant, le caractère luxueux du logement résidait avant tout dans des aspects qui demeuraient entièrement valables à ce jour. La Cour de Justice avait d’ailleurs déjà reconnu la caractère luxueux d’un logement passablement dégradé.

12.         Par duplique du 20 août 2024, le département a persisté intégralement dans ses conclusions.

Le recourant se limitait à reprendre les termes de l’expertise privée qu’il avait produite ainsi que des extraits du procès-verbal du transport sur place. Les résultats de l’expertise privée devaient être relativisées puisque de jurisprudence constante, celle-ci ne constituait qu’un simple allégué. On ne voyait pas en quoi le caractère remarquable des moulures, du plancher en chêne ainsi que des cheminées en marbre donnait une impression de somptuosité. Le recourant n’apportait au contraire aucun élément de nature à contredire le caractère standard de l’agencement intérieur, ainsi que celui fonctionnel et banal de la cuisine et des pièces d’eau, comme constaté par le tribunal. De plus, même si certaines pièces disposaient de parquet en chêne, la plupart des pièces se composaient d’un parquet en sapin ordinaire. Alors même que l’on pourrait considérer le logement comme luxueux au moment de la conception, il n’en demeurait pas moins qu’il avait perdu cette qualité, puisque de l’aveu même du recourant, l’appartement se trouvait aujourd’hui dans un état dégradé et ne présentait aucun agencement ou élément de nature à lui conférer ce statut.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Préalablement, le recourant a demandé le retrait de l’effet suspensif, sous réserve du ch. 7 de l’autorisation de construire concernant le prix du loyer.

En l’espèce, au vu du jugement rendu ce jour, cette demande sera déclarée sans objet.

4.             Les parties s'accordent sur le fait que l'objet du litige concerne uniquement le caractère luxueux ou non de l'appartement qui doit faire l'objet des travaux. En effet, l'art. 10 al. 2 let. b LDTR prévoit que le département renonce à la fixation des loyers prévue en cas de transformation d'un appartement (art. 10 al. 1 LDTR) lorsque cette mesure apparaît disproportionnée, notamment lorsque les logements à transformer sont des logements de luxe.

Par conséquent, la légitimité de la fixation du loyer dans les décisions litigieuses dépend de savoir si l'appartement concerné doit être considéré comme un appartement de luxe.

5.             Cette notion juridique indéterminée a été précisée par la jurisprudence. Ainsi, pour être qualifié de luxueux, le logement doit avoir six pièces au moins, cuisine non comprise, c'est-à-dire à Genève sept pièces ou plus, des surfaces inhabituellement grandes, des éléments donnant une impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire. Il s'agit de conditions cumulatives. Exceptionnellement, un logement peut être luxueux même s'il a moins de sept pièces. C'est notamment le cas, si d'un point de vue esthétique et historique, le logement est considéré comme luxueux (il est donc possible de s'écarter de la notion stricte de logement de luxe de droit fédéral et fixer ainsi une notion plus adaptée aux circonstances). Un logement ancien peut être luxueux s'il a été conçu comme tel et qu'il est correctement entretenu (ATA/441/1997 du 5 août 1997 consid. 6). Un logement peut être luxueux, quel que soit le quartier où il se trouve et même si une partie de l'immeuble comprend des locaux commerciaux de bureaux. Il faut prendre en considération le logement en tant que tel, et non le type ou le style de locataires qui occupent l'immeuble (ATA/214/2003 du 15 avril 2003 consid. 5). Dès lors, un logement peut être luxueux même s'il est mal situé géographiquement, avec une vue et une luminosité ambiante réduites (ATA 89.TP.145 consid. 6d). Par ailleurs, des éléments extérieurs à l'appartement lui-même peuvent lui conférer un caractère luxueux s'ils le valorisent. C'est le cas de la vue sur le jet d'eau et la rade de Genève (ATA/214/2003 précité consid. 5 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit. p. 277 et 278).

6.             De manière plus générale, le Tribunal fédéral a relevé que la notion de logement luxueux doit être interprétée de manière restrictive et qu'elle suppose que la mesure habituelle du confort est clairement dépassée, l'impression générale étant décisive à ce sujet. De même, la notion de luxe peut évoluer avec le temps : un objet luxueux à l'origine peut perdre cette qualité au fil du temps, tandis qu'un logement ordinaire peut entrer dans la catégorie des objets de luxe en fonction des rénovations et des transformations qui y ont été réalisées par la suite (arrêt du Tribunal fédéral 4A_257/2015 du 11 janvier 2016 consid. 3.1).

7.             Dans sa jurisprudence, le Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative), a retenu le caractère luxueux d'un logement de huit pièces réparties sur 280 m2, dont plusieurs de dimensions importantes et en enfilade, pourvues de boiseries bien entretenues de la fin du 18ème siècle et de plusieurs cheminées de marbre, ainsi que de plafonds particulièrement hauts donnant à l'ensemble un caractère luxueux (ATA/441/1997 du 5 août 1997).

Le Tribunal administratif a également qualifié de luxueux un logement de quatre ou quatre pièces et demie de 120 m2 ayant du parquet et des moulures au plafond, des radiateurs de l'époque de sa construction en 1920, avec un hall d'entrée d'immeuble de qualité, cossu et d'une taille inhabituelle. La présence d'un concierge, le caractère bourgeois de la façade en pierres de taille, les carreaux de faïence sur les balcons, le bâtiment ayant une vue magnifique sur la rade, le Mont-Blanc et les autres montagnes des Alpes étaient autant d'indices déterminants (ATA/229/2002 du 7 mai 2002).

La chambre administrative a exceptionnellement admis le caractère luxueux de deux appartements de cinq pièces d’environ 130 m2 issus d’une division dans un immeuble à l'entrée soignée avec des boiseries bien entretenues, avec un hall d'entrée particulièrement spacieux (25 m2), un sol en bois entouré de dalles en pierre, un sol de l'appartement choisi avec soin en planelles et en bois exotique, un salon d'environ 30 m2, deux cheminées dont l'une en marbre, une décoration raffinée constituée de matériaux et de revêtements de qualité supérieure – les revêtements des salles de bain et salles de douche étant constitués de mosaïque de type « pâte de verre » 2 x 2 cm de haute qualité, une hauteur du plafond pour le grand salon d'environ 2,74 m, des détails de type corniche inversée dans la plupart des pièces de jour et enfin une vue directe sur le lac et le Mont-Blanc (ATA/1736/2019 du 3 décembre 2019).

Le Tribunal administratif a toutefois nié le caractère luxueux d'un appartement composé de huit pièces dont la surface brute moyenne de chaque pièce s'élevait à 27,38 m2. Cette surface était importante ; toutefois, le logement ne donnait aucune impression de somptuosité malgré certains atouts (terrasses dont la surface était conséquente, une situation en attique et une vue dégagée). La hauteur des plafonds n’était pas exceptionnelle, son entrée était modeste et l’agencement intérieur était standard. L'escalier, pourvu d'une rampe en bois, était fonctionnel et banal. Les matériaux utilisés pour la serrurerie, les fenêtres et les portes étaient courants. De même en était-il des revêtements de sol : le salon et les couloirs étaient pourvus d'un parquet simple et les chambres d'une moquette ordinaire. Enfin, l'architecture de l'immeuble ne présentait aucune particularité (ATA/859/2010 du 7 décembre 2010).

Le tribunal de céans a également nié le caractère luxueux d'un logement sis dans un immeuble ayant une entrée spacieuse, avec un sol en marbre, un plafond en bois, un lustre, des fauteuils et une table, deux ascenseurs, ainsi qu'une piscine chauffée toute l'année, fermée par des parois vitrées, s'ouvrant sur le jardin privatif de l'immeuble et comprenant toilettes, douches, vestiaires et chaises longues pour les habitants de l'immeuble ; palier boisé du 6ème étage de l'immeuble où se situait l'appartement de quatre pièces d'environ 130 m2, lequel comprenait un living et une cuisine donnant sur un balcon duquel on pouvait voir le sommet du jet d'eau et le parc arborisé bien entretenu de l'immeuble, la cuisine étant entièrement équipée, ainsi qu'un WC visiteur, une douche/lavabo et une salle de bains, ainsi que deux chambres à coucher (JTAPI/498/2012 du 16 avril 2012). La chambre administrative s'est ralliée à cet avis non contesté devant elle (ATA/826/2012 du 11 décembre 2012). Cette jurisprudence a paru sévère pour la doctrine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., p. 279).

La chambre administrative a également confirmé un jugement du tribunal (JTAPI/1268/2021 du 14 décembre 2021) relatif à un appartement de 6.5 pièces, dont le caractère luxueux a été nié nonobstant sa superficie et la présence de certains éléments caractérisant le luxe, car l’équipement en sanitaires répondait au standard minimal actuel, l’une des quatre chambres était petite et les autres de taille normale. En outre, l’appartement ne bénéficiait pas d’éléments de commodité hors du commun ni d’éléments extérieurs pouvant lui conférer un caractère luxueux telle une vue sur la rade et le jet d’eau et il ne dégageait pas une impression de somptuosité ou de confort extraordinaire (ATA/651/2022 du 23 juin 2022).

Enfin, dans une affaire relativement récente, la chambre administrative a admis à la suite du tribunal (JTAPI/697/2023 du 20 juin 2023) le caractère luxueux d'un appartement de 9 pièces, totalisant une surface de 295 m² et disposant de très grands espaces (salon, salle à manger, bureau totalisant à eux trois 104 m²) s’ouvrant depuis la porte d’entrée principale, de portes à double battant, des quatre chambres à coucher, des deux salles d’eau, d'espaces de rangement séparés, d'un grand vestibule d’entrée, espaces auxquels s’ajoutaient celui destiné au personnel de maison qui, outre la cuisine et le laboratoire, offrait à nouveau une chambre et une salle d’eau ainsi que des toilettes supplémentaires. En outre l’appartement s’ouvrait généreusement sur trois côtés par de grandes fenêtres et portes-fenêtres offrant une vue exceptionnelle sur les parcs, le lac et les Alpes. Certes, dans son état actuel, l’appartement présentait de curieux contrastes, certaines parties étant relativement dégradées et d’autres presque neuves, certains éléments semblant standards par rapport à l’époque de construction, tandis que d’autres dénotaient un souci d’apparat. Il n'était pas sans pertinence non plus que les premiers occupants de l'appartement aient vraisemblablement eu les moyens d'envisager, voire de faire réaliser sa décoration par une maison très renommée, ce qui se rapportait également au standing de l'immeuble, destiné dès sa construction à une catégorie aisée de la population. Comme l'avait relevé le tribunal, on ne pouvait non plus faire abstraction du contexte urbain dans lequel s’inscrivait l’ensemble immobilier. Enfin, si les éléments usuellement rattachés au luxe paraissaient devoir être relativisés par d'autres aspects, comme la hauteur modeste des plafonds (à moins de trois mètres du sol) et la facture relativement sobre d’un certain nombre d’éléments standards, il fallait souligner que la notion de luxe au moment de la construction d'un immeuble dépendait de son époque de construction ; par exemple, la hauteur des plafonds était délaissée dans les années 1950, tandis que la présence de double vitrages ou d'équipements électriques de pointe signalaient alors le luxe. Ainsi, la question de savoir si l’appartement devait être considéré comme un logement de luxe ne devait pas s’attacher de trop près aux critères souvent mis en évidence par la jurisprudence par rapport à des demeures plus anciennes (ATA/95/2024 du 30 janvier 2024).

8.             De la jurisprudence qui vient d'être passée en revue, il convient encore de relever que si les éléments relatifs au caractère luxueux d'un appartement ont été définis de manière spécifique au fil du temps, il est cependant admis qu'ils soient réunis selon des combinaisons variables. Certains éléments a priori essentiels dans la notion de luxe peuvent ainsi faire défaut, à condition d'être suffisamment compensés par les autres. Ce peut être le cas lorsque la surface totale du logement ou le nombre de ses pièces sont inférieurs aux critères usuellement admis (ATA/1736/2019 du 3 décembre 2019 ; ATA/229/2002 du 7 mai 2002), ou malgré la présence d'un certain nombre d'équipement standards et ou un état général plutôt dégradé (ATA/95/2024 du 30 janvier 2024). Il suffit, dans ces cas, que d'autres aspects du luxe s'imposent avec suffisamment de force.

9.             En l’espèce, il n’est pas contesté que l’appartement bénéficie de neuf pièces et totalise une surface totale de 279.2 m2. Sous ces deux aspects (qui ne sont certes pas suffisants à eux seuls), il satisfait pleinement à la notion d'appartement luxueux.

Cela étant, c'est sous l'angle de l'impression générale de somptuosité ou de confort extraordinaire que cette notion est en l'espèce contestée par l'autorité intimée.

Le transport sur place auquel a procédé le tribunal lui impose cependant de s'écarter de cette appréciation. Tout d'abord, la plupart des pièces sont vastes, certaines excédant même les 30 m2 , et de surcroît disposées en enfilade, en particulier pour les pièces de réception, ce qui place d'emblée le visiteur devant l'impression d'un appartement de catégorie supérieure. A cela s'ajoute le caractère traversant de l’appartement, avec ses nombreuses ouvertures sur trois orientations, et le fait qu'il occupe entièrement l'étage de l'immeuble. Globalement, les grands espaces, que l’on retrouve dès l’entrée et auxquels contribuent les hauts plafonds, communiquent d'emblée un sentiment de somptuosité.

Au niveau de l’agencement, il faut certes concéder que l'appartement dispose en l'état d'un nombre réduit de salles d’eau, lesquelles sont de surcroît absolument ordinaires. La cuisine est vétuste – bien que les sondages réalisés pour détecter la présence d'amiante aient participé à cet état – et possède des équipements minimes. Cependant, selon les standards actuels, cette pièce bénéfice d'une surface relativement spacieuse de 21 m2. Les sols sont de qualité variable, certaines pièces n'étant pourvues très ordinairement (pour un logement ancien) que de lames de sapin, tandis que d'autres sont revêtues de parquets à damier en chêne, voire en assemblage chêne-ébène. Plusieurs pièces sont ornées de hautes cimaises moulurées et de stucs de qualité vraisemblablement réalisés sur place par des artisans spécialisés (corniches ou rosettes de plafond). Certaines pièces disposent encore de cheminées de pierre ou de marbre, parfois surmontées de hauts miroirs eux aussi encadrés vraisemblablement par un travail de stuc professionnel. Chaque cheminée est d'une pierre différente, l'une d'entre elles étant apparemment constituée de pierre noire dite marbre de Belgique, considérée comme particulièrement fine (https://www.marcmaison.fr/architectural-antiques-resources/belgium_black_ marble ; consulté le 27 novembre 2024). Ces divers éléments décoratifs sont tous en excellent état et participent au caractère ostentatoire du lieu. Certes, l’appartement a souffert d’un manque d’entretien depuis un certain nombre d'années, comme le démontre notamment l’état des murs ou de certains parquets. Cependant, la substance est toujours présente et il est facile de reconnaître qu’un simple rafraîchissement suffirait pour redonner tout son cachet à un appartement d'exception. Aux éléments qui concernent l'appartement lui-même s'ajoute le grand soin apporté à la décoration de l'entrée de l'immeuble (haute porte en chêne, mozaïque de six couleurs, panneaux à moulures, hauteur sous plafond entre 4,5 et 5 m), qui signale d'emblée son rattachement à une bourgeoisie aisée.

Sur ce dernier point, on ne saurait faire abstraction du contexte urbain dans lequel s'est inscrit l'immeuble à l'époque de sa construction, et où il demeure encore situé aujourd'hui. Comme rappelé par le rapport établi à ce sujet, le quartier C______ est constitué de bâtiments de haut standing édifiés durant la deuxième moitié du XIXème siècle par et pour des familles importantes dans la Genève de l'époque. Le quartier fournit aujourd’hui encore un cadre de vie particulier, tant par sa localisation en bordure de la Vieille-Ville, que par son côté préservé, l’ensemble étant constitué de petits immeubles, avec jardins, faisant l’objet de mesures de protection. Ainsi, l’écrin que constitue ce quartier contribue largement au caractère prestigieux et exclusif de l’appartement, qui subsiste parfaitement à l’époque actuelle. Bien que cela ne soit pas un critère déterminant, le prix estimé de l’appartement de CHF 4'310'000.- confirme d'ailleurs ce qui précède.

Au vu de ce qui précède, contrairement à l'appréciation de l'autorité intimée, l'appartement en cause doit être rangé dans la catégorie des logements de luxe.

10.         Au surplus, le tribunal relèvera que selon l'arrêté relatif à la révision des loyers répondant aux besoins prépondérants de la population dans sa teneur au 12 janvier 2022 (ArRLoyers – L 5 20.05), ces loyers, fondés sur le revenu brut médian des contribuables personnes physiques 2018, sont compris entre 2'627 francs et 3'528 francs la pièce par année. Or, en l'occurrence, le loyer fixé par la seconde décision litigieuse, qui est de CHF 8'819.- la pièce, est plus de deux fois plus élevé que la limite supérieure fixée par cet arrêté et correspond à un loyer mensuel, pour le logement, de près de CHF 7'000-, ce qui, même durant la période de contrôle, le situe bien au-dessus des moyens de la très grande majorité de la population et fait indirectement écho à l'analyse faite ci-dessus au sujet du caractère luxueux de l'appartement.

11.         Il découle de ce qui précède que le recours doit être admis et la décision litigieuse annulée en ce qu'elle impose au recourant un contrôle des loyers après travaux.

12.         Vu l'issue du litige et en application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), il ne sera pas perçu d'émolument.

13.         L’avance de frais de CHF 1'500.- versée par le recourant lui sera restituée.

14.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2'500.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire, sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA). Cette indemnité tient compte notamment des actes d'instruction auxquels a participé le mandataire du recourant.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 30 avril 2024 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;

2.             l'admet ;

3.             annule l’autorisation APA 2______ en ce qu'elle prononce le contrôle du loyer du logement après travaux ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution au recourant de l’avance de frais de CHF 1’500.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui le département du territoire à verser à M. A______ une indemnité de procédure de CHF 2’500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Manuel BARTHASSAT, François HILTBRAND, Ricardo PFISTER et Romaine ZÜRCHER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière