Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1164/2024 du 26.11.2024 ( OCPM ) , REJETE
ATTAQUE
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 26 novembre 2024
|
dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Saskia DITISHEIM, avocate, avec élection de domicile
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS
1. Ressortissant camerounais né le ______ 1983, Monsieur A______ est entré en Suisse le 19 décembre 2017 et a déposé une demande d’asile. Il a fait valoir qu’il avait subi des persécutions dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle.
2. Par décision du 30 avril 2018, le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) a rejeté sa requête au motif qu’il n’avait pas rendu vraisemblable sa qualité de réfugié. Son renvoi était exigible sans restriction et l’exécution de celui-ci, possible.
3. Par arrêt du 15 août 2018 (D-3184/2018), le Tribunal administratif fédéral
(ci-après : TAF) a rejeté le recours que l’intéressé avait interjeté à l’encontre de la décision du SEM et a confirmé ce prononcé.
4. Par lettre du 30 septembre 2022 transmise à l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) pour raison de compétence, M. A______ a sollicité une autorisation de séjour pour cas de rigueur.
5. L’OCPM a écarté sa requête par décision du 18 octobre 2022, au motif qu’il ne résidait pas en Suisse depuis au moins cinq ans depuis le dépôt de sa demande d’asile et que son lieu de séjour n’avait pas toujours été connu des autorités.
6. Le 12 avril 2024, M. A______ a déposé une demande d’autorisation de séjour de courte durée auprès de l’OCPM.
De septembre 2018 à février 2024, il avait été immatriculé au programme « B______ » mis en place par l’Université de Genève (ci-après : UNIGE), ainsi que par le bureau de l’intégration des étrangers (ci-après : BIE) du canton. Dans ce cadre, il avait obtenu un master en physique le 6 février 2024. Depuis lors, il cherchait du travail et se perfectionnait en informatique. Son profil alliant ces deux domaines faisait de lui un candidat excellent pour les employeurs. Il logeait dans un appartement appartenant à la C______, avait bénéficié de bourses et était financé par des amis.
Le principe de l’exclusivité de la procédure d’asile ne s’appliquait pas à son cas, au vu de l’arrêt du TAF du 15 août 2018 qui avait mis fin à cette procédure. En outre, il n’avait pas fait l’objet d’un renvoi.
Il remplissait dès lors les conditions pour obtenir une autorisation de séjour de courte durée.
7. Par ordonnance pénale du 5 juin 2024, le Ministère public a déclaré M. A______ coupable d’entrée illégale et de séjour illégal. Il l’a condamné à une peine pécuniaire de 120 jours-amende avec sursis à CHF 30.- le jour.
8. Par décision du 10 juin 2024, l’OCPM a rejeté la requête de l’intéressé. L’octroi d’une autorisation de séjour de courte durée n’était possible que pour les étudiants étrangers diplômés en Suisse ayant bénéficié d’un permis pour études, c’est-à-dire d’un séjour légal et autorisé.
Il ne pouvait ainsi se prévaloir d’un droit à une telle autorisation de séjour et le principe de l’exclusivité de la procédure d’asile lui demeurait entièrement applicable.
9. Par acte du 11 juillet 2024, M. A______, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance
(ci-après : le tribunal), concluant, préalablement, à sa comparution personnelle, et principalement, à l’annulation de la décision du 10 juin précédent, ainsi qu’à l’octroi d’une autorisation de séjour de courte durée, le tout sous suite de frais et dépens.
L’art. 21 al. 3 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) conférait un droit à une autorisation de séjour de six mois aux étudiants étrangers diplômés d’une université ou d’une haute école suisse. Or, il se trouvait dans une telle situation, puisqu’il avait obtenu un master en physique nucléaire en février 2024. En outre, compte tenu de son excellent profil professionnel et de son intégration hors-norme, sa contribution à l’économie suisse se révélerait importante et bienvenue.
Le principe de l’exclusivité de la procédure d’asile ne s’appliquait pas à son cas, dès lors que son recours avait été rejeté par le TAF. Subsidiairement, il pouvait se prévaloir d’une exception, à savoir l’existence d’un droit. En effet, contrairement à ce que soutenait l’OCPM, il ne ressortait pas du texte légal que l’obtention d’un permis de séjour pour études constituerait un cas d’application de l’art. 21 al. 3 LEI. Enfin, les directives LEI ne posaient pas d’autres exigences supplémentaires que les moyens financiers suffisants et un logement convenable.
10. Dans ses observations du 10 septembre 2024, l’OCPM a conclu au rejet du recours.
Au début de ses études en 2018, le recourant ne pouvait pas commencer son cursus et solliciter une autorisation de séjour, puisqu’il ne disposait d’aucun droit à obtenir un tel permis et que le principe de l’exclusivité de la procédure d’asile s’appliquait. Il aurait dû quitter la Suisse et déposer, depuis l’étranger, une demande d’autorisation de séjour pour formation.
Il résultait de la systématique des directives LEI et de la ratio legis que seuls les étrangers ayant légalement séjourné en Suisse étaient visés par l’art. 21 al. 3 2ème phr. LEI. Un étudiant étranger ne saurait tirer aucun avantage du fait qu’il aurait effectué, sans autorisation, une partie de la formation pour laquelle un permis était requis. Octroyer un titre de séjour au recourant aurait pour conséquence que tout étudiant en séjour illégal pourrait, in fine, obtenir un permis dès lors qu’il parvenait à se maintenir illégalement en Suisse et achever ses études.
L’OCPM a produit son dossier.
11. Par réplique du 4 octobre 2024, M. A______ a maintenu son recours. Il n’avait pas placé les autorités devant le fait accompli, mais avait obtenu l’appui de l’UNIGE et l’accord des autorités cantonales pour pouvoir étudier en Suisse. Ce statut protégé en faisait un cas unique, considéré de facto comme un étudiant qui disposait de tous ses droits.
12. Par lettre du 28 octobre 2024, l’OCPM a fait part au tribunal qu’il n’avait pas d’observations complémentaires à formuler.
13. Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.
Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).
4. Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).
La loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et ses ordonnances d'exécution, en particulier l’OASA, règlent l'entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 al. 1 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants du Cameroun.
5. Le recourant conclut à sa comparution personnelle.
6. Le droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour les parties de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3). Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2). Par ailleurs, ce droit ne confère pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3).
7. En l’espèce, le recourant a eu l’occasion de s’exprimer à plusieurs reprises par écrit durant la procédure et notamment devant le tribunal, dans un double échange d’écritures. Le dossier comporte de plus tous les éléments pertinents et nécessaires à l’examen des griefs et arguments mis en avant par les parties, permettant ainsi au tribunal de se forger une opinion et de trancher le litige, de sorte qu’il n’y a pas lieu de procéder à la comparution personnelle de l’intéressé, cet acte d’instruction, non obligatoire, ne se révélant pas nécessaire.
8. Le recourant sollicite une autorisation de séjour de courte durée sous l’angle de l’art. 21 al. 3 LEI.
9. Le Tribunal fédéral a jugé (arrêt 2C_303/2018 du 20 juin 2018 consid. 1.3 et 1.3.1), que selon l'art. 14 al. 1 de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31, à moins qu'il n'y ait droit, un requérant d'asile débouté ne peut pas engager une procédure visant l'octroi d'une autorisation de séjour avant d'avoir quitté la Suisse (principe dit de l'exclusivité de la procédure d'asile). Une exception à ce principe n'est admise que si le droit à une autorisation de séjour requis par l'art. 14 al. 1 LAsi apparaît « manifeste ». Tel n'est en principe pas le cas si le requérant invoque uniquement le droit à la protection de sa vie privée au sens de l'art. 8 par. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), car la reconnaissance d'un droit à une autorisation de séjour par ce biais revêt un caractère exceptionnel. En revanche, la jurisprudence admet que l'art. 8 par. 1 CEDH justifie de faire exception à l'art. 14 al. 1 LAsi lorsqu'il en va de la protection de la vie privée et familiale, notamment pour protéger les relations entre époux.
10. Selon l'art. 11 al. 1 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d’une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour. L’art. 18 LEI prévoit qu’un étranger peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative salariée aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a) ; son employeur a déposé une demande (let. b) ; les conditions fixées aux art. 20 à 25 LEI sont remplies (let. c). Lesdites conditions sont cumulatives (ATA/362/2019 du 2 avril 2019). Les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation (ATA/494/2017 du 2 mai 2017). En raison de sa formulation potestative, l’art. 18 LEI ne confère aucun droit à l’autorisation sollicitée par un éventuel employé. De même, un employeur ne dispose d’aucun droit à engager un étranger en vue de l’exercice d’une activité lucrative en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2D_57/2015 du 21 septembre 2015 consid. 3).
11. En vertu de l’art. 21 al. 1 LEI, un étranger ne peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative que s'il est démontré qu'aucun travailleur en Suisse ni aucun ressortissant d'un État avec lequel a été conclu un accord sur la libre circulation des personnes correspondant au profil requis n'a pu être trouvé.
L'admission de ressortissants d'États tiers n'est possible que si, à qualifications égales, aucun travailleur en Suisse ou ressortissant d'un État de l'UE ou de l'AELE ne peut être recruté (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-2907/2010 du 18 janvier 2011 consid. 7.1 et la jurisprudence citée). Il s'ensuit que le principe de la priorité des travailleurs résidants doit être appliqué à tous les cas, quelle que soit la situation de l'économie et du marché du travail (arrêt du Tribunal fédéral 2D_50/2012 du 1er avril 2013).
En dérogation à l'art. 21 al. 1 LEI, un étranger titulaire d'un diplôme d'une haute école suisse peut être admis si son activité lucrative revêt un intérêt scientifique ou économique prépondérant. Il est admis provisoirement pendant six mois à compter de la fin de sa formation ou de sa formation continue en Suisse pour trouver une telle activité (art. 21 al. 3 LEI). Dans ce cas, l'employeur ne devra plus démontrer qu'il n'a pu trouver une personne correspondant au profil requis en dépit de ses recherches (ATA/1194/2021 du 9 novembre 2021 consid. 6b).
12. En l’espèce, l’OCPM fait valoir que le recourant ne peut bénéficier d’un titre de séjour en application de l’art. 21 al. 3 LEI, en raison du principe l’exclusivité de la procédure d’asile. Le précité objecte que ce principe ne s’applique pas à sa situation, étant donné que sa demande d’asile a été définitivement rejetée par le TAF. Subsidiairement, il peut se prévaloir d’un droit à une autorisation.
Le 30 avril 2018, le SEM a rejeté la demande d’asile déposée par le recourant. Cette requête a été définitivement écartée par le TAF, le 15 août 2018. Dès lors, en application du principe de l’exclusivité de la procédure d’asile, il devait déposer à l’étranger sa demande d’autorisation de séjour fondée sur la LEI. Le recourant ne peut se prévaloir d’une exception à ce principe étant donné qu’il ne dispose pas d’un droit manifeste à demeurer en Suisse. En effet, quoi qu’il en pense, les dispositions des art. 18 et ss LEI relatives à l’admission en vue de l’exercice d’une activité lucrative, dont l’art. 21 al. 3 LEI fait partie, ne lui confèrent aucun droit de séjourner sur le territoire helvétique.
13. Partant, la décision de l’OCPM doit être confirmée et le recours rejeté.
14. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
15. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 11 juillet 2024 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 10 juin 2024 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
5. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Sophie CORNIOLEY BERGER
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| La greffière |