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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3870/2022

JTAPI/997/2024 du 07.10.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS PARTIELLEMENT

PARTIELMNT ADMIS par ATA/437/2025

Descripteurs : PRESTATION APPRÉCIABLE EN ARGENT;GROUPE DE SOCIÉTÉS;SOCIÉTÉ SOEUR;PRIX DE TRANSFERT;DOUBLE IMPOSITION INTERCANTONALE
Normes : LIFD.58; LIPM.12; Cst.127.al3
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3870/2022 ICCIFD

JTAPI/997/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 7 octobre 2024

 

dans la cause

 

A______ SA, représentée par Me Alexandre FALTIN, avocat, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne une procédure de rappel d’impôt ouverte à l’encontre d’A______ SA (ci-après : la société ou la contribuable).

Tandis que le siège de la société se trouve dans le canton de Genève, elle dispose de succursales à Zürich et à Lugano.

2.             Le 3 juillet 1989, la contribuable a conclu une convention avec B______ SA (ci-après : B______), qui détient les droits exclusifs de commercialisation et d’exploitation du logiciel « C______ » 
(ci-après : le logiciel) en Suisse.

La société luxembourgeoise a accordé à la contribuable une licence exclusive de commercialisation et d’exploitation du Logiciel sur le territoire helvétique, moyennant versement par cette dernière de royalties se montant à 60 % du prix de vente des Logiciels et de 60 % du montant des maintenances payées par les clients. La contribuable se réservait le droit de compenser les montants que lui devait B______, en les déduisant directement des royalties. Renvoi était notamment opéré à l’art. 2 let. c de la convention, à teneur duquel B______ s’engageait à faciliter par tous les moyens, y compris financiers, l’introduction du Logiciel sur le marché suisse, en particulier prendre en charge tous les frais et prestations relatifs aux développements nécessités pour l’adaptation des programmes de base du Logiciel aux normes légales suisses. Ces coûts seraient déduits des royalties.

Un amendement du 21 juillet 1994 a notamment étendu le champ d’application territorial de la convention à la Principauté du Liechtenstein.

3.             Le 2 avril 2013, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a fait part à la société qu’elle entendait effectuer un contrôle dans ses locaux, dans le cadre de sa taxation 2011, les 24, 25 et 26 avril suivant.

4.             Par pli du 2 mai 2013, l’AFC-GE a invité la contribuable à désigner le titulaire des droits d’auteur du Logiciel, ainsi celui des bénéficiaires économiques (actionnaires ultimes) de B______ en 2011. L’intéressée devait également transmettre tout document permettant de s’assurer que les royalties versées en 2011 sur la base de la convention du 3 juillet 1989 correspondaient aux conditions du marché.

5.             Le 23 mai 2013, la contribuable a répondu que le Logiciel était exploité et commercialisé par B______, qui en était la propriétaire. Celle-ci était détenue par D______ SA (ci-après : D______). Il n’existait aucun lien entre les actionnaires de cette société et l’actionnaire ultime de la contribuable ou les membres de sa famille. Enfin, il résultait d’expertises annexées, qui avaient déjà été transmises aux autorités fiscales, que la rémunération versée à B______ était conforme à l’usage commercial.

6.             Les 21 août 2013 et 14 janvier 2014, l’AFC-GE a adressé à la société des demandes de renseignements complémentaires.

7.             Les 10 mars 2014, l’AFC-GE a avisé la société de l’ouverture à son encontre d’une procédure en rappel d’impôt portant sur les années 2004 à 2010.

8.             Par lettre du 4 février 2015, la contribuable a exposé à l’AFC-GE qu’elle avait déjà fait l’objet d’un contrôle approfondi au début des années 2000, à l’occasion duquel elle avait fourni toutes les informations relatives à ses relations contractuelles avec B______. Aucune reprise n’avait alors eu lieu. Il n’existait aucun fait nouveau qui pût justifier un nouveau contrôle fiscal.

Un avis du Professeur E______ de l’Université de F______ annexé venait confirmer le caractère justifié par l’usage commercial des relations contractuelles poursuivies avec B______.

9.             Le 15 décembre 2015, l’AFC-GE a fait part à la société de l’ouverture à son encontre d’une procédure pour soustraction d’impôt portant sur les années 2004 à 2010.

Des éléments avaient été portés à sa connaissance permettant d’envisager des déclarations inexactes ou incomplètes, dans la mesure où des prestations appréciables en argent sous la forme de transactions intra-groupe en lien avec le Logiciel, non conformes aux conditions du marché, semblaient avoir été octroyées.

L’AFC-GE a accordé à la contribuable un délai pour lui faire parvenir des observations.

10.         Par pli du 14 janvier 2016, adressé à l’AFC-GE, la société a rappelé que lors des différentes entrevues, elle avait fourni des explications et des documents détaillés concernant le Logiciel. Elle avait également précisé qu’elle ne se trouvait pas dans une situation dite « intra-groupe ».

11.         Le 20 décembre 2016, la société a transmis à la société les comptes statutaires, ainsi que les comptes consolidés de B______ des années 2004 à 2011.

12.         Le 27 mai 2021, un entretien s’est tenu à l’AFC-GE, ayant pour objectif d’expliquer à la société les reprises qui seraient effectuées.

13.         Par courriel du même jour, la société a sollicité un accès complet au dossier.

14.         Le 4 juin 2021, l’AFC-GE a fait part à la société de la clôture des procédures de rappel et de soustraction d’impôt. Elle lui a notifié des bordereaux de rappel d’impôt pour les périodes 2006 à 2010. Aucune amende ne lui était infligée, dès lors que la poursuite pénale était prescrite pour toutes ces années.

15.         Le 10 juin 2021, donnant suite à une demande de la contribuable, l’AFC-GE lui a remis une clé USB contenant 274 fichiers au format PDF numérotés de 1 à 274, ses bordereaux initiaux 2006 à 2010, ainsi qu’une nomenclature détaillant les pièces.

16.         Par courriel du 11 juin 2021, la société a demandé à l’AFC-GE de lui fournir le détail du calcul des reprises.

17.         Le 15 juin 2021, l’AFC-GE a répondu que les reprises se fondaient sur des documents obtenus dans le cadre d’échanges de renseignements se rapportant à une entité tierce.

18.         Les reprises se présentaient comme suit :

2006

2007

2008

Redevances versées à la sté. lux. – 60 %

23'169'303

24'539'772

21'770'630

Redevances ajustées à 50 %

19'307'753

20'449'810

18'142'192

Reprises

3'861'550

4'089'962

3'628'438

2009

2010

Redevances versées à la sté. lux. – 60%

24'408'788

23'082'478

Redevances ajustées à 50%

20'340'656

19'235'399

Reprises

4'068'132

3'847'079

19.         Le 1er juillet 2021, la société a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux de rappel d’impôt 2006 à 2010 du 4 juin précédent en concluant à ce que l’intégralité du dossier lui soit communiqué, à l’obtention d’un rendez-vous avec l’AFC-GE pour discuter de son cas, à l’octroi d’un délai pour compléter sa réclamation une fois qu’elle aurait obtenu l’intégralité des pièces de la procédure et à l’annulation des bordereaux de rappel d’impôt.

Elle n’avait pas eu accès aux pièces nos 1______ à 2______.

L’AFC-GE considérait que les royalties de 60 % qu’elle avait versées à B______ étaient excessives, seule une part de 50 % étant admissible. Or, en 2001, l’AFC-GE disposait déjà de la convention du 3 juillet 1989 et de son amendement du 21 juin 1994. Il n’existait dès lors pas de fait nouveau justifiant l’ouverture d’une procédure de rappel d’impôt.

Il découlait d’une nouvelle expertise rédigée par le Pr E______ que la marge de 60 % était conforme à l’usage. Elle assumait un certain nombre de prestations pour B______, telles que le développement et la publicité, qui devaient être retranchées des reprises, à supposer que celles-ci fussent confirmées. Subsidiairement, le montant des redevances retenu par l’AFC-GE était inexact, ainsi qu’il ressortait de sa comptabilité annexée.

20.         Le 16 août 2021, l’AFC-GE a informé la société qu’elle ne pouvait que communiquer le contenu essentiel des pièces nos 1______ à 2______, en raison du secret fiscal.

21.         Le 26 août 2021, la société a interjeté recours au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de la décision du 16 août précédent.

22.         Par jugement du 23 mai 2022 (JTAPI/539/2022), en force, le tribunal a admis le recours. Les pièces dont l’AFC-GE avait refusé l’accès à la contribuable étaient couvertes par le secret fiscal. Toutefois, l’AFC-GE devait lui communiquer le contenu essentiel des pièces nos 1______ à 2______, car la description qu’elle lui avait fournie était trop sommaire.

23.         Par lettre du 9 septembre 2022, l’AFC-GE a fait part à la contribuable qu’afin de se conformer au jugement du tribunal du 23 mai précédent, elle lui avait transmis le contenu essentiel des pièces nos 1______ à 2______.

24.         Le 12 septembre 2022, l’AFC-GE a accordé à la contribuable un délai au 10 octobre suivant pour compléter sa réclamation.

25.         Le 7 octobre 2022, l’AFC-GE a refusé d’octroyer à la société une prolongation de délai.

26.         Le 10 octobre 2022, la société a complété sa réclamation.

Le dossier ne lui avait toujours pas été remis dans son intégralité. Par exemple, le procès-verbal de la réunion du 27 mai 2021 qui s’était tenue dans les locaux de l’AFC-GE ne lui avait pas été communiqué.

Ainsi qu’il résultait de documents annexés, elle avait obtenu l’accord de quatre sociétés (B______, F______ SA, G______), afin qu’elle puisse accéder aux pièces les concernant. L’AFC-GE devait lui transmettre sans délai une copie complète des documents concernant ces quatre entités, dans la mesure où le secret fiscal ne pouvait plus lui être opposé à leur égard.

La Convention entre la Confédération suisse et le Grand‑Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune du 21 janvier 1993 (CDI-L – RS 0.672.951.81) ne permettait l’échange de renseignements en vue de l’application de la législation interne qu’à partir de l’année 2011. Par conséquent, toutes les pièces du dossier en lien ou issues d’un échange avec le Luxembourg devaient être retranchées de la procédure de rappel d’impôt, telles que les pièces nos 3______ à 4______.

La Convention entre la Confédération suisse et le Royaume des Pays-Bas en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales du 26 février 2010 (CDI-NL – RS 0.672.963.61) ne permettait l’échange d’informations pour l’application de la législation interne que pour les périodes fiscales commençant le 1er mars 2010 ou ultérieurement. Or, elle clôturait ses comptes annuels le 31 décembre de chaque année. Il en allait de même de la société néerlandaise visée par la demande de renseignements. Dès lors, toutes les pièces en lien ou issues de l’échange de renseignements avec les Pays-Bas devaient être retranchées de la procédure, par exemple les pièces nos 5______ à 6______.

Elle devait quoi qu’il en fût avoir un accès plus détaillé pour l’étude des prix de transfert.

27.         Par décision du 18 octobre 2022, l’AFC-GE a admis la réclamation en tant qu’elle concernait l’année fiscale 2006 en raison de la prescription du droit de taxer. Elle a dégrevé partiellement les bordereaux des années 2007 à 2010 pour tenir compte des montant des redevances effectivement versés.

Le contrôle et le rappel d’impôt concernant les périodes 2006 à 2010 ne s’était pas effectué dans les mêmes circonstances, ni n’avait porté sur les mêmes questions que celles examinées au cours du contrôle mené en 2001. Au cours de celui-ci, les contrôleurs ne disposaient pas des mêmes informations, telles les comptes de B______. Surtout, les contrôleurs de l’époque ne pouvaient qu’être fondés à croire que la contribuable et B______ étaient des tiers. Ainsi, les conditions d’ouverture d’une procédure de rappel d’impôt étaient remplies en l’espèce.

Pour plusieurs raisons, la contribuable et B______ devaient être considérées comme des proches.

S’agissant de la consultation du dossier, l’AFC-GE s’était conformée au jugement du tribunal du 23 mai 2022 et avait communiqué à la contribuable le contenu essentiel des pièces nos 1______ à 2______.

Afin de tenir compte des remarques formulées par la société dans sa réclamation, il convenait de déterminer les reprises de la manière suivante :

2007

2008

2009

2010

Redevances versées à la société lux. – 60 %

23'911'920

19'764'389

23'253'782

21'886'938

Redevances ajustées à 50 %

19'926'600

16'470'324

19'378'152

18'239'114

Reprises

3'985'320

3'294'065

3'875'630

3'647'824

Enfin, les frais de développement facturés à B______ avaient été correctement comptabilisés et, conformément au principe de déterminance, il n’y avait pas lieu de les remettre en question.

Le même jour, l’AFC-GE a notifié à la société des bordereaux 2007 à 2010 rectificatifs.

28.         Par acte du 21 novembre 2022, la société, sous la plume de son conseil, a interjeté recours devant le tribunal à l’encontre de la décision du 18 octobre précédent.

Préalablement, elle a conclu à ce que l’AFC-GE produise l’ensemble des pièces du dossier, dont le procès-verbal d’entretien du 27 mai 2021, ainsi que les pièces nos 1______ à 2______ dans leur intégralité. Elle a demandé que soient retranchées de la procédures les pièces obtenues à la suite de demandes d’assistance administrative avec le Luxembourg et les Pays-Bas, subsidiairement que l’AFC-GE remette les demandes d’assistance administrative et les autres document utiles dans ce contexte. Principalement, elle a conclu à l’annulation de la décision attaquée, ainsi que des reprises, le tout sous suite de dépens.

L’AFC-GE avait violé son droit d’être entendu à plusieurs titres. Tout d’abord, elle avait refusé sans raison fondée de lui accorder une prolongation de délai pour compléter sa réclamation, alors qu’il était d’usage d’en octroyer une lorsque l’existence de motifs plausibles étaient invoqués, tels la surcharge de travail. En outre, le descriptif des pièces communiquées restait lacunaire et tous les documents ne lui avaient pas été remis. La violation du droit d’être entendu se révélait à ce point grave qu’elle devait conduire à l’annulation de la décision entreprise.

Toutes les pièces en lien et/ou issues d’un échange de renseignements avec le Luxembourg et les Pays-Bas devaient être retranchées de la procédure.

Les conditions d’ouverture de la procédure de rappel d’impôt n’étaient pas remplies, car l’AFC-GE avait déjà connaissance de l’existence des redevances litigieuses, ne serait-ce que compte tenu des vérifications opérées dans les années 2000 ou de manière conjointe avec l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC‑CH). Il n’existait aucun fait nouveau.

L’AFC-GE n’avait fourni aucun élément de preuve permettant d’accréditer sa thèse selon laquelle elle aurait fourni une prestation sans obtenir une contre-prestation suffisante. Plus précisément, elle n’avait pas démontré que la société se serait appauvrie en versant des royalties à B______.

Elle avait produit des avis portant sur le taux de redevance, rédigés en 2001 par le Pr E______, respectivement Monsieur H______ et un autre rédigé en 2014 par le Pr E______. Il en découlait que la marge de 40 % acquise à elle après paiement à B______ demeurait très confortable au regard de ce qui avait été observé sur un marché comparable.

Subsidiairement, il convenait de procéder à une répartition intercantonale des reprises entre les différents fors d’imposition, à savoir Genève, Zürich et le Tessin.

29.         Dans sa réponse du 3 mars 2023, l’AFC-GE a conclu à l’admission partielle du recours en ce sens que la prescription pour l’année 2007 était acquise. Pour le surplus, elle a conclu au rejet du recours.

Le grief tiré de la violation du droit d’être entendu devait être rejeté. La demande de prolongation de délai déposé par la contribuable pour compléter sa réclamation avait été rejetée, mais l’intéressée avait néanmoins pu se déterminer le 10 octobre 2022. En outre, le rapport d’entretien du 27 mai 2021 était joint à la réponse. Quant aux pièces dont le résumé avait été jugé insuffisant par le tribunal, de nouveaux résumés étaient produits. S’agissant des documents couverts par le secret fiscal et que la recourante avait été autorisée à consulter, cette dernière était invitée à s’adresser aux sociétés qui avaient donné leur accord.

Les pièces issues des demandes d’entraide administrative avec les autorités fiscales luxembourgeoises et néerlandaises avaient servi à chiffrer les reprises et non à obtenir le fait nouveau justifiant la procédure en rappel d’impôt.

Rien n’interdisait de procéder à un contrôle sur les années 2008 à 2010, au seul motif qu’une même procédure aurait été menée sur les années antérieures. Par ailleurs, ce n’était que lors du contrôle sur place qui s’était déroulé en 2013, ainsi qu’à la suite des différentes demandes de renseignements que l’AFC-GE avait découvert des éléments l’ayant menée à ouvrir des procédures en rappel d’impôt en 2015 portant notamment sur les années 2008 à 2010. Ce contrôle avait permis de relever un faisceau d’indices concordant vers le fait que la recourante et B______ étaient des proches. Les tâches de maintien, d’entretien et le développement étaient majoritairement effectués et guidés depuis Genève.

S’agissant des prestations appréciables en argent, l’AFC-GE avait réduit à 50 % le montant de la charge de royalties versées à B______. Compte tenu du fait que ces deux sociétés exerçaient une fonction similaire dans le cadre du maintien et de l’évolution du Logiciel, il convenait d’appliquer le même taux de redevance que celui versé par B______.

Enfin, l’AFC-GE était prête à entrer en matière sur la question de la répartition intercantonale en Genève, Zürich et Lugano, pour autant que la recourante apportât des éléments permettant de répartir les charges litigieuses entre les trois cantons.

30.         Par décision du 2 octobre 2023 (DITAI/417/2023), le tribunal a admis partiellement la demande de consultation des pièces du dossier formée par la société dans son recours du 21 novembre 2022.

Il l’a admise à consulter les pièces nos 1______ à 7______, 8______ à 9______ et 10_____ à 2______. En ce qui concernait les autres pièces couvertes par le secret fiscal, à savoir les pièces nos 11_____ et 3______ à 6______, le tribunal a considéré que les informations communiquées à la contribuable par l’AFC-GE dans son courrier du 9 septembre 2022 étaient conformes au JTAPI/539/2022 du 23 mai 2022. Il n’y avait donc pas lieu de permettre à la recourante de consulter ces pièces couvertes par le secret fiscal.

31.         Le 5 janvier 2024, l’AFC-GE a informé le tribunal de ce qu’elle s’engageait à annuler les bordereaux 2007 et 2008 en raison de la prescription.

32.         Par arrêt du 30 janvier 2024 (ATA/104/2024), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) a admis partiellement le recours interjeté par la société à l’encontre de la DITAI/417/2023.

Elle a accordé l’accès aux pièces nos 3______ à 6______ dans la mesure admise dans les considérants, invité l’AFC-GE à communiquer, à titre d'information essentielle, le mode de fixation des redevances prévu par le contrat faisant partie de la pièce n° 4______.

33.         Par pli du 10 avril 2024, le tribunal a invité l’AFC-GE à lui indiquer à quelle date elle avait exécuté le dispositif de l’ATA/104/2024 rendu le 30 janvier précédent, cas échéant à lui transmettre les pièces communiquées à la recourante.

34.         Le 15 avril 2024, l’AFC-GE a répondu qu’elle avait transmis à la recourante les pièces selon l’ATA/104/2024 le 11 avril précédent. Copie desdits documents étaient produits en annexe.

35.         Le 21 juin 2024, la société s’est déterminée sur les pièces qu’elle avait reçues de l’AFC-GE le 17 avril 2024.

Son droit d’être entendu n’était toujours pas respecté. Elle n’avait, en effet, pas accès aux pièces remise par les autorités fiscales néerlandaises dans leur réponse du 18 janvier 2018.

Les pièces nouvellement remises ne permettaient que de la conforter dans le fait que les demandes d’entraide avaient été déposées sur la base de normes permettant un échange pour les périodes courant dès le 1er janvier 2011 pour l’échange avec le Luxembourg et à compter du 1er mars 2010 pour l’entraide avec les Pays-Bas. Par ailleurs, conformément au principe de spécialité et de confidentialité (art. 26 par. 2 CDI-NIL et art. 26 par. 2 CDI-LU), les informations obtenues par voie d’assistance administrative ne pouvaient être utilisées qu’aux fins fiscales mentionnées dans l’accord et par conséquent, uniquement pour les périodes fiscales pour lesquelles elles avaient été requises. Il ne saurait être question de solliciter des renseignements dans un but de contrôle fiscal pourtant sur les années 2011 à 2017 pour en faire un état dans un rappel d’impôt des périodes antérieures.

En outre, il n’existait aucune preuve de l’existence d’une prestation appréciable en argent.

S’agissant de la rémunération admissible, l’AFC-GE entendait appliquer le même pourcentage (50 %) à la relation commerciale liant la recourante à B______, qu’à la relation d’affaires unissant cette dernière à I______ (ci-après : la société néerlandaise). Cependant, elle n’expliquait pas pour quels motifs elle considérait qu’il s’agirait de deux cas comparables.

En outre, l’approche de l’AFC-GE consistant à se satisfaire d’un critère interne pour calculer les redevances ne pouvait être confirmée. Il ne pouvait être question de faire usage de comparables internes, à moins d’avoir été à même de constater que la recourante avait effectué la même transaction avec une société liée et une entité indépendante. Or, une telle étude n’avait pas été menée par l’autorité intimée. L’AFC-GE omettait par ailleurs de tenir compte des prestations de développement qu’elle avait effectuées sur le produit et refacturées intégralement à B______.

Il en découlait les montant suivants :

2009

2010

Refacturation : développement et pub.

27'927'000

29'455'000

Redevances versées à la sté. lux.

-23'254'000

-21'887'000

Montants nets

4'673'000

7'568'000

Ces chiffres n’étaient pas repris comme tels par l’AFC-GE dans sa réponse, alors qu’elle avait admis de rectifier dans sa décision sur réclamation.

36.         Le détail des pièces et des arguments des parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.

3.             Au préalable, le tribunal donne acte à l’AFC-GE de ce qu’elle s’engage à annuler les bordereaux d’ICC et d’IFD 2007 et 2008 en raison de la prescription. Le recours doit dès lors être admis sur ce point.

 

Droit d’être entendu

4.             La recourante fait grief à l’AFC-GE d’avoir violé son droit d’être entendu à deux titres. Premièrement, elle demande d’avoir accès à l’intégralité des pièces du dossier et deuxièmement, elle reproche à l’AFC-GE d’avoir refusé de lui accorder une prolongation de délai pour compléter sa réclamation.

5.             Le premier grief doit être rejeté, la question de l’accès aux pièces du dossier ayant été tranchée par la DITAI/417/2023 du 2 octobre 2023 autorisant la recourante à consulter les pièces nos 1______ à 7______, 8______ à 9______ et 10_____ à 2______, ainsi que par l’ATA/104/2024 du 30 janvier 2024, lui octroyant l’accès aux pièces nos 3______ à 6______ dans la mesure admise dans les considérants et invitant l’AFC-GE à communiquer, à titre d'information essentielle, le mode de fixation des redevances prévu par le contrat faisant partie de la pièce n° 4______.

6.             S’agissant du second grief, les art. 119 al. 2 LIFD et 21 al. 2 LPFisc disposent que les délais impartis par l’autorité peuvent être prolongés s’il existe des motifs sérieux et que la demande de prolongation est présentée avant l’expiration de ces délais.

L’art. 16 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-E 5 10) a une teneur identique.

En ce qui concerne les motifs justifiant une prolongation de délai, il peut s’agir – en particulier pour une première prolongation – du fait que le contribuable ou son mandataire n’a pas encore reçu les pièces requises de la part de tiers, de vacances ou encore d’une surcharge de travail. Lorsque le contribuable est assisté par un mandataire, la situation de ce dernier est en principe déterminante (Lydia MASMEJAN-FEY, Guillaume VIANIN in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, 2ème édition, 2017, art. 119, n. 7, p. 1612).

Les art. 119 al. 2 LIFD, 21 al. 2 LPFisc et 16 al. 2 LPA sont des normes de nature potestative, qui laissent à l’autorité et au juge, dans leur application un pouvoir d’appréciation (ATA/213/2019 du 5 mars 2019 consid. 5 ; Lydia MASMEJAN-FEY, Guillaume VIANIN, op. cit., art. 119, n. 8, p. 1612).

7.             En l’espèce, le 7 octobre 2022, l’AFC-GE a rejeté la demande de prolongation de délai d’un mois qu’elle avait accordé à la société pour compléter sa réclamation. Un tel refus n’est pas critiquable, dès lors que l’AFC-GE dispose d’un pouvoir d’appréciation en la matière. De toute manière, la recourante a été en mesure de compléter sa réclamation en temps utile.

Partant, le grief est rejeté.

 

Transmission des pièces

8.             La recourante demande que soient retranchées du dossier les pièces obtenues par voie d’entraide avec les Pays-Bas et avec le Luxembourg. Elle reproche à l’AFC-GE d’avoir enfreint les art. 26 par. 2 CDI-L et 26 par. 2 CDI-NL.

De son côté, l’AFC-GE conteste avoir violé ces deux dispositions conventionnelles, relevant que les demandes de renseignements adressées à ces deux États n’ont servi qu’à chiffrer les reprises incriminées.

9.             L’art. 26 CDI-L, qui concerne l’échange de renseignements, a été modifié par l'art. 3 de l'avenant du 25 août 2009, en vigueur depuis le 19 novembre 2010. Selon l'art. 5 par. 3 dudit avenant, l’art. 26 CDI-L sera applicable en ce qui concerne les années fiscales commençant au 1er janvier de l’année civile suivant celle au cours de laquelle ledit avenant est entré en vigueur, ou après cette date.

L’art. 26 CDI-NL régit l’échange de renseignements. Selon l’art. 29 par. 2 de cette convention, l’art. 26 CDI-NL ne s’applique à des demandes de renseignements déposées à la date de l’entrée en vigueur de la convention [le 9 novembre 2011] ou à une date ultérieure pour des renseignements qui se rapportent à toute période débutant le 1er mars qui suit immédiatement la date de signature de cette convention ou à une date ultérieure.

10.         En l’espèce, il résulte d’un échange de courriels que l’AFC-CH a rappelé à l’AFC-GE que seule une demande portant sur les périodes fiscales 2011 et suivantes pouvait être adressée au Luxembourg. Toutefois, si les documents pertinents avaient été établis à une période antérieure à 2011, mais qu’ils déployaient des effets pour les périodes concernées, ils pouvaient être transmis.

Il n’y a pas lieu d’écarter de la procédure les documents obtenus par voie d’entraide administrative avec le Luxembourg, car rien ne démontre qu’ils ont été obtenus en violation de la CDI-L. Toutefois, il conviendra de tenir compte uniquement de ceux qui ont été établis avant 2011 et qui déploient encore des effets ultérieurement.

La même solution doit prévaloir pour les pièces obtenues par échange de renseignements avec les Pays-Bas, étant donné que l’art. 5 par. 3 à l’avenant de la CDI-L et l’art. 29 par. 2 CDI-NL ont des teneurs similaires.

Partant, le grief est rejeté.

Bien-fondé de l’ouverture de la procédure de rappel d’impôt

11.         La société soutient que les conditions d’ouverture de la procédure de rappel d’impôt ne sont pas remplies.

12.         Aux termes des art. 151 al. 1 LIFD et 59 al. 1 LPFisc, lorsque des moyens de preuve ou des faits jusque-là inconnus de l'autorité fiscale lui permettent d'établir qu'une taxation n'a pas été effectuée, alors qu'elle aurait dû l'être, ou qu'une taxation entrée en force est incomplète ou qu'une taxation non effectuée ou incomplète est due à un crime ou à un délit commis contre l'autorité fiscale, cette dernière procède au rappel de l'impôt qui n'a pas été perçu, y compris les intérêts.

13.         Des soupçons de soustraction d'impôt suffisent à justifier la procédure de rappel d'impôt dans son principe (arrêt du Tribunal fédéral 2C_760/2017 du 15 juin 2018 consid. 6.4). Le rappel d'impôt n'est soumis qu'à des conditions objectives. Il faut d'abord qu'une taxation n'ait, à tort, pas été établie ou soit restée incomplète, de sorte que la collectivité publique a subi une perte fiscale. Le rappel d'impôt suppose ensuite l'existence d'un motif de rappel. Ce motif peut résider dans la découverte de faits ou de moyens de preuve inconnus jusque-là, soit des faits ou moyens de preuve qui ne ressortaient pas du dossier dont disposait l'autorité fiscale au moment de la taxation (ATF 148 V 277 consid. 4.2.2; 144 II 359 consid. 4.5.1). Le rappel d'impôt ne peut porter que sur les points pour lesquels l'autorité fiscale dispose de nouveaux éléments (arrêt du Tribunal fédéral 2C_803/2019 du 26 février 2020 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence, l'autorité fiscale peut, en principe, considérer que la déclaration d'impôt est exacte et complète et elle n'est pas tenue, à défaut d'indices correspondants, de rechercher des informations complémentaires. En raison de la maxime inquisitoire, l'autorité doit cependant procéder à une analyse plus approfondie, lorsqu'il ressort manifestement du dossier que les faits déterminants sont incomplets ou peu clairs. Lorsque l'autorité fiscale aurait dû se rendre compte de l'état de fait incomplet ou inexact, le rapport de causalité adéquate entre la déclaration lacunaire et la taxation insuffisante ou incomplète est interrompu et les conditions pour procéder ultérieurement à un rappel d'impôt font défaut (ATF 144 II 359 consid. 4.5.1 et les arrêts cités). La rupture du lien de causalité est soumise à des exigences sévères, à savoir une négligence grave de l'autorité fiscale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1018/2015 du 2 novembre 2017 consid. 6.1 et les arrêts cités).

14.         En l’espèce, la société soutient qu’il n’existe aucun fait nouveau justifiant l’ouverture d’une procédure de rappel d’impôt, dès lors que le premier contrôle mené par l’AFC-GE et par l’AFC-CH portait sur le caractère at arm’s length des royalties qu’elle aurait versées à B______. Il avait été clôturé sans reprise. Ainsi, l’ensemble des informations se trouvait aux mains de l’AFC-GE depuis des années.

L’AFC-GE ne partage pas ce point de vue. Selon elle, rien n’interdit de procéder à un contrôle sur les années 2008 à 2010, au seul motif qu’une même procédure aurait été menée sur les années antérieures. Par ailleurs, ce n’était que lors du contrôle effectué en 2013, ainsi qu’à la suite des différentes demandes de renseignements qu’elle avait découvert des éléments l’ayant menée à ouvrir des procédures en rappel d’impôt en 2015 portant notamment sur les années 2008 à 2010.

15.         La société ne peut être suivie. En effet, il convient de ne pas confondre les motifs d’ouverture de la procédure de rappel d’impôt, pour laquelle de simples soupçons sont suffisants nonobstant leur source, avec le bien-fondé matériel des rappels. En effet, il découle des dispositions susmentionnées et de la jurisprudence que l’existence d’éléments nouveaux ne conditionne pas l’ouverture d’une procédure en rappel d’impôt, mais seulement le rappel d’impôt proprement dit, auquel il sera procédé, le cas échéant, au terme de cette procédure.

Or, les informations que l’AFC-GE a recueillies lors du contrôle mené dans les locaux de la société, les 24, 25 et 26 avril 2013, ainsi qu’à la suite de demande de renseignements, dans le cadre de sa taxation 2011 étaient de nature à faire naître auprès de l’autorité intimée un soupçon que la contribuable aurait accordé des prestations appréciables en argent à B______, ce qui justifie l’ouverture des procédures de rappel d’impôt.

Rappel d’impôt et reprises

16.         La société conteste les reprises opérées par l’AFC-GE. À ce stade, seules les périodes fiscales 2009 et 2010 demeurent encore litigieuses, la prescription absolue du droit au rappel d’impôt étant acquise pour ce qui est des années antérieures.

17.         Selon l’art. 57 LIFD, l’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Celui-ci comprend – outre le bénéfice net résultant du solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l’exercice précédent (art. 58 al. 1 let. a LIFD) – tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat qui ne servent pas à couvrir les dépenses justifiées par l’usage commercial tels que notamment les frais d’acquisition, de production ou d’amélioration d’actifs immobilisés, les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial ainsi que les produits qui n’ont pas été comptabilités dans le compte de résultats (art. 58 al. 1 let. b et c LIFD).

Selon l’art. 12 let. a de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15) dans sa teneur en vigueur au moment des faits, constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits augmenté de certains prélèvements énoncés aux art. 12 let. b à i LIPM, ainsi que des produits qui n’ont pas été comptabilisés dans le compte de résultat, y compris les bénéfices en capital, les bénéfices de réévaluation ou de liquidation, ainsi que les montants des réserves et provisions transférées à l’étranger qui avaient été constituées en franchises d’impôt (art. 12 let. j aLIPM).

18.         Font partie des avantages appréciables en argent au sens de ces dispositions les distributions dissimulées de bénéfice (art. 58 al. 1 let. b LIFD ; art. 12 let. h LIPM), soit des attributions de la société aux détenteurs de parts auxquelles ne correspondent aucune contre-prestation ou une contre-prestation insuffisante et qui ne seraient pas effectuées ou dans une moindre mesure en faveur d’un tiers non participant (ATF 138 II 57 consid. 2.2).

De jurisprudence constante, il y a un avantage appréciable en argent si la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante, que cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près, qu’elle n’aurait pas été accordée à de telles conditions à un tiers, que la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société savaient ou aurait pu se rendre compte de l’avantage qu’ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1).

19.         Le droit fiscal suisse ne connaissant pas, sauf disposition légale expresse, de régime spécial pour les groupes de sociétés, les opérations entre sociétés d’un même groupe doivent également intervenir comme si elles étaient effectuées avec des tiers dans un environnement de libre concurrence. En conséquence, il n’est pas pertinent que la disproportion d’une prestation soit justifiée par l’intérêt du groupe (ATF 140 II 88 précité consid. 4.1).

20.         L’obligation susmentionnée de déclarer tous les éléments de bénéfice et de capital couvre également les prix de transfert concernant les transactions effectuées entre des entreprises appartenant au même groupe. Les prix de transfert sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens ou rend des services à une entreprise associée (ATA/1270/2017 du 12 septembre 2017 ; Jean-Frédéric MARAIA, Prix de transfert des biens incorporels, thèse, 2008, n. 46 ss). La particularité de ce domaine porte sur la détermination des prix de transfert. En effet, lorsque des entreprises associées entre elles exercent des activités dans différents États et dépendent d’une direction centrale unique, elles peuvent adopter, pour les transactions effectuées à l’intérieur du groupe, des prix de transfert qui s’écartent des prix du marché, dans le but de réduire leur charge fiscale (ATA/1270/2017 précité et les références citées). Ce risque est pallié par l’application du principe de pleine concurrence, également dénommé arm’s length principle ou Drittvergleich. Ce principe trouve, au niveau international, son fondement juridique à l’art. 9 du Modèle de Convention de double imposition de l’OCDE (ATA/1270/2017 précité et les références citées). Bien qu’il ne soit pas ancré dans une base légale expresse, ce principe est également reconnu, en droit suisse, par la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de prestations appréciables en argent. Selon ce principe, les prestations effectuées entre des entreprises liées entre elles doivent correspondre à celles qui seraient fournies à des tiers indépendants. Il permet de mettre en évidence, en cas d’un prix de transfert inférieur au prix du marché fixé dans un environnement de libre concurrence, l’existence d’une prestation appréciable en argent entre entreprises apparentées (ATF 140 II 88 consid. 4 et 5 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_724/2010 du 27 juillet 2011 consid. 7.1 ; 2C_788/2010 du 18 mai 2011 consid. 4.1).

21.         Dans un arrêt relativement récent (2C_548/2020 du 3 mai 2021 in RDAF 2022 II 87), le Tribunal fédéral a précisé les règles applicables en matière de détermination des prix de transfert.

La question de savoir s’il existe un rapport adéquat entre une prestation et sa contre-prestation doit être résolue en comparant la prestation en cause avec celle qui aurait été convenue dans un rapport avec un tiers étranger à la société, soit si la transaction a respecté le principe de pleine concurrence. Selon les Principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (ci-après : les principes), différentes méthodes permettent de prendre en compte le principe de la pleine concurrence.

Les Principes distinguent à cet égard les méthodes dites (par rapport à la société) standards : on citera tout d’abord la méthode du prix comparable (« Preisvergleichsmethode » ; « Comparable Uncontrolled Price Method » [CUPM]), laquelle se décompose à son tour en deux sous-variantes : la comparaison de prix externe (comparaison des prix convenus entre entreprises liées avec les prix qui ont été convenus sur le marché entre tiers indépendants) et la comparaison de prix interne (comparaison des prix que l’entreprise concernée a convenus dans le cadre de transactions comparables avec des entreprises indépendantes). D’autres méthodes standards sont la méthode du prix de revente (« Wiederverkaufspreismethode » ; « Resale Price Method » [RPM]) et la méthode du coût majoré (« Kostenaufschlagsmethode » ; « Cost Plus Method » [CPM]). En plus de ces méthodes standards, auxquelles se réfère expressément le législateur suisse à l’art. 58 al. 3 LIFD pour les prestations que des entreprises d’économie mixte remplissant une tâche d’intérêt public fournissent à des entreprises qui leur sont proches, l’OCDE reconnaît également les méthodes de répartition du bénéfice liées à la transaction, telles que la méthode transactionnelle de la marge nette (« transaktionsbezogene Nettomargenmethode » ; « Transactional Net Margin Method » [TNMM] et la méthode transactionnelle du partage des bénéfices (« transaktionsbezogene Gewinnaufschlagsmethode » ; « Transactional Profit Split Method » [TPSM]).

L’art. 58 al. 3 LIFD ne fixe aucune hiérarchie quant à l’application des méthodes standards qui y sont mentionnées et il ne ressort pas non plus de cette disposition d’indications sur la manière dont les différentes méthodes doivent être appliquées. Les autorités fiscales disposent donc d’une marge d’appréciation importante dans ce domaine.

22.         En cas de distribution dissimulée de bénéfices, il incombe en principe à l’autorité fiscale d’apporter la preuve qu’une prestation de la société a été effectuée sans contre-prestation ou avec une contre-prestation insuffisante. Une telle disproportion, lorsqu’elle est établie, fonde en droit fiscal la présomption qu’on se trouve en présence d’une distribution dissimulée de bénéfice. Si la société ne peut prouver que l’opération en cause satisfait aux règles de la pleine concurrence, elle doit supporter les conséquences de cette absence de preuve. Celles-ci consistent en un redressement de son résultat (ATF 140 II 88 consid. 7). Si les preuves recueillies par l’autorité fiscale fournissent suffisamment d’indices révélant l’existence d’une telle disproportion, il appartient alors au contribuable d’apporter la preuve du contraire (arrêt 2C_343/2019 du 27 septembre 2019 consid. 5.2).

23.         En l’espèce, la recourante estime que le pourcentage des royalties qu’elle a versées à B______ (60 %) correspond au prix du marché. Elle se fonde sur plusieurs avis de droit, dont l’un rédigé en 2014 par le Pr E______.

L’AFC-GE ne partage pas le point de vue de la contribuable, estimant que la rémunération en question se révèle excessive et qu’il convient de la réduire à 50 %.

24.         Il découle de l’annexe à la pièce n° 3______ du chargé de l’AFC-GE que la recourante et B______ font partie du même groupe de sociétés. Elles doivent dès lors être qualifiées de proches. Il convient ainsi d’examiner si le montant des royalties en questions respecte le principe de pleine concurrence.

Le pourcentage de 60 % incriminé résulte de la convention du 3 juillet 1989, conclue entre la contribuable et B______, celle-ci octroyant à la première une licence exclusive de commercialisation et d’exploitation du Logiciel sur tout le territoire helvétique moyennant le versement de royalties se montant à 60 % du prix de vente des Logiciels et de 60 % du montant des maintenances payées par les clients.

La contribuable se réserve le droit de compenser les montants que lui doit B______, en les déduisant directement des royalties, étant rappelé que B______ s’engage à faciliter par tous les moyens, y compris financiers, l’introduction du Logiciel sur le marché suisse, en particulier prendre en charge tous les frais et prestations relatifs aux développements nécessités pour l’adaptation des programmes de base du Logiciel aux normes légales suisses. Ces coûts seront déduits des royalties.

25.         L’AFC-GE s’est fondée sur des pièces obtenues par voie d’entraide administrative avec le Luxembourg, dont en particulier les annexes à la pièce n° 4______. Il en résulte que B______ est détenue à 100 % par D______, dont l’ultime ayant droit économique est Monsieur J______, résident en Israël. Les redevances payées par B______ à la société néerlandaise sont dues suite à des obligations contractuelles conclues avec cette dernière société, laquelle jouit du droit exclusif d’utilisation et d’exploitation commerciale du Logiciel. La société néerlandaise avait concédé à B______ une licence en vertu du contrat de licence de know-how du 28 juin 1989, toujours en vigueur. Le mode de fixation des redevances est le suivant : B______ paiera un montant correspondant à 50 % du chiffre d’affaires généré par le produit, mais au minimum CHF 1.5 million par an.

Selon les documents obtenus par voie d’entraide avec les Pays-Bas, la société néerlandaise est détenue par M. J______, par l’intermédiaire d’une société sise à Curaçao.

Par ailleurs, à teneur dudit contrat, produit par l’AFC-GE sous le couvert du secret fiscal, le droit concédé par la société néerlandaise à B______ s’étendait à la CEE et à la Suisse.

Ces pièces peuvent être utilisées dans la présente procédure, car elle ont été établies à une période antérieure à 2011, mais elles déploient des effets pour des périodes 2011 et subséquentes, puisque le contrat en question est toujours en vigueur.

26.         Il n’y a pas lieu de prendre en considération les avis de droit produits par la recourante, notamment celui rédigé en 2014 par le Pr E______, nonobstant ses compétences dans le domaine litigieux en l’espèce. En effet, les avis de droit privés ne constituent pas des moyens de preuve, mais sont largement traités comme des allégués de partie, y compris lorsqu'ils émanent d'une personne expérimentée et reconnue (ATF 141 IV 369 consid. 6.2).

27.         Afin de déterminer le prix du marché – et, par voie de conséquence, les reprises – l’AFC-GE n’a pas eu recours à la méthode de comparaison de prix externe, ni à celle de prix interne. Il ne peut le lui être reproché. En effet, ces deux méthodes impliquent de pouvoir procéder à une comparaison avec un tiers indépendant. Or, la recourante, B______ et la société néerlandaise sont trois sociétés proches. Les deux premières appartiennent au même groupe et les deux dernières sont détenues par le même actionnaire, M. J______.

Si B______ distribuait des Logiciels sur le territoire suisse, elle devrait reverser à la société néerlandaise, en application du contrat du 28 juin 1989 conclu avec cette dernière, des royalties correspondant à 50 % de son chiffre d’affaires. En revanche, lorsque la recourante distribue le Logiciel sur le territoire helvétique, elle est tenue, en application du contrat du 3 juillet 1989 signé avec B______, de payer à celle-ci des royalties se chiffrant à 60 % du produit des ventes. Or, la recourante ne fournit aucune explication plausible au sujet de cette différence de rémunération, alors que les deux transactions et les marchés se révèlent comparables. En d’autres termes, elle ne démontre pas en quoi ce pourcentage plus élevé se révèle justifié par l’usage commercial.

En conséquence, c’est à bon droit que l’AFC-GE a réduit de 60 % à 50 % le montant des redevances versées à B______, admissible à titre de charge commerciale.

28.         La contribuable demande que le montant des reprises soit diminué des frais que lui doit B______ en application des art. 2 let. c et 6 de la convention du 3 juillet 1989. Elle se fonde également sur la comptabilité jointe à sa réclamation du 1er juillet 2021. Pour les années 2009 et 2010, elle fait valoir en déduction des sommes s’élevant à respectivement CHF 27'927'000.- et à CHF 29'455'000.-.

29.         La société ne peut être suivie. En effet, les comptes en question, libellés « Redevances concessions K______ », ne font qu’enregistrer les royalties versées à B______, mais ne font pas état des frais que cette entité lui aurait payés.  

30.         Au vu de ce qui précède, il y a lieu de confirmer les reprises effectuées par l’AFC-GE dans les bordereaux et les avis de taxation du 18 octobre 2022.

Double imposition intercantonale

31.         Subsidiairement, la recourante demande que l’AFC-GE procède à une répartition intercantonale des reprises entre les cantons de Genève, de Zürich et du Tessin. Elle reproche à l’autorité intimée d’avoir attribué l’intégralité des redressements au canton de Genève.

32.         En matière de répartition intercantonale du bénéfice des entreprises, il existe deux méthodes.

Dans le cadre de la méthode directe, le bénéfice total de l’exploitation est réparti entre les établissements stables (y compris le siège) qui présentent un bénéfice selon leur comptabilité séparée, après la répartition d’éventuels domiciles fiscaux spéciaux. Ceci en proportion des bénéfices attestés du siège et de l’établissement stable (quotes-parts). Dans le cas de la méthode indirecte, la répartition du bénéfice d’exploitation global intervient après la répartition d’éventuels domiciles fiscaux spéciaux selon les facteurs auxiliaires entre le siège et tous les établissements stables, donc également ceux qui ont subi une perte (puisque ceux-ci disposent également des facteurs auxiliaires déterminants pour la détermination des quotas). Par rapport aux facteurs auxiliaires (quotes-parts). Ainsi, le siège ou les établissements stables qui ont réalisé un bénéfice reprennent en fin de compte une part de l’établissement stable déficitaire. Cette prise en charge des pertes est définitive (Hannes TEUSCHER, Frank LOBSIGER, in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Daniel DE VRIES REILINGH, Interkantonales Steuerrecht, 2ème édition, 2021, § 31, n. 9-10, p. 325).

Pour les entreprises commerciales, la répartition du bénéfice se fait en règle générale selon la méthode indirecte ; cela n’est toutefois possible que si la méthode directe, à laquelle le Tribunal fédéral a en principe accordé la priorité sur la méthode indirecte, n’aboutit pas à un résultat plus approprié. Le bénéfice est réparti entre les établissements stables (y compris le siège) à l’aide du chiffre d’affaires. Le chiffre d’affaires comprend le bénéfice total, y compris le rendement neutre (p. ex. rendement des titres), mais à l’exclusion du rendement immobilier attribué exclusivement au canton de situation de l’immeuble (Hannes TEUSCHER, Frank LOBSIGER, op. cit. § 31., n. 32-33, p. 330-331).

33.         En l’espèce, la recourante ne peut être suivie.

Certes, dans sa réponse, l’AFC-GE s’est déclarée prête à entrer en matière sur le grief de l’intéressée et ce, à juste titre, au vu des règles exposées ci-dessus. Cela étant, la contribuable n’a produit aucune pièce comptable permettant de procéder à la répartition intercantonale de ses résultats réalisés durant les années 2009 et 2010, dans les cantons de Genève, de Zürich et du Tessin.

Partant, le grief doit être rejeté.

34.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis dans la mesure où la prescription absolue du droit de procéder au rappel d’impôt pour les années 2007 et 2008 est acquise. Pour le surplus, le recours doit être rejeté.

35.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient partiellement gain de cause, est condamnée au paiement d’un émolument réduit s'élevant à CHF 2'500.-. Il est partiellement couvert par l’avance de frais CHF 1'000.- versée de à la suite du dépôt du recours.

Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 600.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 21 novembre 2022 par A______ SA contre la décision l'administration fiscale cantonale du 18 octobre 2022 ;

2.             l'admet partiellement, dans le sens des considérants ;

3.             met à la charge d'A______ SA un émolument de CHF 2'500.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais de CHF 1'000.- ;

4.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 600.- ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

 

 

La greffière