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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/4223/2023

JTAPI/907/2024 du 12.09.2024 ( LCI ) , REJETE

ADMIS par ATA/228/2025

Descripteurs : PROTECTION DES MONUMENTS
Normes : LPA.61.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4223/2023 LCI

JTAPI/907/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 septembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Marie-Claude DE RHAM-CASTHELAZ, avocate, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______ est propriétaire de la parcelle n° 1______ (ci-après : la parcelle), sise Chemin B______ à C______ (ci-après : la commune), en zone agricole.

En 1996, il a hérité de la parcelle de son père, Monsieur D______ (ci-après : l'ancien propriétaire), qui en était propriétaire depuis 1989.

2.             Plusieurs constructions sont sises sur la parcelle, dont notamment une maison d'habitation (n° 2______) (ci-après : la villa) et le bâtiment n° 3______ (ci-après : le bâtiment litigieux), cadastré en tant que serre.

3.             Elles ont fait l'objet d'un recensement architectural cantonal en 1981, lors duquel la villa s'est vu attribuer la valeur 2 (« remarquable ») et le bâtiment litigieux la valeur 3 (« intéressant »).

4.             L'ancien propriétaire a ensuite fait cloisonner les arches du bâtiment litigieux par des huisseries métalliques et des vitrages. Aucune autorisation de construire n'a été requise pour ces travaux.

5.             En 2001, M. A______ a fait appel à la société E______ SA (ci-après : E______) afin de remplacer les parois vitrées du bâtiment litigieux.

L'installation existante a été démontée et évacuée, de nouvelles menuiseries métalliques, d'une teinte différente, ont été posées en applique intérieure des arches et les vitrages en plexiglas ont été remplacés par du verre. Aucune autorisation de construire n'a été requise pour ces travaux.

6.             Le 15 août 2002, l'ancien département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (devenu depuis lors le département du territoire, ci-après : le département) s'est adressé par courrier à M. A______.

Il faisait suite à une séance qui avait eu lieu le 18 juin 2002 à la mairie, lors de laquelle il avait évoqué son projet d'inscription à l'inventaire des immeubles dignes de protection situés sur le territoire de la commune. Cette démarche s'inscrivait dans le cadre du vote par le Grand Conseil, le 17 mai 2001, d'un crédit destiné aux recensements et à l'inscription à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés, tels que prévus par la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05).

Il envisageait d'ouvrir une procédure d'inscription à l'inventaire s'agissant de la villa et du bâtiment litigieux. Un délai de 30 jours était imparti à M. A______ pour lui faire part de ses remarques éventuelles.

7.             Dans le cadre de la procédure d'inscription à l'inventaire, lors de sa séance du 3 décembre 2003, la sous-commission monuments et antiquités (ci-après : SCMA) de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci‑après : CMNS) s'est prononcée en faveur de la mesure de protection de ces bâtiments.

Il ressortait notamment du procès-verbal de ladite séance :

-          que des dossiers avaient été ouverts pour les objets ayant reçu une valeur 2 ou 3 lors du recensement cantonal. Des visites sur place effectuées par des collaboratrices du service des monuments et des sites (ci-après : SMS) et de l'Inventaire de la Maison rurale avaient permis d'éliminer les dossiers des objets qui avaient été trop modifiés depuis la date du recensement ou au contraire de proposer ceux des objets non encore recensés ou dont la valeur pouvait être réévaluée ;

-          qu'une délégation de la SCMA s'était réunie à trois reprises, le 2 juillet, ainsi que les 21 et 29 août 2003 pour examiner les dossiers d'inscription à l'inventaire concernant la commune. Elle avait effectué deux visites sur place le 2 octobre et le 6 novembre 2003 dans le but de compléter sa connaissance des objets acquise sur la base des dossiers.

8.             Lors de sa séance plénière du 27 janvier 2004, la CMNS a également rendu un préavis favorable à la mesure envisagée.

9.             Par arrêté du ______ 2005, le département a inscrit à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés le bâtiment litigieux, ainsi que la villa.

10.         Le ______ 2021, M. A______ a saisi la commission foncière agricole
(ci-après : CFA) d'une requête en division de la parcelle et en désassujettissement de la sous-parcelle bâtie, enregistrée sous la référence CFA 4______.

11.         Dans le cadre de l'instruction de cette requête, la CFA a transmis le dossier au département.

12.         Le 10 septembre 2021, suite à une visite sur place et après consultation de ses archives, le département a rendu une décision constatant notamment que sept constructions ou installations qui se trouvaient sur la parcelle litigieuse avaient été érigées sans autorisation.

Le bâtiment litigieux, mentionnée comme « serre n° 3______ » faisait notamment partie de cette liste dans la mesure où la toiture avait subi des modifications et que des menuiseries avaient été ajoutées.

13.         Par décision du 5 novembre 2021, après avoir procédé aux vérifications d'usage, le département a notamment confirmé à M. A______ que la pose de menuiseries vitrées sur le bâtiment litigieux, inscrit à l'inventaire des immeubles dignes d'être protégés, était soumise à l'obtention d'une autorisation de construire et lui a ordonné de requérir une telle autorisation dans un délai de 30 jours.

S'il ne souhaitait pas tenter de régulariser la situation par l'obtention d'une autorisation de construire, il lui était loisible de procéder à la mise en conformité des lieux en revenant à un état légal dans un délai de 30 jours.

A défaut de dépôt d'une requête en autorisation de construire dans le délai imparti et sans mise en conformité complète, il s'exposait à toutes autres mesures et/ou sanctions justifiées par la situation.

14.         Le ______ 2023, par le biais de son mandataire, M. A______ a déposé une requête en autorisation de construire dans le but de régulariser le bâtiment litigieux.

15.         Dans le cadre de l'instruction de cette requête, enregistrée sous la référence DD 5______, plusieurs instances de préavis ont été consultées :

-          le 7 août 2023, l'office de l'urbanisme (ci-après : OU) a rendu un préavis favorable avec dérogations ;

-          le 28 août 2023, la commune a rendu un préavis favorable sans observations ;

-          le 22 mai 2023, la CMNS a relevé que plusieurs documents attestaient la construction d'une galerie-promenoir au nord-est avec son belvédère. Elle estimait une vraie aberration la construction d'une paroi vitrée le long de la galerie et du belvédère. Il s'agissait d'un élément étranger à l'architecture de la villa, même pour le changement d'affectation de la galerie en orangerie. S'exprimant à nouveau le 4 septembre 2023, après que les mandataires du projet eussent tenté d'en négocier les modalités, la CMNS a rendu un préavis défavorable au motif que l'ajout d'une paroi vitrée le long de la galerie et du belvédère altérait fortement la construction. Il s'agissait d'un élément complètement étranger à l'architecture de la galerie et son changement d'affectation en orangerie n'était pas adéquat. La temporalité entre l'inscription à l'inventaire et les travaux n'était par ailleurs pas un argument valable en vue de la régularisation ;

-          le 26 septembre 2023, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a rendu un préavis favorable avec dérogation dans lequel elle a précisé que l'affectation de serre du bâtiment litigieux n'était pas remise en cause ;

-          le 29 septembre 2023, le SMS a rendu un préavis défavorable au projet, reprenant les motifs invoqués par la CMNS ;

-          le 20 octobre 2023, l'office cantonal de l'agriculture et de la nature
(ci-après : OCAN) a rendu un préavis favorable avec dérogations et sous conditions.

16.         Par décision du ______ 2023, faisant sien le préavis rendu par la CMNS le 4 septembre 2023, le département a refusé l'autorisation de construire sollicitée.

17.         Par acte déposé le 19 décembre 2023 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal), sous la plume de son conseil, M. A______ a interjeté recours à l'encontre de cette décision et conclu à son annulation. Il a par ailleurs sollicité son audition, le témoignage de ses mandataires architectes, ainsi que celui d'une collaboratrice du département.

Contrairement à ce qu'avait retenu le département, le projet était conforme à l'art. 9 al. 1 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). Lorsque le bâtiment litigieux avait été inscrit à l'inventaire en 2005, la paroi vitrée existait déjà et la CMNS n'avait fait aucune remarque à ce sujet à ce moment-là. Elle avait été posée dans les années 1992 à 1994 et avait été restaurée en 2001. Elle était fixée en applique intérieure des arches de la galerie et des colonnes en bois et ne portait pas atteinte à la structure du bâtiment, ni aux autres éléments dignes de protection du bâtiment litigieux. Le vitrage transparent n'entravait son aspect ni de l'intérieur, ni de l'extérieur.

Le bâtiment litigieux était cadastré en tant que serre depuis 1989 au moins et cette affectation n'était pas remise en cause par les différentes instances de préavis. Par définition, une serre était une construction vitrée à l'intérieur de laquelle on mettait les plantes à l'abri. Par ailleurs, la mise à l'inventaire, contrairement au classement, n'empêchait pas qu'une affectation différente de celle d'origine soit conférée au bâtiment. Enfin, les chambres fédérales avaient rétabli la prescription trentenaire hors des zones à bâtir.

La décision querellée violait le principe de proportionnalité, ainsi que celui de la bonne foi.

18.         Par courrier du 8 février 2024, la commune a rappelé avoir préavisé favorablement le projet litigieux et a réitéré son soutien au recourant.

19.         Le 19 février 2024, le département a transmis son dossier au tribunal, accompagné de ses observations. Il a conclu au rejet du recours.

L'inscription à l'inventaire, conformément à l'arrêté du ______ 2005, portait sur l'intégrité des bâtiments n° 2______ et 3______, ainsi que sur les aménagements extérieurs. Les vitrages étaient par conséquent concernés par cette protection patrimoniale, de sorte que « les vitrages d'origine devaient être sauvegardés », ce que le recourant n'avait pas fait, en violation de l'art. 9 LPMNS. La CMNS et le SMS avaient rendu des préavis défavorables, l'ajout de la paroi vitrée altérant fortement la construction. Le département n'avait d'autre choix que de suivre les préavis des instances spécialisées. Dans la mesure où les travaux avaient été effectués sans autorisation, puis soumis à régularisation en 2023, il se devait d'appréhender le cas à la lumière de l'arrêté du ______ 2005. Le recourant se limitait à substituer son appréciation à celle effectuée par les instances compétentes lorsqu'il affirmait que les travaux non autorisés n'entrainaient aucune altération du bâti et que le vitrage transparent n'entravait son aspect ni de l'intérieur, ni de l'extérieur. Aucune prescription trentenaire n'était actuellement applicable en zone agricole et le fait qu'un projet de révision de la LAT ait été adopté, sans toutefois être entré en vigueur, ne permettait pas au recourant de l'invoquer.

Il avait en l'espèce procédé à une pesée des intérêts en présence, considéré que les intérêts privés du recourant ne pouvaient l'emporter et choisi, au vu des préavis défavorables rendus, de refuser l'autorisation sollicitée. Le recourant ne parvenait par ailleurs pas à démontrer qu'il aurait abusé ou excédé son pouvoir d'appréciation, de sorte qu'aucune violation du principe de proportionnalité ne pouvait lui être reprochée.

Le recourant ne pouvait déduire de l'implication de la CMNS dans la procédure d'inscription à l'inventaire l'assurance que les travaux afférant au changement de vitrages ou du changement d'affectation de la serre n'étaient pas soumis à autorisation de construire. La CMNS n'était pas l'autorité compétente pour se prononcer sur l'exigence ou non d'obtenir une autorisation de construire. Aucune tolérance ou violation du principe de la bonne foi ne pouvait en l'espèce être retenue.

20.         Le 25 mars 2024, sous la plume de son conseil, le recourant a répliqué, persistant dans ses conclusions.

Il n'avait pas « enlevé les vitrages d'origine » mais avait remplacé le plexiglas par du verre et remplacé les huisseries vieillissantes. Il avait ainsi assaini la construction et amélioré sa performance thermique et son aspect esthétique. Les parois vitrées donnaient par ailleurs une fonction utile au bâtiment, lui permettant d'abriter ses plantes contre le gel et de protéger le bâtiment n° 2______ contre la bise qui le refroidissait. Il relevait que le département ne contestait plus que le bâtiment litigieux soit une serre, mais lui reprochait désormais de ne pas avoir sauvegardé les vitrages d'origine. La CMNS avait donné un préavis favorable à l'inscription du bâtiment litigieux à l'inventaire le 27 janvier 2004 et ne pouvait pas, de bonne foi, prétendre 20 ans plus tard que la paroi vitrée l'altérait fortement. Même si la prescription trentenaire n'était pas encore rétablie, l'inaction du département face à une construction illicite dont il avait eu connaissance pouvait en l'espèce être assimilée à une tolérance active.

Il ne comprenait pas l'acharnement du département qui exigeait qu'il renonce à sa demande de régularisation du bâtiment litigieux pour que les six autres objets préavisés favorablement soient autorisés. Le département excédait manifestement son pouvoir d'appréciation lorsqu'il prétendait que la paroi vitrée altérait fortement le bâtiment, alors qu'il avait délivré un préavis favorable à la mise à l'inventaire le 27 janvier 2004 et était resté passif pendant 20 ans alors qu'il avait connaissance des travaux entrepris.

Lors d'une mise à l'inventaire, les bâtiments recensés étaient notamment examinés par un groupe de travail ad hoc, ainsi que par la CMNS. Des réserves étaient faites dans les préavis lorsque les bâtiments étaient en mauvais état d'entretien ou avaient subi des transformations. Rien n'était mentionné en l'espèce, le bâtiment litigieux étant qualifiée de « remarquable ».

21.         Le 18 avril 2024, le département a dupliqué, persistant dans ses conclusions.

Le préavis rendu par la CMNS le 27 janvier 2004 ne portait que sur la mise à l'inventaire des bâtiments et aucunement sur les travaux effectués sans autorisation. Il avait procédé à une pesée des intérêts en présence et fait primer la protection du patrimoine, dans la mesure où des travaux non autorisés avaient été effectués sur un bâtiment inscrit à l'inventaire.

L'implication de la CMNS dans la procédure de mise à l'inventaire n'assurait pas la conformité des travaux effectués sans autorisation. Dans la mesure où la CMNS n'était pas compétente pour rendre une autorisation de construire, aucune tolérance « active » de sa part ne pouvait être retenue.

22.         Le 24 mai 2024, à la demande du tribunal, le département a transmis des documents afférents à la mise à l'inventaire du bâtiment litigieux, dont il ressort les éléments indiqués ci-avant au considérant 7.

23.         Le 10 juin 2024, suite à une interpellation du tribunal, le département a indiqué que le dossier de mise à l'inventaire ne comportait aucun document portant sur d'autres visites que celle effectuée le 23 octobre 1991 sur la parcelle litigieuse.

Il a produit un formulaire de recensement architectural, complété le 7 août 1981, dont il ressortait que la date de construction de la maison remontait à 1840 et que le bâtiment litigieux était « ouvert ». Il paraissait ainsi très probable que la CMNS se soit fondée sur ce recensement architectural, ainsi que sur les photographies prises lors de la visite du 23 octobre 1991 pour procéder à la mise à l'inventaire.

Il ressort de ces photographies, jointes au dossier, qu'à cette date, la galerie litigieuse était en effet ouverte, c'est-à-dire dépourvue de toute menuiserie. Néanmoins, sur la photographie portant le n° 18, montrant en gros plan la face intérieure de l'un des piliers de la galerie, des gonds scellés dans la pierre sont clairement visibles, étant précisé que la pierre est à cet endroit taillée en feuillure.

24.         Le 27 juin 2024, par le biais de son conseil, M. A______ a transmis ses observations.

Il ressortait du procès-verbal du 3 décembre 2003 de la SCMA que la CMNS s'était notamment prononcée sur la base du préavis de la SCMA rendu suite aux visites sur place les 2 octobre et 6 novembre 2003. Celles-ci avaient permis de compléter la connaissance des objets acquise sur la base des dossiers. Des visites avaient été effectuées par des collaboratrices du SMS et de l'Inventaire de la Maison rurale chargées de contrôler les objets qui auraient été modifiés depuis la date du recensement afin d'éliminer ceux qui auraient été trop modifiés. Lors de ces visites, en 2003, le bâtiment litigieux était vitré. Les instances qui avaient préconisé la mise à l'inventaire avaient connaissance de l'existence des parois vitrées et n'avaient fait aucun commentaire à ce sujet.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Le recourant sollicite préalablement la comparution personnelle des parties, ainsi que l'audition de ses mandataires architectes et d'une collaboratrice du département, en qualité de témoins.

4.             Le droit d’être entendu, garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour les parties de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1). Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

Le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (cf. not. art. 41 in fine LPA ; ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_668/2020 du 22 janvier 2021 consid. 3.3 ; 2C_339/2020 du
5 janvier 2021 consid. 4.2.2 ; ATA/1637/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3d), ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_725/2019 du 12 septembre 2019 consid. 4.1 ; 2C_1004/2018 du 11 juin 2019 consid. 5.2.1). Ces principes s’appliquent également à la tenue d’une inspection locale en l’absence d’une disposition cantonale qui imposerait une telle mesure d’instruction, étant précisé qu’une telle disposition n’existe pas en droit genevois (ATF 120 Ib 224 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_243/2013 du 27 septembre 2013 consid. 3.2.1 ; ATA/285/2021 du 2 mars 2021 consid. 2b).

5.             En l'espèce, le recourant, tout comme le département, a eu l’occasion de s’exprimer par écrit, d’exposer son point de vue et de produire toutes les pièces qu’il estimait utiles à l’appui de ses allégués par le biais des écritures usuelles. Le dossier comporte en outre tous les éléments pertinents et nécessaires à l’examen des griefs et arguments mis en avant par les parties, permettant ainsi au tribunal de se forger une opinion et de trancher le litige.

S’agissant de l’audition des mandataires architectes du recourant et de la collaboratrice du département en qualité de témoins, dans la mesure où le département ne conteste pas les faits allégués par le recourant pour lesquels les témoignages sont sollicités, cette mesure d’instruction n'a aucun intérêt pour le présent litige.

Partant, il n’y a pas lieu de procéder aux mesures d’instruction requises, celles-ci n'étant au demeurant pas obligatoires.

6.             Sur le fond, le recourant conteste le refus de délivrance de l'autorisation de construire n° DD 5______.

7.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2).

8.             En l'espèce, la décision querellée, objet du recours, fait référence au préavis défavorable rendu par la CMNS le 4 septembre 2023, dont il ressort que l'ajout d'une paroi vitrée, constituant un élément étranger à l'architecture du bâtiment litigieux, l'altèrerait fortement.

Dans ses écritures, l'autorité intimée a toutefois précisé que les vitrages étaient concernés par la protection patrimoniale et que les « vitrages d'origine » devaient donc en l'espèce être sauvegardés.

Il existe donc, du moins en apparence, une contradiction entre la position exprimée par l'autorité intimée et celle exprimée par la CMNS, puisque la première ne semblerait a priori pas opposée à une remise en état impliquant de revenir aux menuiseries précédentes, tandis que la seconde semble plutôt exclure la présence de toute paroi vitrée.

A cet égard, les documents produits en cours de procédure par l'autorité intimée tendent à démontrer de manière tout à fait vraisemblable que la mesure de protection prononcée au sujet du bâtiment litigieux en 2005 n'a pas été prise dans l'ignorance de son état à ce moment-là, c'est-à-dire avec la présence d'éléments vitrés, dès lors que les lieux semblent avoir fait l'objet d'une visite préparatoire en 2003. Par conséquent, quand bien même, comme l'a relevé l'autorité intimée, la mesure de protection patrimoniale du bâtiment prise en 2005 ne saurait être interprétée comme une autorisation délivrée à ce moment-là pour les éléments vitrés (érigés sans autorisation), faute pour les instances concernées d'en avoir la compétence, on ne peut non plus faire purement et simplement abstraction du fait que cette mesure de protection a été prononcée nonobstant ces installations. On relèvera en particulier, à cet égard, que le dossier sur lequel se prononce le tribunal ne contient aucun élément tendant à montrer que les visites préparatoires de 2003 et les réflexions qui ont précédé la mesure de protection auraient relevé le caractère dégradant des vitrages. Dans cette mesure, l'appréciation de la CMNS selon laquelle la présence de vitrages constituerait une aberration doit être considérée avec un certain recul et l'on verrait mal, surtout avec la position exprimée par l'autorité intimée dans la présente procédure, que le recourant ne puisse pas au moins revenir à la situation antérieure. Le tribunal relèvera encore que la question du caractère aberrant on non de vitrages le long des arcades du bâtiment mériterait plus ample réflexion pour deux raisons. Tout d'abord, comme vu plus haut, la visite effectuée en 1991 a révélé la présence, sur l'un au moins des piliers, de gonds scellés dans la pierre et d'une taille en feuillure, ce qui semble démontrer qu'à une époque antérieure (voire dès sa construction), le bâtiment disposait déjà d'un système de menuiserie. Ensuite, la fonction originelle dudit bâtiment n'est pas déterminée, mais l'on pourrait envisager celle d'une orangerie, dont il se rapproche sur le plan architectural, étant relevé, d'une part, l'engouement pour ce genre de construction jusqu'à la fin du XIXème (période de construction de la villa) et, d'autre part, le fait que les progrès de l'industrie du verre ont progressivement conduit à ce qu'elles soient pourvues de menuiseries vitrées (https://www.jaimemonpatrimoine.fr/fr/module/81/1453/orangerie ; consulté le
4 septembre 2024).

Indépendamment de tout ce qui vient d'être souligné, il n'en demeure pas moins qu'a teneur du dossier, ni les menuiseries vitrées posées selon le recourant en 1992, ni celles qui les ont remplacées en 2001 n'ont fait l'objet d'une demande d'autorisation, le recourant ne prétendant d'ailleurs pas le contraire. Par conséquent, les menuiseries qui font l'objet de la demande d'autorisation litigieuse ne peuvent être considérées que comme des constructions nouvelles, ce qui n'est au demeurant pas contesté non plus par le recourant.

A cet égard, au-delà du fait que la CMNS semble avoir critiqué l'idée même que le bâtiment litigieux soit muni de menuiseries vitrées, elle s'est tout de même prononcée sur un projet particulier – en réalité déjà exécuté – auquel elle n'a manifestement trouvé aucun mérite. De fait, les menuiseries métalliques posées par le recourant contrastent fortement, pour ne pas dire brutalement, avec le bâtiment. Ayant à l'esprit l'intérêt patrimonial que représente ce dernier, toute intervention susceptible d'en modifier l'aspect exige de la finesse et, en cas contraire, s'expose au préavis négatif de la CMNS. Sur ce point, le recourant ne fait que substituer son appréciation à celle de l'instance spécialisée, sans expliquer en quoi les nouvelles menuiseries auraient dû imposer l'adhésion de cette dernière. Certes, il a exposé des frais importants pour la pose des nouvelles menuiseries et l'on peut comprendre qu'il souhaite les régulariser plutôt que d'être éventuellement amené à les remplacer, mais il a mis l'autorité devant le fait accompli et doit donc en supporter les conséquences.

Compte tenu de ce qui précède, on ne voit pas en quoi l'autorité intimée aurait excédé ou abusé de son pouvoir d'appréciation.

9.             S'agissant de l'argumentation développée par le recourant au sujet de sa bonne foi, elle ne saurait être suivie. En effet, la mesure de protection patrimoniale prise en 2005 ne peut être confondue, comme expliqué plus haut, avec une procédure d'autorisation de construire.

10.         Enfin, l'argument du recourant concernant le prochain rétablissement de la prescription trentenaire par voie législative est inopérant, dès lors que cette prescription concerne la possibilité de s'opposer à un ordre de remise en état, ce que la décision litigieuse n'est pas.

11.         Au vu de ce qui précède, le recours ne peut qu'être rejeté.

12.         Comme déjà mentionné plus haut, cette issue n'exclut pas la possibilité d'obtenir une autorisation pour la pose de menuiseries vitrées, les instances spécialisées en matière patrimoniales étant amenées à cette occasion à admettre sur le principe la possibilité de telles installations, mais demeurant libres de poser des exigences spécifiques visant la meilleure intégration au bâtiment existant.

13.         Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 900.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il est couvert par l'avance de frais de même montant versée suite au dépôt du recours.

14.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 19 décembre 2023 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 900.- qui est couvert par son avance de frais ;

4.             dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Patrick BLASER et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

 

Genève, le

 

La greffière