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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/336/2024

JTAPI/553/2024 du 10.06.2024 ( OCIRT ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE TRAVAIL;TRAVAILLEUR
Normes : LEI.22
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/336/2024

JTAPI/553/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 juin 2024

 

dans la cause

 

A______

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 


EN FAIT

1.             Par formulaire M déposé le 20 octobre 2023, A______ (ci-après : la société) a sollicité la délivrance d’une autorisation de séjour à l’année avec activité lucrative (permis B) en faveur de Monsieur B______, né le ______ 1972, de nationalité égyptienne, pour une activité de « financial manager », au salaire de CHF 8'000.- par mois.

2.             Par deux courriels du 1e novembre 2023, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a sollicité de la société, dans un délai de dix jours, la production d’un certain nombre de documents complémentaires.

3.             Le délai a été prolongé à deux reprises, à la demande de la société.

4.             Par courriel du 30 novembre 2023, la société a notamment transmis une copie du document intitulé « A qui de droit » concernant l’activité de M. C______ à Genève, signé par la société, indiquant un salaire mensuel de base de CHF 5'000.- et la prise en charge des frais de logement, assurance-maladie, impôts, assurances sociales, téléphone et électricité.

5.             Le 5 décembre 2023, l’OCIRT a demandé à la société de lui transmettre une lettre de détachement signée par l’employé et l’employeur, indiquant la prise en charge des frais de nourriture, transport et logement en plus du salaire. Il demandait également une confirmation du salaire puisque le formulaire M mentionnait un montant mensuel de CHF 8'000.- alors que le document « A qui de droit » retenait un salaire de CHF 5'000.-.

6.             Le 7 décembre 2023, la société a répondu que la lettre de détachement serait dûment signée le 9 décembre 2023.

7.             Une lettre de détachement portant sur le détachement de M. B______ dès le 1er octobre 2023 pour une durée minimale de six mois, automatiquement prolongé pour trois ans, dûment signée par l’employeur et l’employé a été transmise à l’OCIRT par la société par courriel du 11 décembre 2023.

Cette lettre indiquait que la société prenait en charge, en sus du salaire, les dépenses de l’employé nécessaires en raison de son détachement à Genève (logement, assurance-maladie, impôts, assurances sociales, téléphone, électricité, billets d’avion, frais administratifs) pendant la durée de l’emploi. Les frais de nourriture et les transports publics genevois étaient à la charge de l’employé vu la durée du détachement. La rémunération de base s’élevait à CHF 5'000.-. A cette somme s’ajoutaient les frais susmentionnés, ce qui équivalait à un revenu approximatif de CHF 8'000.-. Le salaire serait augmenté après trois mois.

8.             Par décision du 14 décembre 2023, l’OCIRT a refusé l’octroi de l’autorisation de séjour sollicitée au motif que le principe de l’art. 22 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) n’était pas respecté. En effet, l’employeur ne prenait pas en charge toutes les dépenses liées au détachement, notamment les frais de nourriture et de transport, et ceci malgré leurs avertissements précédents et demandes répétées.

A l’avenir, l’OCIRT demandait le dépôt de demandes complètes et précises en temps opportun et une collaboration à la constatation des faits déterminants en fournissant sans retard les moyens de preuve nécessaires.

9.             Par acte du 30 janvier 2024, la société (ci-après : la recourante) a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de cette décision, concluant à son annulation et à l’octroi d’une autorisation de séjour avec activité lucrative, sous suite de frais.

Le salaire de M. B______, futur directeur financier de la succursale de Genève, ainsi que les frais de nourriture, transport, loyer et électricité lui seront versés ; l’art. 22 LEI était donc respecté. Cependant, comme la durée du détachement était renouvelable pour plus d’une année, elle ne prendra plus en charge les frais de nourriture et de transport après un an.

Elle a notamment joint à son recours un « exemplaire de salaire effectué en collaboration avec la fiduciaire », intitulé « D______ », lequel mentionnait un salaire brut pendant les trois premiers mois de CHF 3'000.-, puis de CHF 5'000.-, ainsi qu’un montant pour la nourriture de CHF 1'700.-, pour le transport de CHF 50.-, pour le loyer de l’appartement de CHF 1'484.- et pour l’électricité de CHF 20.-.

10.         L’OCIRT s’est déterminé sur le recours le 2 avril 2024, concluant à son rejet. Il a produit son dossier.

Ce n’était pas la première fois que la recourante déposait une demande incomplète, raison, pour laquelle il avait rappelé dans son courriel du 1er novembre 2023 le contenu d’une précédente décision du 18 octobre 2021.

Il avait expressément requis de la recourante, dans son courriel du 5 décembre 2023, une lettre de détachement contenant la prise en charge des frais de nourriture, de transport et de logement en plus du salaire ; or, la lettre de détachement contenait l’indication opposée, à savoir que l’employé devra supporter la charge des frais de nourriture et des transports publics genevois.

Dans son acte de recours, la recourante a simplement présenté un document non signée intitulé « D______ » qu’elle a décrit comme un « exemplaire de salaire effectué en collaboration avec la fiduciaire ». Selon ce document, l’employeur en Egypte verserait un salaire mensuel brut de CHF 3'000.- qui serait augmenté à CHF 5'000.- après trois mois. En plus de ce montant, l’employeur indiquait prendre en charge les frais de nourriture, de transport et de logement. Ce document contredisait toutefois la lettre de détachement, non datée mais signée, qui ne mentionnait pas le salaire réduit les trois premiers mois et qui indiquait que les frais de nourriture étaient à la charge de l’employé. Par ailleurs, le salaire de CHF 3'000.- ne respectait pas le salaire minimum du canton de Genève.

Il ressortait de cet examen que l’employeur n’avait pas respecté les conditions de remboursement des dépenses des travailleurs détachés de l’art. 22 LEI et que les documents accompagnant le recours ne permettaient pas d’affirmer que ces conditions étaient désormais respectées.

L’OCIRT rappelait à toutes fins utiles que l’approbation de l’autorité fédérale à l’octroi d’un éventuel permis restait réservée.

11.         Invitée à répliquer, la recourante n’a pas transmis d’écriture dans le délai imparti.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail en matière de marché du travail (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ  - E 2 05  ; art. 3 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             La LEI et l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) fixent les conditions permettant d'obtenir une autorisation de travail lorsque l'étranger souhaite exercer une activité lucrative dépendante en Suisse.

6.             En vertu de l’art. 26 al. 1 LEI, un étranger ne peut être admis à fournir des prestations de services transfrontaliers temporaires que si cette activité sert les intérêts économiques du pays.

Les conditions fixées aux art. 20, 22 et 23 LEI sont applicables par analogie (al. 2).

7.             Selon l’art. 22 al. 1 LEI, un étranger ne peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative que si les conditions de rémunération et de travail usuelles du lieu, de la profession et de la branche sont respectées (let. a), et que les montants des remboursements visés à l’al. 2 sont usuels dans le lieu, la profession et la branche (let. b). L’employeur rembourse au travailleur détaché les dépenses liées au détachement dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière ou d’un transfert interentreprises, telles que les dépenses de voyage, de logement et de nourriture. Les montants versés à ce titre ne sont pas considérés comme faisant partie du salaire (al. 2). En cas de détachement de longue durée, le Conseil fédéral peut édicter des dispositions sur la durée de l’obligation prévue à l’al. 2 (al. 3).

L’art. 22 OASA précise que pour déterminer les salaires et les conditions de travail en usage dans la localité et la profession, il y a lieu de tenir compte des prescriptions légales, des conventions collectives et des contrats-types de travail ainsi que des salaires et des conditions accordés pour un travail semblable dans la même entreprise et dans la même branche. Il importe également de prendre en considération les résultats des relevés statistiques sur les salaires (al. 1). L’employeur est tenu de présenter un contrat de travail ou une confirmation du mandat au service compétent en vertu du droit cantonal en matière d’accès au marché du travail. Pour les prestations de service transfrontières, il doit présenter l’attestation du détachement ainsi que le contrat de prestations. Ces documents doivent indiquer la durée de l’activité lucrative, les conditions d’engagement et le salaire (al. 2).

L’art. 22a OASA prévoit quant à lui que l’employeur est exempté de l’obligation de rembourser les dépenses liées à un détachement de longue durée dans le cadre d’une prestation de services transfrontalière ou d’un transfert interentreprises dès lors que le travailleur détaché a séjourné plus de douze mois sans interruption en Suisse.

8.             Selon les directives émises par le secrétariat d'État aux migrations (Directives et commentaires, Séjour avec activité lucrative, 4.3.4, état au 1er juin 2024 ; ci-après : directives LEI), l’art. 22 LEI a pour but de protéger les travailleurs étrangers contre des conditions d’engagement abusives, mais également d’éviter pour les travailleurs indigènes la concurrence d’une main-d’œuvre meilleur marché. Dans les limites des prescriptions régissant le marché du travail, il importe de veiller à ce que l’on offre aux travailleurs étrangers les mêmes conditions de rémunération et de travail en usage dans la localité et la profession que pour les travailleurs indigènes.

L’appréciation des conditions de travail implique que les autorités compétentes disposent d’informations écrites sur les données essentielles et les éléments constitutifs de la rémunération, par exemple le lieu de travail et la fonction, la durée du rapport de travail, le temps de travail, le salaire de base et les compléments éventuels, les prestations sociales et les déductions. Les autorités sont en outre tenues, en vertu de l’art. 22 al. 2 OASA, d’exiger de l’employeur qu’il produise un contrat de travail écrit et contraignant, signé au moins par l’employeur (proposition contraignante de contrat comme condition d’octroi de l’autorisation) qui doit être examiné avant d’octroyer l’autorisation. L’employeur qui détache des collaborateurs en Suisse dans le cadre d’un transfert intra-entreprise ou d’une prestation de services transfrontalière est tenu de respecter les conditions de rémunération et de travail usuelles du lieu, de la profession et de la branche (cf. ch. 4.3.4) et de rembourser les dépenses liées au détachement, soit les frais de repas et de logement usuels pour le lieu, la profession et la branche, ainsi que les dépenses de voyage. L’obligation de remboursement existe indépendamment du fait que les coûts occasionnés pendant la durée de l’engagement le sont en Suisse ou à l’étranger. Ces allocations ne font pas partie du salaire et ne peuvent être déduites du salaire brut.

9.             Selon l’art. 90 LEI, l’étranger et les tiers participant à une procédure prévue par la présente loi doivent collaborer à la constatation des faits déterminants pour son application. Ils doivent en particulier fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la réglementation du séjour (let. a), fournir sans retard les moyens de preuves nécessaires ou s’efforcer de se les procurer dans un délai raisonnable (let. b) et se procurer une pièce de légitimation (art. 89) ou collaborer avec les autorités pour en obtenir une (let. c).

10.         En l’espèce, la recourante a produit, dans le cadre de sa requête en autorisation de séjour, une lettre de détachement dûment signée par elle-même et M. B______ prévoyant un salaire mensuel de CHF 5'000.- sans prise en charge des frais de nourriture et de transport.

Sur cette base, l’OCIRT a refusé de délivrer l’autorisation, estimant que les conditions de l’art. 22 LEI n’étaient pas remplies.

Dans le cadre du recours, la recourante a produit un document intitulé « D______ » qu’elle a décrit comme une « exemplaire de salaire effectué en collaboration avec la fiduciaire », ne portant ni date ni signature, lequel indique une prise en charge de la nourriture et du transport pour M. B______ mais avec un salaire mensuel les trois premiers mois de CHF 3'000.- et non plus CHF 5'000.-, en contradiction avec les conditions énoncées dans la lettre de détachement précédemment produite, de même qu’avec les indications relatives au montant du salaire énoncées dans le formulaire M.

Dans ces circonstances, le tribunal ne peut que retenir que c’est à juste titre que l’OCIRT a refusé de délivrer l’autorisation sollicitée, la recourante n’ayant pas amené les éléments suffisants permettant de considérer qu’elle allait prendre en charge les frais de nourriture et transport de son employé détaché, en respectant à tout le moins le salaire convenu de CHF 5'000.- dans la lettre de détachement, en application de l’art. 22 LEI.

11.         Mal fondée, le recours sera rejeté.

12.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

13.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 30 janvier 2024 par A______ contre la décision de de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 14 décembre 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge d’A______ un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière