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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3047/2023

JTAPI/522/2024 du 28.05.2024 ( LDTR ) , ADMIS

Descripteurs : FRACTIONNEMENT;MISE À PRIX EN BLOC
Normes : LDTR.39.al4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3047/2023 ; A/3048/2023 et A/3049/2023 LDTR

JTAPI/522/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 mai 2024

 

dans la cause

 

A______, représentée par Mes Romolo MOLO et Maurice UTZ, avocats, avec élection de domicile

 

contre

 

B______ SA, représentée par Me Sidonie MORVAN, avocate, avec élection de domicile

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCLPF


EN FAIT

1.             La parcelle 1______ de la commune de C______, située en zone de développement 4A, accueille notamment un bâtiment construit avant 1919, qui a pour adresse rue D______ 2______

2.             Ce bâtiment a été soumis au régime de la propriété par étage (ci-après : PPE) en septembre 1971. À cette époque, il comptait notamment l’appartement n° 3______ au 1er étage, l’appartement n° 4______ au 2ème étage et le local mansardé n° 5______ dans les combles.

3.             En mai 2023, B______ SA a acquis l’appartement n° 4______ (341 millièmes) et le lot n° 5______ (136 millièmes) ainsi qu’un local annexe au rez-de-chaussée pour un montant de CHF 2,8 millions.

4.             Par requêtes du 26 juillet 2023, pour le compte de B______ SA, Maître E______, notaire, a sollicité l’autorisation d’aliéner les trois appartements sis dans les combles.

5.             Le ______ 2023, une modification du cahier PPE a été inscrit au registre foncier en vue de préciser la répartition de ces appartements.

6.             Par arrêtés du ______ 2023, le département du territoire (ci-après : le département) a, par le biais de l’office cantonal du logement et de la planification foncière, autorisé l’aliénation de ces appartements en application de l’art. 39 al. 4 al. a de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l’emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Il a ainsi autorisé l’aliénation de :

- l’appartement n° 6______ de deux pièces en faveur de Monsieur et Madame F______ et G______. Cet arrêté VA 7______ retenait que cet appartement était soumis au régime de la PPE depuis sa construction en septembre 1971, qu’il était loué à Monsieur et Madame H______ et I______ ainsi qu’à Monsieur J______ et que les acquéreurs s’étaient engagés à reprendre les droits et obligations découlant du contrat de bail. Le prix de vente total avait été fixé à CHF 625’000.- ;

- l’appartement n° 6______ (recte n° 8______) de deux pièces en faveur de Madame K______. Selon cet arrêté VA 9______, ledit appartement était soumis au régime de la PPE depuis sa construction en septembre 1971, était loué à Madame L______ et l’acquéreur s’était engagée à reprendre les droits et obligations découlant du contrat de bail. Le prix de vente total avait été fixé à CHF 625’000.- ;

- l’appartement n° 10_____ de deux pièces en faveur de Monsieur M______. Cet arrêté VA 15’150 retenait que ledit appartement était soumis au régime de la PPE depuis sa construction en septembre 1971, qu’il était loué à Madame N______, laquelle avait résilié son bail le 27 juillet 2023, et que l’acquéreur reprendrait, en tant que de besoin, les droits et obligations découlant du contrat de bail. Le prix de vente total avait été fixé à
CHF 500’000.-.

Ces autorisations ont été publiées dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève du même jour.

7.             Par actes du 15 septembre 2023, A______ (ci-après : A______) a interjeté trois recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre ces autorisations, concluant à l’annulation des arrêtés VA 7______, VA 9______ et VA 11______ et à ce que le tribunal fixe le loyer licite pour les appartements en question suite aux travaux de transformation des combles, le tout sous suite de frais et dépens.

On ignorait la date à laquelle les combles avaient été aménagés en appartements. Manifestement, les lots correspondants aux trois appartements en question n’étaient pas cadastrés séparément lors de l’établissement de la PPE. Aucune autorisation de travaux concernant l’immeuble ne figurant sur la plateforme O______ du département, on ignorait également si ces appartements avaient été construits dans les combles avant 1993, point de départ de la prescription trentenaire.

Selon toute probabilité, la PPE avait été établie avant la construction des trois appartements litigieux, de sorte que le département avait accordé l’autorisation en application de l’art. 39 al. 4 let. a LDTR. Cependant, une acquisition en bloc suivie d’une revente à la découpe quatre mois plus tard, avec un bénéfice énorme et pour effet la disparition de logements à l’affectation locative en période de pénurie, commandait d’appliquer la clause générale de l’art. 39 al. 2 LDTR, en dépit de toute jurisprudence qui y serait contraire. En effet, le prix d’acquisition en mai 2023 correspondait à un prix de CHF 5’870.- par millième, tandis que le prix de revente équivalait à un prix de CHF 12’868.- par millième, soit un profit de 119% réalisé en quatre mois. Admettre ce « jeu de l’avion » en période de grave pénurie de logements ne pouvait pas correspondre au but de la LDTR, ce d’autant plus que les buts tant de la vente que de l’achat étaient purement commerciaux et n’avaient rien à voir avec les buts de la LDTR.

De plus, selon la nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral, le loyer licite des logements en question, déjà relativement élevé, le deviendrait encore davantage.

Ces recours ont été enregistrés sous les numéros de cause A/3047/2023, A/3048/2023 et A/3049/2023.

8.             Dans ses observations du 16 novembre 2023, dans le délai prolongé accordé par le tribunal, B______ SA a, principalement, conclu au rejet des trois recours, sous suite de frais et dépens. Préalablement, elle a requis qu’il soit ordonné au registre foncier de produire l’historique des propriétaires de la parcelle 1______ de la commune de C______.

La conclusion de la recourante requérant la fixation d’un « loyer licite pour les trois appartements objet des autorisations présentement contestées, suite aux travaux de transformation de combles » était irrecevable, la fixation du loyer ne faisant pas l’objet de la présente procédure, qui était limité à la décision querellée.

Les trois appartements dans les combles avaient été valablement aménagés il y a plus de cinquante ans dans un bâtiment soumis à la PPE depuis 1971. Leurs travaux d’aménagement avaient été réalisés en 1972, en vertu de l’autorisation de construire DD 12______ : le département (à l’époque dénommé département des travaux publics) avait délivré cette autorisation de construire visant « l’aménagement [de] combles à destination de studio » le ______ 1972, suite à la demande du ______ 1971 visant « l’aménagement des combles en trois studios ». Le 22 décembre 1971, lors d’une inspection sur place, il avait été constaté par la police des constructions que l’immeuble était entièrement vide, de sorte qu’il n’y avait pas de réserve concernant les locataires. Cet aménagement des appartements ressortait de nombreuses pièces : la demande d’autorisation de construire du ______ 1971, la décision DD 12______ et les plans y relatifs, la détermination de la direction d’arrondissement des téléphones et le formulaire statistique des architectes indiquant qu’il était prévu de passer de deux à cinq logements dans le bâtiment. Le 11 décembre 1974, le département avait délivré le permis d’occuper. Auparavant, un cahier de répartition des locaux lié à la PPE avait été établi par un notaire ; il portait un timbre fiscal en date du 16 août 1971. En outre, selon le registre foncier, un règlement de PPE avait fait l’objet d’une mention le ______ 1971. Ainsi, l’aliénation des appartements en cause était, conformément à l’art. 39 al. 4 let. a LDTR, valable, étant relevé que, selon la doctrine, le département devait autoriser le propriétaire des combles d’un immeuble en PPE à vendre les appartements en PPE que ce dernier aménageait dans cet espace.

La chronologie des propriétaires entre 1971 et 1985, pertinente pour valider un deuxième motif d’autorisation, résulterait d’un extrait du registre foncier qui n’avait pas encore obtenu, malgré ses démarches des 17 octobre et 7 novembre 2023. Si les parts avaient été cédées de manière individualisée, le motif d’autorisation au sens de l’art. 39 al. 4 let. b LDTR serait aussi donné. À ce sujet, l’appartement du 2ème étage avait été vendu en décembre 1987, selon autorisation de l’arrêté VA 13______ du ______ 1987, puis le ______ 1999, vente autorisée par l’arrêté VA 14______du ______ 1999. Le ______ 2020, le propriétaire étant décédé, ses héritiers étaient devenus propriétaires par succession. Le 13 janvier 2023, ceux-ci avaient vendu à B______ SA cet appartement de 180 m2, les combles de 182 m2 ainsi qu’un local annexe au rez-de-chaussée. Les 8 juin et 24 juillet 2023, le dossier de mutation n° 15_____ avait été préparé afin de préciser la répartition des locaux dans les combles (lot n° 5______). Le local mansardé avait ainsi été formellement réparti en trois appartements et un hall. La nouvelle répartition des lots se présentait ainsi :

Millièmes

Lot n°

Description

Surface

 

16_____

 

14 m2

38

10_____

Appartement

50 m2

50

8______

Appartement

67 m2

45

6______

Appartement

59 m2

3

17_____

Hall

3 m2

Une assemblée générale extraordinaire des copropriétaires du bâtiment avait eu lieu le 12 juillet 2023 pour ratifier le changement du cahier de répartition des locaux. Il s’agissait de remplacer le « local mansardé » par les trois appartements autorisés selon la DD 12______ de 1971. Cette modification du cahier de répartition des locaux avait été inscrite au registre foncier le ______ 2023.

À tort, l’A______ considérait qu’il s’agissait d’une vente à la découpe et qu’elle impliquerait la disparition de l’affectation locative des appartements concernés. Tel n’était pas le cas puisque si le propriétaire changeait, les locataires restaient ; les autorisations prévoyaient même expressément que les nouveaux propriétaires reprendraient les droits et obligations vis-à-vis des locataires.

Par conséquent, dès lors que depuis 1971/1972, les trois appartements avaient été soumis à la PPE, puis revendus individuellement, il s’agissait d’objets pour lesquels la vente LDTR avait été autorisée précédemment.

9.             Par décision du ______ 2023 (DITAI/18_____), faisant suite à une demande de B______ SA du 3 octobre 2023 et aux accords des 10 et 12 octobre 2023 du département respectivement de l’A______, le tribunal a prononcé la jonction des procédures A/3047/2023, A/3048/2023 et A/3049/2023 sous le numéro de cause A/3047/2023.

10.         Le 5 décembre 2023, B______ SA a complété ses observations du 16 novembre 2023 et persisté dans ses conclusions, sous réserve de la conclusion préalable qu’elle a retirée.

Le 24 novembre 2023, en réponse à ses démarches, le registre foncier lui avait remis des documents confirmant que la PPE avait été inscrite le ______ 1971 et les lots cédés de manière individualisée. Les trois motifs de l’art. 39 al. 4 let. a, b et d LDTR étaient donc remplis.

La relation entre les parts de PPE et les lots était la suivante :

Part PPE

Millièmes

Lot nos

Description

Propriétaire actuel

1______-1

114

19_____ et 20_____

Arcade au rez-de-chaussée et cave

P______

1______-2

68

21_____ et 22_____

Arcade au rez-de-chaussée et cave

P______

1______-3

341

23_____ et 3______

Appartement au 1er étage et local au rez-de-chaussée

B______ SA

1______-4

341

24_____ et 4______

Appartement au 2ème étage et réduit, local au rez-de-chaussée

B______ SA

1______-5

136

25_____ et 5______

Local aux combles et local au rez-de-chaussée

B______ SA

Il résultait en outre de l’historique des parts PPE 1______-4 et 1______-5 qu’il y avait eu diverses acquisitions, au moyen du mode « achat » :

Propriétaire

Mode d’acquisition

Date d’inscription RF

Q______

Constitution PPE

______ 1971

R______

Achat

______ 1971

S______

Achat

______ 1976

R______

Achat

______ 1987

T______ etU______

Achat

______ 1999

B______ SA a produit les documents qui lui ont été transmis par le registre foncier.

11.         Dans ses déterminations du 14 décembre 2023, dans le délai prolongé accordé par le tribunal, le département a conclu au rejet des recours, s’en rapportant à justice quant à leur recevabilité ; l’A______ devait être condamnée aux dépens de l’instance.

Dans le cadre de l’instruction des requêtes, il avait constaté que les appartements en cause avaient été mis en PPE dès leur création, ainsi que cela ressortait de l’autorisation de construire DD 12______ du ______ 1972 relative à l’aménagement des combles. Sur cette base, il avait rendu ses décisions en application de l’art. 39 al. 4 let. a LDTR. Dans la mesure où il avait l’obligation de délivrer l’autorisation d’aliéner requise lorsqu’une des conditions de l’art. 39 al. 4 LDTR était réalisée, il n’avait pas cherché à savoir si une des trois autres conditions (non cumulatives) était également réalisée.

12.         Par réplique du 19 janvier 2024, l’A______ a conclu à l’annulation des arrêtés VA 7______, VA 9______ et VA 11______, sous suite de frais et dépens. Au vu des pièces produites par B______ SA, sa conclusion relative à la fixation des loyers licites était devenue obsolète.

Les lots de PPE correspondant aux trois appartements en cause n’avaient été individualisés et inscrits au registre foncier que suite à la réquisition déposée le 3 août 2023. L’autorisation de construire DD 12______ du ______ 1972 n’était donc en rien une individualisation, qui exigeait la constitution de lots de PPE distincts. D’ailleurs, depuis 1972, les trois logements dans les combles avaient toujours été aliénés en un seul bloc comprenant les trois appartements. Dès lors, faute d’une individualisation quelconque des appartements litigieux avant août 2023, il n’y avait pu y avoir aucune aliénation d’un quelconque des trois lots de PPE, encore moins une aliénation individualisée, avant celles présentement litigieuses. Pour cette raison, la citation doctrinale par B______ SA tombait à faux. Le lot n° 5______ n’ayant été partagé en quatre lots de PPE qu’en date du ______ 2023, la prétendue individualisation antérieure à cette date n’existait que dans les imaginations des parties intimées. L’art. 39 al. 4 let. a LDTR ne s’appliquait donc pas au cas d’espèce. Il convenait par conséquent de procéder à une pesée des intérêts, conformément à l’art. 39 al. 2 LDTR, et retenir que les motifs indiqués tant pour la vente que pour l’achat ne permettaient d’aucune manière d’autoriser les aliénations litigieuses.

Au surplus, le notaire ayant instrumenté la subdivision en trois lots de PPE, à savoir Me V______, était aussi intervenu à propos d’immeubles dont la mise en société immobilière d’actionnaires-locataires était postérieure à la construction de l’immeuble concerné.

13.         Par duplique du 30 janvier 2024, le département a persisté dans ses conclusions.

Les trois appartements nos 10_____, 8______ et 6______, issus du lot n° 5______, existaient depuis la transformation des combles autorisée selon le permis DD 12______ du ______ 1972, soit après la mise en PPE du bâtiment. Le dépôt du nouveau cahier de PPE établi le 8 juin 2023 n’était intervenu qu’en vue de préciser et de mettre à jour la situation existante depuis 1972.

Un propriétaire de plusieurs lots PPE n’avait aucunement l’obligation de se défaire de ceux-ci de manière individualisée. En l’espèce, dès leur construction, les trois lots en question pouvaient être destinés à la vente, et ce de manière individualisée ou non.

14.         Le 6 février 2024, l’A______ a encore persisté dans ses conclusions.

Le département prétendait ignorer la lettre claire de la loi. À teneur de l’art. 39 al. 4 let. a LDTR, « le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la propriété par étage ou à une forme de propriété analogue ». Or, le cas d’espèce était différent puisque non un seul appartement, mais bien trois avaient été construits dans les combles et avaient formé un seul lot de copropriété, le n° 5______. Ils avaient été loués pendant une cinquantaine d’années.

Comme déjà relevé, ces trois appartements avaient été si peu individualisés qu’ils avaient, depuis leur construction, toujours été cédés en un seul bloc, ce qui était juridiquement inévitable car ils faisaient partie d’un seul lot de PPE. Admettre les trois aliénations litigieuses revenait ainsi à violer la loi. Les autorisations entreprises ne seraient licites que si les trois appartements avaient été individualisés, sous forme de trois lots distincts de PPE dès l’origine. La citation de doctrine effectuée par l’intimée et reprise par le département tombait par conséquent à faux.

15.         Par duplique du 12 février 2024, B______ SA a maintenu ses conclusions.

L’A______ ne contestait pas que l’autorisation de construire DD 12______ pour l’aménagement des combles datait de 1972 ; l’immeuble était alors vide, comme constaté par le service de l’inspection de la construction le 22 décembre 1971. Les travaux avaient ensuite été réalisés, ainsi qu’il ressortait du dossier du département, qui contenait le permis d’occuper délivré le 11 décembre 1974. La mise à jour du registre foncier en 2023 n’était que la conséquence logique des travaux autorisés précédemment.

16.         Le 21 février 2024, se prononçant sur les écritures de l’A______ du 6 février 2024, B______ SA a souligné ne pas partager l’appréciation de la recourante dans la mesure où l’autorisation de construire DD 12______ datait de 1972, de sorte que la division des appartements avait été valablement actée par le département à ce moment-là déjà. La date de la correction du registre foncier était sans importance.

 


 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 25 janvier 1996 et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, les recours sont recevables au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

À cet égard, il sied de relever que, de jurisprudence constante, l’A______ jouit de la qualité pour recourir au sens de l’art. 45 al. 6 LDTR (ATA/1107/2023 du 10 octobre 2023 consid. 2.4 ; ATA/501/2023 du 16 mai 2023 ; ATA/1359/2021 du 14 décembre 2021 consid. 1).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA ; ATA/923/2023 du 29 août 2023 consid. 2.4), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).

5.             L’objet du litige est le bien-fondé des arrêtés VA 7______, VA 9______ et VA 11______ du ______ 2023.

6.             La LDTR a pour but de préserver l’habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l’habitat, notamment dans la zone de développement 4A (art. 1 al. 1 et 2 al. 1 let. a LDTR ; art. 19 al. 1 let. b de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 – LaLAT), ce qui procède d’un intérêt public important et reconnu (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_370/2021 du 10 novembre 2022 consid. 3.2.1 et 4.6). À cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d’appartements, elle prévoit notamment des restrictions quant à l’aliénation des appartements destinés à la location (art. 1 al. 2 let. c LDTR).

L’aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d’étages ou de parties d’étages, d’actions, de parts sociales), d’un appartement à usage d’habitation jusqu’alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR).

Pour remédier à la pénurie d’appartements locatifs dont la population a besoin, tout appartement jusqu’alors destiné à la location doit conserver son affectation locative, dans les limites du chapitre relatif aux mesures visant à lutter contre la pénurie d’appartements locatifs (art. 25 al. 1 LDTR). Il y a pénurie d’appartements lorsque le taux des logements vacants considéré par catégorie est inférieur à 2% du parc immobilier de la même catégorie (art. 25 al. 2 LDTR). Les appartements de plus de sept pièces n’entrent pas dans une catégorie où sévit la pénurie (art. 25 al. 3 LDTR).

À Genève, il y a pénurie, au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR, dans toutes les catégories d’appartements d’une à sept pièces inclusivement, et ce depuis de très nombreuses années (cf. arrêté du Conseil d’État déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR du 9 décembre 2020 - ArAppart - L 5 20.03, dont la dernière version est entrée en vigueur le 1er janvier 2024).

7.             En l’espèce, les appartements - situés dans un immeuble d’habitation en zone de développement 4A et donc assujettis à la LDTR - entrent, par leur nombre de pièces (deux), dans une catégorie de logements où sévit la pénurie et ils ont déjà été loués. Leur aliénation, notamment par le biais des ventes en cause, est par conséquent soumise à autorisation, ce qui n’est contestée ni par la recourante ni par les intimées.

8.             L’A______ soutient que les autorisations d’aliénation litigieuses contreviennent à l’art. 39 al. 4 let. a LDTR puisque faute d’une individualisation quelconque des appartements avant août 2023, il n’y avait pu y avoir aucune aliénation d’un quelconque des trois lots de PPE, encore moins une aliénation individualisée.

Elle soulève aussi qu’il pourrait y avoir une problématique liée à la vente en bloc, déplorant une acquisition en bloc suivie d’une revente à la découpe quatre mois plus tard.

9.             Aux termes de l’art. 39 al. 4 1ère phr. LDTR, le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue sous réserve du régime applicable à l’aliénation d’appartements destinés à la vente régi par l’art. 8A de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (let. a) ; était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b) ; n’a jamais été loué (let. c) ; a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la LDTR (let. d).

En cas de réalisation de l’une des hypothèses de cette disposition, le département est tenu de délivrer l’autorisation d’aliéner, ce qui résulte d’une interprétation tant littérale (le texte indique que l’autorité « accorde » l’autorisation, sans réserver d’exception) qu’historique (l’art. 9 al. 3 aLTDR, dont le contenu est repris matériellement à l’art. 39 al. 4 LDTR, prévoyait expressément que l’autorité ne pouvait refuser l’autorisation) du texte légal. Il n’y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l’art. 39 al. 2 LDTR (ATA/501/2023 du 16 mai 2023 consid. 3.2 et les références citées).

10.         La jurisprudence (ATA/356/2012 du 5 juin 2012) a eu à connaître un dossier où, dans un immeuble soumis au régime de la PPE en juin 2009, des travaux avaient été autorisés par le département en décembre 2009 pour créer deux appartements dans les combles. Ceux-ci avaient été terminés au printemps 2011 et un nouveau cahier de répartition des locaux de la PPE avait été enregistré. Dans ce contexte, il avait été retenu que l’hypothèse prévue à l’art. 39 al. 4 let. a LDTR était réalisée dans la mesure où les appartements nouvellement créés par voie d’aménagement des combles avaient été créés en 2010-2011 sur la base d’une autorisation de construire délivrée en décembre 2009 et que l’immeuble était déjà soumis au régime de la PPE (consid. 12b).

La doctrine expose que l’aliénation d’un appartement soumis au régime de la PPE depuis sa création doit être autorisée puisque dans un tel cas, l’appartement est destiné à la propriété individuelle si bien qu’il est individualisé dès son origine (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR, Démolition, transformation, rénovation, changement d’affectation et aliénation, Immeubles de logements et appartements, 2014, n° 4.3.1 p. 417). Elle indique également que les logements créés en PPE dans les combles, non loués et directement mis en vente après leur construction ne sont pas assujettis à autorisation. Cependant, si l’autorisation est demandée, elle doit être donnée, car il s’agit d’appartements en PPE depuis leur construction (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., n° 4.3.2 p. 418).

11.         Selon l’art. 39 al. 4 2ème phr. LDTR, l’autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d’assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d’habitation ayant été mis en propriété par étages et jusqu’alors offerts en location, avec pour condition que l’acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l’obtention d’une autorisation individualisée au sens du présent alinéa.

12.         Selon la doctrine, la LDTR prévoit que la vente en bloc peut être accordée et que cette forme peut être imposée pour les reventes ultérieures si les appartements concernés n’ont jamais fait auparavant l’objet de ventes individualisées autorisées (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., n° 5.3.4 p. 458). Dans chaque situation, le département doit effectuer un examen in concreto pour déterminer quelle solution retenir, la vente en bloc ou celle d’unité séparée. Il n’a donc pas l’obligation d’imposer la vente en bloc : c’est uniquement une possibilité d’autoriser une vente qui, à défaut de bloc, pourrait être refusée (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., n° 5.3.4 p. 459).

La jurisprudence retient néanmoins que, dans le cas d’appartements en PPE, la vente en bloc de ces derniers doit être préférée à la vente par unités séparées, ce procédé-là ne mettant en principe pas en péril les buts de la LDTR. Toutefois, même dans ce cadre, la vente en bloc de petits lots d’appartements augmente la probabilité d’une vente ultérieure de logements individualisés aux locataires en place et, partant, le risque d’atteinte au parc immobilier locatif protégé par la LDTR. Il y a donc lieu de privilégier une approche stricte de la protection conférée par cette loi pour éviter une telle atteinte par des « ventes à la découpe ». Ainsi, même en cas de vente en bloc, l’aliénateur doit justifier d’un intérêt privé particulier (arrêt du Tribunal fédéral 1C_137/2011 du 14 juillet 2011 consid. 3.3 ; ATA/1359/2021 du 14 décembre 2021 consid. 3b).

13.         En l’occurrence, les trois appartements en cause ont, conformément à l’autorisation de construire DD 12______, été construits en 1972, époque où le bâtiment était déjà soumis au régime de la PPE depuis une année. Partant, force est de constater que ces appartements sont, depuis leur construction qui a été dûment autorisée, soumis à ce régime.

Contrairement à la jurisprudence précitée qui ne peut ainsi pas être appliquée sans autre, ces appartements créés par voie d’aménagement des combles n’ont pas été inscrits au registre foncier, aucun autre cahier de répartition des locaux de la PPE n’y ayant été enregistré suite à l’achèvement des travaux effectués en 1972. Ce fait, non contesté, n’implique cependant pas la conséquence que soutient l’A______, à savoir que les appartements ne seraient créés au sens de la LDTR que suite à leur individualisation et inscription au registre foncier avec la réquisition du 3 août 2023. En effet, il faut retenir que l’art. 39 al. 4 let. a LDTR vise la « construction » d’un appartement, soit les travaux physiques qui ont mené à sa réalisation, et non sa création d’un point de juridique, d’autant plus que cette notion de « construction » relève du droit administratif et non du droit civil. Or, en l’espèce, force est de constater à cet égard que le département a délivré le permis d’occuper lesdits appartements déjà en 1974 et qu’ils ont accueilli, à teneur des arrêtés litigieux, différents locataires. Dans ces circonstances, ils sont déjà individualisés et le dépôt du nouveau cahier de PPE de 2023 ne fait en réalité que confirmer et entériner une situation existante. En tout état, il n’est pas concevable de retenir qu’une inscription au registre foncier puisse impacter la date des travaux de construction des trois appartements, celle-ci se référant à un événement précis dans le temps. Il serait ainsi abusif de se fonder sur la réquisition remise au registre foncier le 3 août 2023 pour considérer que les appartements en cause n’auraient pas été construits en 1972, alors que le bâtiment était déjà soumis au régime de la PPE. Partant, ces derniers ayant été réalisés après la soumission au régime de la PPE du bâtiment, la condition de l’art. 39 al. 4 let. a LDTR est réalisée.

Il convient toutefois encore de s’interroger sur la problématique de la vente en bloc, codifiée à l’art. 39 al. 4 2ème phr. LDTR, dans la mesure où ces appartements ont toujours été vendus ensemble, et notamment en 1999 et en mai 2023, alors que la LDTR était en vigueur. La question se pose de savoir si ces ventes constituaient une vente en bloc, avec potentiellement pour effet que les reventes ultérieures pourraient devoir aussi être imposées sous cette forme, puisque les appartements n’auraient jamais fait auparavant l’objet de ventes individualisées autorisées ; cela pourrait s’opposer aux ventes à trois acheteurs différents autorisées par les arrêtés litigieux.

Il ne revient toutefois pas au tribunal de céans de se déterminer sur ces éléments sous peine de priver les parties à la procédure d’un double degré de juridiction, ce d’autant plus que le département dispose à cet égard d’un pouvoir d’appréciation. Les arrêtés du ______ 2023 seront par conséquent annulés et le dossier renvoyé au département pour qu’il se prononce sur l’éventuelle application de l’art. 39 al. 4 2ème phr. LDTR à la vente des lots nos 10_____, 8______ et 6______ et les conséquences qui en découleraient.

14.         Au vu de ce qui précède, les recours seront admis et la cause renvoyée au département.

15.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui obtient gain de cause, est exonérée de tout émolument. Son avance de frais de CHF 2’100.- (trois fois CHF 700.-) lui sera restituée.

Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 700.-, à la charge de l’intimée, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevables les recours interjetés le 15 septembre 2023 par l’A______ contre les arrêtés du département du territoire du ______ 2023 ;

2.             les admet ;

3.             annule les arrêtés litigieux et renvoie le dossier au département dans le sens des considérants ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution à la recourante de ses avances de frais en CHF 2’100.- ;

5.             condamne B______ SA à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 700.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. b et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les dix jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Marielle TONOSSI, présidente, Suzanne AUBERT-LEBET, François HILTBRAND, Diane SCHASCA et Romaine ZÜRCHER, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Marielle TONOSSI

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier