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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3566/2023

JTAPI/396/2024 du 29.04.2024 ( ICCIFD ) , ADMIS

En fait
En droit

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3566/2023 ICCIFD

JTAPI/396/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 29 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 


 

 

EN FAIT

1.             Par jugement du ______ 2014, le Tribunal de première instance (TPI) a :

-          dissout par le divorce le mariage de Madame A______ (ci-après : la contribuable) et de Monsieur B______ ;

-          attribué à la contribuable l’autorité parentale et la garde de l’enfant C______, né le ______ 2003 ;

-          donné acte à M. B______ de son engagement à verser à la contribuable, à titre de contribution d’entretien de leur enfant, par mois et d’avance : CHF 500.-dès le 1er février 2014 et jusqu’à l’âge de ses quinze ans et CHF 600.- de ses quinze ans jusqu’à sa majorité, voire au-delà mais jusqu’à 25 ans au plus, s’il poursuivait une formation professionnelle ou des études sérieuses et régulières.

2.             Pour l’année fiscale 2022, la contribuable a été imposée à la source.

3.             Le 23 février 2023, elle a saisi l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) d’une demande de rectification de son imposition à la source 2022, faisant notamment valoir une charge de famille pour son enfant.

4.             Par bordereau rectificatif du 6 juillet 2023, l'AFC-GE a taxé la contribuable selon le barème H0 et tenu compte d’une demi-charge de famille, au motif que son enfant majeur bénéficiait d’une pension alimentaire.

5.             Par réclamation du 27 juillet 2023, la contribuable a contesté ce bordereau.

La demi-charge de famille qui lui était accordée tenait compte de la pension alimentaire prévue par le jugement du TPI du ______ 2014. Or, son ex-époux ne lui versait plus cette pension depuis fin 2021. Il ne l’avait en effet jamais versée régulièrement depuis 2014 et cette situation s’était encore péjorée en 2021. A fin de cette année, il avait complétement arrêté de la verser. Son fils, quant à lui, avait renoncé à la lui réclamer.

Elle a joint une attestation de son ex-époux du 13 juillet 2023, à teneur de laquelle celui-ci confirmait ne lui avoir versé aucune pension alimentaire en 2022 pour leur enfant, et qu’il n’avait pas été en mesure de respecter le jugement de divorce en raison de sa situation financière. Il la remerciait par ailleurs d’avoir renoncé à lui réclamer les arriérés de cette pension.

6.             Par décision du 5 octobre 2023, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation.

Seule une demi-charge de famille avait été accordée parce que l’enfant avait reçu une pension alimentaire en 2022. En effet, lorsqu’un enfant était majeur, la charge de famille y relative devait être répartie entre les deux parents qui pourvoyaient à son entretien. Tel était le cas en l’occurrence, le père de l’enfant lui ayant déclaré avoir versé une pension alimentaire pour ce dernier durant l’année 2022.

7.             Par acte du 31 octobre 2023, la contribuable a recouru contre cette décision après du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant à l’octroi d’une charge de famille entière.

Elle a repris les arguments formulés dans sa réclamation, ajoutant que la déclaration de son ex-époux à l'AFC-GE, selon laquelle il lui aurait versé une pension en 2022, contredisait son attestation du 13 juillet 2023 et méritait d’être clarifiée.

8.             Le 19 décembre 2023, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Lorsqu'une personne constituait une charge de famille pour plusieurs contribuables, la déduction était répartie entre eux. En l’occurrence, dans le cadre de sa déclaration fiscale 2022, déposée fin juin 2022, l'ex-époux de la recourante avait indiqué avoir versé des contributions à l'entretien de C______ et avait fait l'objet d'une taxation, en octobre 2023, sur la base des indications portées dans sa déclaration. Ces indications étaient contredites par son attestation, que la recourante avait produite au stade de la réclamation. Dès lors, compte tenu des éléments contradictoires déclarés par les ex-époux, elle ne pouvait, par cohérence avec la taxation ordinaire de l’ex-époux, que maintenir la taxation de la recourante.

L'AFC-GE a produit, sous le couvert du secret fiscal, une copie de la déclaration 2022 de l’ex-poux, ainsi que les bordereaux y relatifs. La teneur de ces pièces sera reprise, en tant que de besoin, dans la partie en droit.

9.             La recourante n’a pas déposé de réplique.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l'AFC-GE (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD, applicables par renvoi de l’art. 17 de la loi sur l’imposition à la source des personnes physiques et morales du 16 janvier 2020 (LISP - D 3 20).

3.             Aux termes de l’art. 3 LISP, les retenues d’impôt à la source sont fixées sur la base des barèmes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et comprennent les impôts fédéral, cantonal et communal, y compris les centimes additionnels cantonaux et communaux, les centimes additionnels communaux étant calculés forfaitairement (al. 1). Les dépenses professionnelles, les primes d’assurance et les déductions pour charges de famille sont prises en considération forfaitairement et sont intégrées dans les barèmes (al. 2).

L’art. 85 LIFD prévoit également que le montant de l’impôt est retenu à la source sur la base des barèmes de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (al. 1). Le montant de la retenue tient compte des frais professionnels (art. 26 LIFD) et des primes d’assurance (art. 33 al. 1, let. d, f et g LIFD) sous forme de forfaits, ainsi que des déductions pour les charges de famille du contribuable (art. 35 LIFD).

4.             Le règlement d’application de la LISP du 30 septembre 2020 (RISP - D 3 20.01) et l’ordonnance fédérale sur l’imposition à la source du 11 avril 2018 (OIS - 642.118.2) précisent que le barème H est applicable à des personnes célibataires, divorcées, séparées de droit ou de fait ou veuves, vivant en ménage commun avec des enfants ou des personnes nécessiteuses et qui assument l'essentiel de l'entretien de ces derniers (art. 1 al. 1 let. h).

5.             Dans sa circulaire n° 45 du 12 juin 2019 sur l’impôt à la source, l'administration fédérale des contributions précise également que le barème H, qui découle de l’art. 36 al. 2bis LIFD, s’applique aux personnes seules qui vivent en ménage commun avec des enfants ou des personnes nécessiteuses dont elles assument l’essentiel de l’entretien (ch. 4.3). On part généralement du principe que le parent chez lequel vit l’enfant assume l’essentiel de l’entretien de ce dernier. Le parent qui assume pour l’essentiel l’entretien de l’enfant doit par conséquent être imposé conformément au barème H1 (cf. ch. 4.7).

6.             En matière d’impôts directs (dont les barèmes sont pris comme référence dans les dispositions précitées), pour l’octroi du barème d’imposition, les critères de versement ou non de la pension alimentaire, de l’importance de l’entretien et de celle de la garde ne sont déterminants que lorsqu’il s’agit des enfants sous garde parentale, que sont seuls les enfants mineurs (cf. not. ATF 141 II 338 consid. 4.4), alors qu’il découle du texte même de l’art. 41 al. 3 LIPP que, lorsqu’il s’agit des enfants majeurs, seul est déterminant le critère de ménage commun avec ces derniers. Ainsi, « à condition de vivre en ménage commun avec l’enfant et d’en assurer l’essentiel de l’entretien », le contribuable célibataire, veuf, divorcé ou séparé bénéficie - en sus de la déduction pour enfant et celle pour assurances de l’enfant - du barème pour couple (ATF 131 II 553 consid. 3.4).

7.             Selon l’art. 35 al. 1 let. a LIFD, sont déduits du revenu CHF 6’500.- pour chaque enfant mineur ou faisant un apprentissage ou des études, dont le contribuable assure l’entretien ; lorsque les parents sont imposés séparément, cette déduction est répartie par moitié s’ils exercent l’autorité parentale en commun et ne demandent pas la déduction d’une contribution d’entretien pour l’enfant.

L’art. 39 LIPP prévoit une déduction de CHF 13'000.- pour chaque charge de famille (entière) et une déduction de CHF 6'500.- pour chaque demi-charge de famille (al. 1 let. a et b), précisant que « lorsqu’une personne est à charge de plusieurs contribuables, la déduction est répartie entre ceux-ci » (al 1 2ème phr.).

8.             Le 16 février 2011, l’AFC-GE a émis l’information 2/2011 (disponible à l’adresse https://www.ge.ch/document/358/telecharger), relative à l’imposition de la famille (en ICC), que la chambre administrative de la Cour de justice a approuvée (ATA/270/2014 du 15 avril 2014 et les références citées). Selon le tableau A3 annexé à cette information, dans la situation de parents séparés, divorcés ou non mariés vivant dans deux ménages distincts, le parent qui fait ménage commun avec l’enfant majeur bénéficie du splitting et de la déduction pour charge de famille, contrairement à l’autre parent. Toutefois, ce dernier peut revendiquer une déduction pour charge de famille, à condition qu’il participe à l’entretien de l’enfant, par exemple par le biais d’une pension alimentaire (qui n’est plus déductible à compter du mois suivant la majorité de l’enfant) et qu’il puisse le justifier ; dans ce cas, la déduction (pour charge de famille) est partagée entre les deux parents.

9.             En matière fiscale, il appartient à l'autorité de taxation d'établir les faits qui fondent la créance d'impôt ou qui l'augmentent, alors que le contribuable doit alléguer et prouver les faits qui suppriment ou réduisent cette créance, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (cf. not. ATF 140 II 248 consid. 3.5).

10.         En l’espèce, l'AFC-GE a partagé la charge de famille litigieuse entre les parents en partant de la prémisse que l’ex-époux de la recourante a également contribué à l’entretien de leur enfant majeur, par la pension qu’il a mentionnée dans sa déclaration fiscale 2022 (CHF 4'000.-). Elle ne saurait être suivie.

En effet, sur la base des pièces versées au dossier, le tribunal constate que l'AFC-GE n’a pas demandé à l’ex-époux de prouver le versement effectif de ladite pension et que celui-ci ne lui a remis spontanément aucun justificatif y relatif. Or, pour pouvoir être prise en compte fiscalement, une contribution à l’entretien de l’enfant doit être effectivement versée (cf. art. 33 al. 1 let. c LIFD et 33 LIPP ; ég. arrêts du Tribunal fédéral 2C_233/2017 du 13 avril 2018 consid. 6.2 et 2C_585/2014 du 13 février 2015 consid. 5.1). Il convient donc de s’en tenir à ce que l’ex-époux a confirmé dans son attestation du 13 juillet 2023, à savoir qu’il n’a versé aucune pension pour l’enfant en 2022. Dans ces conditions, il faut admettre que la recourante a prouvé avoir contribué seule à l’entretien de l’enfant en 2022. En conséquence, une charge de famille entière doit lui être accordée. Pour le surplus, il n’appartient pas au tribunal de déterminer dans le présent jugement si c’est à bon droit, ou non, qu’une demi-charge de famille a été accordée à l’ex-époux. En tout état, le seul fait que celui-ci ait bénéficié de cette charge ne justifie aucunement le refus d’une charge entière à la recourante, comme semble le soutenir l’autorité intimée dans sa réponse.

11.         Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et le dossier renvoyé à l'AFC-GE pour qu’elle établisse un nouveau bordereau de taxation 2022, conformément au barème H1.

12.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument et l’avance de frais versée par la recourante lui sera restituée.

13.         Il n’est pas alloué d’indemité.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 31 octobre 2023 par Madame A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 5 octobre 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             annule dite décision et renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation 2022, dans le sens des considérants ;

4.             renonce à percevoir un émolument et ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 700.- ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Gwénaëlle GATTONI, présidente, Stéphane TANNER et Yuri KUDRYAVTSEV, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Gwénaëlle GATTONI

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière