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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/183/2024

JTAPI/334/2024 du 12.04.2024 ( OCPM ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : DÉCISION DE RENVOI
Normes : LEI.64.al1; LEI.5; LEI.10; LEI.17.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/183/2024

JTAPI/334/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 12 avril 2024

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Jean-Marie FAIVRE, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE FEDERAL DE LA DOUANE ET DE LA SECURITE DES FRONTIERES

 


EN FAIT

1.             Madame A______, née le ______ 1999, est ressortissante du Brésil.

2.             Le 12 janvier 2024, elle a été interpellée par le Corps des gardes-frontière à l'aéroport de Genève.

Lors de son audition, elle a notamment déclaré qu'elle était restée illégalement en Europe car elle voulait faire ses études dans l'espoir de pouvoir demander, par la suite, un permis de séjour et ainsi s'intégrer totalement dans la société suisse. Elle n'avait jamais commis de crime, à part être clandestine.

3.             Par décision du même jour, l’office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières (ci-après : OFDF) a prononcé le renvoi de Suisse et de l’Espace Schengen, avec effet immédiat, de Mme A______, au motif que celle-ci n'était pas titulaire d'un visa ou d'un titre de séjour valable et qu'elle avait dépassé la durée maximale de séjour sur le territoire des États membres de Schengen, estimant que la poursuite de son séjour en Suisse constituerait une menace pour la sécurité et l'ordre public ou pour la sécurité intérieure ou extérieure.

4.             Par acte du 17 janvier 2024, sous la plume de son conseil, Mme A______ a formé recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après: le tribunal) concluant, à titre préalable, à l’octroi d'un délai pour compléter son recours, à l'octroi de l'effet suspensif au recours ainsi qu'à l'audition d'amis et, principalement, à l’annulation de la décision, subsidiairement à la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur la régularisation de son séjour, le tout sous suite de frais et dépens.

Elle comptait déposer une demande de régularisation pour cas de rigueur auprès de l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) à très brève échéance, au plus tard la semaine du 22 janvier 2024, raison pour laquelle elle sollicitait la suspension de la procédure.

5.             Le 19 janvier 2024, l'OFDF a transmis ses observations, concluant au rejet du recours et de la demande de restitution de l'effet suspensif.

Le 12 janvier 2024, les agents en service avaient constaté que la recourante séjournait illégalement dans l'Espace Schengen depuis une durée indéterminée, n'étant pas titulaire d'un titre de séjour nécessaire au moment du contrôle, raison pour laquelle la décision litigieuse avait été établie.

Les motifs retenus à l'appui de cette décision étaient l'absence de visa ou de titre de séjour valable ainsi que le dépassement de la durée maximale de séjour sur le territoire des États membres de Schengen (90 jours sur une période maximale de 180 jours).

La décision de renvoi avait été établie en français, soit dans une langue qu'elle comprenait, et la recourante avait pu faire valoir son droit d'être entendu. La décision litigieuse avait été établie au moyen des formulaires adéquats et selon la pratique prévue par le bureau de douane.

6.             Le 24 janvier 2024, la recourante a répliqué sur sa demande de restitution de l'effet suspensif.

7.             Par décision du 24 janvier 2024 (DITAI/30/2024), le tribunal a admis la demande de restitution de l'effet suspensif mais a rejeté la demande de suspension de la procédure jusqu'à droit connu quant à demande de régularisation des conditions de séjour de la recourante.

8.             Le 16 février 2024, la recourante a complété son recours.

Elle était arrivée en Suisse en 2014, à l'âge de 15 ans. Elle y avait ainsi vécu la moitié de sa vie. Son parcours scolaire était exemplaire et s'était conclu par l'obtention de son diplôme de l'École de culture générale. Elle n'avait jamais émargé à l'aide sociale et avait récemment découvert que sa mère ne s'était pas acquittée de certaines factures d'assurance-maladie, mais elle s'était engagée à solder l'ensemble de ses dettes. Son casier judiciaire était vierge. Elle avait développé des liens fort avec la Suisse, ce que les témoignages de ses amis pourraient démontrer. Elle s'était également vu proposer un poste au sein de la société B______ SA en tant qu'assistante de direction pour une durée indéterminée. Elle n'avait aujourd'hui plus d'amis ni aucune attache avec le Brésil, hormis son père qui y résidait mais avec qui elle n'avait plus aucun contact. Elle remplissait donc les conditions d'un cas de rigueur.

Elle avait déposé une demande de régularisation pour cas de rigueur à l'OCPM et maintenait sa demande de suspension de la procédure jusqu'à droit connu quant à la procédure de régularisation.

9.             Le 26 février 2024, l'OFDF a informé le tribunal ne pas avoir d'observations complémentaires à formuler.

10.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le tribunal connaît, de façon générale, des recours dirigés contre les décisions du département de la sécurité, de l'emploi et de la santé, devenu le département de la sécurité, de la population et de la santé, et de l'OCPM relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève, notamment les décisions contenant une mesure de renvoi prise en application de l'art. 64 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20 ; art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

3.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

4.             La LEI et ses ordonnances d'exécution règlent l'entrée, le séjour et la sortie de Suisse des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas des ressortissants du Brésil.

5.             Selon l'art. 64 al. 1 LEI, les autorités rendent une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger qui n'a pas d'autorisation alors qu'il y est tenu (let. a), d'un étranger qui ne remplit pas ou ne remplit plus les conditions d'entrée en Suisse (art. 5 LEI) (let. b) et d'un étranger auquel une autorisation est refusée ou dont l'autorisation, bien que requise, est révoquée ou n'est pas prolongée après un séjour autorisé (let. c).

6.             Lorsqu'une personne est entrée illégalement en Suisse, la décision de renvoi lui est notifiée au moyen d'un formulaire-type (art. 64b LEI). Une telle décision ne fait pas l'objet d'une traduction. La personne concernée reçoit en revanche une feuille d'information contenant des explications sur la décision de renvoi (art. 64f al. 2 LEI).

7.             La décision visée à l'art. 64 al. 1 let. a et b LEI peut faire l'objet d'un recours dans les cinq jours ouvrables suivant sa notification (art. 64 al. 3 LEI).

8.             Le département fédéral de justice et police (DFJP) réglemente l'exécution des contrôles des personnes aux frontières extérieures et intérieures (art. 31 al. 1 de l'ordonnance sur l'entrée et l'octroi de visas du 15 août 2028 [OEV - RS 142.204]).

Selon l'art. 31 al. 2 OEV, les cantons et le corps des gardes-frontière effectuent le contrôle des personnes aux frontières ; ce dernier mène cette activité soit dans le cadre de ses tâches ordinaires, soit en application des accords conclus entre le département fédéral des finances (DFF) et les cantons (art. 9 al. 2 LEI et art. 97 de la loi du 18 mars 2005 sur les douanes).

9.             Les cantons peuvent habiliter le corps des gardes-frontière à rendre et à notifier la décision de renvoi visée à l'art. 64 al. 1 let. a et b LEI ; une telle compétence est attribuée à celui-ci par le canton de Genève à teneur d'un accord, entré en vigueur le 1er janvier 2014, sur la collaboration entre la police genevoise et le corps des gardes-frontière, respectivement l'OFDF, conclu le 26 août 2013 entre le Conseil d'État, le Ministère public et la Confédération suisse, représentée par le DFF (cf. art. 19 dudit accord et son annexe 3).

10.         Dans la mesure où, en l'occurrence, le corps des gardes-frontière a pris la décision de renvoi litigieuse et l'a notifiée à la recourante en vertu d'une compétence lui étant déléguée par le canton, il faut admettre que le recours susceptible d'être formé à l'encontre de celle-ci relève effectivement de la compétence du tribunal. Interjeté par ailleurs en temps utile et dans les formes prescrites, il est formellement recevable (art. 62 à 65 LPA ; art. 64 al. 3 LEI).

11.         À teneur de l’art. 5 al. 1 LEI, pour entrer en Suisse, tout étranger doit avoir une pièce de légitimation reconnue pour le passage de la frontière et être muni d’un visa si ce dernier est requis (let. a), disposer des moyens financiers nécessaires à son séjour (let. b), ne représenter aucune menace pour la sécurité et l’ordre publics ni pour les relations internationales de la Suisse (let. c) et ne pas faire l’objet d’une mesure d’éloignement ou d’une expulsion au sens des art. 66a ou 66 abis CP ou 49a ou 49abis du Code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM) (let. d).

12.         Selon l'art. 10 LEI, tout étranger peut séjourner en Suisse sans exercer d'activité lucrative pendant trois mois sans autorisation, sauf si la durée fixée dans le visa est plus courte. L'étranger qui prévoit un séjour plus long sans activité lucrative doit être titulaire d'une autorisation. Il doit la solliciter avant son entrée en Suisse auprès de l'autorité compétente du lieu de résidence envisagé, l'art. 17 al. 2 LEI demeurant réservé.

13.         L'étranger entré légalement en Suisse pour un séjour temporaire qui dépose ultérieurement une demande d'autorisation de séjour durable doit attendre la décision à l'étranger (art. 17 al. 1 LEI). L'autorité cantonale compétente peut autoriser l'étranger à séjourner en Suisse durant la procédure si les conditions d'admission sont manifestement remplies (art. 17 al. 2 LEI). Il faut déduire de cette disposition que l'étranger concerné ne peut prétendre à séjourner en Suisse durant la procédure que s'il est évident qu'il possède un droit à obtenir une autorisation de séjour durable (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_483/2009 du 18 septembre 2009 consid. 3.1 ; 2C_35/2009 du 13 février 2009 consid. 6.5). Selon l'art. 6 OASA, les conditions d'admission visées à l'art. 17 al. 2 LEI sont manifestement remplies notamment lorsque les documents fournis attestent d'un droit légal ou d'un droit découlant du droit international public à l'octroi d'une autorisation de séjour ou de séjour de courte durée, lorsqu'aucun motif de révocation au sens de l'art. 62 LEI n'existe et que la personne concernée accepte de collaborer au sens de l'art. 90 LEI (al. 1) ; des démarches telles que l'engagement d'une procédure matrimoniale ou familiale, la scolarisation des enfants, l'achat d'une propriété, la location d'un appartement, la conclusion d'un contrat de travail, la création ou la participation à une entreprise ne confèrent, à elles seules, aucun droit lors de la procédure d'autorisation (al. 2).

Ces règles s'appliquent a fortiori aux étrangers qui séjournent illégalement en Suisse et qui tentent de légaliser leur séjour par le dépôt ultérieur d'une demande d'autorisation de séjour (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_483/2009 du 18 septembre 2009 consid. 3.1 ; Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la LEtr, in FF 2002 3534 ch. 2.3 ; ATA/1375/2015 du 21 décembre 2015 ; C. BOUCHAT, L'effet suspensif en procédure administrative, 2015, n. 1069).

14.         Enfin, les ressortissants de pays soumis à l'obligation du visa souhaitant suivre une formation ou se perfectionner en Suisse doivent se présenter personnellement auprès de la représentation suisse à l'étranger compétente, qu'ils aient ou non déjà entrepris personnellement des démarches auprès d'un prestataire de services externe et qu'ils aient ou non déjà soumis une demande d'entrée (cf. Directives et commentaires du secrétariat d'État aux migrations [ci-après : SEM], Domaine des étrangers, état au 1er mars 2023, ch. 5.1.1.2 [ci-après : Directives LEI]).

15.         En l'espèce, dans son recours, la recourante se limite à exposer qu'elle remplirait les conditions d'octroi d'une autorisation de séjour pour cas de rigueur et qu'une suspension dans l'attente de la décision de l'OCPM relative à sa demande d'autorisation de séjour pour cas de rigueur datée du 16 février 2024 serait justifiée.

S'agissant de la demande de suspension de la procédure, le tribunal de céans a déjà tranché la question dans le cadre de sa décision du 24 janvier 2024 (DITAI/30/2024), ce d'autant qu'hormis ses déclarations, aucun autre élément du dossier n'indique que la demande d'autorisation de séjour de la recourante aurait été valablement déposée auprès de l'OCPM. Il n'y a donc pas de raison pour le tribunal de céans de prononcé aujourd'hui la suspension de la procédure. À cela s'ajoute que, conformément à la jurisprudence précitée, l'étranger concerné ne peut prétendre à séjourner en Suisse durant la procédure de régularisation que s'il est évident qu'il possède un droit à obtenir une autorisation de séjour durable, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Au surplus, la question de savoir si elle remplit les conditions d'octroi pour cas de rigueur est exorbitante au présent litige, lequel se limite à l'examen de la validité de la décision de renvoi.

Au fond, la recourante se contente de faire valoir qu'elle réside en Suisse – illégalement – afin de suivre ses études et pouvoir déposer, le moment venu, une demande d'autorisation de séjour auprès de l'OCPM.

Elle admet donc séjourner illégalement sur le territoire depuis son arrivée en Suisse en 2014. Elle ne conteste également pas les motifs de la décision contestée.

Dans cette mesure, il est manifeste que la recourante ne s'est pas conformée aux normes de la LEI relatives au séjour des étrangers, dès lors qu'elle n'était au bénéfice d'aucun visa ou de titre de séjour valable et que la durée maximale de séjour sur le territoire des États membres de Schengen (90 jours sur une période maximale de 180 jours) était dépassée.

Partant, la décision de renvoi querellée sera confirmée et le recours rejeté.

16.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

17.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 17 janvier 2024 par Madame A______ contre la décision l’office fédéral de la douane et de la sécurité des frontières du 12 janvier 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière