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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/398/2023

JTAPI/1436/2023 du 21.12.2023 ( OCPM ) , ADMIS

Descripteurs : MÉNAGE COMMUN;DIVORCE;VIOLENCE DOMESTIQUE
Normes : LEI.50.al1.letb; LEI.50.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/398/2023

JTAPI/1436/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 21 décembre 2023

 

dans la cause

 

Madame A______, représentée par Me Youri WIDMER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Madame A______, née le ______ 1958, est ressortissante du Brésil.

2.             Elle est arrivée à Genève le 18 janvier 2017 en provenance de ce pays et a épousé à Genève, le 15 mai 2017, Monsieur B______, ressortissant suisse. Elle a dès lors été mise au bénéfice d'une autorisation de séjour au titre du regroupement familial, valable jusqu'au 14 mai 2020.

3.             Dans la nuit du 9 au 10 mai 2019, la police genevoise est intervenue au domicile conjugal pour constater des blessures au visage de M. B______, qui a indiqué à cette occasion qu'il était victime de pression psychologique de la part de son épouse.

4.             Dans le courant du mois de juillet 2019, il a déposé plainte contre son épouse pour ces faits. Auditionné par la police le 10 août 2019, il a expliqué que le couple était « en froid ». Tout en partageant le même toit, le couple ne communiquait plus. Il avait demandé l'assistance juridique pour pouvoir divorcer.

5.             Par formulaire d'annonce de changement d'adresse signé le 28 janvier 2019 (recte : 2020), Mme A______ a informé l'OCPM qu'elle avait quitté le domicile de son époux le 16 décembre 2019 et avait pris un autre logement à Genève.

6.             Par courrier du 20 mai 2021, l'OCPM a demandé à Mme A______ si une procédure de divorce avait été engagée ou était envisagée, ou si une reprise de la vie commune était prévue. Elle était par ailleurs invitée à produire différents documents concernant notamment ses moyens financiers.

7.             Par courrier du 19 juin 2021, Mme A______ a répondu qu'en 2019, elle avait vécu sous la pression psychologique et les menaces de son mari. Elle avait quitté le domicile commun en novembre de la même année, car, après une dispute conjugale, son mari lui avait refusé la possibilité de réintégrer l'appartement. Une procédure de divorce avait été lancée au début d'année 2020 à l'aide de son avocate. Par la suite, d'accord avec son mari, le dossier avait été suspendu afin de tenter une reprise de la vie commune. À ce jour, ils vivaient séparément, mais étaient en cours de discussion.

8.             Ce courrier était accompagné de fiches de salaire pour la période de mars à mai 2021, faisant état du cumul de deux emplois pour des revenus mensuels totalisant environ CHF 3'300.-. Étaient également joints un extrait du registre des poursuites en date du 3 juin 2021, indiquant une poursuite pour un montant de CHF 1'187.-, une attestation de l'Hospice général en date du 16 juin 2021, indiquant que sur les cinq dernières années, elle avait été aidée du 1er janvier au 30 juin 2020 pour un total d'un peu plus de CHF 6'000.-, ainsi qu'une requête en mesures protectrices de l'union conjugale du 11 février 2020, au nom de Mme A______ en tant que requérante, portant le timbre humide « Projet ». Selon ce document, la relation des époux rencontrait de graves difficultés depuis de nombreux mois, M. B______ souffrant de dépendance à l'alcool et se montrant agressif et menaçant à l'égard de son épouse lorsqu'il avait bu. Il lui était ainsi arrivé de la menacer de tout faire pour la faire expulser, ou alors de la tuer, ainsi que son petit chien. En novembre 2019, rentrant chez elle, elle avait surpris son époux au lit avec une autre femme. Face à ses protestations, son époux s'était emporté, était devenu agressif et l'avait mise à la porte. Elle avait alors trouvé refuge auprès d'une voisine. Après avoir tenté plusieurs fois de rentrer chez elle, elle avait fini par appeler la police qui était intervenue au domicile et avait contraint son époux à lui permettre de réintégrer son logement. Depuis lors, il la menaçait régulièrement de la faire expulser ou de s'en prendre au chien si elle ne quittait pas le domicile conjugal. Elle ne se sentait pas en sécurité chez elle face au comportement instable de son époux. Finalement, elle avait pris un autre logement.

9.             Interpellé par l'OCPM, M. B______ a indiqué par courrier du 15 avril 2022 qu'il ne souhaitait pas divorcer de Mme A______.

10.         En réponse à un courriel de l'OCPM du 22 mars 2022 lui indiquant qu'en l'absence de vie commune d'au moins trois ans, la question de la poursuite de son séjour en Suisse dépendait de l'existence de raisons majeures, et lui demandant par ailleurs si une reprise de la vie commune était toujours possible, Mme A______ a répondu sous la plume de son conseil par courrier du 18 mai 2022, en y joignant des formulaires K de demande de renouvellement de son titre de séjour, signés par ses employeurs, ainsi que différents documents dont il sera question ci-dessous. Elle a exposé qu'elle avait été contrainte de se séparer de son époux qui souffrait de graves problèmes de dépendance à l'alcool et, dans ce cadre, se montrait extrêmement agressif et menaçant à son encontre. À plusieurs reprises, avait retrouvé ses effets personnels sur le trottoir et avait été menacé de mort, ainsi que de pulser de Suisse. La police était intervenue à plusieurs reprises. Dans ces moments difficiles, elle avait été soutenue notamment par Monsieur C______, dont une attestation était produite. Elle avait en outre consulté à deux reprises, le 2 décembre 2019 et le 10 janvier 2020 1’organisme d'aide aux victimes de violences en couple, afin d'obtenir de l'aide. Elle produisait en outre les messages qu'elle avait reçus de son époux, dont le contenu était pour le moins inquiétant. C'était pour préserver sa santé physique et psychologique qu'elle avait décidé de prendre un logement séparé. Elle sollicitait donc le renouvellement de son permis de séjour.

Selon attestation signée le 9 mai 2022 par M. C______, produite à l'appui des explications de Mme A______, celui-ci en avait fait la connaissance par le biais d'une amie proche, qui se trouvait être la nièce de la précitée. Vers la fin de l'année 2019, il rencontrait Mme A______ lors de repas entre amis. Elle lui avait alors parlé des menaces qu'elle subissait de la part de son époux. En novembre 2019, suite à l'intervention de la police, elle avait pris contact avec lui pour obtenir de l'aide dans différentes démarches administratives. Suite à des discussions avec une psychologue de l'association D______ (D______), il lui avait été conseillé de trouver un nouveau logement, démarche dans laquelle il lui avait apporté son aide.

À l'appui de son courrier du 18 mai 2022, Mme A______ a en outre produit des fiches de salaire et contrats de travail faisant état de revenus mensuels totalisant environ CHF 2'100.-, une attestation de l'association D______ établie le 3 mai 2022 et indiquant que Mme A______ était venue consulter les 2 décembre 2019 et 10 janvier 2020 afin de recevoir des conseils en lien avec la situation de violence conjugale qu'elle vivait avec son mari. Elle a également produit copie de très nombreux messages reçus de la part de M. B______ durant la période du 27 octobre 2021 au 25 janvier 2022, qui alternent entre les demandes de liens et les insultes ou les menaces. Enfin, elle a produit des attestations de l'office cantonal des poursuites en date du 29 mars 2022 et de l'Hospice général en date du 31 mars 2022, dont les contenus sont inchangés par rapport aux précédentes attestations délivrées par ces organismes, ainsi que des attestations délivrées entre 2018 et 2019 par l'association E______, faisant état du suivi de cours de langue française par Mme A______, du niveau A1 au niveau A2+.

11.         Le 26 juillet 2022, l'OCPM a invité Mme A______ à exercer son droit d'être entendue, l'informant du fait qu'il envisageait de ne pas prolonger son titre de séjour et de prononcer son renvoi de Suisse.

12.         Par le biais de son conseil, Mme A______ s'est déterminée le 30 novembre 2022, rappelant en substance les violences dont elle avait fait l'objet.

13.         Par décision du 3 janvier 2023, l'OCPM a refusé de prolonger l'autorisation de séjour de Mme A______ et a prononcé son renvoi de Suisse.

L'union conjugale avait duré du 15 mai 2017 au 10 août 2019, soit pendant moins de trois ans. S'agissant des allégations de violence conjugale, il était déterminant que la violence soit à l'origine de la séparation. Or, le seul épisode de violences conjugales antérieur à la séparation était celui survenu dans la nuit du 9 au 10 mai 2019, durant lequel les services de police avaient constaté une blessure au visage de M. B______. En tout état de cause, les éléments du dossier ne permettaient pas de retenir l'existence d'une menace sérieuse à l'encontre de Mme A______, d'une certaine intensité, ou une maltraitance systématique induisant, durant une certaine durée, que le maintien de la vie commune ne pouvait plus raisonnablement être exigé.

Par ailleurs, Mme A______ résidait en Suisse depuis cinq ans. La durée de son séjour ne pouvait constituer un élément déterminant susceptible de justifier une prolongation de son séjour, étant donné les nombreuses années qu'elle avait passées dans son pays d'origine, jusqu'à l'âge de 58 ans. Elle ne pouvait pas non plus se prévaloir d'une intégration sociale ou professionnelle particulièrement marquée en Suisse, au point d'admettre qu'elle ne pourrait quitter ce pays sans être confrontée à des obstacles insurmontables. Quant à sa situation personnelle, elle ne se distinguait pas de celle de bon nombre de ses concitoyens connaissant les mêmes réalités au Brésil. Aucun élément ne permettait ainsi de considérer qu'un renvoi dans son pays d'origine la placerait dans une situation de rigueur.

14.         Par acte du 3 février 2023, sous la plume de son conseil, Mme A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à son annulation et à ce qu'il soit ordonné à l'OCPM de renouveler son permis de séjour.

Aux explications qu'elle avait déjà données précédemment au sujet des violences subies de la part de son époux, elle a ajouté que celui-ci lui interdisait de travailler par peur qu'il ne puisse plus bénéficier de l'aide de l'Hospice général. Il lui avait d'ailleurs dit que s'il voulait travailler, elle devrait le faire « au noir ». Ne voulant pas rester dépendante de l'Hospice général et isolée de la société, elle avait quand même trouvé un emploi en qualité de femme de ménage. Cependant, à la fin du mois, lorsqu'elle recevait son salaire, son époux le lui volait. Il avait en outre entamé une relation sentimentale avec une autre femme et lui avait dit qu'elle devait soit accepter que cette dernière vienne vivre avec eux à la maison, soit quitter le logement conjugal. Elle avait refusé ce ménage à trois et avait fini par surprendre son époux avec sa maîtresse dans le lit conjugal en novembre 2019. À cette occasion, il s'était montré virulent et l'avait mise à la porte, ce qui l'avait conduite à chercher refuge auprès de sa voisine de palier et à requérir l'aide de la police pour pouvoir retourner dans son appartement. Suite à cet événement, il était devenu encore plus virulent à l'encontre de son épouse et la menaçait régulièrement de la faire expulser ou de s'en prendre une nouvelle fois à elle-même ou à son chien si elle ne quittait pas le logement conjugal. Elle ne s'était jamais sentie en sécurité face au comportement instable et imprévisible de son époux. Elle avait fini par requérir l'aide de deux amis et avait ainsi fini par pouvoir constituer son propre logement. Après la séparation du couple jusqu'en 2022, son mari avait continué à l'importuner en la menaçant et en la harcelant par téléphone et par messages. Ces tentatives de prise de contact lui étaient envoyées la plupart du temps très tard dans la soirée, voire en pleine nuit, sans doute lorsqu'il était sous l'emprise de l'alcool. Elle n'avait jamais osé déposer la requête de mesures protectrices de l'union conjugale qu'un précédent conseil avait préparée pour elle, par peur de représailles. À ce jour, elle était toujours terrorisée par son ex époux et redoutait d'être confronté à lui ou de le croiser dans la rue, malgré plusieurs années de séparation. Depuis son arrivée en Suisse, elle avait suivi des cours de français sans relâche et s'était constituée un réseau d'amis. Elle avait également un travail en tant que garde d'enfants.

Les motifs de la décision litigieuse tendaient à remettre en cause son récit, passant notamment sous silence toutes les violences qu'elle avait subies après l'épisode du 9 au 10 mai 2019. Elle avait été menacée de mort par son époux à plusieurs reprises, ce qui constituait une infraction particulièrement grave. Elle subissait de plus quotidiennement ses accès d'humeur et ses propos dénigrant. En plus, son mari avait souhaité faire ménage à trois et, devant le refus de son épouse, l'avait mise à la porte. Il s'était ensuite montré de plus en plus virulent à son encontre, menaçant régulièrement de la faire expulser ou de s'en prendre à elle ou à son chien. Ainsi, il ne pouvait être question de nier ou de minimiser les violences qu'elle avait subies et qui revêtaient une intensité suffisante pour empêcher la poursuite de l'union conjugale.

15.         Par écritures du 5 avril 2022 (recte : 2023), l'OCPM a conclu au rejet du recours. Même à admettre les violences conjugales invoquées, elles ne seraient quoi qu'il en soit pas d'une intensité, d'une fréquence et/ou d'une gravité atteignant les seuils requis par la jurisprudence.

16.         Le 1er septembre 2023, le tribunal a entendu les parties.

Mme A______ a expliqué qu'elle avait rencontré M. B______ à Genève à l'occasion d'une visite qu'elle avait fait cette année-là à sa nièce. Il l'avait ensuite rejointe au Brésil en 2011 pendant 30 jours, alors qu'ils avaient déjà entamé une relation amoureuse. Elle l'avait accompagné à son retour en Suisse et avait vécu avec lui clandestinement à Genève, dans l'appartement qu'il occupait alors au Lignon. Leur relation s'était bien passée durant les trois années où ils avaient cohabité jusqu'en 2013. Cependant, comme elle était en situation illégale à Genève, elle avait finalement souhaité pouvoir retourner au Brésil. Elle était restée dans son pays jusqu'au 18 janvier 2017, date de son retour à Genève. Dans l'intervalle, M. B______ était venu lui rendre visite au Brésil durant environ deux ou trois mois entre juin et août 2014. Il était également revenu au Brésil à fin 2016 afin de la ramener avec lui en Suisse, ce qui avait eu lieu peu après. Les relations qu'elle avait eues jusque-là avec M. B______ étaient très positive. C'était un homme amoureux et gentil et cela s'était poursuivi encore pendant deux ans après leur mariage. À partir de 2019, il avait commencé à boire davantage que d'habitude, à vouloir sortir pour faire la fête et à fréquenter d'autres femmes. Sur question du tribunal de savoir ce qui avait produit ces changements, Mme A______ a expliqué qu'il avait différents problèmes et qu'il se disputait avec son ex-femme au sujet des difficultés qu'il éprouvait pour voir ses deux filles devenues adolescentes. Il s'était également disputé avec des amis et avaient des soucis avec l'appartement qu'il sous-louait au Lignon. Par ailleurs, il ne trouvait plus de travail, alors que jusque-là, il trouvait de petits emplois non déclarés, par exemple dans le domaine des réparations informatiques ou de la comptabilité, tout en étant parallèlement aidé par l'Hospice général. Des tensions étaient également apparues entre les deux époux, notamment parce que M. B______ ne souhaitait pas qu'elle travaille, craignant que l'aide de l'Hospice général ne diminue. Elle s'était opposée sur ce point à son mari, car elle ne souhaitait pas rester tout le temps à la maison. Elle avait besoin de travailler et de rencontrer d'autres personnes. Elle avait trouvé un emploi comme femme de ménage à raison de vingt heures par semaine et ses revenus avaient été annoncés à l'Hospice général, qui avait donc diminué l'aide versée à M. B______. Celui-ci avait réagi en lui prenant son revenu, comme une compensation. En réalité, elle avait commencé à travailler dès son arrivée en Suisse et c'était dans ce cadre que des disputes conjugales avaient commencé à apparaître. Son mari lui reprochait régulièrement de ne pas parler français. Cependant, une nette aggravation du niveau d'agressivité de M. B______ était apparue à partir de 2019. À son souvenir, c'était à partir d'août 2019 qu'elle avait commencé à se dire que son mari avait des relations avec d'autres femmes, car il quittait la maison durant le week-end et son téléphone ne cessait de sonner. À la même période, il avait commencé à exercer toutes sortes de pressions psychologiques contre elle. Il l'accusait de lui cacher ses médicaments et faisait mine de vouloir frapper son chien avec un balai ou lui disait qu'il allait le jeter par la fenêtre si jamais son chien urinait dans la maison. Il lui demandait constamment quand est-ce qu'elle allait quitter le domicile, ou alors, après avoir beaucoup bu, en rentrant à la maison vers 3 heures ou 5 heures du matin pendant qu'elle dormait, lui arrachait la couverture et la jetait plus loin. Elle avait fini par quitter le domicile conjugal le 18 décembre 2019 et n'était plus retournée auprès de lui.

Entendu comme témoin, M. C______ a déclaré qu'il avait fait la connaissance de Mme A______ lors de sa première venue en Suisse, avant qu'elle ne reparte au Brésil, par l'intermédiaire de la nièce de la précitée, qui était la femme de l'un de ses meilleurs amis et collègue. Ils s'étaient donc rencontrés à l'occasion de quelques événements festifs. Quant à M. B______, il ne l'avait rencontré qu'à deux ou trois reprises à l'époque où il avait fait la connaissance de Mme A______. Après le mariage de cette dernière, il n'avait plus jamais rencontré son mari. La relation de Mme A______ avec son mari n'avaient jamais été un sujet de discussion, jusqu'au jour où l'ami dont il avait parlé précédemment l'avait appelé pour lui demander s'il pouvait aider Mme A______, que son mari avait jetée sur le trottoir avec ses valises. À son souvenir, cela s'était produit en automne 2018 et il avait pu proposer à Mme A______ un hébergement chez une connaissance. Ensuite, M. B______ lui avait proposé de reprendre la vie commune et elle le lui avait pardonné, de sorte qu'ils avaient recommencé à vivre ensemble. C'était bien plus tard, dans le courant de l'année 2019, en revoyant Mme A______ et en réalisant qu'elle était triste, qu'il avait fini par oser lui demander ce qui n'allait pas. Elle avait expliqué que son mari avait commencé à boire de plus en plus, qu'il dormait durant la matinée, se réveillait l'après-midi et commençait à boire, pour finir par être ivre en fin de journée et à s'en prendre à elle et au chien de manière agressive. Selon son souvenir, il avait commencé à constater que Mme A______ n'allait pas bien autour de l'été 2019. C'était en tout cas avant septembre 2019. Après qu’elle ait tout d'abord parlé des soucis d'alcool de son mari, elle avait également commencé à mentionner le fait qu'il fréquentait d'autres femmes. Elle ne s'était jamais plainte de violence physique, mais c'était de toute façon une personne discrète. Par contre, le témoin avait vu des échanges WhatsApp dans lesquels M. B______ menaçait de mort son épouse. Il avait également conseillé à Mme A______ de faire des enregistrements sur son téléphone, ce qu'elle avait fait. Ils avaient cependant effacé ces enregistrements après avoir appris que c'était illégal et qu'ils pourraient avoir des problèmes. Il avait cependant entendu ces enregistrements et il s'agissait de disputes durant lesquelles M. B______ avait l'air ivre et menaçait de mort son épouse. Cela lui avait donné le sentiment qu'elle était en danger. Il avait aussi entendu dire, à l'époque où il avait lui-même fait la connaissance de M. B______, qu'il avait eu une relation avec une autre femme à laquelle il s'en était pris physiquement. Par la suite, il avait assisté Mme A______ dans différentes démarches afin qu'elle puisse obtenir de l'aide. La personne qu'ils avaient vue à l'association D______ avait également entendu des enregistrements faits sur le téléphone et vu les messages WhatsApp que lui envoyait son mari. Elle lui avait alors dit qu'elle devait immédiatement quitter le domicile conjugal et qu'elle était prête à lui trouver un logement de refuge, ce qui n'était cependant pas possible à cause du chien. C'était donc lui qui avait trouvé un studio pour la loger.

Le tribunal a ensuite entendu à titre de témoin Madame F______. Celle-ci a déclaré qu'elle connaissait Mme A______ depuis très longtemps, puisqu'elle venait toutes deux de la même ville. Elle l'avait ensuite un peu perdue de vue lorsqu'elle était arrivée en Suisse en 2008, avant de la retrouver à partir de 2017. Elle avait alors recommencé à la fréquenter un peu, mais son mari ne souhaitait pas trop quelle sorte, ce qu'elle avait d'abord appris par la nièce de Mme A______, puis directement par cette dernière. Elle n'avait cependant rien su de particulier au sujet de la relation conjugale, jusqu'au jour où elle avait accompagné Mme A______ au poste de police. Selon le souvenir qu'elle conservait des déclarations faites ce jour-là par Mme A______, celle-ci avait expliqué qu'elle avait découvert pratiquement du jour au lendemain que son mari avait une relation extraconjugale, alors qu'elle avait jusque-là le sentiment d'avoir avec une relation positive. Sur question, elle se souvenait avoir entendue des enregistrements ou vu des messages sur le téléphone de Mme A______, qui étaient des menaces proférées par M. B______ et pour l'un d'entre eux également par son amante qui menaçait de porter plainte contre elle.

Le tribunal a également entendu à titre de témoin Madame F______, nièce de Mme A______. Elle a expliqué que cette dernière avait eu l'air heureuse dans son mariage. Elle avait l'impression que c'était environ au bout d'une année qu'elle avait commencé à avoir l'impression que sa tante n'était pas très heureuse, mais c'était une personne discrète qu'elle n'avait pas trop voulu questionner. Pour finir, elle avait pu avoir avec elle une première discussion où Mme A______ lui avait raconté qu'elle avait des problèmes dans son couple. Auparavant, pendant un certain temps, elle s'était rendue compte qu'il était extrêmement difficile d'avoir des contacts avec elle, que ce soit téléphoniquement ou même en cherchant à la rencontrer chez elle. Un jour, elle était allée sonner à sa porte et avait entendu son mari, qui disait de ne pas ouvrir. Elle s'était faite un peu de souci, car elle ne comprenait pas la raison pour laquelle était devenu difficile d'avoir des contacts avec sa tante. Lorsque cette dernière lui avait raconté pour la première fois ses soucis conjugaux, elle lui avait montré des messages WhatsApp dans lesquels son mari la menaçait de mort. À partir de ce moment-là, elle avait tenté d'avoir plus de contact avec Mme A______, mais cela restait difficile. Elle avait ressenti chez elle à la fois le fait, en tout cas pendant un certain temps, qu'elle était toujours amoureuse de lui et souhaitait poursuivre la relation, et en même temps le fait qu'elle commençait à avoir peur de M. B______. Sur question, le témoin précisé qu'ils s'étaient écoulés plusieurs mois entre le moment où Mme A______ lui avait dit qu'elle n'était plus heureuse dans son couple et le moment de la séparation. Durant cette période, elle avait ressenti que Mme A______ ressentait de plus en plus de peur, et elle ne comprenait pas pourquoi sa tante restait auprès de son mari. Sur question du tribunal, le témoin a précisé que lors des discussions qu'elle avait avec sa tante au sujet de son mariage, il n'avait jamais été question des conséquences qui pourraient découler de la séparation sur son autorisation de séjour. Mme A______ ne lui avait jamais dit avoir été frappée par son mari, mais elle parlait des menaces qu'elle recevait. Mme A______ lui avait également dit que son mari lui avait proposé de vivre une sorte relation à trois, lorsque sa relation extraconjugale avait été connue. Le témoin a encore spontanément précisé qu'à une occasion, lors d'une visite chez sa tante, elle avait trouvé un couteau à côté du lit où elle dormait. Sa tante avait dit que c'était pour se protéger au besoin. Mme A______ avait également mentionné des problèmes d'alcool de son mari qui buvait beaucoup et le fait que cela la stressait au point de l'empêcher de dormir. Elle avait aussi eu connaissance par sa tante du fait que le mari de cette dernière lui prenait l'argent qu'elle gagnait. Par conséquent, elle-même avait été amenée une ou deux fois apporter une petite aide financière à Mme A______. Globalement, la situation lui apparaissait comme grave et elle s'inquiétait beaucoup pour sa tante. Il lui arrivait d'en être empêchée de dormir.

Le tribunal a finalement entendu Monsieur G______ comme témoin. Il a déclaré que M. B______ était devenu son voisin de palier vers 2014-2015. Il l'avait toujours vu fréquenter un certain nombre de femmes, jusqu'à ce qu'il rencontre Mme A______. Il avait dû téléphoner à deux reprises à la police en pleine nuit car M. B______ était en train de tirer sa partenaire par les pieds en la mettant à la porte et en jetant ses effets personnels sur le palier. À chaque fois, il était saoul. En tout cas à une occasion, il s'était agi de Mme A______. Il avait rencontré à plusieurs reprises cette dernière assise sur le palier devant chez elle, parce que son mari l'avait bloqué, soit en étant parti s'acheter de l'alcool, soit en se trouvant lui-même à l'intérieur et en refusant de laisser entrer sa femme. Mme A______ avait elle-même toujours eue un comportement correct en tant que voisine. M. B______ n'avait jamais été un voisin normal et s'était comporté désagréablement dès son arrivée. Il avait eu des comportements nuisibles, notamment de concert avec un autre voisin de l'immeuble qui avait fini par être expulsé. Encore aujourd'hui, M. B______ cherchait à lui nuire, par exemple en mettant des objets ou de la colle dans sa serrure. Sur question, le témoin a indiqué qu'il était évident que M. B______ avait d'importants problèmes d'alcool. Il buvait la nuit et ne dormait pas.

17.         Suite à l'audience, l'OCPM a fait savoir au tribunal, par courrier du 20 septembre 2023, qu'il n'avait pas d'observations complémentaires à formuler.

18.         Pour sa part, Mme A______ s'est déterminée par écritures du 29 septembre 2023. Soulignant certains éléments des témoignages recueillis à l'audience du 1er septembre 2023, elle a conclu que les violences conjugales qu'elle avait subies de la part de son époux étaient d'une intensité telle qu'elle ne pouvait que mettre un terme à son union. Il s'imposait donc de lui permettre de poursuivre son séjour en Suisse pour des raisons personnelles majeures.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 42 al. 1 LEI, le conjoint étranger d'un ressortissant suisse ainsi que ses enfants célibataires étrangers de moins de 18 ans ont droit à l'octroi d'une autorisation de séjour et la prolongation de sa durée de validité à condition qu'ils vivent en ménage commun avec lui.

Aux termes de l'art. 50 al. 1 LEI, après la dissolution de la famille, le droit du conjoint et des enfants à l’octroi d’une autorisation de séjour et à la prolongation de sa durée de validité en vertu des art. 42 et 43 subsiste si l’union conjugale a duré au moins trois ans et si les critères d’intégration définis à l’art. 58a sont remplis (let. a), conditions cumulatives (ATF 140 II 345 consid. 4 ; 136 II 113 consid. 3.3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_522/2021 du 30 septembre 2021 consid. 4.1) ou si la poursuite du séjour en Suisse s’impose pour des raisons personnelles majeures (let. b), lesquelles sont notamment données, selon l'art. 50 al. 2 LEI, lorsque le conjoint est victime de violence conjugale, que le mariage a été conclu en violation de la libre volonté d’un des époux ou que la réintégration sociale dans le pays de provenance semble fortement compromise (voir aussi l'art. 77 OASA, qui reprend la teneur de l'art. 50 al. 2 LEI).

4.             Si la violence conjugale au sens de l’al. 1 let. b et de l’art. 50 al. 2 LEI, est invoquée, les autorités compétentes peuvent demander des preuves. Sont notamment considérés comme indices de violence conjugale : a) les certificats médicaux, b) les rapports de police, c) les plaintes pénales, d) les mesures au sens de l’art. 28b du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) et e) les jugements pénaux prononcés à ce sujet (art. 77 al. 5 et 6 OASA).

L'octroi d'un droit de séjour en faveur de victimes de violences conjugales a pour but d'empêcher qu'une personne faisant l'objet de violences conjugales poursuive la communauté conjugale pour des motifs liés uniquement au droit des migrations, quand bien même le maintien de celle-ci n'est objectivement plus tolérable de sa part, dès lors que la vie commune met sérieusement en péril sa santé physique ou psychique (ATF 138 II 229 consid. 3.1 et 3.2 et arrêts du Tribunal fédéral 2C_956/2013 du 11 avril 2014 consid. 3.1 et 2C_784/2013 du 11 février 2014 consid. 4.1). Lorsqu'une séparation se produit dans une telle constellation, le droit de séjour qui était originairement dérivé de la relation conjugale se transforme en un droit de séjour propre.

5.             Sur la base de la ratio legis susmentionnée, il y a lieu de conditionner la présence d'un cas de rigueur suite à la dissolution de la famille pour violence conjugale à l'existence d'un rapport étroit entre la violence conjugale et la séparation du couple. Ce rapport n'est toutefois pas exclu du simple fait que l'initiative de la séparation n'a pas été prise par la personne qui prétend avoir fait l'objet de violence conjugale, mais par son conjoint (arrêt du Tribunal fédéral 2C_915/2019 du 13 mars 2020 consid. 3.2) et une analyse du cas concret doit avoir lieu dans chaque affaire.

6.             Selon la jurisprudence, il convient de prendre au sérieux toute forme de violence conjugale, qu'elle soit physique ou psychique. La violence conjugale doit toutefois revêtir une certaine intensité. Elle constitue une maltraitance systématique ayant pour but d'exercer pouvoir et contrôle sur celui qui la subit (ATF 138 II 229 consid. 3.2.1 et arrêt du Tribunal fédéral 2C_1085/2017 du 22 mai 2018 consid. 3.1). À l'instar de violences physiques, seuls des actes de violence psychique d'une intensité particulière peuvent justifier l'application de l'art. 50 al. 1 let. b LEI (ATF 138 II 229 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_201/2019 du 16 avril 2019 consid. 4.1 ; 2C_12/2018 du 28 novembre 2018 consid. 3.19). Lorsque des contraintes psychiques sont invoquées, il incombe à la personne d'illustrer de façon concrète et objective, ainsi que d'établir par preuves le caractère systématique de la maltraitance, respectivement sa durée, ainsi que les pressions subjectives qui en résultent. Des affirmations d'ordre général ou des indices faisant état de tensions ponctuelles sont insuffisants (ATF 138 II 229 consid. 3.2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_12/2018 précité consid. 3.2 ; 2C_401/2018 du 17 septembre 2018 consid. 4.2).

Des insultes proférées à l'occasion d'une dispute, une gifle assénée, le fait pour un époux étranger d'avoir été enfermé une fois dehors par son conjoint ne sont pas assimilés à la violence conjugale au sens de l'art. 50 al. 2 LEI (ATF 136 II 1 consid. 5). En effet, sans que cela ne légitime en rien la violence conjugale, n'importe quel conflit ou maltraitance ne saurait justifier la prolongation du séjour en Suisse, car telle n'était pas la volonté du législateur (arrêt du Tribunal fédéral 2C_654/2019 du 20 août 2019 consid. 2.1), ce dernier ayant voulu réserver l'octroi d'une autorisation de séjour aux cas de violences conjugales atteignant une certaine gravité ou intensité.

7.             La personne étrangère qui soutient, en relation avec l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI, avoir été victime de violences conjugales, est soumise à un devoir de coopération accru. Il lui appartient de rendre vraisemblable, par des moyens appropriés, la violence conjugale, respectivement l'oppression domestique alléguée. En particulier, il lui incombe d'illustrer de façon concrète et objective, ainsi que d'établir par preuves le caractère systématique de la maltraitance, respectivement sa durée, ainsi que les pressions subjectives qui en résultent (art. 77 al. 6 et al. 6 bis OASA et arrêt du Tribunal fédéral 2C_68/2017 du 29 novembre 2017 consid. 5.4.1). L'art. 50 al. 2 LEI n'exige toutefois pas la preuve stricte de la maltraitance, mais se contente d'un faisceau d'indices suffisants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_593/2019 du 11 juillet 2019 consid. 5.2 ; 2C_196/2014 du 19 mai 2014 consid. 3.4) respectivement d'un degré de vraisemblance, sur la base d'une appréciation globale de tous les éléments en présence (ATF 142 I 152 consid. 6.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_671/2017 du 29 mars 2018 consid. 2.3 et 2C_831/2018 du 27 mai 2019 consid. 4.3.1). Ainsi, selon le degré de preuve de la vraisemblance, il suffit que l'autorité estime comme plus probable la réalisation des faits allégués que la thèse contraire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_915/2019 précité consid. 3.5).

8.             En l'espèce, c'est avec raison que l'autorité intimée a retenu dans la décision litigieuse que l'union conjugale formée par la recourante avec son mari a duré moins de trois ans, de sorte que l'éventuelle prolongation de l'autorisation de séjour de la précitée n'était envisageable qu'en application de l'art. 50 al. 1 LEI. Ce point n'est au demeurant pas contesté par le recourante.

9.             L'objet du litige réside en réalité dans l'appréciation que l'autorité intimée a faite au sujet de l'existence de raisons personnelles majeures, au sens de l'art. 50 al. 1 let. b et al. 2 LEI. La décision litigieuse retient à cet égard que la recourante a échoué à démontrer l'existence de violences conjugales récurrentes, dès lors qu'antérieurement à l'épisode de violence immédiatement suivi par la séparation physique du couple, le dossier ne démontrerait qu'un seul autre acte de violence survenu dans la nuit du 9 au 10 mai 2019, durant lequel, de surcroît, la police avait constaté une blessure au visage du mari de la recourante. En définitive, il n'existait pas d'éléments permettant de retenir l'existence d'une menace sérieuse à l'encontre de la recourante et une certaine intensité de la maltraitance.

À la suite des auditions auxquelles a procédé le tribunal le 1er septembre 2023, l'autorité intimée a campé sur ses positions, sans toutefois expliquer si elle doutait de la valeur probante des témoignages ou si les violences décrites lors de ces auditions ne lui paraissaient pas atteindre le seuil d'intensité défini par la jurisprudence susmentionnée.

10.         Tout d'abord, il convient d'admettre la pleine valeur probante des déclarations faites par les témoins entendus par le tribunal, qui se sont manifestement appuyés sur des souvenirs authentiques, dont certains étaient déjà en train de s'estomper et d'autres demeuraient beaucoup plus nets. Aucune des déclarations recueillies par le tribunal n'a paru être le fruit d'un discours préparé à l'avance. Les déclarations de la recourante elle-même paraissent également tout à fait crédibles. Sur question de savoir si elle pouvait expliquer pourquoi son mari avait commencé à se montrer plus agressif à partir de l'année 2019, elle a été en mesure d'évoquer plusieurs raisons dont la diversité et le niveau de détail reflètent vraisemblablement une situation réellement vécue.

11.         À ces témoignages et déclarations s'ajoutent certains éléments objectifs du dossier, comme l'annonce faite spontanément par la recourante à l'OCPM de son changement de domicile, qui témoigne de sa bonne foi, l'attestation établie par l'association d'aide aux victimes de violences conjugales D______, que l'intéressé a consultée à deux reprises en décembre 2019 et janvier 2020, ou encore les messages reçus par la recourante sur son téléphone et dont elle a produit une grande quantité.

12.         Globalement, il résulte du dossier, après l'instruction menée par le tribunal, que si la relation conjugale s'est déroulée normalement pendant les deux ans qui ont suivi l'arrivée de la recourant en Suisse, différents événements survenus dans la vie du mari de la recourante, qui semblent être apparus plus ou moins autour de 2019 (difficultés relationnelles avec ses deux filles adolescentes ainsi qu'avec certains amis, préoccupations liées à une sous-location, difficultés à continuer à trouver des sources de revenus), ont vraisemblablement contribué à des changements d'humeur et de comportement chez l'intéressé, dont la consommation d'alcool s'est alors sensiblement accentuée. Il convient à ce sujet de garder à l'esprit le témoignage de son voisin de palier, qui en a fait connaissance vers 2014 - 2015 et qui le décrit comme une personne ayant une consommation problématique d'alcool, ainsi qu'un comportement général qui trouble le voisinage, voire un comportement violent à l'égard des femmes, puisqu'il a déclaré avoir vu le mari de la recourante sortir au moins à deux reprises une partenaire de l'appartement en la tirant par les pieds et en laissant ses affaires sur le palier. Les problèmes d'alcool du mari de la recourante ont également été évoqués par d'autres témoins, qui ont entendu la recourante s'en plaindre durant son union conjugale. Il en va de même, visiblement, d'une tendance au contrôle qui a peu à peu isolé la recourante de son entourage, y compris de sa propre nièce. Les témoins ont également fait allusion au comportement instable et versatile du mari de la recourante, qui se reflète dans les nombreux messages envoyés par écrit sur le téléphone de son épouse et qui figurent dans la procédure. Dans certains d'entre eux, le mari de la recourante se montre conciliant et lui propose de faire la paix, tandis que juste après, il fait des allusions à la mort ou lui dit qu'il ne veut plus jamais la voir.

13.         Quant au caractère systématique de la maltraitance subie par la recourante, la discrétion et la retenue de cette dernière, que le tribunal a pu mesurer en audience, ne lui ont pas permis d'en faire état de manière élargie auprès de son entourage. Néanmoins, le tribunal relèvera en particulier le témoignage de la nièce de la recourante, qui était sans doute la personne la plus proche d'elle à Genève. Selon les explications données par cette dernière, il s'était écoulé plusieurs mois entre le moment où la recourante lui avait dit qu'elle n'était plus heureuse dans son couple et le moment de la séparation. Pendant cette période, le témoin avait constaté qu'il était de plus en plus difficile d'avoir des contacts avec la recourante et s'était même rendu compte à une reprise que le mari de cette dernière intervenait directement pour tenter de l'isoler. Si l'on tient compte de ces explications, ainsi que de celles données en audience par l'ancien voisin de palier de la recourante au sujet du caractère irascible de l'intéressé, des problèmes qu'il posait depuis plusieurs années dans le voisinage et de sa tendance nette à la consommation problématique d'alcool, il n'existe pas de raison particulière de douter des explications de la recourante au sujet du fait que sa relation conjugale était marquée par toutes sortes de pressions et de menaces durant l'année 2019, plusieurs mois avant la séparation intervenue en décembre 2019. La relation conjugale était d'ailleurs suffisamment dégradée, bien avant cette séparation, pour qu'un premier éloignement soit intervenu entre les époux, suivi ensuite par une tentative de reprendre la vie commune.

14.         Quant à l'intensité des violences, qui n'apparaissent pas avoir été physiques mais essentiellement psychologiques, le mari de la recourante la menaçait régulièrement de mort, comme cela ressort des messages produits au dossier et qui couvrent une période de plusieurs semaines avant et après la séparation de fin 2019. L'un des témoins entendus par le tribunal a également indiqué avoir entendu l'enregistrement effectué par la recourante lors d'une dispute, pendant laquelle son mari était en train de la menacer de mort. Les témoins ont également relaté les plaintes émises à l'époque par la recourante au sujet du fait que les menaces de son mari s'adressaient également à son chien ou concernaient la possibilité qu'elle soit expulsée de Suisse. La nièce de la recourante a relaté le fait qu'elle avait aperçu un couteau près du lit de cette dernière, destiné selon celle-ci à lui permettre de se protéger au besoin. La recourante a également fait état, durant l'audience, d'autres types de pressions ou violences psychologiques, comme le fait que lorsqu'il rentrait ivre au milieu de la nuit, son mari lui arrachait les couvertures alors qu'elle dormait. La brutalité et le manque de considération de l'intéressé à l'égard de son épouse se reflète encore dans la proposition qu'il lui a faite, vers la fin de leur relation, d'expérimenter un ménage à trois avec son amante. À l'époque, la recourante s'en était plainte à l'un des témoins entendus par le tribunal, qui a confirmé ceci.

15.         De par leur durée et leur intensité, ces différents éléments sont suffisamment graves pour exclure toute possibilité de considérer que la recourante aurait pu s'en accommoder encore pendant plusieurs mois et que sa décision de se séparer de son mari aurait été prise à la légère.

16.         Par conséquent, il apparaît que l'autorité intimée a largement sous-estimé la gravité de ces éléments et qu'elle aurait dû retenir l'existence de raisons majeures justifiant la prolongation de l'autorisation de séjour de la recourante.

17.         Le recours sera ainsi admis et le dossier renvoyé à l'autorité intimée afin qu'elle prolonge l'autorisation de séjour de la recourante.

18.         Vu l'issue de la procédure, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

19.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l’État de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).

20.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 3 février 2023 par Madame A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 3 janvier 2023 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 3 janvier 2023 ;

4.             renvoie le dossier à l'office cantonal de la population et des migrations afin qu'il prolonge l'autorisation de séjour de Madame A______ ; 

5.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

6.             condamne l’État de Genève, soit pour lui l’office cantonal de la population et des migrations à la recourante une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière