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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1592/2023

JTAPI/1367/2023 du 06.12.2023 ( OCPM ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;CAS DE RIGUEUR;RESPECT DE LA VIE FAMILIALE;ADMISSION PROVISOIRE;MUTILATION D'ORGANES GÉNITAUX FÉMININS;SÉNÉGAL
Normes : LEI.30.al1.letb; CEDH.8; LEI.83
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1592/2023

JTAPI/1367/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 6 décembre 2023

 

dans la cause

 

Madame A______, agissant en son propre nom et en celui de ses filles mineures B______ et C______, toutes représentées par Me Jacques EMERY, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur D______, né le ______ 1990 et Madame A______, née le ______ 1985, sont les parents de C______ et de B______, nées le ______ 2018 à Genève. Toute la famille est ressortissante du Sénégal.

2.             M. D______ est titulaire d’une autorisation de séjour depuis le 13 mai 2013. Depuis le 12 avril 2018, il bénéficie d’une autorisation d’établissement.

3.             Mme A______ serait arrivée à Genève, selon ses propres déclarations, en décembre 2017.

4.             Mme A______ et M. D______ souhaitant se marier, l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM) a adressé à ce dernier plusieurs demandes de renseignements.

5.             Par décision du 19 février 2019, l’OCPM a refusé de délivrer à Mme A______ une autorisation de séjour en vue de mariage et a prononcé son renvoi de Suisse. M. D______ n’avait pas donné suite à ses demandes de renseignements, de sorte qu’il n’était pas possible de savoir si les conditions du regroupement familial étaient remplies. Par ailleurs, la précitée ne pouvait invoquer aucun droit à une autorisation de séjour. Cette décision n’a pas été contestée.

6.             Le 16 avril 2019, Mme A______ et M. D______ ont sollicité la reconsidération de cette décision. Ce prononcé ne tenait pas compte de la naissance de leurs filles, lesquelles avaient droit à une autorisation d’établissement, dès lors que leur père était titulaire d’un tel permis. Par voie de conséquence, elle pouvait également prétendre à la délivrance d’un titre de séjour. De plus, tous deux souhaitaient toujours se marier.

Subsidiairement, l’OCPM devait reconnaître qu’ils se trouvaient dans une situation d’extrême gravité. En effet, si elle devait rentrer au Sénégal avec ses enfants, elle se retrouverait sans travail ni logement, et donc dans l’impossibilité de subvenir à ses besoins. En outre, il serait privé de ses droits sur ses filles, alors qu’il vivait avec elles, les entretenait et disposait de l’autorité parentale. Enfin, elle avait toujours respecté l’ordre public et, francophone, n’aurait aucune difficulté à s’intégrer.

7.             Le même jour, les intéressés ont déposé une demande d’autorisation de séjour pour regroupement familial en faveur de C______ et de B______, en se fondant sur l’art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), ainsi que sur les dispositions du droit interne relatives au permis de séjour pour cas d’extrême gravité.

8.             Par lettre du 3 février 2020, M. D______ a fait part à l’OCPM que son mariage avec Mme A______ n’était plus d’actualité. Il confirmait en revanche sa demande d’autorisation de séjour déposée en faveur de ses filles.

9.             Le 5 mars 2020, l’OCPM a demandé à M. D______ de lui indiquer s’il faisait toujours ménage commun avec Mme A______, où habitaient ses filles et, enfin – justificatifs à l’appui –, qui détenait le droit de garde et l’autorité parentale sur ces dernières.

10.         Les 3 et 10 juin 2020, M. D______ a expliqué à l’OCPM qu’il avait abandonné ses projets de mariage, car Mme A______ l’avait trompé avec un autre homme. Toutefois, celle-ci habitait toujours chez lui. Il prenait en charge ses enfants et s’occupait de leur éducation. Les deux parents disposaient de leur garde.

11.         Par pli du 19 août 2020, l’OCPM a fait part à Mme A______ de son intention de refuser d’entrer en matière sur sa demande de reconsidération et de prononcer son renvoi de Suisse. Ses projets de mariage avec M. D______ n’étaient plus d’actualité et, en outre, elle n’avait toujours pas fourni les documents sollicités. Un délai lui a été accordé pour faire valoir son droit d’être entendu.

12.         Le 22 février 2021, Mme A______ a déposé auprès de l’OCPM une demande d’autorisation de séjour sur la base de l’art. 8 CEDH.

Jusqu’en décembre 2017, elle avait vécu clandestinement en Espagne avec M. D______, qu’elle avait épousé religieusement en Afrique. Celui-ci avait reconnu ses filles et il aurait entrepris des démarches en vue de l’obtention d’un permis de séjour en leur faveur. Le couple vivait ensemble dans un appartement de quatre pièces à Genève. Elle dépendait entièrement du précité et souhaitait que sa situation fût régularisée. M. D______ serait actuellement au chômage, sans qu’elle ne soit cependant au courant de l’ampleur de ses revenus. Elle s’occupait de manière continue de ses enfants, mais elle serait en mesure de rechercher un emploi de coiffeuse ou dans le commerce si elle obtenait une autorisation de séjour. Malgré la caducité du projet de mariage, une vie familiale digne de protection au sens de l’art. 8 CEDH existait.

13.         Le 11 mai 2021, l’OCPM a invité Mme A______ à lui transmettre les justificatifs relatifs au titulaire de la garde des enfants, ainsi qu’aux moyens financiers du couple.

14.         Par lettre du 30 mai 2021, M. D______ a fait savoir à l’OCPM qu’il s’opposait à la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur de Mme A______. Il était en revanche disposé à venir en aide à ses enfants au Sénégal.

15.         Par ordonnance pénale du 11 avril 2022, Mme A______ a été condamnée par le Ministère public a une peine pécuniaire de cent jours-amende à CHF 30.- le jour avec sursis pour entrée illégale et séjour illégal.

16.         Le 23 septembre 2022, l’OCPM a fait part à la précitée de son intention de rejeter sa requête du 22 février 2021. Un délai lui a été imparti pour faire valoir son droit d’être entendu.

17.         Par jugement du ______ 2022 (JTPI/______/2022) en force, le Tribunal de première instance (ci-après : TPI) a condamné M. D______ à verser mensuellement à Mme A______ CHF 695.-, allocations familiales non comprises, pour l’entretien de ses deux filles. Il l’a également condamné à lui payer mensuellement, à titre d’arriéré de contributions d’entretien de ses enfants, CHF 2'400.- pour la période du 1er septembre 2021 au 31 janvier 2022.

18.         Le 14 octobre 2022, Mme A______ s’est déterminée sur le courrier d’intention de l’OCPM du 23 septembre précédent, s’opposant à son renvoi au Sénégal. Elle y avait été victime d’excision dans sa jeunesse et craignait que le même sort fût réservé à ses filles, étant donné que cette tradition perdurait dans l’ethnie peule à laquelle elles faisaient partie.

19.         Par courriel du 7 décembre 2022, l’OCPM a demandé à l’Ambassade de Suisse à Dakar (ci-après : l’Ambassade) des précisions concernant la réintégration d’une femme seule et du risque d’excision pour ses enfants, ainsi que, cas échéant, à propos de l’existence de dispositifs protégeant les femmes et les filles.

20.         Le 9 décembre 2022, l’Ambassade a répondu que le risque d’excision était fort probable, surtout avec des filles aussi jeunes. Il n’existait pas de structure spécifique pour une femme dans une situation telle que celle de la recourante, mais il y avait à Dakar une « maison des femmes » qui était toutefois toujours débordée. Il n’existait aucune chance de la placer.

21.         Donnant suite à une demande de renseignement de l’OCPM du 14 décembre 2022, Mme A______ a exposé, par lettre du 9 janvier 2023 qu’elle entretenait occasionnellement des contacts avec ses parents, par WhatsApp. Elle n’avait pas d’amis. Avant son départ pour l’Espagne, elle vivait à Rufisque, une ville située à plus de 100 km de Dakar. Elle travaillait dans la restauration et l’économie domestique, ayant arrêté sa scolarisation à la fin de l’école primaire. Elle avait émigré en Espagne, afin de pouvoir y travailler et envoyer de l’argent à sa famille dans son pays d’origine. Elle y avait occupé un emploi de femme de chambre dans un hôtel et avait suivi M. D______ à Genève après son mariage religieux. Elle ne l’avait jamais épousé (civilement) et tous deux s’étaient séparés peu après la naissance de leurs filles. Sa sœur et le mari de celle-ci résidaient en Espagne. Elle avait effectué plusieurs offres d’emploi à Genève et espérait trouver un emploi de femme de ménage d’ici la fin du mois de février.

22.         Le 7 mars 2023, le secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM) a transmis à l’OCPM un consulting daté du même jour intitulé : « Sénégal : mutilations génitales féminines de fillettes peules » dont le contenu sera repris, ci-après, en tant que de besoin.

23.         Selon l’instruction de la cause menée par l’OCPM, au 21 mars 2023, Mme A______ faisait l’objet de poursuites pour dettes, ainsi que d’actes de défaut de biens pour des montants totalisant respectivement quelque CHF 34'600.- et CHF 24'400.-. En outre, à teneur d’une attestation de l’Hospice général du même jour, elle recevait des prestations financières depuis le 1er septembre 2021. Le montant net perçu depuis lors se chiffrait à environ CHF 30'800.-.

24.         Par décision du 5 avril 2023, l’OCPM a refusé de délivrer une autorisation de séjour à Mme A______. Il a prononcé le renvoi de C______ et de B______, rappelant que celui de leur mère l’avait déjà été, le 19 février 2019.

Les projets de mariage du couple n’étaient plus d’actualité, de sorte que la demande de reconsidération du 16 avril 2019 était devenue sans objet. C______ et B______ ne pouvaient se fonder sur l’art. 43 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) pour séjourner en Suisse, étant donné qu’elles ne faisaient pas ménage commun avec leur père. En outre, puisque celui-ci n’entretenait aucune relation étroite avec ses enfants, elles ne pouvaient invoquer à leur profit l’art. 8 CEDH.

Mme A______ et ses filles ne se trouvaient pas non plus dans une situation d’extrême gravité. Elle ne séjournait en Suisse que depuis cinq ans et ne pouvait pas se prévaloir d’une intégration professionnelle ou remarquable particulièrement marquée. Elle percevait des prestations d’aide sociale depuis le 1er septembre 2021, faisait l’objet de procédures auprès de l’office des poursuites pour des montants importants et n’avait jamais occupé d’emploi en Suisse. Elle n’avait pas non plus acquis des connaissances professionnelles à ce point spécifiques qu’elle ne puisse les mettre en pratique au Sénégal. Le fait qu’elle ait subi des violences de la part de M. D______ à la suite de la dégradation de leur relation ne constituait pas un motif permettant de constater une situation d’extrême gravité.

S’agissant de la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, C______ et B______ étaient âgées de quatre ans et demi et donc pas encore scolarisées. Leur intégration n’était dès lors pas encore à ce point poussée qu’elles ne puissent plus envisager un retour dans leur pays d’origine. Le traitement de logopédie suivi par B______ ne constituait pas un motif de reconnaissance d’un cas de rigueur.

S’agissant du risque d’excision de C______ et B______, si cette pratique existait encore au Sénégal, elle était interdite depuis 1999 et le gouvernement avait mis en place des mesures de prévention, ainsi que des structures d’aide aux victimes. Enfin, il ne ressortait pas des explications fournies par Mme A______ qu’elle retournerait au Sénégal dans un contexte où ses filles seraient excisées.

25.         Par acte du 9 mai 2023, Mme A______, agissant en son propre nom, ainsi qu’en celui de ses filles et représentée par leur conseil, a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant, principalement, à l’annulation de la décision du 5 avril précédent et à ce que l’OCPM transmette leur dossier au SEM avec un préavis favorable en vue de la délivrance d’une autorisation de séjour pour cas de rigueur. Subsidiairement, le tribunal devait constater que leur renvoi était inexigible et ordonner à l’OCPM de transmettre leur dossier au SEM pour qu’il prononce leur admission provisoire.

Elle a rappelé son parcours personnel. Elle avait mandaté le service cantonal d’avance et de recouvrement des pensions alimentaires (ci-après : SCARPA) pour recouvrer les sommes auxquelles M. D______ avait été condamné à lui verser. Elle s’occupait de manière continue de ses enfants, qui seraient prochainement scolarisées. B______ bénéficiait d’un suivi logopédique, ainsi qu’il résultait d’une attestation de la Dresse E______.

Elle effectuait en outre du bénévolat. Elle n’envisageait pas de retourner dans son pays d’origine. Un renvoi constituerait un déracinement. Ses parents étaient pauvres et elle ne pourrait plus leur envoyer de l’argent. En outre, en tant que femme seule accompagnée d’enfants en bas âge, elle se retrouverait dans son pays démunie et en proie à toutes formes d’exploitation et de violence. Enfin, tout comme elle-même, ses filles risqueraient d’être victimes d’excision.

La recourante a produit un chargé de pièces.

26.         Le 13 juin 2023, la recourante a expliqué qu’elle venait de trouver un emploi de femme de ménage à temps complet dans un hôtel par l’intermédiaire d’une agence de travail temporaire. Elle a transmis au tribunal un contrat de mission daté du 18 janvier 2023 pour une activité de femme de chambre, ainsi qu’un avenant daté du 15 mai suivant. Était également produite une autorisation provisoire de travail établie par l’OCPM le 12 juin 2023.

27.         Dans ses observations du 12 juillet 2023, l’OCPM a proposé le rejet du recours, en se référant à la décision attaquée. L’emploi que la recourante occupait depuis peu ne saurait modifier l’appréciation du dossier.

L’OCPM a produit son dossier.

28.         Par réplique du 20 juillet 2023, la recourante a fait valoir que l’OCPM avait minimisé le risque d’excision frappant ses filles, lequel était pourtant pris en considération par de nombreuses juridictions, dont la Cour nationale du droit d’asile française, dans un arrêt rendu le 20 juin 2023. En outre, l’emploi qu’elle avait obtenu lui permettrait de se passer de l’aide de l’Hospice général.

29.         Par écriture du 2 octobre 2023, la recourante s’est prévalue de l’art. 8 CEDH, ainsi que de l’art. 50 al. 1 let. b LEI.

M. D______ versait une pension alimentaire pour ses filles qui avaient un droit à une relation suivie avec leur père, en application de la Convention relative aux droits de l'enfant, conclue à New York le 20 novembre 1989, approuvée par l'Assemblée fédérale le 13 décembre 1996. Instrument de ratification déposé par la Suisse le 24 février 1997 (CDE - RS 0.107).

Elle cumulait plus de trois ans de vie commune avec son compagnon, avec qui elle s’était mariée coutumièrement en Afrique. Elle avait projeté de l’épouser civilement et deux enfants étaient nées de leur union. Elle serait ainsi légitimée à se prévaloir de l’art. 50 LEI au vu de la communauté conjugale qu’elle formait avec M. D______.

30.         Par duplique du 23 octobre 2023, l’OCPM a fait part au tribunal qu’il n’avait pas d’observations complémentaires à apporter.

31.         Le contenu des pièces produites par les parties sera repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b).

La LEI et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie des étrangers dont le statut juridique n’est pas réglé par d’autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), ce qui est le cas pour les ressortissants sénégalais.

5.             La recourante demande que l’OCPM transmette au SEM son dossier, ainsi que celui de ses filles, afin que cette dernière autorité leur délivre une autorisation de séjour pour cas de rigueur.

6.             Selon l'art. 30 al. 1 let. b LEI, il est possible de déroger aux conditions d'admission d'un étranger en Suisse pour tenir compte d'un cas individuel d'une extrême gravité.

L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que pour apprécier l'existence d'une telle situation, il convient de tenir compte, notamment, de l'intégration du requérant sur la base des critères d'intégration définis à l'art. 58a al. 1 LEI (let. a), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de la situation financière (let. d), de la durée de la présence en Suisse (let. e), de l'état de santé (let. f), ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Selon l'art. 58a al. 1 LEI, les critères d'intégration sont le respect de la sécurité et de l'ordre publics (let. a), le respect des valeurs de la Constitution (let. b), les compétences linguistiques (let. c), ainsi que la participation à la vie économique ou l'acquisition d'une formation (let. d).

Ces critères, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs (ATF 137 II 345 consid. 3.2.3), d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (ATA/1669/2019 du 12 novembre 2019 consid. 7b).

Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, de sorte que les conditions pour la reconnaissance de la situation qu'ils visent doivent être appréciées de manière restrictive et ne confèrent pas un droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4).

L'art. 30 al. 1 let. b LEI n'a pas pour but de soustraire le requérant aux conditions de vie de son pays d'origine, mais implique qu'il se trouve personnellement dans une situation si grave qu'on ne peut exiger de sa part qu'il tente de se réadapter à son existence passée. Des circonstances générales affectant l'ensemble de la population restée sur place, en lien avec la situation économique, sociale, sanitaire ou scolaire du pays en question, et auxquelles le requérant serait également exposé à son retour ne sauraient davantage être prises en considération, tout comme des données à caractère structurel et général, telles que les difficultés d'une femme seule dans une société donnée. Au contraire, dans la procédure d'exemption des mesures de limitation, seules des raisons exclusivement humanitaires sont déterminantes, ce qui n'exclut toutefois pas de prendre en compte les difficultés rencontrées par le requérant à son retour dans son pays d'un point de vue personnel, familial et économique (ATF 123 II 125 consid. 3).

La reconnaissance de l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité implique que les conditions de vie et d'existence de l'étranger doivent être mises en cause de manière accrue en comparaison avec celles applicables à la moyenne des étrangers. En d'autres termes, le refus de le soustraire à la réglementation ordinaire en matière d'admission doit comporter à son endroit de graves conséquences. Le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu'il y soit bien intégré, tant socialement et professionnellement, et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d'extrême gravité. Encore faut-il que sa relation avec la Suisse soit si étroite que l'on ne puisse exiger qu'il vive dans un autre pays, notamment celui dont il est originaire. À cet égard, les relations de travail, d'amitié ou de voisinage qu'il a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu'ils justifieraient une exception (ATF 130 II 39 consid. 3).

7.             Parmi les éléments déterminants pour la reconnaissance d'une telle situation, il convient en particulier de citer la très longue durée du séjour en Suisse, une intégration sociale particulièrement poussée, une réussite professionnelle remarquable, une maladie grave ne pouvant être traitée qu'en Suisse et la situation des enfants, notamment une bonne intégration scolaire aboutissant après plusieurs années à une fin d'études couronnée de succès. Constituent en revanche des facteurs allant dans un sens opposé le fait que la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et doive recourir aux prestations de l'aide sociale ou des liens conservés avec le pays d'origine, par exemple sur le plan familial, susceptibles de faciliter sa réintégration (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-2584/2019 du 11 décembre 2019 consid. 5.3).

La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d’origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l’intéressé, seraient gravement compromises (arrêt du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1).

Bien que la durée du séjour en Suisse constitue un critère important lors de l'examen d'un cas d'extrême gravité, elle doit être examinée à la lumière de l'ensemble des circonstances et être relativisée lorsque l'étranger a séjourné en Suisse de manière illégale, sous peine de récompenser l'obstination à violer la loi (arrêt du Tribunal fédéral 2D_13/2016 du 11 mars 2016 consid. 3.2).

8.             Lorsqu’il y a lieu d'examiner la situation d'une famille sous l'angle de l'art. 30 al. 1 let. b LEI, la situation de chacun de ses membres ne doit pas être considérée isolément, mais en relation avec le contexte familial global. Le sort de la famille formera en général un tout. Il serait en effet difficile d'admettre le cas d'extrême gravité, par exemple, uniquement pour les parents ou pour les enfants. Ainsi le problème des enfants est un aspect, certes important, de l'examen de la situation de la famille, mais ce n'est pas le seul critère. Il y a donc lieu de porter une appréciation d'ensemble, tenant compte de tous les membres de la famille. Quand un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse ou lorsqu'il y a juste commencé sa scolarité, il reste encore dans une large mesure rattaché à son pays d'origine par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socio-culturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour au pays d'origine constitue un déracinement complet (ATAF 2007/16 du 1er juin 2007 et les références citées).

9.             Dans le cadre de l'exercice de leur pouvoir d'appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI).

10.         En l’espèce, après un examen circonstancié du dossier et des pièces versées à la procédure, il y a lieu de constater que l'OCPM n'a pas mésusé de son pouvoir d'appréciation en considérant que la recourante et ses filles ne satisfaisaient pas aux conditions strictes requises pour la reconnaissance d'un cas de rigueur.

En effet, Mme A______ est arrivée en Suisse, selon ses propres déclarations, en décembre 2017. Elle y séjourne ainsi depuis quelque six ans, ce qui ne représente pas une longue durée de présence. De surcroît, elle n’a jamais été titulaire d’un titre de séjour, tout au plus a-t-elle bénéficié d’une tolérance de la part des autorités.

Elle indique certes qu’elle occupe un emploi de femme de ménage dans un hôtel depuis la mi-juin 2023, produisant un contrat de mission daté du 18 janvier 2023, ainsi qu’un avenant daté du 15 mai suivant. Sa rémunération n’est toutefois pas connue. À cela s’ajoute qu’au 21 mars 2023, elle percevait des prestations de l’Hospice général s’élevant à CHF 30'800.-. En outre, à cette même date, elle faisait l’objet de poursuites pour dettes et d’actes de défaut de biens s’élevant à respectivement CHF 34'600.- et CHF 24'400.-.

Le tribunal reconnaît qu’elle s’est investie dans une association en effectuant du bénévolat auprès d’Europe-Charmilles. Le tribunal doute néanmoins qu’elle a entamé cette activité en toute spontanéité, puisqu’elle l’a débutée le 3 mai 2023, soit postérieurement après le prononcé de la décision attaquée et plus précisément six jours avant le dépôt du présent recours. L’intéressée ne peut pas se prévaloir d’une intégration socio-professionnelle exceptionnelle, puisqu’elle occupe un emploi non qualifié (femme de chambre). Elle n’a ainsi pas acquis en Suisse des connaissances à ce point spécifiques qu’elle ne puisse les mettre en pratique au Sénégal.

Née en 1985, elle est arrivée en Suisse à l’âge de trente-deux ans. C’est dire qu’elle a vécu dans son pays d’origine non seulement durant le début de sa vie d’adulte, mais également pendant son enfance et surtout son adolescence, soit l’âge déterminant pour la formation de la personnalité.

Ses filles, actuellement âgées de cinq ans et demi, sont encore très jeunes et demeurent encore largement rattachées au pays d’origine de leur mère par le biais de celle-ci. Le fait que B______ nécessite un suivi logopédique ne signifie pas qu’elle se trouve dans une situation d’extrême gravité. Rien, en effet, ne démontre que ses troubles ne puissent être traités au Sénégal. La recourante ne le prétend d’ailleurs pas.

Au vu de ces circonstances, l'appréciation que l'autorité intimée a faite de la situation de la recourante et de ses filles sous l'angle des art. 30 al. 1 let. b LEI, 31 et 32 al. 1 let. d OASA ne prête pas le flanc à la critique. Dans ces conditions, le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à l'OCPM, ne saurait en corriger le résultat en fonction d'une autre conception, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire.

11.         La recourante se prévaut de l’art. 8 CEDH.

12.         Sous l’angle de l’art. 8 CEDH, lorsque l'étranger réside légalement depuis plus de dix ans en Suisse, il y a lieu de partir de l'idée que les liens sociaux qu'il y a développés sont suffisamment étroits pour qu'il bénéficie d'un droit au respect de sa vie privée ; lorsque la durée de la résidence est inférieure à dix ans, mais que l'étranger fait preuve d'une forte intégration en Suisse, le refus de prolonger ou la révocation de l'autorisation de rester en Suisse peut également porter atteinte au droit au respect de la vie privée (ATF 144 I 266). Les années passées en Suisse dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance - par exemple en raison de l'effet suspensif attaché à des procédures de recours - ne sont en revanche pas déterminantes (ATF 137 II 1 consid. 4.3).

13.         L'art. 8 CEDH ne s'applique pas aux fiancés ou concubins, sauf en cas de relation étroite et effective avec des indices concrets de mariage. Les éléments pertinents sont la vie commune, la durée de la vie commune et la présence d'enfants communs (arrêt du Tribunal fédéral 2C_722/2019 du 2 septembre 2019).

14.         En l’espèce, la recourante séjourne depuis moins de dix ans en Suisse et ne peut se prévaloir d’une forte intégration, tant sur le plan professionnel que social. Dès lors, elle ne peut se prévaloir de l’art. 8 CEDH pour résider en Suisse, en raison de sa propre situation.

En outre, contrairement à ce qu’elle soutient dans son écriture du 2 octobre 2023, elle ne peut tirer aucun droit de sa relation de concubinage avec M. D______, dès lors que celle-ci a pris fin depuis 2021.

15.         Selon la jurisprudence, exceptionnellement et à des conditions restrictives, un étranger peut, en fonction des circonstances, se prévaloir du droit au respect de sa vie privée et familiale, au sens de l’art. 8 par. 1 CEDH, pour s’opposer à une éventuelle séparation de sa famille, à condition qu’il entretienne une relation étroite et effective avec un membre de celle-ci ayant le droit de résider durablement en Suisse (ATF 145 I 227 consid. 3.1). Les relations ici visées sont avant tout celles qui existent entre époux, ainsi que les relations entre parents et enfants mineurs vivant en ménage commun (ATF 140 I 77 consid. 5.2). Pour autant, les liens familiaux ne sauraient conférer de manière absolue, en vertu de cette disposition, un droit d’entrée et de séjour (ATF 139 I 330 consid. 2.1). Une personne est en droit de résider durablement en Suisse si elle a la nationalité suisse ou si elle est au bénéfice d’une autorisation d’établissement ou d’un droit certain à une autorisation de séjour en Suisse (ATF 135 I 143 consid. 1.3.1).

16.         En l’espèce, M. D______ dispose d’une autorisation d’établissement, de sorte que C______ et B______ peuvent, a priori, se prévaloir de l’art. 8 CEDH pour s’opposer à leur renvoi de Suisse. Cela étant, cette disposition conventionnelle ne leur est d’aucun secours, dès lors qu’elles n’entretiennent aucune relation personnelle avec leur père. En effet, elles vivent avec leur mère et il ne ressort pas du dossier que le précité entretiendrait des contacts avec elles. En outre, quoiqu’ayant été condamné par le TPI à verser à la recourante une contribution d’entretien, il ne s’est pas exécuté. Cette dernière a été contrainte, en effet, de faire appel aux services du SCARPA.

En conclusion, ni la recourante, ni ses filles ne peuvent se prévaloir de l’art. 8 CEDH pour demeurer en Suisse.

17.         Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, les autorités compétentes rendent une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel une autorisation est refusée ou dont l'autorisation, bien que requise, est révoquée ou n'est pas prolongée après un séjour autorisé.

Le renvoi constitue la conséquence logique et inéluctable du rejet d'une demande tendant à la délivrance ou la prolongation d'une autorisation de séjour, l'autorité ne disposant à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation (ATA/1118/2020 du 10 novembre 2020 consid. 11a).

18.         Les intéressées n'obtenant pas d'autorisation de séjour, c'est à bon droit que l'autorité intimée a prononcé leur renvoi de Suisse.

Cela étant, la recourante soutient que leur renvoi n’est pas exigible. En cas de retour au Sénégal, ses filles seraient victimes d’excision.

19.         Le renvoi d'un étranger ne peut toutefois être ordonné que si l'exécution de celui-ci est possible, licite ou peut être raisonnablement exigée (art. 83 al. 1 LEI).

L'exécution de la décision ne peut être raisonnablement exigée si le renvoi ou l'expulsion de l'étranger dans son pays d'origine ou de provenance le met concrètement en danger, par exemple en cas de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de nécessité médicale (art. 83 al. 4 LEI). Cette disposition s'applique en premier lieu aux « réfugiés de la violence », soit aux étrangers qui ne remplissent pas les conditions de la qualité de réfugié parce qu'ils ne sont pas personnellement persécutés, mais qui fuient des situations de guerre, de guerre civile ou de violence généralisée, et ensuite aux personnes pour qui un retour reviendrait à les mettre concrètement en danger, notamment parce qu'elles ne pourraient plus recevoir les soins dont elles ont besoin (ATAF 2014/26 consid. 7.3 à 7.10).

20.         Dans un arrêt rendu le 2 novembre 2016 (E-2943/2016), le Tribunal administratif fédéral a rejeté le recours d’une ressortissante sénégalaise et confirmé le rejet de sa demande d’asile par le SEM. L’intéressée faisait notamment valoir qu’elle craignait qu’elle-même et sa fille en bas âge soient excisées.

Le Tribunal administratif fédéral a retenu que l’intéressée n’avait pas rendu vraisemblable sa qualité de réfugiée, soit qu’elle-même et son enfant soient victimes d’excision. Par ailleurs, les mutilations génitales étaient réprimées par le code pénal sénégalais. Même si la pratique de l’excision existait encore en certains endroits, il ne pouvait être considéré que les autorités sénégalaises l’encourageaient, la soutenaient ou la toléraient. Il ne pouvait pas non plus être retenu que ce pays ne disposait pas de structures suffisantes et accessibles pour lutter contre ces mauvais traitements. La recourante n’avait pas indiqué qu'elle aurait entrepris des démarches auprès de la police ou d'instances supérieures afin de faire valoir ses droits ou qu'elle aurait demandé de l'aide à des organisations non-gouvernementales actives dans la lutte contre l'excision ou les violences faites aux femmes. Elle n'avait pas non plus apporté des renseignements précis et documentés selon lesquels les coutumes qu'elle a décrites seraient encouragées par le Sénégal. Les préjudices qu’elle-même ou sa fille craignaient de subir l'intéressée ou sa fille n’étaient pas pertinents en matière d'asile.

Le Tribunal administratif fédéral a en outre estimé que rien n'indiquait que l'exécution du renvoi au Sénégal exposerait l'intéressée ou sa fille à un risque concret et sérieux de traitements prohibés par l’art. 3 CEDH. Dès lors, l'exécution du renvoi des recourantes ne transgressait aucun engagement de la Suisse relevant du droit international, de sorte qu'elle s’avérait licite. Elle s’avérait également exigible. Il ne ressortait du dossier aucun autre élément dont on pourrait inférer que l'exécution du renvoi impliquerait une mise en danger concrète des recourantes. Par ailleurs, il existait à Dakar une structure privée appelée la « Maison rose » qui accueillait des femmes en difficulté, avec leurs enfants.

21.         En l’espèce, l’OCPM considère qu’il n’existe pas d’obstacle à l’exécution du renvoi de la recourante et de ses deux filles. Il se prévaut d’un Consulting du SEM du 7 mars 2023 intitulé : « Sénégal : mutilations génitales féminines (MGF) de fillettes peules », dans lequel l’autorité fédérale devait répondre à trois questions.

La première question portait sur le fait de savoir si les filles peules étaient généralement soumises à des MGF au Sénégal. Selon une enquête démographique et de santé effectuée sur l’ensemble du territoire sénégalais, 54 % des femmes peules ont déclaré avoir subi des MGF, pour la plupart avant l’âge de cinq ans. Chez les filles peules de moins de quinze ans, ce taux s’élève à près de 40 %. Selon une enquête menée en 2015 dans la région administrative de Dakar, dont fait partie Rufisque, l’excision est généralement pratiquée sur des filles âgées de quatre à quatorze ans ; environ 14 % des femmes âgées de quinze à quarante-neuf ans de la région de Dakar ont déclaré avoir été soumises à des MGF. Dans le département de Rufisque, ce taux atteignait près de 10 %. Dans les familles dont le chef est peul, 30 % des femmes ont déclaré avoir subi des MGG. Selon une étude académique sur les MGF, les filles de moins de quinze ans qui vivent dans la région de Dakar ont un risque faible de subir des MGF par rapport à celles habitant d’autres régions, dont celle de Matam. Cependant, les filles nées de mères elles-mêmes excisées et celles issues de certains groupes ethniques, dont les peuls sont plus à risques d’être soumises à des MGF. En février, le comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a estimé que le taux de prévalence MGF n’avait que faiblement baissé au cours des années précédentes.

La deuxième question concernait le fait de savoir si la mère pouvait s’opposer à l’excision de ses filles. En général, de nombreux membres de la famille élargie participaient à la prise de décision. En cas de divergences, ces personnes avaient différents degrés de pouvoir. Il semblait que les mères des fillettes concernées aient une autorité limitée lorsqu’il s’agit de contester les décisions de femmes plus âgées.

Enfin, la troisième question portait sur l’existence éventuelle de mécanismes de protection étatique contre les MGF qui puissent protéger les fillettes contre une éventuelle excision. Selon une étude non publiée sur les interventions de lutte contre les MGF, le Sénégal dispose de lois favorables à l’éradication des MGF, mais il est limité par des problèmes d’application des lois. En effet, le nombre de poursuites judiciaires pour MGF n’est pas connu, mais plusieurs sources mentionnent huit depuis l’interdiction des MGF, dont aucune au cours des trois dernières années. En outre, certains commissariats de police, dont ceux du Grand Dakar et de Rufisque, disposent d’un bureau dédié contre les violences basées sur le genre mis en place pour accueillir et prendre en charge les victimes. À Dakar, il existe un foyer, la Maison rose, géré par une association, qui accueille les femmes et les filles victimes de violences basées sur le genre. Les femmes peuvent également y habiter avec leurs enfants. La maison rose propose une écoute, des ateliers récréatifs, mais elle tente aussi d’aider les femmes à suivre des formations et à trouver un emploi pour se réinsérer dans la société. La durée de l’accueil ne semble pas être limitée, mais plutôt dépendre des besoins de chaque pensionnaire.

Enfin, le Consulting se termine par un commentaire qui indique que le Sénégal semble faire des efforts en vue de l’abandon de la pratique des MGF. Il n’a toutefois pas été possible de trouver des informations sur les mécanismes de protections éventuellement mis en place par les autorités. En outre, l’excision se fait de plus souvent de manière discrète, dans un cadre privé. Dès lors, le contexte familial – en faveur ou opposé aux MGF – joue un rôle crucial. Enfin, les statistiques sur la prévalence des MGF ont avant tout une valeur indicative, puisqu’elles reposent sur des déclarations et non des constatations.

22.         De son côté, la recourante soutient qu’elle a été victime d’excision dans sa jeunesse. Elle craint que ses filles ne subissent le même sort, étant donné que cette tradition perdure dans l’ethnie peule à laquelle toutes trois font partie.

Elle se prévaut de l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile française du 20 juin 2023. Certes, celle-ci a accordé la qualité de réfugiées à deux jeunes filles du fait qu’elles encouraient le risque d’être soumises à la pratique de l’excision, sans qu’elles ne puissent bénéficier de la protection effective des autorités. Cependant, la recourante saurait difficilement tirer avantage de cet arrêt, car les jeunes filles qui avaient saisi ladite Cour n’étaient pas d’origine sénégalaise, mais soudanaise et cette juridiction n’a pas examiné la situation du Sénégal.

La recourante a justifié par certificat médical joint à son recours, établi le 4 mai 2023 par la Dresse F______, qu’elle avait été excisée.

L’intéressée allègue de manière plutôt générale l’existence d’un risque que ses filles subissent des MGF en cas de renvoi au Sénégal du fait de cette pratique qui perdure dans l’ethnie peule. Or, il lui appartenait d’établir de manière concrète l’existence d’un danger menaçant ses enfants, ce d’autant que dans la région de Dakar, dont fait partie Rufisque – ville d’origine de la recourante – les filles de moins de quinze ans encourent un plus faible risque de subir des MGF que celles vivant dans d’autres régions. À cela s’ajoute que les MGF sont réprimées au Sénégal. Par ailleurs, il existe des structures dans le pays d’origine de la recourante, telle la « Maison rose » à Dakar, qui accueille les femmes en difficulté et leurs enfants. Enfin, la précitée n’indique pas qu’elle aurait (vainement) pris contact avec les autorités sénégalaises ou des organisations non-gouvernementales actives dans la lutte contre l’excision, afin de la protéger en cas de retour dans son pays d’origine.

Il résulte de ce qui précède que l’exécution du renvoi de la recourante et de ses filles vers le Sénégal se révèle exigible.

23.         Ne reposant sur aucun motif valable, le recours doit être rejeté.

24.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 500.-.

La recourante étant au bénéfice de l'assistance juridique, cet émolument sera laissé à la charge de l’État de Genève, sous réserve du prononcé d'une décision finale du service de l’assistance juridique sur la base de l’art. 19 al. 1 du règlement sur l'assistance juridique et l’indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale du 28 juillet 2010 (RAJ - E 2 05.04).

Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

25.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 9 mai 2023 par Madame A______, agissant en son propre nom et en celui de ses filles mineures B______ et C______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 5 avril 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.- ;

4.             le laisse à la charge de l’État de Genève, sous réserve de la décision finale de l'assistance juridique en application de l'art. 19 al. 1 RAJ ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière