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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3078/2023

JTAPI/1036/2023 du 28.09.2023 ( LVD ) , ADMIS

Descripteurs : VIOLENCE DOMESTIQUE;MESURE D'ÉLOIGNEMENT(EN GÉNÉRAL);PROLONGATION
Normes : LVD.8; LVD.11
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3078/2023 LVD

JTAPI/1036/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 28 septembre 2023

 

dans la cause

 

 

Madame A______

 

contre

 

Monsieur B______

 


 

EN FAIT

1.             Par décision du 19 septembre 2023, le commissaire de police a prononcé une mesure d'éloignement d'une durée de dix jours à l'encontre de Monsieur B______, lui interdisant de s'approcher ou de pénétrer à l'adresse privée située 1______, à Genève, et de contacter ou de s'approcher de Madame A______.

Selon cette décision, M. B______ était présumé avoir injurié, menacé de mort Mme A______ et fait mine de lui donner un coup poing.

Il l'aurait également, par le passé, injuriée à plusieurs reprises (à des dates indéterminées), menacée de mort ainsi que frappée (à des dates imprécises).

M. B______ démontrait par son comportement violent qu'il était nécessaire de prononcer à son encontre une mesure d'éloignement administrative, afin d'écarter tout danger et empêcher toute réitération de tels actes.

2.             M. B______ ne s'est pas opposé à la mesure d'éloignement.

3.             Il résulte du rapport de renseignements établi par la police le 19 septembre 2023 que le jour en question leurs services avaient été requis à la rue 1______ pour un conflit de couple. Arrivés sur place, des cris provenant d'une dispute étaient audibles depuis la rue. De plus, plusieurs résidents de l'immeuble leur avaient indiqué, depuis leur balcon, un appartement se trouvant dans les derniers étages.

Ils avaient pris langue avec M. B______, lequel présentait des signes évidents d'ébriété et était très agité. Celui-ci avait immédiatement déclaré qu'il s'était disputé avec son épouse, laquelle s'était enfermée dans la chambre. Il avait également indiqué qu'il était en train de se rouler un joint de cannabis. Un ami du couple, Monsieur C______, se trouvait également dans l'appartement et avait été témoin de l'altercation survenue entre le couple quelques minutes plus tôt. Ils s'étaient dirigés vers la chambre afin de s'enquérir de la situation auprès de Mme A______, laquelle s'était barricadée dans la chambre en déplaçant une commode devant la porte d'entrée afin d'empêcher quiconque d'entrer dans la pièce. Celle-ci leur avait expliqué avoir eu une altercation avec son mari qui était passablement aviné, que ce dernier s'était énervé, l'avait injuriée, puis menacée de mort. Après quelques minutes de discussion, elle leur avait avoué que son mari consommait beaucoup d'alcool et qu'il était fréquent qu'il se montre violent, raison pour laquelle elle s'était enfermée dans la chambre. Mme A______ était apeurée et refusait de sortir de la chambre tant que son époux se trouverait dans l'appartement.

Tous les protagonistes avaient été acheminés au poste de Lancy pour la suite de la procédure.

4.             Lors de son audition le même jour, Mme A______ a expliqué en substance qu'à 21h00, lorsque son mari était rentré à la maison, elle avait tout de suite remarqué qu'il était passablement aviné. Il était ensuite ressorti aux alentours de 22h30. C______, un ami qu'ils hébergeaient depuis près d'une année était rentré et ils avaient discuté un moment jusqu'à ce que son mari revienne et demande à C______ de l'accompagner quelque part. Les deux hommes étaient sortis et revenus une heure plus tard. Elle était allée se coucher. Son mari avait ouvert la porte de sa chambre et s'était mis à chanter. Puis, il lui avait demandé CHF 1'000.- pour aller au Maroc, rendre visite à sa mère. Après qu'elle lui avait répondu par la négative, la situation s'était envenimée. Il s'était avancé vers elle et avait fait mine de lui donner un coup de poing. Il ne l'avait cependant pas touchée. Elle l'avait ensuite mis hors de la chambre mais il était revenu à la charge. Il avait commencé à crier en l'injuriant de « connasse », « trou du cul », « pute », « fille de pute » et plusieurs injures en anglais et en espagnol. Il avait donné plusieurs coups sur la porte de la chambre qu'elle tenait fermée depuis l'intérieur. Il avait hurlé et avait menacé de la tuer. Elle avait alors tiré la commode jusqu'à la porte de la chambre afin de l'empêcher d'entrer et avait crié à C______ d'appeler la police. Pour répondre à la question des policiers, son mari ne s'était pas montré violent physiquement envers elle ce soir.

Ils s'étaient rencontrés en 1986 au Maroc. Son mari, étudiant, résidait alors à Paris et elle à Genève. Après avoir entretenu une relation à distance, M. B______ avait emménagé chez elle en 1987. Ils s'étaient mariés en 1991 et n'avaient pas eu d'enfants. Ils s'entendaient très bien jusqu'à ce qu'elle apprenne qu'il lui avait été infidèle deux ans avant leur mariage. Ils s'étaient alors séparés, mais son mari avait tout fait pour la récupérer et ils s'étaient remis ensemble. En 1995, elle avait appris que son mari l'avait à nouveau trompée. Malgré cela, elle ne l'avait pas quitté. Suite à tous ces événements, elle avait fait une dépression et s'était coupée du monde extérieur. Depuis six ou sept ans, son mari avait doublé sa consommation d'alcool et la personne joyeuse et drôle qu'il était s'était transformée en quelqu'un d'agressif. Dès qu'il atteignait un certain taux d'alcoolémie, il changeait complètement de comportement. Cela faisait maintenant une année qu'ils faisaient chambre à part car son mari passait ses nuits sur Internet, bougeait beaucoup et cela l'empêchait de dormir.

Selon elle, l'augmentation de sa consommation d'alcool provenait de la baisse de l'activité de son entreprise. Il avait en effet fait une dépression et commencé à boire beaucoup. En augmentant sa consommation d'alcool, il devenait de plus en plus agressif. Il s'énervait pour des raisons qui ne la concernaient pas et il déchargeait toute sa haine sur elle. Il lui criait dessus, devenait très violent verbalement et la rabaissait en permanence. Il lui disait souvent qu'elle était nulle et qu'elle était bête. Il lui reprochait de ne pas lui donner de l'argent quand il lui demandait et la culpabilisait pour tous les problèmes qu'il avait. Parfois, afin qu'il se calme, elle prenait le chien et sortait pendant quelques heures. Un soir, environ cinq ans plus tôt, il était rentré complètement saoul à la maison très énervé suite à une dispute dans la rue. Comme elle savait qu'il allait décharger ses nerfs sur elle, elle était allée dormir à l'hôtel.

Par le passé, son mari s'était montré violent avec elle à deux reprises. La première fois, avant leur mariage. Elle ne se souvenait plus du contexte mais il l'avait tapée avec des baguettes de batterie qui lui avaient laissé deux marques sur la cuisse. La deuxième fois, il y avait quelques années, elle ne savait plus quand exactement. Ils s'étaient disputés suite à une crise de jalousie qu'il lui avait faite. Elle était en train de dormir, il était entré dans la chambre, l'avait saisie et tapée à plusieurs reprises sur la tête. Le lendemain, elle avait eu très mal à la tête. Lors de ces deux événements son mari était complètement saoul. Elle n'était pas allée voir de médecin. Son mari l'avait également injuriée à plusieurs reprises par le passé et il l'avait souvent rabaissée en lui disant qu'elle était bête, nulle etc. Il avait également déjà menacé de la tuer par le passé. Son mari consommait de l'alcool environ cinq jours par semaine et se comportait toujours comme ça quand il buvait. Elle n'avait jamais de répit. Son mari fumait également du cannabis quand il buvait de l'alcool.

Elle ne savait pas qu'il avait des armes. En tout cas, il n'y en avait pas à leur domicile.

Concernant la suite, elle pensait qu'ils devraient se séparer. Elle avait l'impression de ne plus exister et se sentait vide. Pendant toutes ces années, elle avait eu l'espoir qu'il change mais cela n'avait fait qu'empirer. Pendant la période du Covid, il naviguait beaucoup sur des sites qui défendaient des théories « complotistes ». Il tenait des discours qui ne coïncidaient pas avec sa manière de penser, ce qui avait fini par les éloigner davantage. Aujourd'hui, ils passaient très rarement de bons moments ensemble. Actuellement, elle devait se brider, faire attention à tout ce qu'elle disait et comment elle le disait pour qu'il ne s'énerve pas. Elle avait vu un psychiatre pendant deux mois l'an passé, mais elle avait arrêté car cela ne lui convenait pas. Depuis mai 2023, elle voyait un thérapeute qui l'aidait beaucoup. Elle souhaitait que son mari soit éloigné du domicile. Elle n'avait pas envie qu'il rentre et qu'il s'en prenne à elle physiquement.

Elle ne déposait pas de plainte pénale.

5.             M. B______ a expliqué que le soir du conflit, il avait gentiment demandé à sa femme de lui prêter CHF 1'000.- car il devait se rendre au Maroc pendant dix jours pour voir sa mère de 88 ans qu'il n'avait pas revue depuis trois ans ainsi que sa tante, âgée de 102 ans, avant qu'elle ne décède. Sa femme ayant refusé de lui prêter cette somme, la situation avait dégénéré car il avait bu un verre de trop. Il reconnaissait l'avoir insultée mais contestait l'avoir traitée de pute. Il admettait l'avoir traitée de « trou du cul » et de « fille de pute » en espagnol mais contestait avoir fait mine de lui porter un coup de poing. Il ne se souvenait pas s'il avait menacé sa femme de mort mais s'il l'avait fait, il était un attardé mental. Toutefois, sous la colère tout était possible. En 37 ans de vie commune, il n'avait jamais menacé sa femme de mort.

Il ne savait pas pourquoi sa femme s'était barricadée dans la chambre. Il avait pété les plombs. Elle avait certainement remarqué qu'il avait picolé.

Il n'avait jamais été violent physiquement envers sa femme par le passé mais ils avaient eu des « prises de tête ». Il contestait avoir donné des coups de baguettes de batterie sur les cuisses de sa femme. Il contestait avoir eu une dispute avec son épouse pour une crise de jalousie quelques années après leur mariage.

Il fumait des joints depuis l'âge de 15 ans avant d'aller dormir. Le soir en question, il avait consommé environ 3 litres de bière.

Il contestait posséder des armes à feu. Son mousqueton avait été saisi par la police en 2018 ou 2019 suite à une altercation avec un autre commerçant du quartier au motif qu'il aurait proféré des menaces de mort.

6.             M. C______ a également été entendu le 19 septembre 2023. En substance, il a expliqué qu'il connaissait M. B______ depuis une trentaine d'années. Il entretenait de très bonnes relations avec le couple. Il logeait dans leur appartement suite à l'incendie qui avait brûlé sa propriété située en France. Peu avant minuit, M. B______ avait regagné le domicile après avoir bu des verres à l'extérieur. Il avait entendu le couple discuter puis le ton était monté entre eux. Il avait ensuite tenté de calmer M. B______ qui ne cessait de tambouriner à la porte de la chambre dans laquelle son épouse s'était enfermée. Il n'avait jamais été témoin de violences au sein du couple.

7.             Par acte du 22 septembre 2023, parvenu au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour, Mme A______ a demandé la prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée supplémentaire de trente jours. Elle ne se sentait pas prête à ce qu'il revienne à la maison, car elle avait trop peur que cela ne recommence et que les conséquences soient bien plus graves s'il ne se faisait pas soigner. De son côté, elle avait besoin de retrouver paix et tranquillité pour se reconstruire et prendre les bonnes décisions pour son futur.

8.             Par courriel du 22 septembre 2023, le commissaire de police a transmis son dossier et informé le tribunal n’avoir pas reçu, à ce jour, d’attestation de l’association D______ indiquant que M. B______ avait suivi l’entretien sociothérapeutique.

9.             Vu l'urgence, le tribunal a informé Mme A______ par téléphone du 22 septembre 2023, par courrier A du même jour et message sms, de l'audience qui se tiendrait le 27 septembre 2023.

Informé téléphoniquement le 22 septembre 2023 et par message sms expédié le même jour par le tribunal de l'audience du 27 septembre 2023, M. B______ a indiqué au tribunal par téléphone puis par courriel du 26 septembre 2023 qu’il se trouvait à Tanger, au Maroc pour les 89 ans de sa maman et ne pourrait pas se présenter à l’audience. Il s'excusait pour le désagrément occasionné, et indiquait qu'il s'engageait à respecter toutes les décisions prises par son épouse lors de cette audience.

10.         Devant le tribunal, Mme A______ a confirmé sa demande de prolongation de la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours.

Son mari s'était rendu au Maroc le 20 septembre 2023 pour rendre visite à sa mère. Elle ignorait la date de son retour.

M. C______ qu'ils hébergeaient avait été placé en détention le jour de leur audition par la police, le 19 septembre 2023, apparemment en raison de dettes. Elle avait entendu dire qu'il serait détenu pour une durée de cinq mois.

Elle était assistante de gestion, mais depuis une année, elle recherchait un emploi et émargeait au chômage. Le montant de son indemnité journalière s'élevait à CHF 398.-.

Son époux exploitait un commerce d'instruments de musique et de location de matériel pour des concerts. En raison d'une baisse d'activité, il avait dû se défaire de deux arcades, mais il conservait un dépôt. Le produit de son activité lui permettait de payer ses factures professionnelles.

Pour le reste, c'était elle qui pourvoyait aux besoins du ménage.

Son mari n'avait pas tenté de la contacter durant la mesure d'éloignement.

Durant la prolongation de la mesure d'éloignement, il pourrait loger dans son dépôt, voire chez un ami.

Elle ne savait pas encore comment envisager le futur de leur vie conjugale. Elle se sentait très confuse après ce qui s'était passé le 19 septembre 2023. Ils avaient eu d'autres disputes par le passé. Depuis environ six ans, lorsque son mari buvait trop et qu'il dépassait un certain taux d'alcoolémie, il avait tendance à délirer, en ce sens qu'il se mettait à parler et à parler, et s'il lui arrivait de le contredire ou simplement de le contrarier, alors il explosait et se montrait verbalement violent envers elle et devenait effrayant, même s'il n'était pas physiquement violent. Dans ces situations, elle quittait généralement la maison le temps qu'il se calme.

Il lui était très difficile d'aborder avec lui le sujet de sa consommation d'alcool qu'il minimisait systématiquement en disant qu'il ne s'agissait que de bières. Quant à elle, elle se sentait heurtée dès qu'elle l'entendait ouvrir une canette, car elle savait qu'il n'y en aurait pas qu'une seule.

La dispute du 19 septembre 2023 avait été la dispute de trop en ce qui la concernait. Elle l'avait profondément bouleversée. Elle se sentait perdue et ne savait pas encore comment et quoi entreprendre. Elle espérait vivement que son mari décide de se faire soigner.

Elle avait pris contact avec la LAVI ainsi qu'avec l'association E______ qui venait en aide aux victimes de violence en couple. Elle redoutait énormément les réactions de son mari s'il devait revenir au domicile conjugal.

Le bail de l'appartement était aux deux noms.

Depuis la baisse d'activité du commerce de son mari, la question de l'argent était devenue difficile entre eux. Alors qu'elle travaillait, elle avait commencé par l'aider financièrement, notamment en payant les loyers des arcades. Depuis qu'elle était au chômage, malgré ses promesses, son mari n'avait pas travaillé davantage et ne gérait pas son argent comme il le devrait. Il avait tendance à vivre au jour le jour et à le dépenser pour des futilités comme pour des billets de loterie. Si elle avait refusé de lui prêter les CHF 1'000.- qu'il lui avait demandés le jour de la dispute, c'était bien parce qu'elle estimait qu'il aurait pu, par le fruit de son travail, gagner cette somme lui-même. Depuis ses difficultés financières, elle avait le sentiment que son mari se reposait entièrement sur elle et si elle avait finalement accepté de l'aider pour éviter toute discussion, cette situation était devenue très pesante et la dépassait complètement. Il lui apparaissait que son mari n'avait pas su réagir à ses difficultés et qu'au contraire il s'était mis à ressasser des idées négatives alimentées par toutes sortes de théories qu'elle ne partageait pas.

Dans l'absolu, elle ne serait pas opposée à discuter de tout ça avec son mari, mais en présence d'un tiers professionnel, qu'il s'agisse d'un médiateur ou d'un psychologue.

Pour terminer, elle soulignait avoir vraiment besoin de se sentir protégée. Enfin, elle espérait que son mari aurait un déclic pour qu'il retrouve une certaine tranquillité dans sa vie.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des demandes de prolongation des mesures d'éloignement prononcées par le commissaire de police (art. 11 al. 2 de la loi sur les violences domestiques du 16 septembre 2005 - LVD - F 1 30), sur lesquelles il est tenu de statuer avant l'échéance de la mesure, avec un pouvoir d'examen s'étendant à l'opportunité (art. 11 al. 3 LVD).

2.             Déposée en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, la demande de prolongation est recevable au sens de l'art. 11 al. 2 LVD.

3.             La LVD a pour but de contribuer à la protection de la personnalité dans le cadre familial et domestique en soutenant et en renforçant les efforts de lutte contre les violences domestiques (art. 1 al. 1 LVD).

Par « violences domestiques », la loi désigne une situation dans laquelle une personne exerce des violences physiques, psychiques, sexuelles ou économiques sur une autre personne avec laquelle elle est liée par un rapport familial, conjugal, de partenariat ou d'union libre, existant ou rompu (art. 2 al. 1 LVD).

Par « personnes concernées par les violences domestiques », la loi vise notamment les victimes et les auteurs de violences domestiques, les proches de ces personnes ainsi que les professionnels du domaine (art. 2 al. 2 LVD).

4.             Selon l'art. 8 al. 1 LVD, la police peut prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre de l'auteur présumé d'actes de violence domestique, si la mesure paraît propre à empêcher la réitération de tels actes.

Selon l'art. 8 al. 2 LVD, une mesure d'éloignement consiste à interdire à l'auteur présumé de

a) pénétrer dans un secteur ou dans des lieux déterminés ;

b) contacter ou approcher une ou plusieurs personnes.

La mesure d'éloignement est prononcée pour une durée de dix jours au moins et de trente jours au plus (art. 8 al. 3 LVD).

Elle peut être prolongée pour trente jours au plus. Depuis le prononcé initial de la mesure, sa durée totale ne peut excéder nonante jours (art. 11 al. 2 LVD).

5.             Selon l'art. 10 LVD, la personne éloignée est tenue, dans un délai de trois jours ouvrables après notification de la décision, de prendre contact et de convenir d’un entretien avec une institution habilitée à recevoir les auteurs présumés de violence domestique ; elle doit se présenter à cet entretien, destiné à l'aider à évaluer sa situation et à lui fournir des informations socio-thérapeutiques et juridiques ; cette obligation est mentionnée dans la décision d’éloignement.

La police s’assure du respect des obligations imposées à la personne éloignée (art.  10 al. 4 LVD).

6.             En vertu de l'art. 12 LVD, la mesure d'éloignement est assortie de la menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), qui prévoit que « celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue au présent article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents sera puni d'une amende ».

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LVD en 2010, que la volonté clairement exprimée par le législateur était de simplifier la loi, de manière à en favoriser une application plus régulière et effective. Dans ce sens, le nouvel art. 8 al. 1 LVD ne vise plus une mesure qui serait nécessaire pour écarter un danger relatif à des actes de violences domestiques, mais qui doit être simplement propre à empêcher la réitération de tels actes. En revanche, la loi continue à poser pour condition l'existence d'une présomption que des actes de violences domestiques ont été commis auparavant (rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le PL 10582, p. 11).

Ainsi que cela résulte des principes rappelés ci-dessus, les violences à l'origine de la mesure d'éloignement n'ont pas à être prouvées. Il suffit que l'on puisse présumer, sur la base de l'ensemble des circonstances, qu'elles ont eu lieu. La LVD est ainsi faite pour protéger la personne dont il paraît plausible qu'elle a été victime de telles violences, et constitue ainsi un cadre essentiellement préventif. Elle diffère sur ce point d'une procédure pénale, dont l'issue emporte des conséquences beaucoup plus sévères pour l'auteur, et qui est parallèlement soumise à des exigences de preuve plus strictes.

7.             Lorsqu'il statue sur une demande de prolongation d'une mesure d'éloignement, qui porte atteinte à la liberté personnelle de son destinataire, le tribunal doit s'assurer que cette mesure respecte le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), qui exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l'aptitude), que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité), interdit toute limitation des droits individuels allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 142 I 76 consid. 3.5.1 ; 142 I 49 consid.  9.1 ; 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 132 I 49 consid. 7.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_793/2018 du 13 mars 2019 consid. 3.3 ; 2C_206/2017 du 23 février 2018 consid. 8.3).

8.             En l'espèce, il ressort de l’audition de Mme A______ devant la police que son mari était rentré à la maison en état d'ébriété, qu'il l’aurait injuriée, fait mine de lui asséner un coup de poing et menacée de mort le 19 septembre 2023 après que la demanderesse lui avait refusé la somme de CHF 1'000.-. Puis, il aurait tambouriné à la porte de sa chambre, dans laquelle elle s'était réfugiée. Mme A______ a également exposé que depuis plusieurs années, son mari devenait très agressif lorsqu'il buvait trop et que de violentes disputes avaient déjà eu lieu par le passé. Interrogé à son tour, M. B______, tout en contestant avoir menacé son épouse, a reconnu s'être mis en colère et l'avoir insultée à plusieurs reprises. Il a même admis avoir « picolé », à savoir avoir consommé trois litres de bières avant les faits et « pété les plombs ». Enfin, l'audition de leur hôte, M. C______, confirme la dispute entre les époux. Celui-ci a ainsi précisé que M. B______ avait tambouriné à la porte de la chambre de sa femme, suffisamment fort pour que cela s'entende dans l'immeuble et qu'il avait tenté de le calmer, sans y parvenir complétement.

Informé le 22 septembre 2023 de la présente audience, M. B______ a expliqué au tribunal qu'il se trouvait au Maroc auprès de sa mère, de sorte qu'il ne se rendrait pas à l'audience. Il a par ailleurs indiqué, par mail du 26 septembre 2023, qu'il ne s'opposerait à aucune décision de sa femme. Il ressort en outre du dossier qu’il n'a pas pris contact avec D______.

La réalité des comportements que Mme A______ dénonce apparaît crédible. Ces comportements correspondent sans conteste à la notion de violence domestique, au sens défini plus haut. Aussi, vu les craintes exprimées par l’intéressée et l'absence de M. B______ à l'audience de ce jour, qui font craindre qu’il n'ait pas pris la mesure de ses actes ni cherché réellement à s'amender, et même si la mesure d'éloignement n'a pas pour objectif de permettre à la victime présumée d'organiser sa vie séparée, il apparait opportun de prolonger la mesure d'éloignement de trente jours, pour permettre à Mme A______ de retrouver un peu de sérénité avant que son mari ne puisse revenir au domicile et éviter tout risque de réitération de nouvelles violences.

9.             Par conséquent, la demande de prolongation sera admise et la mesure d'éloignement prolongée jusqu’au 28 octobre 2023, à 17h00.

10.         Jusqu'à cette date, il sera ainsi toujours interdit à M. B______ de contacter et de s'approcher de son épouse, quel que soit le moyen employé, ainsi que de s'approcher et de pénétrer au domicile conjugal.

Il sera à nouveau rappelé à ce dernier qu'il a toujours l'obligation de prendre contact et de convenir d'un entretien avec l'association D______, institution habilitée à recevoir les auteurs présumés de violence domestique, dont les coordonnées lui ont été dûment communiquées par le commissaire de police lors de la notification de la mesure (art. 10 LVD).

Enfin, il sera rappelé que le défendeur pourra, cas échéant, venir chercher dans l'appartement conjugal ses effets personnels, accompagné de la police après que celle-ci en ait informé la demanderesse.

11.         Il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA).

12.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (cf. rapport du 1er juin 2010 de la Commission judiciaire et de la police du Grand Conseil chargée d'étudier le projet de loi 10582-A du Conseil d'État modifiant la LVD, in MGC 2009-2010/IX A, D. Examen de détail, ad art. 11 al. 1 LVD).


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la demande formée par Madame A______ le 22 septembre 2023 tendant à la prolongation de la mesure d'éloignement prononcée par le commissaire de police le 19 septembre 2023  à l’encontre de Monsieur B______;

2.             l'admet ;

3.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

4.             prolonge la mesure d'éloignement pour une durée de trente jours, soit jusqu'au 28 octobre 2023 à 17h00, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP, dont la teneur figure dans les considérants ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu'un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.


Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au commissaire de police pour information.

Genève, le

 

La greffière