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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1883/2022

JTAPI/1415/2022 du 19.12.2022 ( OCPM ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE SÉJOUR;AUTORISATION D'ÉTABLISSEMENT;PERSONNE RETRAITÉE
Normes : ALCP.1; OLCP.20
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1883/2022

JTAPI/1415/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 19 décembre 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par ITAL-UIL Genève, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1959, est ressortissant d’Italie. Après un premier séjour en Suisse entre 1982 et 1992, il a été mis au bénéfice d’une autorisation d’établissement délivrée par le canton de Genève le 30 août 1993, dont la caducité dès le 31 janvier 2012 (soit 6 mois après son départ de Suisse pour la France, en juillet 2011) a été constatée rétroactivement par décision du 14 février 2014. Cette décision mentionnait qu’après qu’il eut annoncé son changement d’adresse à la rue B______ le 30 juillet 2011, une enquête de voisinage avait établi, selon le bailleur, qu’il n’avait jamais habité à cette adresse, mais qu’il y avait loué un dépôt commercial. En outre, il apparaissait, notamment sur la base de renseignements obtenus d’Electricité de France, qu’il s’était installé à l’adresse allée des C______ à D______ (France). A défaut d’adresse connue en Suisse, cette décision a été publiée dans la Feuille d’avis officielle du 18 février 2014.

2.             Par courrier du 5 janvier 2017, Monsieur A______ a sollicité la réactivation de son autorisation d’établissement. Il tenait à disposition de l’OCPM l’ensemble des documents justifiant sa présence en Suisse sans interruption. Jusqu’en 2015, il travaillait en tant qu’indépendant à Genève, de sorte qu’il lui était aisé de prouver sa présence sur le territoire du canton. Actuellement, sa situation était plus compliquée, notamment en raison de l’arrêt cardiaque qui lui était arrivé le 5 décembre 2015. C’était à ce moment-là qu’il s’était rendu compte que son assurance-maladie avait résilié son contrat.

3.             Par courrier du 17 septembre 2020, l’OCPM l’a informé que les conditions d’octroi d’une autorisation d’établissement n’étaient pas réunies. Il était invité à fournir différents documents afin de déterminer si une autorisation de séjour pourrait lui être octroyée.

4.             Monsieur A______ a répondu par courrier du 15 octobre 2020, produisant différents documents, dont un extrait de sa déclaration fiscale genevoise pour l’année 2014, faisant état de recettes et de charges résultant de son compte de pertes et profits, des fiches de salaires non signées émanant de l’entreprise E______ SARL pour les mois de juillet à septembre 2014, et enfin un rapport médical établi le 28 mars 2017 par les Hôpitaux universitaires de Genève et indiquant notamment une hospitalisation d’urgence le 4 décembre 2016 pour un infarctus myocardique.

5.             Après que l’occasion lui eut été donnée de se déterminer au sujet de l’intention de l’OCPM de refuser de lui octroyer une autorisation de séjour, cette autorité a confirmé ce refus par décision du 9 mai 2022 et a prononcé son renvoi de Suisse.

Une restitution d’une autorisation d’établissement ne pouvait intervenir qu’après quelques années de séjour au bénéfice d’une autorisation de séjour. Cette dernière ne pouvait elle-même être octroyée dans le cas d’espèce, car Monsieur A______ n’était pas salarié, n’avait pas de moyens financiers suffisant et il n’existait pas de raisons majeures impliquant malgré tout l’octroi d’une telle autorisation. Il percevait une rente d’invalidité mensuelle de CHF 1'520.-, alors qu’il devrait disposer au minimum de CHF 2'100,30, en tenant compte du fait qu’il payait un loyer de CHF 540.- par mois selon les normes CSIAS. De plus, il faisait l’objet d’actes de défaut de biens pour un total de CHF 165'740,25, selon état au 21 septembre 2020. Selon ses propres déclarations, ce n’était que suite à la dégradation de son état de santé en fin d’année 2016 qu’il s’était rendu compte que son assurance-maladie avait résilié son contrat et qu’il avait déposé sa demande d’octroi d’une autorisation de séjour par lettre du 5 janvier 2017. Malgré une durée conséquente de séjour en Suisse, il n’y était arrivé pour la première fois qu’à l’âge de 22 ans et avait donc vécu en Italie les années essentielles du développement de la personnalité et de l’intégration socio-culturelle. Il ne pouvait non plus se prévaloir d’une intégration en Suisse si marquée qu’un départ le confronte à des difficultés insurmontables. Par ailleurs, il ne pouvait bénéficier du droit de demeurer, étant donné qu’il n’avait pas la qualité de travailleur au moment où était intervenue son incapacité de travail le 4 décembre 2016. Il n’avait en effet fourni aucun document attestant de l’exercice d’une activité lucrative au-delà de l’année 2014, étant précisé qu’il avait lui-même indiqué à plusieurs reprises que son état de santé l’avait contraint à cesser toute activité dans le courant de l’année 2015. Enfin, en ce qui concernait son état de santé, les soins essentiels nécessaires seraient assurés en Italie.

6.             Par acte du 8 juin 2022, Monsieur A______ (ci-après : le recourant) a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).

Il s’était installé comme indépendant en 1995 et l’était resté jusqu’en 2010, date à laquelle il avait créé la société E______ SARL, qui avait été liquidée en 2015. En 2012, il avait eu un grave accident au dos et peu après, il avait eu un deuxième accident au bras. En 2012, son amie avait pris un domicile en France, mais comme elle ne pouvait pas le prendre à son nom, c’était lui qui avait signé le contrat de bail et c’était à son nom que les factures EDF arrivaient. Cependant, à cette époque et pendant une année et demie, il avait dormi dans sa camionnette qu’il stationnait dans un dépôt à Genève. Il lui arrivait bien entendu d’aller dormir chez son amie, mais il ne s’y était jamais installé. En outre, en 2012 déjà, son amie avait dû quitter le logement en France et était revenue s’installer à Genève auprès de son frère qui habitait à E______. Dès septembre 2012, il avait dormi toutes les nuits dans sa camionnette. En mars/avril 2013, il avait pu emménager dans un studio qui était au nom de son fils, mais à son propre nom depuis 2 ans. Durant toute cette période et jusqu’à la liquidation de sa société en 2015, il avait très peu travaillé et n’étais plus parvenu à faire face à ses obligations. Dès 2015, il avait travaillé au Marché aux puces de Plainpalais, jusqu’à son infarctus le 4 décembre 2016. Cela avait été l’élément déclencheur qui l’avait amené à vouloir régulariser sa situation. Jusqu’au moment où il avait obtenu la rente d’invalidité en 2019, c’était l’Hospice général qui l’avait aidé depuis 2017. Il percevait actuellement une rente AI de CHF 1'520.- et payait CHF 468,20 de prime d’assurance-maladie et CHF 540.- pour son loyer. Il lui restait donc un disponible de CHF 512.-. Il avait initié en 2019 des démarches en vue d’obtenir une rente du 2ème pilier, mais s’était perdu administrativement et n’avait pas porté ces démarches à terme. Il s’était cependant récemment adressé à CARITAS Genève pour obtenir un soutien à cette fin et devrait éventuellement pouvoir aussi recevoir des subsides pour son assurance-maladie, bien qu’il n’ait pas encore fait de demande dans ce sens.

En ce qui concernait son permis C, il considérait être en droit de le récupérer, car il était toujours resté en Suisse. Il avait transmis à l’OCPM toutes les factures payées par ses soins pour l’appartement qu’il occupait depuis 2013 et ne comprenait pas pourquoi il n'en avait pas tenu compte. Si un permis C ne pouvait lui être octroyé, il devrait au moins obtenir un permis B. En effet, même avec sa rente actuelle, il lui restait un disponible de CHF 512.-, somme qui, bien que peu importante, était suffisante pour survivre. En outre, il était certain d’être en droit de percevoir une rente du deuxième pilier pour son invalidité et de recevoir des subsides d’assurance-maladie.

Il convenait donc de suspendre la procédure jusqu’à la fin des démarches susmentionnées, car il aurait alors suffisamment de moyens.

7.             Par écritures du 21 juin 2022, l’OCPM a conclu au rejet du recours, renvoyant pour l’essentiel aux motifs de la décision litigieuse. La demande de suspension de la procédure devait également être rejetée.

8.             Par réplique du 4 juillet 2022, le recourant a insisté sur le fait que ses revenus, bien que modestes, suffisaient cependant pour couvrir ses besoins et correspondaient à son style de vie. Par ailleurs, il remplissait les conditions d’un cas de rigueur, car son séjour en Suisse totalisait 41 ans. Certes, sa présence entre juillet 2011 et début 2012 était contestée, mais il s’agissait d’un malentendu dont il avait expliqué les raisons et il était prêt à fournir de plus amples explications à ce sujet.

9.             Par courrier du 7 juillet 2022 et rappel du 23 août 2022, le tribunal a invité le recourant à fournir copies des courriers qu’il aurait adressés aux instances compétentes en vue d’obtenir des pensions complémentaires.

10.         Par courrier du 31 août 2022, l’Institut de Tutelle et d’Assistance aux Travailleurs Italiens (ITAL-UIL GENEVE), se prononçant au nom et pour le compte du recourant, a adressé au tribunal copie des documents suivants, tout en réitérant la demande du recourant de suspendre la procédure :

11.         Un courrier adressé par ITAL-UIL GENEVE à la Centrale du 2ème pilier à Berne le 5 juillet 2022, invitant cette instance à chercher les avoirs du recourant.

12.         Une réponse de l’office central de compensation LPP du 11 août 2022, indiquant avoir transmis la requête à l’assurance-sociale étrangère, conformément à la procédure définie par les accords bilatéraux. Cette assurance communiquerait directement sa décision, étant précisé que le temps de traitement de cette procédure ne pouvait être spécifié.

13.         Un courrier adressé par ITAL-UIL GENEVE à l’office cantonal des assurances-sociales – office invalidité le 31 août 2022, priant cet office d’envoyer le dossier du recourant.

14.         Un courrier adressé par ITAL-UIL GENEVE à la SUVA le 31 août 2022, dont le préambule est peu clair, mais qui consiste en substance à inviter cette instance à calculer l’atteinte à l’intégrité du recourant.

15.         Par écritures du 13 septembre 2022, l’OCPM s’est à nouveau opposé à la suspension de la procédure, car le recourant ne rendait pas suffisamment vraisemblable, du moins à court terme, l’existence d’éventuelles prétentions pouvant conduire à une amélioration sensible de son revenu mensuel. A toutes fins utiles, il fallait mentionner que si la situation financière du recourant venait à s’améliorer après son retour en Italie, il lui serait loisible de déposer une demande de permis B sans activité lucrative.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Le recourant soutient qu’il aurait le droit de se voir octroyer à nouveau un permis d’établissement, subsidiairement un permis de séjour. Il soutient que ce droit découlerait en particulier des nombreuses années pendant lesquelles il a séjourné en Suisse.

4.             Pour bien comprendre la manière dont cette question doit être résolue, il faut tout d’abord souligner que si le recourant était certes au bénéfice d’un permis d’établissement jusqu’en janvier 2012, il a perdu ce titre à ce moment-là, ayant annoncé son départ de Suisse en juillet 2011. Le fait qu’il aurait en réalité continuer à séjourner en Suisse, en dormant la plupart du temps dans sa camionnette, ne change rien au fait que la décision constatant la caducité de son autorisation d’établissement est entrée en force. Par conséquent, la possibilité de bénéficier à nouveau d’une autorisation de séjourner en Suisse dépend strictement de la situation actuelle du recourant, lequel a la qualité d’un ancien travailleur européen ayant séjourné en Suisse et n’exerçant plus d’activité lucrative.

5.             Or, selon l’accord entre la Confédération suisse et la Communauté européenne et ses États membres sur la libre circulation des personnes du 21 juin 1999 (ALCP - RS 0.142.112.681), un ressortissant européen ne dispose du droit de séjourner en Suisse qu’à condition d’y exercer une activité lucrative ou d’avoir l’intention de le faire ou, en tant que rentier, s’il dispose de moyens financiers suffisants. Dans la mesure où le recourant n’exerce pas actuellement d’activité salariée en Suisse et ne prétend pas qu’il serait à la recherche d’un emploi, ce sont uniquement les dispositions légales applicables aux personnes sans emploi qui entrent en ligne de compte et seront examinées ci-après.

6.             L'ALCP, entré en vigueur pour la Suisse le 1er juin 2002, est applicable aux ressortissants des pays membres de l'Union européenne (ci-après : UE), dont fait partie l’Italie, et de l'Association Européenne de Libre Échange (ci-après : AELE), pour autant que le droit national – à savoir la LEtr et ses ordonnances d’exécution, en particulier l’ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201) – ne soit pas plus favorable ou que l'ALCP n'en dispose pas autrement (art. 12 ALCP ; art. 2 al. 2 et 3 LEtr).

Les droits d'entrée, de séjour et d'accès à une activité économique conformément à l'ALCP, y compris le droit de demeurer sur le territoire d'une partie contractante après la fin d'une activité économique, sont réglés par l'annexe I de l'accord (art. 3, 4 et 7 let. c ALCP).

Selon l'art. 4 § 1 annexe I ALCP, les ressortissants d'une partie contractante ont le droit de demeurer sur le territoire d'une autre partie contractante après la fin de leur activité économique. L'art. 4 § 2 annexe I ALCP précise que, conformément à l'art. 16 de l'accord, il est fait référence au règlement CEE 1251/70 et à la directive 75/34/CEE du Conseil, du 17 décembre 1974, relative au droit des ressortissants d'un État membre de demeurer sur le territoire d'un autre État membre après y avoir exercé une activité non salariée (ci-après : directive 75/34/CEE), tels qu'en vigueur à la date de la signature de l'ALCP. L'art. 2 § 1 let. b du règlement CEE 1251/70 prévoit qu'a le droit de demeurer sur le territoire d'un État membre, le travailleur qui, résidant d'une façon continue sur le territoire de cet État depuis plus de deux ans, cesse d'y occuper un emploi salarié à la suite d'une incapacité de travail ; si cette incapacité résulte d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ouvrant droit à une rente entièrement ou partiellement à charge d'une institution de cet État, aucune condition de durée de résidence n'est requise (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1008/2011 du 17 mars 2012 consid. 3.1 et la jurisprudence citée ; ATA/455/2012 du 30 juillet 2012).

L'art. 22 OLCP dispose enfin que les ressortissants de l'UE qui ont le droit de demeurer en Suisse selon l'accord sur la libre circulation des personnes reçoivent une autorisation de séjour UE/AELE.

7.             Selon la directive du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) concernant l'introduction progressive de la libre circulation des personnes, le droit de demeurer s'interprète comme le droit du travailleur de maintenir sa résidence sur le territoire de l'État d'accueil lorsqu'il cesse d'y exercer une activité. Les bénéficiaires du droit de demeurer conservent leurs droits acquis en qualité de travailleur (maintien du droit à l'égalité de traitement avec les nationaux) en vertu de l'ALCP et de ses protocoles, bien qu'ils ne bénéficient plus du statut de travailleur. Ce droit de séjour est en principe maintenu, indépendamment du fait que la personne ait bénéficié ou non d'éventuelles prestations de l'aide sociale, et s'étend aux membres de la famille indépendamment de leur nationalité (directives SEM OLCP, juin 2017, ch. 10.3.1). Toutefois, pour pouvoir prétendre à demeurer en Suisse sur la base de l'art. 4 annexe I ALCP en relation avec l'art. 2 § 1 let. b du règlement CEE 1251/70, il est indispensable qu'au moment où survient l'incapacité permanente de travail, le travailleur ait encore effectivement ce statut (arrêts du Tribunal fédéral 2C_289/2017 du 4 décembre 2017 consid. 4.5.1 ; 2C_1034/2016 du 13 novembre 2017 consid. 2.2 et 4.2).

8.             En l'espèce, ces dispositions qui prévoient le maintien du titre de séjour d’un travailleur qui cesse d’occuper un emploi salarié à la suite d’une incapacité de travail ne s’appliquent pas au recourant. En effet, l’une des conditions d’un tel droit est d’avoir séjourné en Suisse en étant au bénéfice d’un titre de séjour au moment où survient l’incapacité de travail. Or, même en considérant que le recourant aurait continué à séjourner en Suisse sans interruption, force est de constater qu’il l’a fait dans l’illégalité à partir du 31 janvier 2012, date de caducité de son permis d’établissement, ou à tout le moins à partir de la fin mars 2014, moment où la décision constatant la caducité de ce permis est entrée en force. S’agissant de son incapacité de travail permanente, elle est survenue quoi qu’il en soit à un moment où le recourant n’était déjà plus au bénéfice d’un titre de séjour en Suisse, puisqu’il a lui-même affirmé à plusieurs reprises et tenté de prouver qu’il avait continué à exercer une activité lucrative durant l’année 2014. Par conséquent, il ne peut se voir appliquer les dispositions légales susmentionnées en relation avec son incapacité de travail permanente.

9.             Reste à examiner si la décision litigieuse fait une application correcte des dispositions réglementant la possibilité pour un ressortissant européen de séjourner en Suisse lorsqu’il n’exerce pas d’activité lucrative.

10.         L'art. 24 § 1 annexe I ALCP prévoit qu'une personne ressortissante d'une partie contractante n'exerçant pas d'activité économique dans l'État de résidence et qui ne bénéficie pas d'un droit de séjour en vertu d'autres dispositions de l'accord reçoit un titre de séjour d'une durée de cinq ans au moins à condition qu'elle prouve aux autorités nationales compétentes qu'elle dispose pour elle-même et les membres de sa famille de moyens financiers suffisants pour ne pas devoir faire appel à l'aide sociale pendant leur séjour (let. a) et d'une assurance-maladie couvrant l'ensemble des risques (let. b).

Les moyens financiers sont considérés comme suffisants lorsqu'ils dépassent le montant en dessous duquel les nationaux, eu égard à leur situation personnelle et, le cas échéant, et à celle des membres de leur famille, peuvent prétendre à des prestations d'assistance (art. 24 § 2 1ère phrase annexe I ALCP).

11.         En l’occurrence, le recourant, comme l’a constaté à juste titre l’autorité intimée, dispose d’un revenu de CHF 1'520.- issu de sa rente d’invalidité, revenu qui s’avère inférieur au minimum de CHF 2'100,30 découlant des normes CSIAS, en tenant compte du fait qu’il payait un loyer de CHF 540.-. Par conséquent, il ne dispose pas de moyens financiers suffisants au sens des dispositions susmentionnées.

12.         Reste à déterminer s’il y a lieu de tenir compte de l’éventualité que le recourant reçoive des prestations d’invalidité du 2ème pilier, voire une indemnité pour atteinte à l’intégrité, éventualité que le recourant met en lien avec sa demande de suspension de la présente procédure. Cette perspective est cependant tout à fait aléatoire, dans la mesure où l’on ignore totalement quelles ont été les périodes pendant lesquelles le recourant aurait cotisé au 2ème pilier et même si tel a été le cas. En outre, ainsi que cela ressort du courrier adressé au tribunal le 31 août 2022 par l’institution dont il s’est adjoint l’aide, ces démarches viennent tout juste de commencer et l’on ignore complètement quand elles parviendront à terme, de sorte qu’il ne se justifie pas de retarder le moment de trancher le présent litige. Dans cette mesure, la demande de suspension de la procédure sera rejetée, étant souligné, comme l’a fait l’autorité intimée dans ses écritures, que le recourant peut parfaitement s’installer en Italie dans l’attente de l’issue de ces démarches, puis solliciter une autorisation de séjour en Suisse au cas où ses revenus atteindraient finalement les minima prévus en la matière.

13.         Enfin, il reste à examiner si le recourant devrait se voir délivrer une autorisation de séjour en Suisse pour des raisons majeures.

14.         A cet égard, aux termes de l'art. 20 OLCP, si les conditions d'admission sans activité lucrative ne sont pas remplies au sens de l'ALCP, une autorisation de séjour peut être délivrée lorsque des motifs importants l'exigent. Il n'existe cependant pas de droit en la matière, l'autorité cantonale statuant librement, sous réserve de l'approbation du secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM ; art. 29 OLCP). Les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger, ainsi que de son degré d'intégration (art. 96 al. 1 LEI).

S'agissant de la notion de « motifs importants », il convient de s'inspirer, par analogie, de la jurisprudence et de la pratique relatives à l'application de l'art. 36 de l'ancienne ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 (OLE). L'existence de « raisons importantes » au sens de cette dernière disposition constitue une notion juridique indéterminée qu'il convient d'interpréter en s'inspirant des critères développés par la pratique et la jurisprudence en relation avec les cas personnels d'extrême gravité au sens de l'art. 13 let. f OLE, soit actuellement l'art. 31 OASA (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-5385/2009 du 10 juin 2010 consid. 6.2).

En application de l'art. 31 OASA, il est possible d'octroyer une autorisation de séjour UE/AELE aux ressortissants français (sans activité lucrative) pour des motifs importants, même lorsqu'ils ne remplissent pas les conditions prévues dans l'ALCP. Dès lors que l'admission des personnes sans activité lucrative dépend simplement de l'existence de moyens financiers suffisants et d'une affiliation à une caisse maladie, les cas visés par l'art. 20 OLCP et l'art. 31 OASA ne sont envisageables que dans de rares situations, notamment lorsque les moyens financiers manquent ou, dans des cas d'extrême gravité, pour les membres de la famille ne pouvant pas se prévaloir des dispositions sur le regroupement familial (par ex. frère et sœur, oncle, neveu, tante ou nièce ; Directives et commentaires concernant l'introduction progressive de la libre circulation des personnes, Directives OLCP-06/2017, ch. 8.2.7).

15.         Selon la jurisprudence, le fait que l'étranger ait séjourné en Suisse durant une assez longue période, qu'il s'y soit bien intégré et que son comportement n'ait pas fait l'objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer de tels motifs importants ; encore faut-il que la relation de l'intéressé avec la Suisse soit si étroite qu'on ne puisse exiger de lui qu'il aille vivre dans un autre pays notamment dans son pays d'origine (arrêt du Tribunal administratif fédéral [ci-après : TAF] C-3337/2010 du 31 janvier 2012, consid. 4.3 et la jurisprudence citée ; directives de l'ODM sur l'introduction progressive de la libre circulation des personnes, version 01.05.11, ch. 8.2.7). L'intégration n'est pas réalisée lorsque la personne concernée n'arrive pas à subsister de manière indépendante et recourt à l'aide sociale pour vivre (arrêt du TAF C-3337/2010 du 31 janvier 2012, consid. 4.3).

Les critères de reconnaissance du cas de rigueur développés par la pratique et la jurisprudence – qui sont aujourd'hui repris à l'art. 31 al. 1 OASA – ne constituent pas un catalogue exhaustif, pas plus qu'ils ne doivent être réalisés cumulativement. Aussi, il convient d'examiner si l'existence d'un cas de rigueur grave doit être admise in casu à la lumière des critères d'évaluation pertinents en la matière, en particulier au regard de la durée du séjour de l'intéressé en Suisse, de son intégration (au plan professionnel et social), de sa situation familiale, de sa situation financière, de sa volonté de prendre part à la vie économique et d'acquérir une formation, de son état de santé et de ses possibilités de réintégration dans son pays d'origine (art. 31 al. 1 OASA ; arrêt du Tribunal administratif fédéral C-3227/2013 du 8 mai 2014 consid. 5.4 et 5.5).

Les conditions auxquelles la reconnaissance d'un cas de rigueur est soumise doivent être appréciées de manière restrictive. Il est nécessaire que l'étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. La réintégration sociale dans le pays d'origine doit sembler fortement compromise. La question n'est pas de savoir s'il est plus facile pour la personne concernée de vivre en Suisse, mais uniquement d'examiner si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de la réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'étranger, seraient gravement compromises (ATF 136 II 1 consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_873/2013 du 25 mars 2014 consid. 4.1, non publié in ATF 140 II 289, et les références ; ATA/35/2020 du 14 janvier 2020 consid. 3b).

16.         En l'occurrence, le recourant a certes séjourné en Suisse pendant une très longue durée, mais cette seule circonstance ne signifie pas forcément que son renvoi de Suisse et le fait de devoir s’installer à nouveau en Italie emporteraient pour lui de très graves conséquences. Son intégration professionnelle, pendant la période où il travaillait encore, n’a pas été particulièrement remarquable, puisque durant plusieurs années, comme il l’a lui-même admis, il a rencontré des difficultés croissantes. Sur le plan social, le recourant n’évoque aucune particularité qui conduirait à retenir qu’il disposerait d’un réseau d’amitié ou de voisinage particulièrement dense ou qu’il serait engagé de manière remarquable dans la vie sociale, culturelle ou associative genevoise. Pour ces raisons, son départ de Suisse ne paraît pas devoir emporter les conséquences d’un véritable déracinement. Le recourant n’indique pas non plus en quoi le fait de devoir se réinstaller en Italie, pays limitrophe de la Suisse et où il a vécu jusqu’à l’âge de 22 ans, pourrait le confronter à de graves difficultés, étant précisé qu’il pourra importer dans ce pays sa rente d’invalidité actuelle.

17.         Dans ces conditions, force est de constater que la décision litigieuse est entièrement fondée et que le recours doit par conséquent être rejeté.

18.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.-. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

19.         Le recourant étant au bénéfice de l'assistance juridique, cet émolument sera laissé à la charge de l’État de Genève, sous réserve du prononcé d'une décision finale du service de l’assistance juridique sur la base de l’art. 19 al. 1 du règlement sur l'assistance juridique et l’indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale du 28 juillet 2010 (RAJ - E 2 05.04).

20.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

Préalablement :

1.             Rejette la demande de suspension de la présente procédure

Cela fait :

2.             déclare recevable le recours interjeté le 8 juin 2022 par Monsieur A______ contre la décision de l'office cantonal de la population et des migrations du 9 mai 2022 ;

3.             le rejette ;

4.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 700.- ;

5.             le laisse à la charge de l’État de Genève, sous réserve de la décision finale de l'assistance juridique en application de l'art. 19 al. 1 RAJ ;

6.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière