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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3740/2021

JTAPI/863/2022 du 29.08.2022 ( ICC ) , ADMIS PARTIELLEMENT

REJETE par ATA/470/2023

Descripteurs : VENTE D'IMMEUBLE;INTÉRÊT ACTUEL;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;EXONÉRATION FISCALE;IMPÔT SUR LES GAINS IMMOBILIERS
Normes : LIPM.9.al3; LPA.60.al1.letb; LHID.23; LIPM.9.al1.lete; LPP.80.al4
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3740/2021 ICC

JTAPI/863/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 29 août 2022

 

dans la cause

 

A______, représentée par BÄR & KARRER SA, avec élection de domicile

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne une demande d’exonération de l’impôt cantonal et communal (ICC) sur le bénéfice et le capital de la fondation de placement A______ (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce de Zurich depuis le ______ 2018.

2.             Par courrier du 21 décembre 2018, A______ a adressé à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) une demande d’exonération de l’ICC sur le bénéfice et le capital sur la base de l’art. 9 al. 1 let e de la loi genevoise sur l’imposition des personnes morales (LIPM – D 3 15), en raison de biens immobiliers détenus notamment dans le canton de Genève.

Elle a expliqué avoir pour but le placement collectif et la gestion des avoirs de prévoyance confiés par ses investisseurs, lesquels sont composés d’institutions de prévoyance et d’autres institutions exonérées des impôts ayant leur siège en Suisse, pour autant qu’elles servent à la prévoyance professionnelle.

Des biens immobiliers (notamment des immeubles sis dans le canton de Genève) et des hypothèques faisaient partie des avoirs sous gestion.

En tant que canton du siège de A______, Zurich avait d’ores et déjà approuvé la demande d’exonération fiscale pour l’ICC le concernant et pour l’impôt fédéral direct (IFD).

3.             Par décision du 24 juillet 2019, l’AFC-GE a informé A______ qu’elle acceptait son exonération, à partir de 2018 et pour une durée indéterminée, des impôts ICC sur le bénéfice et le capital, cela pour autant que les fonds recueillis soient effectivement utilisés conformément au but social.

Cette exonération s’étendait aux droits de succession sur les institutions d’héritiers, legs et autres libéralités à cause de mort ainsi qu’aux droits d’enregistrement sur les donations. En revanche, elle ne s’étendait pas à l’impôt immobilier complémentaire, ni aux impôts cantonaux et communaux calculés sur les bénéfices résultant d’aliénations de biens et d’actifs immobiliers, lesquels étaient imposables de manière ordinaire dans le cadre de la détermination de l’impôt sur le bénéfice en vertu de la LIPM, ni encore aux droits d’enregistrement afférents aux actes et opérations immobiliers à titre onéreux.

La Fondation étant soumise à la LIPM, à la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP – D 3 05), à la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc – D 3 17), à la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS – D 3 25) et à la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE – D 3 30), elle restait soumise à l’obligation de remettre à l’AFC-GE sa déclaration fiscale annuelle dûment remplie et accompagnée de ses annexes.

Enfin, l’AFC-GE se réservait expressément la faculté de revoir en tout temps l’exonération accordée, notamment dès que les conditions qui l’avaient motivées ne seraient plus réalisées, A______ étant tenue de porter à sa connaissance toute modification substantielle portant sur son but statutaire ou ses activités effectives.

4.             Par courrier de son mandataire du 22 août 2019, A______ a élevé réclamation à l’encontre de cette décision, faisant valoir que les gains immobiliers d’une institution de prévoyance ne devaient pas être soumis à l’impôt général sur les bénéfices des personnes morales, mais à l’impôt spécial sur les bénéfices et gains immobiliers (IBGI) prévu par la LCP.

5.             Par décision sur réclamation du 29 septembre 2021, l’AFC-GE a déclaré irrecevable la réclamation en l’absence d’un intérêt actuel digne de protection, étant donné que A______ n’avait pas réalisé de bénéfice immobilier. L’irrecevabilité était motivée comme suit :

« La décision d’exonération fiscale querellée a pour objectif de délimiter l’étendue de l’exonération fiscale accordée et non de spécifier le type d’impôt applicable aux éléments non exonérés. À cet égard, il n’est pas contesté que l’exonération qui nous occupe ne s’étend pas aux bénéfices d’aliénation de biens et d’actifs immobiliers, lesquels demeurent donc imposables. Par analogie avec la jurisprudence en lien avec l’intérêt à recourir en vue de déterminer le montant des pertes reportées, l’intérêt actuel ne sera réalisé qu’en cas de vente immobilière et uniquement si cette vente génère un impôt ordinaire sur le bénéfice immobilier supérieur à celui qui aurait été prélevé si la vente avait été soumise à [l’IBGI]. Votre grief, relevant de la procédure de taxation, ne saurait donc être tranché dans le cadre de la présente procédure d’exonération fiscale. Par ailleurs, le fait que votre mandante se voit obligée de provisionner un impôt différé dans ses comptes ne constitue pas un dommage ou la privation d’un avantage certain créant un intérêt à la modification de la décision querellée ».

Sur le fond, si la réclamation devait être considérée comme recevable, l’AFC-GE la rejetait pour les motifs suivants :

« L’aliénation d’immeubles appartenant à la fortune commerciale des personnes morales est soumise à l’impôt sur le bénéfice (art. 12 LIPM), pour autant que la personne morale ne soit pas exonérée. En l’espèce, l’exonération des personnes morales mentionnées à l’al. 9 [recte : art. 9 al. 1] let. e LIPM ne s’étend pas aux gains immobiliers qui restent imposables (art. 9 al. 2 LIPM). Compte tenu du fait que le gain immobilier n’est pas concerné par l’exonération prévue à l’art. 9 LIPM, il doit être imposé de manière ordinaire conformément à l’art. 12 LIPM en raison du caractère « matériellement » dualiste du canton de Genève. En ce sens, l’art. 80 al. 4 LPP, qui constitue une loi spéciale applicable dans le domaine de la prévoyance, prévoit expressément que les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles par des institutions de prévoyance peuvent être frappés de l’impôt ordinaire sur les bénéfices ou d’un impôt spécial sur les gains immobiliers. À Genève, la LCP prévoit l’application de l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers pour les personnes morales qu’à titre de garantie (art. 86A al. 4 LCP), de sorte que la volonté du législateur était bel et bien de soumettre ces gains immobiliers à l’impôt ordinaire sur le bénéfice. C’est donc la raison pour laquelle les bénéfices d’aliénation de biens et d’actifs immobiliers sont imposables de manière ordinaire à l’impôt sur le bénéfice, également pour les fondations de placement ».

La décision précisait qu’elle pouvait faire l’objet d’une réclamation dans un délai de trente jours à compter de sa notification.

6.             Par acte du 1er novembre 2021, sous la plume de son mandataire, A______ a recouru contre cette décision sur réclamation auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal), concluant, sous suite de frais et de dépens, à son annulation et à ce que ce qu’il soit jugé que l’exonération des impôts cantonaux sur le bénéfice et le capital s’étende aux gains immobiliers réalisés par elle, ceux-ci étant exclusivement soumis à l’IBGI.

Concernant l’irrecevabilité de la réclamation, elle a notamment relevé que l’art. 9 al. 3 2ème phrase LIPM prévoyait que le département des finances et des ressources humaines statuait sur l’exonération des personnes morales visées à l’art. 9 al. 1 let. d à i LIPM par voie de décision pouvant être contestées immédiatement, y compris en l’absence de bénéfices réalisés. À défaut de réclamation, le dispositif de la décision du 24 juillet 2019, qui déclarait que « la décision d’exonération ICC du 24 juillet 2019 ne s’étend pas aux bénéfices d’aliénation de biens et d’actifs immobiliers qui seront, cas échéant, imposables de manière ordinaire à l’impôt sur les bénéfices » aurait acquis l’autorité de chose jugée. En outre, en tant qu’institution de prévoyance, elle était tenue de déterminer sa valeur d’inventaire conformément aux recommandations SWISS GAAP RPC 26, lesquelles obligeaient de constituer des provisions pour impôts latents sur gains immobiliers et autres frais de vente en cas d’intention de vente. Or, la charge fiscale entre l’impôt ordinaire sur le bénéfice et l’IBGI étant différente, cette différence impactait sa valeur d’inventaire. Elle disposait dès lors d’un intérêt actuel digne de protection à former réclamation à l’encontre de cette décision.

Sur le fond, en sa qualité de fondation de placement, ses gains immobiliers ne pouvaient pas être soumis à l’impôt ordinaire sur le bénéfice, mais à l’IBGI prévu par la LCP. Dès lors qu’elle indiquait précisément le type d’impôt devant être perçu, la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID – RS 642.14) constituait une lex specialis par rapport à l’art. 80 al. 4 de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 25 juin 1982 (LPP – RS 831.40). Le canton de Genève, comme tous les autres cantons, n’avait pas d’autre choix que de percevoir l’IBGI en lieu et place de l’impôt ordinaire sur le bénéfice.

7.             Dans sa réponse du 7 février 2022, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours en persistant intégralement dans les considérants et les conclusions de sa décision sur réclamation.

La recourante ne disposait pas d’un intérêt juridique actuel digne de protection à contester le mode d’imposition du gain immobilier au stade de l’octroi de la décision d’exonération du 24 juillet 2019, avec pour conséquence l’irrecevabilité de la réclamation, pour les raisons suivantes :

-          la décision d’exonération avait pour objectif de délimiter l’étendue de l’exonération en attirant l’attention de la recourante sur les limites de celle-ci ;

-          l’art. 9 al. 3 LIPM ne conférait pas à la recourante le droit de contester au stade de la demande d’exonération fiscale le mode d’imposition spécifique du gain immobilier ;

-          la recourante pourrait faire valoir ses droits dans le cadre de la taxation ordinaire, mais uniquement lors de la réalisation d’un gain immobilier imposable ;

-          les exigences réglementaires de la comptabilisation d’un impôt différé ne constituaient pas un dommage ou la privation d’un avantage certain créant un intérêt à la modification de la décision querellée ;

-          enfin, la jurisprudence constante du Tribunal fédéral en matière d’intérêt actuel digne de protection (concernant notamment le calcul de report de pertes lorsque le bénéfice imposable demeure nul) pouvait être tout à fait transposée dans le cas présent. En l’absence de gain immobilier imposable, la contestation de la décision d’exonération n’impliquait pas une diminution de l’impôt.

Subsidiairement, sur le fond, l’impôt sur les gains immobiliers, tel que mentionné à l’art. 23 al. 4 1ère phrase LHID, se référait également à l’impôt sur le bénéfice pour les cantons ayant opté, comme Genève, pour un système d’imposition dualiste. L’art. 80 al. 4 LPP permettait d’assujettir les plus-values immobilières des institutions de prévoyance à l’impôt général sur les bénéfices ou à un impôt spécial sur les gains immobiliers. L’art. 9 al. 1 let. e LIPM en lien avec l’al. 2 de cette même disposition avait exactement la même teneur que l’art. 23 al. 1 let. d et al. 4 LHID. Il ressortait des travaux préparatoires que le législateur genevois avait bien prévu une base légale formelle dans la LIPM (art. 9 al. 2 LIPM), qui posait le principe que les gains immobiliers réalisés par les personnes morales exonérées était soumis à l’impôt sur les bénéfices.

8.             Par réplique du 1er mars 2022, la recourante a persisté dans les conclusions de son recours.

Le droit de contester immédiatement la décision de refus partiel d’exonération était expressément prévu par l’art. 9 al. 3 LIPM et confirmé par le Tribunal fédéral (ATF 128 II 56), cela afin de permettre une économie de procédure.

L’IBGI ne connaissait aucune exonération. Les institutions de prévoyance professionnelle n’étant pas soumises à un impôt annuel ordinaire sur le bénéfice, aucune imputation ni aucun remboursement de l’IBGI ne pouvait avoir lieu. Partant, pour ces personnes morales non soumises à l’impôt annuel ordinaire sur le bénéfice, l’IBGI constituait un impôt final. En outre, la détermination du gain immobilier des personnes morales avait pour base légale l’art. 82 LCP et non pas l’art. 12 al. 1 LIPM, ce qui démontrait qu’elle appliquait bien les dispositions de la LCP. Les travaux préparatoires relatifs à l’art. 9 al. 2 LIPM ne permettaient pas de conclure que la LIPM prévoyait une base légale formelle soumettant à l’impôt annuel ordinaire les gains immobiliers réalisés par les personnes morales exonérées. Ces dernières n’avaient à ce titre aucune possibilité de déduire l’IBGI, dès lors qu’elles n’étaient pas soumises à l’impôt ordinaire. De ce fait, en tant qu’impôt spécial, l’IBGI constituait bien un impôt final.

9.             Dans sa duplique du 23 mars 2022, l’AFC-GE a persisté intégralement dans les termes et conclusions de son mémoire de réponse du 7 février 2022.

Elle a déclaré renoncer à ce stade à se prononcer sur l’argumentation au fond pour ne traiter que la question de la recevabilité du recours (recte : la recevabilité de la réclamation), qui devait être préalablement tranchée. Elle persistait à soutenir que la jurisprudence sur les pertes reportables était transposable au présent cas d’espèce. Ainsi, dans la mesure où sa réclamation n’impliquait pas une diminution de l’impôt dû - en l’absence de gain immobilier imposable - la recourante n’avait aucun droit à ce que l’autorité fiscale se prononce sur la loi applicable entre la LIPM et la LCP.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 LPFisc).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.

3.             La recourante conteste en premier lieu l’irrecevabilité de la réclamation, l’AFC-GE ayant considéré qu’elle n’avait pas d’intérêt actuel digne de protection à s’opposer à la décision d’exonération fiscale.

4.             À teneur de l’art. 60 al. 1 let. b de la loi genevoise sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10), toute personne qui est touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d’Etat ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l’acte soit annulé ou modifié.

5.             Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l'annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b). L'existence d'un intérêt actuel s'apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s'il s'éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; 118 Ib 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2) ou déclaré irrecevable si l'intérêt actuel faisait déjà défaut au moment du dépôt du recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 et la jurisprudence citée).

6.             En matière fiscale, est ainsi déclaré irrecevable, faute d'un intérêt actuel, le recours dont les conclusions, bien que tendant à l'annulation d'une décision de taxation, n'impliquent pas une diminution de l'impôt dû (ATA/1304/2019 du 27 août 2019 consid. 12c ; ATA/170/2018 du 20 février 2018 consid. 3b ; ATA/1642/2017 du 19 décembre 2017 consid. 3b ; RDAF 2003 II p. 47).

7.             L’art. 9 al. 3 LIPM prévoit que le département des finances et des ressources humaines statue sur l’exonération des personnes morales visées à l’al. 1 let. d à i. Les décisions fondées sur cet al. 3 peuvent être contestées immédiatement. Les titres IV à VI de la 2ème partie de la LPFisc s’appliquent par analogie.

8.             Les titres IV à VI de la 2ème partie de la LPFisc règlent les procédures respectivement de réclamation, de recours et de modification des décisions et prononcés entrés en force.

9.             En l’espèce, l’AFC-GE estime que la recourante n’avait pas un intérêt actuel digne de protection à contester sa décision d’exonération du 24 juillet 2019 dans la mesure où la réclamation n’impliquait pas une diminution de l’impôt.

10.         Le tribunal observe en premier lieu que le présent litige ne concerne pas une décision de taxation, mais une demande d’exonération, laquelle peut être soumise, comme dans le cas présent, à l’autorité compétente avant une décision de taxation.

Une telle demande d’exonération n’étant, par définition, pas formulée lors d’une contestation d’une décision de taxation, elle n’est évidemment pas censée avoir pour effet immédiat de réduire concrètement le montant de l’impôt, puisque celui-ci n’a pas encore été déterminé.

11.         Malgré cela, comme le relève à raison la recourante, en mentionnant expressément que les bénéfices résultant d’aliénations de biens et d’actifs immobiliers sont imposables de manière ordinaire dans le cadre de la détermination de l’impôt sur le bénéfice en vertu de la LIPM, la décision d’exonération du 24 juillet 2019 tranche la question du type d’impôt applicable et cela en dehors d’un contexte concret de réalisation d’un gain immobilier.

12.         Dès lors, à suivre l’AFC-GE, faute pour la contribuable de pouvoir faire valoir une diminution concrète et actuelle de l’imposition, la susdite décision entrerait en force et fixerait le type d’impôt applicable, sans permettre à la contribuable de le contester, ce qui serait manifestement contraire à ce que prévoit l’art. 9 al. 3 LIPM.

13.         Dans ces conditions, étant donné qu’il ne s’agit pas en l’occurrence d’une décision de taxation, mais d’exonération, et que celle-ci tranche déjà la question du type d’impôt applicable lors de la réalisation de bénéfices immobiliers, il y a lieu de considérer que la recourante a un intérêt actuel digne de protection à contester la décision du 24 juillet 2019, comme le prévoit l’art. 9 al. 3 LIPM.

14.         Le recours est dès lors admis sur ce point, sans qu’il soit nécessaire d’examiner plus avant les arguments avancés par les parties.

15.         Sur le fond, la recourante soutient que les bénéfices résultant d’aliénations de biens et d’actifs immobiliers ne sont pas imposables de manière ordinaire en application de la LIPM, mais soumis à l’IBGI conformément aux art. 80 et ss LCP.

16.         Aux termes de l’art. 12 al. 4 LHID, les cantons peuvent percevoir l’impôt sur les gains immobiliers également sur les gains réalisés lors de l’aliénation d’immeubles faisant partie de la fortune commerciale du contribuable, à condition que ces gains ne soient pas soumis à l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice ou que l’impôt sur les gains immobiliers soit déduit de l’impôt sur le revenu ou sur le bénéfice.

17.         Selon l’art. 23 al. 1 let. d LHID, sont exonérées de l’impôt les institutions de prévoyance professionnelle d’entreprises qui ont leur domicile, leur siège ou un établissement stable en Suisse et d’entreprises qui les touchent de près, à condition que les ressources de ces institutions soient affectées durablement et exclusivement à la prévoyance en faveur du personnel.

18.         L’art. 23 al. 4 LHID prévoit, quant à lui, que les personnes morales mentionnées à l’al. 1 let. d à g et i LHID, sont toutefois soumises dans tous les cas à l’impôt sur les gains immobiliers.

19.         L’art. 9 al. 1 let. e et al. 2 1ère phrase LIPM ont la même teneur que les dispositions de la LHID précitées.

20.         Selon l’art. 80 al. 4 1ère phrase LPP, les bénéfices provenant de l’aliénation d’immeubles peuvent être frappés de l’impôt général sur les bénéfices ou d’un impôt spécial sur les gains immobiliers.

21.         Alors qu’au niveau fédéral les gains en capital réalisés sur la vente d’immeuble appartenant au patrimoine d’une institution de prévoyance professionnelle sont exonérés d’impôts sur la base de l’art. 56 let. e de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD – RS 642.11), de tels gains sont soumis, au niveau cantonal et communal, soit à l’impôt sur le bénéfice dans les cantons dits dualistes, soit à un impôt spécial sur les gains immobiliers dans les cantons dits monistes. En effet, conformément à l’art. 12 al. 4 LHID, les cantons peuvent se subdiviser en deux groupes :

-          Certains cantons (en particuliers les cantons romands, à l’exception du Jura) soumettent les gains immobiliers réalisés par une institution de prévoyance professionnelle à l’impôt ordinaire sur le bénéfice (système dualiste), le gain imposable correspondant à la différence entre le prix de vente et la valeur comptable.

-          D’autres cantons (notamment Zurich, Berne, Uri, Schwyz, Nidwald, Bâle, Thurgovie, Tessin et Jura) soumettent les gains immobiliers réalisés par une institution de prévoyance professionnelle uniquement à un impôt spécial (système moniste), à l’exclusion de l’impôt ordinaire sur le bénéfice. Les gains échappent ainsi à l’imposition ordinaire sur le bénéfice au niveau cantonal et communal et sont traités de la même manière que les gains de la fortune immobilière privée (Jacques-André SCHNEIDER, Nicolas MERLINO, Didier MANGE, Commentaire des assurances sociales suisses, LPP et LFLP, 2020, p. 1805-1806, n. 56 ad art. 80 LPP).

22.         Le canton de Genève a adopté un système mixte, en ce sens que les gains obtenus sur des immeubles appartenant à la fortune commerciale supportent en définitive l’impôt ordinaire et non pas l’impôt spécial qui ne sert dans cette hypothèse que de garantie. Formellement, l’impôt semble moniste (il frappe spécialement toutes transactions immobilières), mais matériellement le système genevois est dualiste (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 2021, p. 365 n. 56).

23.         Selon le Tribunal fédéral, pour les cantons qui connaissent le système dualiste, l’assujettissement du gain immobilier d'une personne morale à l'impôt spécial sur les gains immobiliers est de toute façon étranger à ce système (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1080/2014 du 5 juillet 2016 consid. 5.5.2).

24.         À propos de cet arrêt, la doctrine retient que le Tribunal fédéral considère que l’assujettissement du bénéfice immobilier d’une personne morale à l’impôt spécial sur les bénéfices et gains immobiliers n’est pas conforme au système dualiste adopté par une partie des cantons suisses, ce qui permet de conclure qu’il n’aurait fait aucune objection à un assujettissement selon l’impôt général sur le bénéfice (pour autant que le droit cantonal le prévoie) (Marco GRETER, Alexander GRETER, Kommentar zum schweizerischen Steuerrecht, Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 2017, p. 576 n. 46 ad art. 23 LHID).

25.         En l’occurrence, au vu de la jurisprudence et de la doctrine susmentionnées, le tribunal considère que c’est à bon droit que l’AFC-GE a décidé d’assujettir à l’impôt ordinaire sur le bénéfice, les éventuels futurs gains en capital réalisés sur la vente d’immeubles appartenant à la recourante.

26.         En effet, le canton de Genève étant un canton dualiste, le gain immobilier réalisé par une personne morale est soumis à l’impôt ordinaire sur le bénéfice, l’IBGI n’étant prélevé qu’à titre de garantie.

Pour les personnes morales et les autres contribuables agissant à titre professionnel, l’impôt n’est prélevé qu’à titre provisoire, car il pourra être imputé sur l’impôt annuel entier prélevé également sur ce gain (Xavier OBERSON, op. cit., p. 365 n. 56).

27.         Ce système d’imposition doit s’appliquer également aux gains réalisés par les personnes morales exonérées, comme la recourante, dès lors que le droit cantonal genevois ne prévoit pas de disposition légale différente qui leur serait applicable.

28.         Le recours est dès lors rejeté sur ce second chef de conclusion.

29.         Le tribunal ayant toutefois donné raison à la recourante concernant la recevabilité de la réclamation, le recours sera considéré comme partiellement admis.

30.         En application des art. 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), un émolument réduit à CHF 500.-, couvert par l’avance de frais de CHF 700.- versée à la suite du dépôt du recours, sera mis à la charge de la recourante. Le solde de CHF 200.- lui sera restitué.

31.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 1er novembre 2021 par A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 29 septembre 2021 ;

2.             l'admet partiellement, dans le sens des considérants qui précèdent ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 200.- ;

5.             condamne l'État de Genève, soit pour lui l’administration fiscale cantonale, à verser à la recourante une indemnité de procédure de CHF 500.- ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST, présidente, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Caroline DEL GAUDIO-SIEGRIST

 

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

Le greffier