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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2105/2022

JTAPI/685/2022 du 29.06.2022 ( OCPM ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DÉCISION DE RENVOI;ACTION EN CONSTATATION;ILLICÉITÉ;MESURE PROVISIONNELLE;MESURE PRÉPROVISIONNELLE;COMPÉTENCE;TRANSMISSION D'UN ACTE PROCÉDURAL;EXPULSION(DROIT PÉNAL)
Normes : LOJ.116; LPA.11; LPA.4A; LPA.21; LPA.62.al6
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2105/2022

JTAPI/685/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 29 juin 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Arnaud MOUTINOT, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

 


EN FAIT

1.             Par jugement du Tribunal correctionnel du 15 septembre 2021, Monsieur A______ a été condamné à une peine privative de liberté d’un an et sept mois. Son expulsion judiciaire pour une durée de vingt a également été prononcée.

2.             Ce jugement n’ayant pas été contesté, il est entré en force.

3.             Par jugement du 9 juin 2022, le Tribunal d’application des peines et mesures (ci-après : TAPEM) a ordonné la libération conditionnelle de M. A______ avec effet au jour où son renvoi de Suisse pourra être exécuté, mais au plus tôt le 19 juin 2022. Une règle de conduite lui était imposée consistant en l’obligation de collaborer aux formalités administratives de son renvoi.

Le tribunal a précisé que M. A______ était né le 20 octobre 1989 et était ressortissant soudanais mais que, toutefois, les autorités administratives suisses et nigérianes l’avaient reconnu sous l’identité de Monsieur B______, né le ______ 1988 dans l’Etat d’C______ au Nigéria.

Il a retenu que, selon un courriel de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) du 14 avril 2022, la confirmation par le secrétariat d'État aux migrations (ci-après : SEM) de la reconnaissance du cité par les autorités nigérianes permettait désormais de considérer que l’exécution de son expulsion de Suisse était possible à destination du Nigéria, par vol spécial au besoin. Pour cela, un éventuelle libération conditionnelle de M. A______ (connu sous l’identité B______) devrait impérativement être conditionnée à l’exécution de son expulsion, la disponibilité des places de détention administrative étant trop aléatoire pour garantir la bonne mise en œuvre de la mesure.

4.             Le 15 juin 2022, M. A______ a adressé au SEM une « Requête en suspension de son renvoi, demande d’assistante judicaire, demande de dossier et droit d’être entendu », concluant préalablement à la suspension de la procédure de renvoi jusqu’à droit connu sur sa nationalité et l’exécutabilité de son renvoi et, principalement, à la constatation de l’inexécutabilité de son renvoi.

5.             Par acte du 20 juin 2022, M. A______, sous la plume de son conseil, a recouru contre le jugement du TAPEM auprès de la Chambre pénale de recours, concluant principalement à l’annulation du jugement en tant qu’il conditionne sa libération conditionnelle à l’exécution de son renvoi de Suisse et lui impose une règle de conduite et, cela fait, et statuant à nouveau, à ce que sa libération conditionnelle soit ordonnée immédiatement.

6.             Le SEM a répondu au courrier de M. A______ du 15 juin 2022 le 21 juin 2022, indiquant notamment que, faisant l’objet d’une décision d’expulsion judiciaire définitive et entrée en force, il ne lui appartenait pas de se prononcer sur une éventuelle suspension de l’exécution de son renvoi. Il était dès lors invité à adresser sa demande à l’autorité cantonale compétente en matière d’exécution des renvois, respectivement l’autorité judiciaire ayant prononcé la décision d’expulsion de Suisse.

7.             M. A______ a adressé au SEM, le 23 juin 2022, un courrier demandant qu’une copie de l’extrait Symic le concernant lui soit transmise et qu’il lui soit indiqué sur quelle base l’inscription de son identité « B______ » avait été effectuée.

8.             Le même jour, il a adressé à l’OCPM une requête urgente en mesures provisionnelles, concluant ce que l’OCPM sursoie à l’exécution de son renvoi jusqu’à droit connu quant à son identité et à sa nationalité, et à ce qu’une copie de son dossier complet lui soit transmise.

9.             Le 28 juin 2022, M. A______, sous la plume de son conseil, a déposé au greffe universel du pouvoir judicaire, à 16h10, à l’attention du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) une « Action en constatation de l’illicéité (avec conclusions sur mesures superprovisionnelles) », concluant sur mesures superprovisionnelles et sur mesures provisionnelles à la suspension de son renvoi jusqu’à droit connu et, sur le fond, préalablement à ce que l’apport du « dossier d’exécution du renvoi » soit ordonné et, cela fait, à l’octroi d’un délai pour compléter son écriture et, principalement à la constatation de l’illicéité de son renvoi à destination du Nigéria.

Se référant aux art. 4A al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), 115 al. 1 et 116 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) et 3 al. 1 loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 (LaLEtr - F 2 10), il a fait valoir qu’une place sur un vol à destination du Nigéria avait été réservée pour lui le 30 juin 2022 alors que c’était à tort que l’autorité avait retenu que son renvoi était exécutable. Il avait demandé au SEM, le 21 juin 2022 que les pièces relatives à l’exécution de son renvoi et à son identification lui soient transmises mais il restait à ce jour sans nouvelles de l’autorité fédérale. Il n’avait pas non plus reçu de réponse à sa demande sous l’entête « urgent » et « mesures provisionnelles » déposée auprès de l’OCPM le 23 juin 2022. Dès lors qu’il n’était pas B______ de nationalité nigériane, il existait bien un intérêt digne de protection à ce qu’il ne soit pas renvoyé vers le Nigeria, pays qu’il ne connaissait pas et dans lequel il ne s’était jamais rendu. En conséquence son action était recevable.

En application de l’art. 21 LPA, il sollicitait sur mesures superprovisionnelles et mesures provisionnelles que son renvoi à destination du Nigeria soit suspendu. S’agissant de l’urgence, un vol était organisé pour le 30 juin 2022 à destination du Nigéria et une place lui avait été réservée, alors même qu’il n’était pas ressortissant nigérian et que les pièces relatives à la procédure d’identification et d’exécutabilité de son renvoi devaient encore lui parvenir du SEM. Il y avait dès lors véritablement péril en la demeure.

Sur le fond, il s’appelait A______, originaire du Soudan, et non B______ originaire du Nigeria. Il n’avait pas connaissance d’une décision de non-report de son renvoi alors même qu’il n’avait pas encore eu accès à son dossier. Il n’avait pas de trace de l’analyse faite par l’OCPM de l’exécutabilité de son renvoi, laquelle se déterminait de cas en cas et était acquise si le renvoi était possible, licite et exigible ; or, l’OCPM ne pouvait conclure que le renvoi était exécutable puisque c’était le mauvais pays qui avait été analysé. Ainsi, prononcer son renvoi à destination du Nigeria en l’état du dossier violait le droit fédéral et notamment l’art. 83 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), ce qui devait être constaté.

Enfin, il n’avait pas pu exercer son droit d’être entendu quant à la procédure d’identification, respectivement d’exécutabilité de son renvoi.

Dès lors, il fallait constater que la question de son identité était toujours litigieuse par-devant le SEM et que, dans ces conditions, son renvoi n’était en l’état pas exécutable.

 

EN DROIT

1.             À teneur de l’art. 116 al. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), le tribunal est l’autorité inférieure de recours dans les domaines relevant du droit public, pour lesquels la loi le prévoit.

2.             Le tribunal examine d’office sa compétence, laquelle est déterminée par la loi (art. 11 al. 1 et 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10).

Lorsqu’il décline sa compétence, il transmet d’office l’affaire à l’autorité compétente et en avise les parties (art. 11 al. 3 LPA).

3.             Le tribunal connaît des recours dirigés contre les décisions de l'office cantonal de la population et des migrations relatives au statut d'étrangers dans le canton de Genève (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 LOJ ; art. 3 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

4.             Aux termes de l’art. 4A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA-GE - E 5 10), toute personnes qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l'autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations a) s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque; b) élimine les conséquences d'actes illicites; c) constate le caractère illicite de tels actes (al. 1). L'autorité statue par décision (al. 2).  Lorsqu'elle n'est pas désignée, l'autorité compétente est celle dont relève directement l'intervention étatique en question (al. 3).

5.             Lorsque l'autorité requise de prendre une décision refuse ou ne répond pas, après avoir été mise en demeure, le recours est ouvert pour déni de justice formel (art. 4 al. 4 et 62 al. 6 LPA).

6.             La présente action a pour but de requérir, sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles, la suspension du renvoi de Suisse du recourant et, au fond, d’en constater l’illicéité.

7.             L'art. 21 LPA donne au président d'une juridiction administrative la compétence d'ordonner des mesures provisionnelles, d'office ou sur requête.

Si l'urgence de la situation le commande, des mesures superprovisionnelles, malgré leur absence dans le texte légal, peuvent s'imposer ; elles peuvent être décidées sans que les parties soient entendues préalablement (cf. ATA/402/2012 du 26 juin 2012 consid. 4 ; ATA/342/2011 du 26 mai 2011 consid. 7 ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 828 p. 222 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n° 847 ss p. 302 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, n° 2.2.6.8 p. 306 ; I. HÄNER, « Vorsorgliche Massnahmen im Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess », in RDS 1997 II 253ss ; cf. aussi art. 43 let. d LPA) ; le droit d'être entendu des parties devra néanmoins ensuite être respecté aussitôt que possible (cf. Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit, n° 2.2.6.8 p. 306 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n° 847 p. 302 et l'arrêt cité ; cf. aussi Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, op. cit., n° 830 p. 222).

De telles mesures ne peuvent toutefois être prononcées que lorsque la juridiction est valablement saisie d'un recours. A défaut, celle-ci ne peut simplement pas traiter le dossier (ATA/1489/2019 du 8 octobre 2019 ; ATA/604/2017 du 26 mai 2017; ATA/1069/2015 du 6 octobre 2015; ATA/745/2015 du 20 juillet 2015 ; JTAPI/487/2020 du 11 juin 2020).

8.             En l’occurrence, le recourant fait l’objet d’une expulsion pénale (cf. art. 66a et 66abis CP) pour une durée de vingt ans, selon le jugement du Tribunal correctionnel du 15 septembre 2021, définitif et exécutoire.

Cette expulsion judiciaire a valeur de décision de renvoi au sens des art. 64 ss LEI, sans qu’il n’y ait besoin de prononcer une nouvelle décision de renvoi (cf. ATA/625/2022 du 14 juin 2022 consid. 11).

Le recourant sollicite, sur mesures provisionnelles et superprovisionnelles, la suspension de son renvoi, lequel serait programmé pour le 30 juin 2022. Si tant est que cela soit le cas, le tribunal ne peut que constater que ce renvoi constitue une mesure d’exécution de la décision d’expulsion définitive prise par le Tribunal correctionnel le 15 septembre 2021. Or, un recours contre une telle décision n’est pas recevable devant le tribunal de céans (art. 59 let. b LPA).

Au demeurant, la décision d’expulsion du 15 septembre 2021 n’est pas attaquable devant le tribunal de céans pour des raisons de compétences. Par conséquent, les mesures provisionnelles et superprovisionnelles requises en lien avec cette décision sont irrecevables.

S’agissant de la conclusion en constatation de l’illicéité du renvoi, conformément à l’art. 4A LPA, une telle requête doit être adressée à l’autorité compétente quant aux questions liées au renvoi - soit ici l’OCPM -, laquelle doit statuer par une décision susceptible de faire l’objet d’un recours, décision qui devra répondre aux différents points soulevés, à savoir la question de l’identité et de la nationalité du recourant.

Seule une telle décision permettrait au recourant de faire valoir ses droits devant un juge.

Or, non seulement une telle décision fait ici défaut, mais le tribunal constate que le recourant n’a pas interpellé l’OCPM sur cette question, le courrier que celui-ci a adressé à cette autorité le 23 juin 2022 sous l’entête « urgent » et « mesures provisionnelles » ne faisant que demander à l’autorité de sursoir à l’exécution de son renvoi jusqu’à droit connu quant à son identité et à sa nationalité.

Le tribunal transmettra en conséquence l’acte du 28 juin 2022 à l’OCPM afin que celui-ci rende une décision susceptible de faire l’objet d’un recours, conformément à l’art. 4A LPA.

L’action sera dès lors déclarée irrecevable.

9.             Au surplus, dans l’hypothèse où la requête examinée ici devrait être considérée comme un recours pour déni de justice au sens de l’art. 62 al. 6 LPA, force est de constater que la procédure préalable permettant de saisir le tribunal d’un tel recours n’a pas été respectée. En tant que recours, l’acte du 28 juin 2022 devrait donc également être déclaré irrecevable.

10.         Compte tenu de la nature et de l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument ni octroyé de dépens (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

11.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision sera communiquée au secrétariat d'État aux migrations.


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare l’action irrecevable ;

2.             transmet le dossier à l’OCPM, charge pour lui de rendre une décision motivée dans le sens des considérants ;

3.             dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni octroyé de dépens ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière